ANNALES DU MIDI
ÀNMaLes du Midi. — XIX
ANNALES
DU MIDI
REVUE
ARCHÉOLOGIQUE, HISTORIQUE ET PHILOLOGIQUE
DE LA FRANGE MÉRIDIONALE
Fondée sous les auspices de l'Université de Toulouse,
PAR
ANTOINE THOMAS
PUBLIÉE AVEC LE CONCOURS d'uN COMITÉ DE RÉDACTION
PAR
A. JEAN ROY ET P. DOGNON
rROFKSSEURS A L'UNIVERSITÉ DE TOULOUSE
Il Ab l'iik-n tir ve.~ me l aire
'c Qu'eu sent venir de Proenza.
Peire Vidal.
DIX-NEUVIKME ANNEE
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1907 v^ C\
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TOULOUSE
IMPRIMERIE ET LIBRAIRIE EDOUARD PRIVAT
14, RUE DES ARTS (SQUARE DU MUSÉE)
Paris. — Alphonse PICARD et fils, rue Bonaparte 82.
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RECHERCHES
LÉGEADES DU CYCLE DE GUILLAUME D'ORAXGE
I. — SAINT GUILLAUME DE GELLONE
C'est une théorie universellement reçue que la biographie
poétique de Guillaume d'Orange est faite de traits empruntés
à la vie de divers personnages historiques du nom de Guil-
laume. De ces personnages qui se prétendent les prototypes du
héros légendaire (ils ne sont que douze ou treize), lesquels font
valoir des titres sérieux? Les érudits en disputent; mais ce
n'est pas une hypothèse d'érudit, c'est un fait et c'est une
donnée que les hommes du xii« et du xiu** siècle reconnais-
saient en Guillaume d'Orange un puissant personnage du
temps de Charlemagne, qui, sur la fin d'une longue vie guer-
rière, se rendit moine et mourut dans le cloître en odeur de
sainteté, celui-là même que l'Église honore, le 28 mai, sous
le nom de saint Guillaume.
Comment s'est faite au moyen âge cette assimilation? Est-ce
une fantaisie accidentelle et récente ? une légende de plus
ajoutée sur le tard par les jongleurs à tant d'autres légendes?
Ou bien, au contraire, la légende du Guillaume épique fut-
elle de tout temps mêlée à l'histoire de saint Guillaume?
Si nous interrogeons d'abord les chansons de geste, l'iden-
g JOSEPH BÉDIER.
tincatioQ du héros au saint y est faite fréquemment. On lit au
début des Enfances Guillaume :
Et qui diroit encontre la chanson
Aucune chose qui ne fust de reson,
En sa lege\ide ses fez trouveroit on
Et molt des autres dont ne faz raencion
Es granz deserz ou il ot sa meson :
De Morapfllier trois lieues i conte on.
Ainsi, dans ceux de nos manuscrits cycliques qui s'ouvrent
par les Enfances Guillaume, dès la première page, la vie du
héros est placée sous le patronage des moines qui, aux grands
déserts proches de Montpellier, gardent la « maison » du
saint, et les jongleurs se réclament de la « légende » authen-
tique, c'est-à-dire d'une Vie latine de saint Guillaume.
A vrai dire, plusieurs poètes, celui des Narbonnais par
exemple ou celui du Couronnement de Louis, qui racontent
la jeunesse de Guillaume d'Orange, ne font nulle allusion à sa
fin pieuse. S'ils s'en taisent, c'est peut-être qu'ils ignoraient
cette tradition; c'est peut-être, et aussi bien, qu'il n'était pas
de leur sujet d'en parler et qu'ils la supposaient d'ailleurs
bien connue de leur public. Toujours est-il que maints d'entre
eux la rapportent plus ou moins clairement. Dans la Chanson
de Guillaume, par exemple, quand le héros revient de la
bataille, vaincu et désespéré, il ditùGuibourc :
i'tS'À « Or m'en fuirai en estrange régné
A saint Michiel al Péril de la mer
Ou a saint Piere, le bon apostre Deu,
Ou en un guast ou ne soie trovez :
La devendrai hennites ordenez,
VA tu nonein, si fai ton chief vêler.
— Sire », dist ele, » ço ferura nos assez,
Quant nos avrom nostre siècle mené. »
Ces vers indiquent, semble-t-il, que le poète connaissait la
Iraditiou ilu maniage de son héros et a voulu lui prêter ici le
presseuliineul fie su destinée'.
1. <)ii jifiil «lire, il oHt vrai, quo ces vers n'expriment rien que le décou-
LÉGENDES DU CYCLE DE GUILLAUME D'ORANGE. 7
A son tour, le poète du Charroi de Nimes dit ea soû pro-
logue :
Bone chanson plest vos a escouter
Del meillor home qui ainz creùst en Dé?
C'est de Guillelme, le marchis au cort nés...
Molt essauça sainte crestientô :
Tant flst en terre qu'es ciels est coronez.
Et ce texte est vague encore, puisqu'il place Guillaume
parmi les élus et non nécessairement parmi les saints; mais
c'est bien un saint que désignent ces vers à' Alîscans^ qui
sont si beaux :
Mais nostre Sires le veut si maintenir
Ke ses sains angles li tramist au morir.
Por ce est bone la chanson a oïr
Que il est sainz : Deus l'a fet beneïr
Et en sa gloire et poser et seïr,
Avec les angles aorer et servir.
Le suen barnage ne fet mie a tesir,
Ainz le doit on molt volentiers oïr
Et entre genz et amer et chérir :
Molt bon essample i puet l'en retenir.
Bien en devroit avoir a son pleisir
Henaus et robes et bliauz a vestir
Qui de Guillaume set chanter et servir i.
L'auteur de la Prise d'Orange précise encore : non seule-
ment son héros est un saint, mais le poète sait désigner l'un des
sanctuaires où l'on vénérait, en effet, saint Guillaume; c'est
l'église Saint-Julien de Brioude, où l'on montrait son écu :
Oez, seignor, que Deus vos beneïe.
Li glorieus, li fiz sainte Marie,
ragement passager de Guillaume. Pourtant, ils rappellent singulièrement
ce passage de la seconde rédaction du Montage Guillaume (cité par
M. Ph.-A. Becker, Die altfz. Wilhelmsage, p. 160) :
« Or m'en fuirai en estrange régné.
Ermites iere ens en un bos ramé
U en désert, se jou le puis trover. »
1. Ed. deHaUe, v. 639 sa.
-g JOSEPH BÉDIER.
Bone chançon que ge vos vorrai dire.
Ceste n'est mie d'orgueiil ne de folie,
Ne de mençonge estiete ne emprise.
Mes de preudoraes qui Espaigne conquistrent.
Icil le sevent qui en vont a saint Gile,
Qui les ensaignes en ont veii a Bride,
L'escu Guillelme et latarge florie...
Mais c'est au sanctuaire même de Saint-Guilhem-du-Désert,
là où le saint était mort, que nous conduit le poète du Cove-
nant Vivien^ : il sait les traditions qu'y redisent les gens du
pays; comment saint Guillaume y a combattu un géant et
comment il a construit un pont sur un torrent : un démon
s'amusait à détruire la nuit l'ouvrage du saint ouvrier; mais
Guillaume l'a guetté et jeté dans l'abîme :
Ce dit la gent del lens ancianor
Conques ne fu nus hom de tel vigor;
A Saint-Guillelme ce dient li plusor
Que il gita le jaiant de sa tor ;
Par vive force le destruit a dolor;
Et list le pont Guiilelmes par iror.
Et li deables par nuit dépeça tôt :
Il le gaita, c'onques n'en ot peor,
Et le gita en la plus grant rador.
Encor i pert et i parra toz jorz :
lluec est l'eve en icele brunor;
L'abisrae semble et si tornoie entor,
Kniin, le Moniage Guillaume nous renseigne avec plus
de délails encore. Non seulement, la première rédaction de
ce poème conduit Guillaume à Brioude, où il dépose son
écu eu eœ-volo sur l'autel :
97 Kncor le voient et li fol et li sage,
Tout cil qui vont a Saint Gile on volage;
mais les deux rédactions s'accordent entre elles et s'accor-
deul avec la vérité historique pour mener le beros tour a tour
1. K«l. Joijckbluet, v. 1703 as.
LÉGENDES DU CYCLE DE GUILLAUME D'ORANQE. 9
dans les deux maisons religieuses où séjourna, en effet, saint
Guillaume : à l'abbaye d'Aniane d'abord, puis dans cette val-
lée de Gellone qui, plus tard, sanctifiée par lui, devait pren-
dre son nom et le garder, — Saint-Guilhem-du-Désert^ L'au-
teur de la première version décrit un caslelei, bâti au flanc de
la montagne qui domine Saint-Guilhem :
884 Or est Guillelmes el désert bien parfont.
En l'abitacle ou la fontaine sort;
Arbres i ot et herbes a fuison.
Un castelet ot fremé sor le mont;
La gist Guillelmes por Sarasins félons.
Encor le voient pèlerin qui la vont :
A Saint Guillelme del Désert troveront
Un habitacle la ou les moines sont 2.
Il décrit aussi l'aspect général des lieux :
840 Droit es deserz encoste Monpellier
En la gastine, lés un desrubant fler,
Une fontaine i a lés un rocier...
C'est là que Guillaume a combattu le démon, et l'auteur de
la seconde version du Montage raconte tout au long cet épi-
sode : le comte Guillaume entreprend de construire un pont
de pierre pour la commodité des pèlerins :
Haus fu li tertres ou il fu herbergiés
Et par desous ot un destroit molt fier.
Une iaue i cort qui descent d'un rochier,
Que nus ne puet passer sans encombrier....
Or se porpense li gentieus quens proisiés
C'un pont de pierre i voira estachier,
1. La i^remière rédaction du Moniage a, il est vrai, altéré le nom
d'Aniane {Agneiie) en Genves ou Genevois sor mer; les scribes de la
seconde rédaction l'ont écrit de toutes les manières, mais ils ont aussi
conservé la forme exacte. Voyez là-dessus W. Cioetta, Die heiden Epen
vom Moniage Guillaume (Archiv de Herrig, t. XCIII, p. 411 et p. 421),
et Die E7itstehu7ig des Moniage Guillaume [Festgabe fur W. Fôrster),
p. 103-4.
2. Dernièi'e laisse.
10 JOSEPH BEDIER.
S'i passeront pèlerin et soumier...
La se voldront pèlerin adrecliier :
Quant il iront a saint Gille proier,
Par la iront Rocheraadoul poier
A Nostre Dame qui en la roche siet.
Guillaume ayant précipité le déiïKjn daas le torreat, le
poète ajoute :
Aine li dyables puis ne s'en remua;
Tous tans i gist et tous tans i girra.
L'aiglie i tornoie, ja coie ne sera ;
Grans est la fosse et noire contreval.
L'aighe i tornoie entor et environ.
Grans est la fosse, nus n'i puet prendre fons.
Maint pèlerin le voient qui la vont,
Et saint Guillaume sovent requis i ont :
Caillaus et pierres getent el plus parfont...
Encor i a gent de religion :
A Saint Guillaume el Désert le dit on.
Dans ces descripUons, pas ua trait qui soit de fantaisie.
Saint-Guilhem -du -Désert' est situé entre Montpellier et Lo-
déve, a une li'entaine de kilomètres au nord-ouest de Mont-
pellier, a sept kilomètres au nord d'Aniane. Pour y arriver,
quand ou vient de Mont pallier et d'Aniane, on rencontre
d'abord, un p-ni avant Saiul-Jean-de-Fos, un petit cours d'eau,
la Clamouse, qui se jette dans l'Hérault. C'est là l'entrée
d'une gorge étroite (la gas/ine, le désert des poètes) : des
escarpements de rochers doloniitiques, çà et là découpés en
aiguilles, la dominent, et l'Hérault, parmi ce desrubant fier,
s'e.sl tracé sa voie. Aux abords de Sainl-Guilhem, un ruisseau.
1 Vuir. pour les diHnils qui suivent, le Dictionnaire doVivicn de Saint-
Murlin ft l.-s caries. Cf |,éon Vinas, Visite rétrospective à Saint.
Quilhi-,n-duD>^serl (Montpellier. lS7;j): .1. Renonvier, Histoire, antiqui-
tés et urchitectonique de l'abbaye de Saiiit-Guilhem (ouvrage accompa-
gné de pUiiclies iniércssunlcs); W. Cloetta, Archiv de Herrig, t. XCIIL
pp. 4'2".>-31 ; etc.
LÉGENDES DU' CYCLE DE GUILLAUME D'ORANGE. U
le Verdus, se précipite de la montagne et creuse dans l'Hérault
un gouffre noir :
Une fontaine i a lés un rocier...
L'aighe i tornoie entor et environ...
Le pont jeté sur cet abîme, et que décrivent nos poètes.
n'a pas disparu : il avait été construit à frais communs, entre
1026 et 1048, par les deux abbayes d'Aniane et de Gellone';
assis sur la pierre vive et bâti en pierres dures, il a, depuis
neuf siècles, résisté aux crues. Je ne sais si les passants,
comme les pèlerins d'antan, continuent à jeter des pierres
au démon emprisonne dans le gouffre; mais le pont garde
ce nom : le Pont-du-Diable, et le folk-lore local y voit tou-
jours l'œuvre de saint Guillaume-. Un piton de 275 mètres
d'altitude surplombe le bourg : à la cime, on voit une tour
et les restes d'un château fort, qui servait sans doute de
refuge en cas de péril aux moines de l'abbaye; à mi-côte, une
tour carrée, qui doit être le castelet du Montage Guillaume :
c'est probablement le castrum Virduni des chartes; aujour-
d'hui on l'appelle, et c'est une survivance de la légende, le
Cabinet du Géant-'. Au milieu du bourg, la belle église de
Saint-Guilhem, dont la nef principale date du xii® siècle, mais
dont les assises sont carolingiennes; on y vénère encore quel-
ques parcelles des reliques du saint; jadis on y montrait son
tombeau.
1. Voir la convention passée entre les deux abbayes à la p. 23 du Car-
tulaire de Gellone, publié par MM. Alaus, Cassan et Maynial (1898).
2. « Quand Guillaume, duc de Toulouse, dit le marquis au court-nez.
qui allait souvent visiter son ami saint Benoît au couvent d'Aniane, vou-
lut construire un pont sur l'Hérault, au lieu ordinaire de sa traversée, le
diable renversait la nuit ce qui avait été édifié à grand'peine pendant le
jour. Guillaume finit par se lasser; il appela le diable et fit un pacte avec
lui aux conditions ordinaires : le premier passager lui appartiendrait. Le
saint duc, plus rusé que Satan, fit connaître le marché à tous ses amis
pour les préserver; puis, il lâcha un chat, qui, le premier, traversa le
pont et dont le démon fut bien obligé de se contenter. Depuis ce temps,
dans ce pays, les chats appartiennent au diable et les chiens à saint
Guilhem. » (P. Sébillot, Les travaux publics et les tnines dans les tra-
ditions et les superstitions de tous les pays, Paris, 1894, p. 1.51.)
3. W. Cloetta, art. cité, p. 430.
12 JOSEPH BÉDIER.
Ainsi, les poêles du xu^ siècle savent nous décrire le pay-
sage de Gellone, et fidèlement : en témoins oculaires ou
d'après des témoins oculaires. D'autres poètes se réfèrent à la
vie authentique de saint Guillaume, telle que la conservaient
les moines de là-bas. Avertis par nos poètes, conduits par
eux vers la « maison » du saint, entrons-y.
*
Elle n'est plus aujourd'hui qu'une église paroissiale, mais
elle est entourée des restes d'une abbaye qu'occupaient encore
au xviii" siècle les bénédictins de la congrégation de Saint-
Maur ; ceux-ci y avaient remplacé d'autres bénédictins ; du
ix« au xviii® siècle, les fils de saint Benoît ont toujours habité
ces lieux.
En effet, en 782, Wiliza, fils du comte de Maguelonne, se
retira du siècle. En l'honneur de saint Benoît de Nursie,
changea son nom goth de Witiza en celui de Benoît et fonda
le monastère d'Aniane. 11 prit une influence dominante sur le
fils de Charlemagne, Louis, alors roi d'Aquitaine, et, protège
par lui, il couvrit la Septimanie, l'Aquitaine, la France du
Nord (le monastères, dont le plus célèbre est l'abbaye d'Inde
près d'Aix-la-Chapelle. Il devint ainsi ce réformateur de l'or-
dre bénédictin que l'église vénère sous le nom de saint Benoît
d'Aniane. Or, en l'an 804, un comte, nommé Guillaume,
s'elunt lié d'amitié avec lui, renonça à ses dignités mon-
(laiues et se retira dans le monastère d'Aniane; peu après,
il ttnjda, a peu de distance et comme une colonie d'Aniane,
uue maison religieuse qu'il fil construire à ses frais et qu'il
enrichit par de grandes donations de terres; il s'y retira
eu 8UG et y mourut sous le froc quelques années plus tard ;
c'est l'abbaye de Saiut-Guilhem -du- Désert , qui s'appela
d'abord et longtemps l'abbaye de Gellone.
Auiane et Gellone, l'abbaye-mère et l'abbaye-fille, ayant été
dès leur origine de florissantes maisons, nous ont laissé des
cartulaires importants, dont quelques pièces concernent Guil-
LÉGENDES DU CYCLE DE GUILLAUME D*ORANGE. 13
laume ; de plus, elles nous ont transmis chacune une relation
de sa vie •.
Considérons d'abord les deux documents principaux sortis
d'Aniane. Par un acte daté du 15 décembre 804 2, Guillaume,
pour subvenir aux besoins des religieux de Gellone, fait do-
nation de terres sises dans le pagiis de Lodève et dans le
pagus de Maguelonne, sous condition que Gellone demeu-
rera à perpétuité une dépendance de l'abbaye d'Aniane; il
dit qu'il fait cette donation pour le salut de son âme et pour
le salut de ses parents, qu'il énumère :
« Ego enim in Dei nomen Vuilhelmus .C. recogitans fragilitatis
meae casus humanum, idcirco facinora mea minuanda vel de pa-
rentes meos qui defuncti sunt, id est genitore meo Teuderico et
genetrice mea Aldaue, et fratres meos Teodoino, et Teoderico et
sorores raeas Abbane et Bertane, et filios meos et fllias meas
Vuitcario et Hidehelmo et Helinbruch, uxores meas Vuiiburgh
et Cunegunde, pro nos omnibus superius nominatos dono... »
Sur quoi nous nous en tiendrons pour l'instant à remarquer
que l'une de ses deux femmes s'appelait, comme la femme du
Guillaume des chansons de geste, Guibourc.
Outre cet acte de donation, Aniane nous ofïre un récit de la
vie de saint Guillaume. Ce n'est pas un ouvrage à part, c'est
seulement un court chapitre de la vie de saint Benoît
d'Aniane; mais son ancienneté en fait le prix. La vie de saint
Benoît d'Aniane a été, en effet, composée en 823, peu après la
mort du saint, par un de ses disciples, Ardon, surnommé
Smaragdus. Au cours de son récit, Ardon en vient à parler,
1. Voyez sur Aniane la Gallia christiana, t. VI, col. 730 ss.; sur Gel-
lone, la Gallia christiana, t. VI, col. 580-601 . Voyez, en outre, Ch. Eévil-
lout, Ehide historique et littéraire sur l'ouvrage latin intitulé Vie de
saint Guillaume [Publications de la Société archéologique de Montpel-
lier, 1876), et Wilhelm Pûckert, Aniane und Gellone, diplomatisch-
kritische UntersucJcufigen zur Geschichte der Reformen des Benedic-
tiner-Ordens im IX. und X. Jahrhundert, Leipzig, 1899 ; on trouvera
dans le livre important de M. Pûckert tous les renseignements biblio-
graphiques désirables.
2. La meilleure édition qu'on en ait est celle de M. Eévillout, ouvr.
cité, p. 79.
a JOSEPH BEDIER.
comme il est naturel, du grand ami de Benoît, Guillaume, et
de leur fondation commune.. Gellone. Voici en quels termes* :
« Le comte Guillaume, qui était illustre entre tous à la cour
de l'empereur, s'attacha à saint Benoît \bea(o Benediclo) d'une
amitié si forte que, prenant en mépris les dignités mondaines,
il choisit son ami pour le guider dans la route salutaire qui le
conduirait au Christ. Ayant enfin obtenu la permission de se
retirer du siècle, apportant de grands présents d'or et d'argent
et encore revêtu de riches vêtements, il rejoint le vénérable
Benoît. Sans souffrir aucun relard, il fit tondre sa chevelure,
et, le jour des apôtres Pierre et Paul, dépouillant ses haliits lis-
sés d'or, il prit avec joie la vêture des serviteurs du Christ. Or,
à quatre milles environ du monastère du bienheureux Benoît
(beati viri Benedicli), s'étend une vallée, nommée Gellone ; au
temps où il vivait encore dans les honneurs du monde, l; comte
Guillaume y avait fait construire une cella; il s'y abandonna au
Christ, pour le servir le reste de sa vie. Né de parents nobles, il
voulut se rendre plus noble encore en embrassant la pauvreté
du Christ... |il y parvint , et chacun le reconnaîtra si je rap-
porte ici quelques traits de sa pieuse vie. En efl'et, Benoît, notre
vénérable père, avait déjà établi de ses moines dans la cella
de Gellone : pénétré par leurs exemples, en peu de jours Guil-
laume les surpasse dans la pratique des vertus qu'il apprenait
d'eux. Avec l'aide de ses fils qu'il avait mis à la tête de ses com-
tés \adiuvanlibus eum filiisquos suis comilatibus praefeceral), aidé
aussi par les comtes ses voisins, il eut vite fait d'achever la
construction du monastère qu'il avait entreprise.
« Gellone est un lieu tellement séparé du monde que celui qui
l'habite, s'il aime la solitude, n'a rien à souhaiter. Des monta-
gnes couronnées de nuages l'environnent, et, pour en trouver
l'accès, il faut être conduit par le désir de la prière. Ces lieux
sont pleins d'une telle aménité que, si l'on a décidé de servir
Dieu, l'on ne désire pas un autre séjour. On y voit aujourd'hui
des vignes -que Guillaume y fit planter, et une abondance de jar-
dins pcuplùs d';irbi'os d'espèces variées. Il acheta pour Gellone
1. \ lia Jic/iedicd, uhbutis Aninncnsis et Indensis, auctore Ardone
(Momtme/ita Gei'umuiae historica, SS.,t. XV, p. I!t2). La chapitre qui nous
intért'sse est le »> do l'OdilioTi do Waitz, le 42» de l'édition de Mabillon
(Act't sanctorio» ord. lien., snec. IV, I, p. 192; éd. de Venise, p. 184).
LÉGENDES DU CYCLE DE GUILLAUME d'ORANGE. 15
de très nombreuses propriétés; à sa demande, le sérénissime roi
Louis les accrut grandement en lui attribuant, sur ses domai-
nes, des terres de labour. Il donna à l'église des vêtements
sacerdotaux en grand nombre, des calices d'argent et d'or, des
vases sacrés ; il apporta avec lui des livres très nombreux, il
revêtit les autels d'or et d'argent.
« Une fois entré dans cette cella. il s'abandonna tout entier au
Christ, sans plus garder aucun vestige des pompes mondaines.
Rarement ou jamais un moine le rencontrant réussit à s'humi-
lier devant lui assez bas pour ne pas être vaincu par lui en
humilité. Souvent nous l'avons vu charger une bouteille de vin
sur son âne, monter lui-même sur l'âne, et portant un gobelet
suspendu à son dos, aller porler à boire aux frères de notre
monastère [d'Aniane] pour les rafraîchir pendant quils mois-
sonnaient. Aux vigiles il veillait mieux que personne. Il tra-
vaillait au pétrin de ses propres mains, à moins qu'il ne fût
occupé ailleurs ou empêché par la maladie. Il faisait la cuisine,
quand c'était son tour... 11 aimait le jeûne et il ne lui arrivait
guère de recevoir le corps du Christ sans que ses larmes cou-
lassent jusqu'à terre. Il recherchait avidement la dureté pour sa
couchette; mais, à cause de sa faible santé, notre père Benoît,
malgré ses résistances, lui fit mettre une paillasse. Plusieurs
disent que souvent il se flt flageller par amour du Christ, sans
autre témoin que celui qui l'assistait. Au milieu de la nuit, tout
pénétré par le froid de l'hiver, couvert d'un seul vêtement, sou-
vent il s'est tenu debout dans l'oratoire construit par lui en
l'honneur de saint Michel, vu par Dieu seul, et vaquant à la
prière. Après peu d'années, riche des fruits de ces vertus et
d'autres vertus encore, sentant que son dernier jour approchait,
il lit annoncer par écrit sa mort, comme si elle s'était déjà pro-
duite, à presque tous les monastères sis dans le royaume de
Charles. Et c'est ainsi que, emportant la moisson de ses vertus,
à l'appel du Christ, il émigra de ce monde. »
Cette charte de donation du 15 décembre 804, cette tou-
chante esquisse de la vie du moine Guillaume, voilà, à peu
près, avec quelques lignes sur Guillaume insérées dans le
Chronicon Anianense \ tous les documents que nous fournit
1. A l'année 806 (Mon. Genn. hist., I, p. 308).
J6 JOSEPH BEDIER.
l'abbaye d'Aniane. Si nous nous tournons vers Gellone, sa
voisine, nous en trouverons de plus copieux, mais que
depuis longtemps la critique a dénoncés comme étant falsifiés
ou fabriqués. Au contraire, on regardait volontiers les docu-
ments d'Aniane comme purs de toute altération; bien à tort,
comme l'a récemment montré M. W. Pûckert.
Comment, à première vue, soupçonner aucune fraude dans
le chapitre de la Vie de saint Benoît que l'on vient de lire, si
édifiant et si naïf? Ardon n'était-il pas presque le contempo-
rain de Guillaume? N'avait-il pas pu voir les vignes plantées
par lui? ou connaître ceux qui avaient vu Guillaume, monté
sur son baudet, passant par les blés au soleil des jours de
moisson ? Mais M. Pûckert ne soupçonne pas le vieil Ardon ;
il soupçonne des moines d'Aniane, venus plusieurs siècles
plus tard, d'avoir émaillé la prose d'Ardon d'interpolations
intéressées. Il en relève plusieurs indices*, que voici.
Dans le chapitre que je viens de traduire, il est dit que Guil-
laume, en se retirant du siècle, avait mis ses fils à la tête de
ses comtés {/îlii, quos suis comitatibus praefecerat); com-
ment Ardon, qui écrivait sous Louis le Pieux, en 823, aurait-il
ignoré que Guillaume ne possédait pas ses comtés en alleu,
qu'il ne pouvait les transmettre à ses fils, qu'il n'était qu'un
comte bénéficiaire? Comment Ardon aurait-il dit une chose
si contraire au droit public de son temps? En outre, en ce
chapitre relatif à Guillaume, Benoît d'Aniane est appelé par
deux fois beatus Benedictus : comment cette allusion à sa
sainteté est-elle possible, si ces lignes ont été écrites peu après
la mort de Benoît, en 823? Par tout le reste de son ouvrage,
le vrai Ardon nomme souvent son héros : nulle part il ne l'ap-
pelle comme ici beatus Benedictus. Enfin, le vrai Ardon
nomme d'autres colonies d'Aniane : toutes celles qu'il nomme,
les plus modestes et les plus obscures, comme les maisons
benédi<'tiues de l'Ile Barbe, de Saint-Mesmin, de Cormery, il
les appelle des ?no>ia.ç<e/7'a.; mais, dans notre passage, seule
entre toutes les colonies d'Aniane, Gellone, qui pourtant fut
1. Pûckerl, oucr. citr, ji. lu'.i-llo.
LÉGENDES DU CYCLE DE GUILLAUME d'ORANGE. 17
riche dès sa fondation, est désignée sous le nom plus humble
de cclla, comme si l'auteur avait voulu la déprécier.
C'est qu'un ardent conflit a longtemps animé l'une contre
Tautre l'abbaye-mère et l'abbaye-fllle, la question étant pré-
cisément de savoir si Gellone avait été à l'origine une cella
qui dût demeurer éternellement soumise à la domination
d'Aniane. Les moines de Gellone prétendaient, au contraire,
au droit d'élire librement leur abbé, et se déclaraient indé-
pendants de leurs voisins. La lutte, ayant commencé sous
l'abbé d'Aniane Emeno (1062-1093), ne s'acheva que soixante
ou quatre-vingts ans plus tard, après force condamnations
d'Aniane par les papes Alexandre II (1066), Urbain II (1092),
Calixte II (1123), Honorius II (1127). etc.
La cause des moines de Gellone élait la bonne sans doute,
puisque les papes en ont jugé ainsi. Pour la soutenir, il ne
leur manquait que des actes authentiques : ils en produisirent
donc de faux, et c'est Guillaume qui ht à l'ordinaire les frais
du procès. Aniane se prévalait, comme on a vu, d'un acte de
donation en sa faveur dicté par Guillaume le 15 décembre 804,
qui lui soumettait pour la durée des temps la cella de Gellone.
Gellone brandit alois un acte de donation du même Guillaume,
daté de la veille, 14 décembre 804, calqué sur l'autre : mais
ici la cella devient un monaslerium et la donation se fait,
sans l'intermédiaire de Benoît d'Aniane, sans qu'Aniane soit
nommée, — directement au monastère de Gellone. Et l'on a
reconnu depuis très longtemps que le document de Gellone
est une contiefaçon de celui d'Aniane; mais du moins croyait-
on celui d'Aniane authentique : à peine soupçonnait-on qu'il
avait pu être, à son tour, « quelque peu paraphrasé »^ pour
les besoins du procès. Voici que M. Pûckert^ vient de mon-
trer par une longue discussion qu'il est, lui aussi, en partie
falsifié. Interpolations tendancieuses dans le Chronicon Ania-
nense et dans la Vie de saint Benoît, testament supposé d'un
abbé Juliofroi. prétendu cousin de Charlemagne, falsification
1. Révillout, ouvr. cité, p. 21.
2. P. 124 S8. de son livre.
ANNALES DU MIDI. — XIX.
18 JOSEPH BÉDIEft.
des diplômes royaux et impériaux, il semble bien, à la lecture
du livre de M. Pùckert. que moines d'Aniane et moines de
Gellone se sont battus à coups d'actes faux, et je plains
les historiens qui ont à se débrouiller parmi de tels docu-
ments.
Ce n'est pas, fort heureusement, le cas des critiques litté-
raires, et la lutte des deux abbayes ne les intéresse que parce
qu'elle a suscité un texte illustre dans l'histoire des chansons
dj geste, la VUa sancti Wilhelmi^, émanée de l'abbaye de
Gellone.
La critique de ce texte a été faite excellemment par M. Ré-
villout, puis par M. Pùckert. Il a visiblement pour objet, non
pas unique, mais principal, de servir au procès engagé en
cour de Rome; pour les raisons proposées par M. Révillout et
acceptées depuis par tous les critiques 2, j'admets qu'il a été
écrit vers 1122. Je dirais aussi volontiers : vers 1125 ou 1130.
Ce n'est guère, comme M. Révillout l'a si bien fait voir,
qu'un délayage fort verbeux du chapitre d'Ardon transcrit
ci-dessus. La Vie de saint Guillaume composée à Gellone veut
pourtant annuler ce chapitre d'Ardon. Nonobstant, l'hagio-
grai)he de Gellone plagie à l'ordinaire avec beaucoup de
conscience l'hagiographe adverse d'Aniane. Le procédé ne
manque pas de comique, et c'est — je ne sais si la chose a été
remarquée — le même procédé qui a aussi servi pour la
fabrication de la charte du 14 décembre 804. Les moines
d'Aniane, on l'a vu, avaient altéré à leur profit un acte de
donation de Guillaume. En manière de riposte, les moines
de Gellone comi)Oserout-ils un autre acte attribué à Guil-
laume? Ils n'eu ont garde : ils se servent de l'acte même
qui leur est opposé, le copient; ils s'en tiennent, par modifica-
tion ou suppression des passages qui les gênent, à falsifier le
faux de leurs adversaires.
1. .Mal)iIlon, Acta sanctoram ord. s. Bened., 3aec. IV, I, p. 72, et
Acta sancfonoii de» bull:in(îistes, t. VI ijo mai, p. 798.
2. .M. Pùckert i.o les conlredit pas; mais il ne semble pas vouloir
ilater la \'ita avec tant de précision.
LÉGENDES DU CYCLE DE GUILLAUME d'ORANGE. 19
Pareillement pour la composition de la Vie de saint Guil-
laume. Les moines d'Aniane avaient, les premiers, remanié
artificieiisement un chapitre du vieil Ardon. Voulant se garer,
les moines de Gellone protesteront-ils contre le témoignage
d'Ardon? Non pas : ils s'en emparent au contraire et le sui-
vent pas à pas, avec piété, quitte à l'altérer, quand le besoin
s'en fait sentir. C'est très adroitement fait, en vérité, et très
spirituellement. Les moines d'Aniane avaient arrangé le récit
d'Ardon en telle guise que Guillaume n'y fût rien qu'un hum-
ble disciple de Benoît, et Gellone rien qu'une cella, vassale
d'Aniane. Les moines de Gellone acceptent tout entière leur
narration, sauf en ceci qu'ils suppriment (comme ils avaient
fait dans l'acte de donation) toute mention d'Aniane et de
Benoît. Dans la Viia qu'ils composent, ce n'est plus Benoît
qui détourne Guillaume de vivre dans le siècle, c'est le Saint-
Esprit; et pourquoi, cherchant une retraite pieuse, se dirige-
t-il de préférence vers les montagnes du pays de Lodève?
Selon leurs rivaux, c'est l'amitié de Benoît d'Aniane qui l'at-
tirait; selon eux, c'est qu'un ange s'est présenté devant lui,
l'a pris par la main et l'a conduit droit à Gellone : et ni Guil- ~
laume, ni l'ange son conducteur ne se sont aperçus que ce pays
n'était plus un désert, et que l'abbaye d'Aniane s'élevait déjà
à sept kilomètres de là. Ardon disait : les premiers religieux
de Guillaume venaient d'Aniane; la Vita remplace ce dire
par celte phrase : « Guillaume se hâta de faire venir des mo-
nastères voisins, des lieux réguliers et religieux, des servi-
teurs de Dieu, des hommes chastes et de vie sainte », et par
ces pluriels ingénieux, elle escamote Aniane. Selon Ardon,
Guillaume montait sur son âne pour porter du vin aux mois-
sonneurs d'Aniane. Selon la Vila, Guillaume, monté sur le
même âne, porte la même bouteille aux moissonneurs; mais
ce ne sont plus les moines d'Aniane qui la boivent, ce sont les
moines de Gellone.
Pour le reste, comme il ne s'agit plus que de rapporter les
vertus du héros, les moines de Gellone acceptent de grand
cœur les récits d'Ardon; ils ne se mettent pas en peine d'en
inventer d'autres ; ils se bornent à enchérir sur Ardon, par-
20 JOSEPH BEDIER.
fois à contre sens* ; et ce qu'on trouve dans la Vila, sous la
rhétorique pieuse, c'est Ardon, toujours Ardon. Comme addi-
tions, quelques traditions locales, plus ou moins chimériques :
telle l'histoire des deux sœurs de Guillaume, toutes deux
vierges, jeunes et belles, qui supplient leur frère de leur laisser
{.rendre le voile à Gellone. C'est encore une tradition du mo-
nastère qui attribue à Guillaume, dans la Vita, certains tra-
vaux de voirie, comme l'établissement d'une chaussée le long
de l'Hérault, et c'est une jolie fleur de cloître que ce récit de
la mort du saint : «à l'heure où il quitta sa chair mortelle, les
cloches de toutes les églises du voisinage, les petites comme
les grandes, mises en branle par un sonneur invisible, sonnè-
rent à toute volée, révélant aux provinces d'alentour la mort
et les mérites du glorieux serviteur que Dieu venait de rece-
voir dans les tabernacles éternels ».
Pourtant, l'hagiographe de Gellone a fait aux récits d'Ardon
une addition encore, et d'une toute autre importance : c'est un
chapitre destiné à expliquer comment son abbaye était en
possession d'une relique insigne, un fragment de la vraie croix.
C'était le joyau de Gellone : dès le x« siècle, ce morceau du
bois de la croix est mentionné dans la titulature de l'abbaye :
« Sancto Saliml07'i et ligno sanctae crucis,..'^ » Cette reli-
1. Voici un exemple curieux de ces contre sens, relevé par M. Rêvillout.
Ardon iiioiitro Guillauino se levant la nuit pour prier dans son oi-aloire,
dédit- à saint Midn-l, sans prendre garde aux rigueurs du froid, glacialibiis
per/'usus alyoribus . L'hagiographe de Gellone « prit à la lettre cette
inélaphore et crut qu'il s'agissait, non d'un froid glacial et qui transperce,
mais d'un vérltahle bain ». Il écrit donc : « (.iuillaume avait une telle
rcvén-nce jiour les suints autels que, avant de recevoir l'Eucharistie,
alors même (jue l'hiver faisait geler les fontaines et qu'une glace épaisse
couvrait lu terre, il se plongeait néanmoins dans l'eau. 11 en sortait, tout
roidi par le froid, et lui, chez qui tout était pur, était rendu plus pur
encore que IVan qui l'avait lavé. Ce n'était pas seulement quand il devait
prendre les divins mystères qu'il agissait de la sorte, mais aussi dans
beaucoup d'autres circonstances, et, toutes les nuits, il plongeait tout son
corps dans un bain de cette nature. Apres ce refroidissement longtemps
prolongé, il sortait do l'eau pour se rendre à l'oratoire de saint Michel,
el Ik, couvert d'un seul vêtement, et encore très rarement, il demeurait le
roule de la nuit en prières, les deux genoux courbés et nus sur la pierre,
frappant coup sur coup sa poitrine, poussant des soupirs et mouillant
son visage do larmes, s
2. Voyez Pùckert. ouvr. cit>^, p. lO-i.
LÉGENDES DU CYCLE DE GUILLAUME D'ORANGE. 21
que se perdit lors du pillage de l'église pendant la Révolution;
mais deux parcelles en furent miraculeusement retrouvées :
l'un des évêques récents de Montpellier portait l'une enchâs-
sée dans sa crosse; l'autre se voit encore dans l'église de
Saint-Guilhem-du-Désert. « A chaque page du Cartulaire de
Gellone, écrit l'abbé Vinas^, on lit : Nous donnons à la sainte
croix de Gellone, à l'étendard de la croix, au vénérable, au
salutaire, au vivificateur, au très saint, au très glorieux bois
de la croix du Seigneur, déposé à Gellone, tel village, telle
terre, telle manse, situés aux diocèses de Montpellier, ou de
Maguelonne, ou de Nîmes, à Agde, à Beziers, à Rodez, à Albi,
à Uzès, à Viviers, à Léon, à Astorga, à Braga. » Cette relique
bienfaisante, l'auteur de la Vita s'attache à l'authentiquer :
c'est le patriarche de Jérusalem, dit-il, qui l'avait envoyée à
Charlemagne, « dans la première année où celui-ci était
devenu empereur ». Quand le comte Guillaume voulut se reti-
rer du siècle et qu'il dit adieu à Charles, celui-ci lui offrit de
ses richesses tout ce qu'il voudrait en emporter. Guillaume
n'en voulut rien prendre, mais supplia l'empereur de lui
donner pour son monastère de Gellone ce morceau de la croix.
L'empereur hésite à se séparer du plus précieux de ses tré-
sors; il cède enfin : « Prends, cher ami, cette dernière récom-
pense de tes services; emporte-la comme un gage de mon
affection et de mes regrets; chaque fois que tu la reverras,
elle te rappellera Charlemagne. »
On voit la portée de ce récit, et c'est une des pièces de résis-
tance de la Vita : si c'est Gellone, non pas Aniane, qui pos-
sède cette relique, c'est donc que Gellone n'a jamais été
l'humble cella que disent ses ennemis. Or il faut savoir que
les moines d'Aniane aussi montraient un morceau de la vraie
croix : ils prétendaient eux aussi que le patriarche de Jéru-
salem l'avait envoyé à Charlemagne : c'était donc la même
relique que les deux abbayes se disputaient; mais ceux
d'Aniane assuraient que Charlemagne la leur avait donnée.
Pour accréditer cette histoire, ils l'avaient insérée dans le
1. Visite rétrospective à Saint-Guilhem-du-Désert, p. 14.
22 JOSEPH BÉDIER.
Chronicon Anianense^. Comme l'a 1res bien remarqué
M. Pùckerl^, c'est de cette interpolation que part l'auteur de
la VUa sancti Wilhelmi (il en reproduit certaines expres-
sions, etc.). Ici encore, il a donc recouru à son procédé
familier : pour ruiner les documents de l'abbaye rivale, il
commence par les exploiter; ici encore, il falsifie un faux
d'Aniane.
Toutes ces observations mettent en lumière le caractère
vrai de la VUa : l'auteur s'empare de tous les documents
adverses, — le chapitre d'Ardon, l'acte de donation, le Chro-
nicon Anianense, — et les modifie au profit de son monas-
tère; il s'agit de combattre pied à pied chacune des préten-
tions d'Aûiane et de revendiquer l'indépendance de Gellone.
La VUa n'est donc pas un libre jeu d'imagination que se serait
permis un moine isolé au fond de sa cellule : c'est une œuvre
concertée, composée savamment à une époque critique de la
vie du monastère. Orderic Vital l'appréciait avec justesse :
« elle a été faite avec beaucoup d'art par des docteurs reli-
gieux et lue respectueusement par des lecteurs studieux
devant la communauté de tous les frères^, i
Si tel est bien le caractère de la VUa, quelle surprise de
rencontrer, en ce document hagiographique si prudemment
combine, des emprunts aux chansons que colportaient des
jongleurs mépiisés!
En ellel, le biographe de Guillaume, a l'exemple d'Ardon,
ne peint guère son héros que sous le froc. De sa vie anté-
rieure, pas.sée parmi les grandeurs du monde, il dit quelque
chose pourtant; et ces quelques traits de sa vie séculière,
1. Mon. Germ. hist., SS., I, pp. 309 et 810.
'J. Voyez .son cxci-llonlo discussion, ouvr. cité, pp. ll'J-l'-i4.
■i. « Quae II rclixiosis ilocLoribiis solerior est otiita ot a' stiidiosis locto-
rihns rcxcrcnU'i- iocui esi in (•..niiiiuni fralnuii aiiiiiciiLia. » (Ord.ric Vital,
UistDria ecclesiastica, liv. VI, éd. de la Société de riiisioiio de France!
t 111. p. f).)
LÉGENDES DU CYCLE DE GUILLAUME d'ORANGE. 23
c'est à des chansons de geste qu'il les prend. Son saint Guil-
laume, après son entrée dans le cloître, c'est le Guillaume
d'Ardou; avant son entrée dans le cloître, c'est Guillaume
d'Orange, le Guillaume des jongleurs.
Ainsi, nos trouvères parlaient du sanctuaire de Saint-Guil-
hem en hommes qui l'ont fréquenté, ou se réclamaient de la
vie authentique du saint, gardée en sa « maison ». Avertis
par eux, nous lisons cette Vita, composée par les moines de
Gellone vers 1122, c'est-à-dire antérieurement à tous les
textes poétiques conservés. Nous interrogeons cette Vita que
les jongleurs invoquaient comme leur autorité, et voici qu'à
leur tour les moines s'y réfèrent à des chansons de jongleurs.
De la ce problème : comment, en quelles circonstances ces
jongleurs du nord de la France ont-ils pu entrer en relations
avec ces moines enfermés au fond d'une vallée sauvage du
diocèse de Lodève? Réciproquement, comment, par quel mira-
cle ces moines, relégués dans une vallée perdue du diocèse de
Lodève, ont-ils pu connaître seulement ces chansons colpor-
tées par des jongleurs du nord de la France, et, chose plus
étrange, accueillir dans un grave texte hagiographique les
fables de ces jongleurs?
Mettons d'abord en pleine lumière la réalité du fait : que
les moines de Gellone, auteurs de la Vita, connaissent et
exploitent des chansons de geste.
Il suffit de transcrire ces deux passages bien connus :
1° Au début de la Vita, l'hagiographe déclare qu'il ne dira
rien de la vie de Guillaume dans le monde, car, dit-il,
cette « geste séculière » de son héros est célébrée dans tout
l'univers et chantée partout; et c'est une première allusion
à des chansons de geste :
« Quels sont les royaumes, quelles sont les provinces et les
nations, quel es sont les villes qui ne célèbrent pas à l'envi les
exploits du duc Guillaume, la force de son âme, la Arce de son
cœur, ses nombreux et glorieux triomphes à la guerre? Quelles
24 JOSEPH BÉDIER.
assemblées déjeunes g<^ns, quelles réunions, surtout de cheva-
liers et de barons, quelles vigiles de saints ne retentissent pas de
sa gloire et ne redisent pas en chants modulés quel grand homme
fut Guillaume!, ses t^uerres glorieuses sous Charleraagne; com-
ment il a dompté les Barbares; tout ce que les Barbares lui ont
f:iit subir de p ines ' t de douleurs; comment, à son tour, il leur
a infligé des désastres et les a enfin chassés au delà des fron-
tières du royaume des Francs? Toutes ces choses et la multiple
histoire de sa vie sont connues presque par tout l'univers. »
2« Malgré cette assertion qu'il se taira de la vie séculière
de Guillaume, le biographe résume ainsi, au chapitre v, les
exploits (le son héros :
« En ce temps-là (comme Guillaume, déjà illustre à la cour,
était devenu le conseiller intime de Charlemagne), les Sarrasins se
rassemblant de toutes parts, forment une armée immense : ils tra-
versent les Pyrénées, et tous ensemble se hâtent vers l'Aquitaine,
la Provence et la Septimanie, vers les terres chrétiennes. Ils en-
vahissent le royaume de Charleraagne, massacrent des chré-
tiens sans nombre. Us sont vainqueurs; ils recueillent un grand
butin, emmènent des prisonniers durement liés de cordes, ils
odupent le pays en tous sens, comme s'ils devaient le posséder
à jamais. La nouvelle en est portée au roi très chrétien, qui en
ressent une grande donliur. Il invoque le nom du Christ, con-
voque ses pairs et ses conseillers... (Us lui indiquent unanime-
ment Guillaume). Charleraagne l'invesiit du duché d'Aquitaine.
Guillaume part, menant une armée nombreuse d'hommes d'élite.
Il entre en Septimanie, et, ayant franchi le Rhône, il dispose
s«î3 troupes sous les murs d Orange, que les Sarrasins, avec leur
Thibaut, avaient occupée depuis longtemps quam illi Hispani
cum suo Tfuobaldo iampridem occupaverani). Il a bientôt fait de
massacrer et de mettre en fuite les envahisseurs, bien que par
la suite il ait eu à supporter, dans Orange et pour Orange [in ea
elproea], de longues peines, qu'il surmonta victorieusement.
Quand il eut conquis la ville de vive force, il la garda pour lui,
avec l'aveu de tous ses lioinraes. et il en fit sa résidence prin-
J. « Uiui '•hnri luvtjtnihi, <iin coiivi'/itus populorum, pi'aecipue mili-
tum ac uohilitim virorum, qiuu; vi</iliae sanctonim dulce twn reso-
nnnt i-t modiUatis vocibus décantant qualia et gitantus fuerit... »
LÉGENDES DU CYCLE DE GUILLAUME d'ORANGE. 25
cipale : et c'est pourquoi cette ville, par la gloire d'un si grand
guerrier, est illustre aujourd'hui Jans tout l'univers. Quant à
raconter les autres exploits de Guillaume et quelles grandes
luttes il a soutenues contre les Barbares d'outremer et contre
les Sarrasins ses voisins, comment, par la force de son épée et
avec laide divine, il a sauvé le peuple de Dieu et agrandi l'em-
pire chrétien, je pourrais le raconter; mais ce serait Id matière
d'un grand volume. »
Ce récit, il est constant et accordé par chacun qu'il est en-
tièrement fabuleux, puisque, sous Charlemagne, les Sarrasins
ne se sont pas avances jusqu'à Orange; puisque jamais aucun
roi sarrasin ne s'est appelé ni n'a pu s'appeler Thibaut; puis-
que jamais ni Guillaume de Gellone, ni aucun autre Guil-
laume connu n'a combattu aucun Thibaut, sous Orange, ni
ailleurs. Ce récit fabuleux, chacun y reconnaît la chanson de
la Prise d Orange, et, puisque les moines et les jongleurs
s'accordent à le rapporter, il faut, ou bien que les jongleurs
l'aient pris aux moines, ou bien que les moines l'aient pris
aux jongleurs.
Selon M. Ph.-Aug. Becker, ce sont les moines qui l'auraient
inventé. Dans le préambule de la Vila, dans ces allusions du
biographe à des chansons de geste, M. Becker ne veut voir
que « des phrases et un pieux radotage' »; quant au récit de
la guerre contre le roi Thibaut, c'est une simple imagination
de l'auteur de la Vila, qui, ne sachant rien de la vie réelle
de son héros et voulant en raconter quelque chose, a, en dé-
sespoir de cause, inventé n'importe quoi2. Plus tard, vers 1140,
un poète du nord de la France, qui connaissait un personnage
de roman, Guillaume Fierebrace, héros du Couronnement
de Louis et tout a fait étranger a saint Guillaume, passa par
hasard a Brioude et a Gellone : il y apprit l'existence du saint
et connut la Vita, apprit ainsi l'histoire d'Orange et de Thi-
1. « Phrasen und fromrnen Quatsch » (Die altfraynôsische Wilhelm-
sage, p. 40).
2. Ou peut-être il avait en vue un poème, aujourd'hui perdu, où la
« légende de Borel » (venue d'Italie) avait été transportée dans le midi
de la France (Orange) et en Espagne.
26 JOSEPH BÉDIER.
baut ; il identifia Guillaume Fierebrace avec saint Guillaume
de Gellone; sur quoi, rentré en France, il composa un
poème, qui est le Montage Guillaume; partant de ce poème,
où Thibaut et Orange sont mentionnés, un autre poète com-
posa ensuite la Prise d'Orange.
Cette théorie forme l'un des ressorts du livre de M. Ph.-
Aug. Becker, intitulé Die allfranzùsische Wilhelmsage ;
mais, comme il y a substitué lui-même, dans ses écrits pos-
térieurs, un système plus nuancé et que j'aurai ailleurs^ occa-
sion d'exposer, qu'il suffise d'avoir résumé ici, très schémati-
queiuent, son explication, et d'y opposer, de crainte qu'elle
ne soil un jour reprise, cette remarque très simple que le
chapitre de la Vila où Thibaut est nommé ne semble pas être
le germe ou le canevas d'un roman, mais le résumé d'un ro-
man. Si ce Thibaut n'avait eu d'existence que dans ces dix
lignes de la Vila, insignifiantes par elles-mêmes, le jongleur
supposé par Becker, lisant la Vila., ne l'aurait-il pas laissé
pour compte a l'hagiographe?
De plus, on admet généralement que la chanson du Pèleri-
nage de Charlemagne à Jét^usalem est antérieure à la Vila
sancli WHhelmi. Or, Guillaume y est déjà appelé Guillaume
d'Orange.
Enfin, c'est ici l'occasion de rappeler le témoignage célèbre
d'Orderic Vital. Orderic a inséré, comme on sait, dans le
livre VI de son Hisloria ecclesiastica, un long extrait de la
Vila sancli WiUielmi;'\\ a co.mposé ce livre VI dans l'abbaye
de Saint-Evroul, en Normandie, entre les années 1131 et 1141.
Comme préface à son extrait, il raconte cette jolie anecdote :
Un vassal de Guillaume le Conquérant, Huon d'Avranches,
comte de Chester, avait comme chapelain un clerc d'Avran-
ches nommé Gerold, très zélé à sermonner les barons et les
bacheliers. Mais, au lieu de les édifier par le récit de vies
1. I>iins 1111 livre sur Guillaume d'Orange, que publiera, en cette année
r.«i7, la iibruirif II. Cliainpiuii. J'aurai bien souvent à y dire ce que je
dois aux beaux inivaux de M. Pli.-Aug. Becker : quiconque étudie la
i;calo de Guillaume, s'il n'est pas toujours son adepte, est du moins
cou.slamuieQt son obligé.
LÉGENDES DU CYCLE DE GUILLAUME D'ORANGE. 27
d'anachorètes, ou de pieuses femmes, ou de saints pré-
lats, il leur parlait des saints qui furent gens de guerre : « Il
leur racontait, et admirablement, l'histoire des saints Dénié-
trius et Georges, Théodore et Sébastien, celle de saint Maurice
et de la légion thébaine, et celle de saint Eustache, illustre
guerrier, qui tous sont couronnés au ciel de la couronne du
martyre. Il y ajoutait encore des récits sur le saint champion
de Dieu, Guillaume, qui, après une longue vie guerrière, re-
nonça au siècle et qui, sous la règle monastique, fut un
glorieux chevalier du Seigneur. Puisque j'ai été amené
à parler de Guillaume, je dirai quelque chose de son his-
toire. Elle est rare en cette province (la Normandie), et
on aura plaisir à entendre, de la vie d'un tel homme, une
relation authentique. Antoine, moine de Winchester, nous
l'a récemment apportée, et comme nous désirions fort la voir,
il nous l'a montrée. On chante sur Guillaume une chanson de
geste% mais il faut manifestement préférer la relation authen-
tique... Seulement, comme le porteur de cette relation avait
hâte de s'en aller et que j'avais froid aux doigts, j'en ai fait
un extrait exact, mais abrégé... » Suit l'extrait de la Vila de
Gellone.
Il y a deux choses à tirer de ce texte. Si l'anecdote relative
au bon chapelain Gérold est authentique, s'il est bien vrai
qu'au temps do Guillaume le Conquérant, vers 1070, prê-
chant les barons, il leur proposait comme modèle, auprès de
saint Maurice et de saint Georges et des martyrs de la légion
thébaine, cet autre saint, Guillaume, il faut- que la légende
du Montage Guillaume se fût répandue jusqu'en Angleterre
dès cette haute époque".
En outre, on voit que, lisant la Vila, en 1141 au plus tard,
1. Vulgo canitur de eo cantilena...
2. Puisqu'il n'y a nul indice qu'à cette date ait déjà existé une Vie
latine de saint Guillaume; le chapitre d'Ardon le dépeint comme un bon
moine et ne souffle mot des qualités guerrières qui eussent permis de le
rapprocher de saint Maurice ou de saint Georges.
3. On a un indice, faible il est vrai, que l'anecdote relative à Gérold
n'est pas fictive : Gérold se lit moine à Winchester; or, c'est un moine
de cette même abbaye de Winchester qui avait apporté à Orderic la Vita.
28 JOSEPH BÉDIER.
Onieric recoanaîl (reniblëe en saint Guillaume de Gellone le
même personnage que chantaient les jongleurs du nord de la
France. Comment a-t-il pu le reconnaître, si \a. cantilena dont
il parle, répandue déjà en Normandie, n'était pas une chan-
son de la Prise d'Orange? '.
Ainsi, le témoignage du Pèlerinage de Charlemagne à Jé-
rusalem et le témoignage d'Orderic Vital nous prouvent qu'il
n'y a qu'une façon légitime d'interpréter le texte de la Vila :
les moines de Gellone ont connu ei exploité des romans sur
Guillaume d'Orange. Dans le Préambule de la Vilay pour se
dispenser de raconter la vie guerrière de Guillaume, ils ren-
voient aux chansons des jongleurs ; dans leur chapitre v, ils
résument la Prise d'Orange, une chanson de jongleurs.
Le fait est assuré, et le problème singulier que nous avons
défini subsiste : Comment les moines de Gellone ont-ils pu con-
naîli-e seulement ces chansons de la France du Nord? Com-
ment ont -ils pu leur faire une place dans la biographie de leur
saint ? Quelles sortes de relations unissaient ces moines et ces
jongleurs?
Avant de proposer une réponse à ces questions, je grouperai
quelques faits encore, qui montrent que ces relations entre
moines et jongleurs furent anciennes, régulières et constantes :
1" Ce n'est pas seulement dans la Vila que les moines ont
accueilli les fictions des jongleurs , c'est aussi, semble-t il,
comme on l'a dès longtemps remarqué 2, dans un texte diplo-
1. M. t'h.-Aug. Bcckcr (Die altfz. Wilhelmsage, p. 40) admet que la
canttlena comme d'Orderic pouvait être le Couronneme?it de Louis :
eiiU'ndcz une foriini primitive du Couronnement, dont le héros était un
homme du Nord (Guillaume de Foiliers, mort en 9!»4, confondu avec un
(iuiihiume uu court nez qui s'était iUustré en Italie), héros légendaire
(pii n'avait encore rien de commun avec Guillaume de Gellone ni avec
aucun autre Guillaun.e du Midi. — C'est supposer que l'accident, bizarre
par lui-uiénie, de la confusion de ce Guillaume du Isord avec saint Guil-
laume de GeMone .se serait i)roduit deux fois ; d'abord dans l'esprit
d'Ord.M-ic Vital, puis, indépendamment d'Orderic Vital, dans l'esprit de
ce po.'te-voyau.'ur, supposé |)ar M. Becker, qui, passant par Brioude et
Gellone. y aurait ajtpris à connaître saint Guillaume.
2. Voye/J Révillout, ouvr. cité, p. 20.
LÉGENDES DU CYCLE DE GUILLAUME D'ORANGE. 29
matique : dans l'acte de donation du 14 décembre 804, par eux
attribué à Guillaume, et fabriqué sensiblement à la même
époque que la Vtta :
In nornine Domini ego Vuilhelraus, gratiaDei comas, recogitans
fragilitatis meae casus liumanum, idcirco facinora mea rainuanda
vei de pareniibus raeis qui defuncti sunt, id est genitore meo
Tlieuderico et genetrice mea Aldana, et sororibus meis Abbana
et Bertana, tt tiliabus raeis et tiliis Baroardo. Vuitrario. Gutcelrao,
Helinbruch et uxoribus meis Cunegunde et Guitburgi ; et nepote
meo Bertt'anno ; pro nobis omnibus superius nominatis dono ad
raonasteriura quod licitur Gellonis...
On reconnaît ici à peu près la même liste de parents que
dans l'acte du 15 décembre dont celui-ci est la contrefaçon.
Mais qui est ce parent nouveau et qui ne figure pas dans l'acte
du 15 décembre : et nepole meo Berlranno? Les historiens
et généalogistes de l'époque carolingienne l'ignorent'; mais
les lecteurs des chansons du cycle de Guillaume le connaissent
bien : c'est le neveu de Guillaume d'Orange, Bertrand lenobile,
son principal compagnon dans le Charroi de Nîmes et dans
la Prise d'Orange.
2° L'église de Saint-Guilhem-du-Désert ne possède plus au-
jourd'hui que peu de chose des restes du saint : un fragment
du crâne, un condyle du genou et une dent montée sur un
manche d'argent. C'est que les reliques ont été dispersées
eu 1793; mais un inventaire, daté du 5 mai 1 90, montre qu'on
y consei'vait encore a cette date, entre auti"es reliques, « un
bras de vermeil contenant les restes d'un bras et d'une main
de saint Guilhem^ ». D'autre part, on avait ouvert, en 1679. le
L « La mauvaise rédaction du diplôme de 804 pour Gellone fait citer à
Guilliem nepote meo Bertranno. Ce Bertrand est parfaitement inconnu
ailleurs. Est-ce un personnage réel ou un personnage supposé? La con-
fiance que mérite le texte unique qui le cite n'est pas telle qu'on puisse
faire une place à Bertrand dans une généalogie de caractère historique ».
(J. Calmette, La fmnille de saint Guilhem, dans les Annales du Midi,
19U6, p. 18 du tirage à part.)
2. R. Thomassy, L'ancien?ie abbaye de Gellone (Mém. de la. Société
des Antiquaires de France, 1886, p. ^tZ-M, et 184U, p. 807) ; — Lericque
de Monchy, L'autel de saint Guillaume (Mém. de la Société archéolo-
30 JOSEPH BÉDIEH.
cercueil du saint, qui n'avait pas été visité depuis l'époque de
sa translation, en 1139 : un procès-verbal, signé de deux mé-
decins et d'un chirurgien', atteste qu'en 1679 le corps avait
été trouvé complet dans la bière, praeter os unum hrachii
deœlri, quod humerum appellant. II suit de là que, de-
puis 1139 au moins-, on montrait à Gellone l'humérus droit de
Guillaume dans un reliquaire.
Or, le Guillaume des trouvères s'appelle Guillaume Fiere-
hrace, et l'on peut choisir l'une de ces deux explications : ou
bien il tire ce surnom du bras merveilleux que l'on montrait
dans l'église de Gellone, ou bien c'est l'inverse : les moines
ont pris son humérus à son squelette et l'ont enchâssé parce
que son surnom de Fierebrace était célèbre. Dans l'une et
l'autre hypothèse, on voit ici, dès 1139, moines et jongleurs
collaborer à l'exploitation des reliques de saint Guillaume. —
A moins que ce .'oit simple rencontre accidentelle : les reli-
quaires en forme de bras n'étaient pas rares; aussi je ne fais
guère de fonds sur cette remarque.
S» Ce qui a une toute autre importance, ce sont les traits de
la figure du Guillaume épique que les auteurs des chansons de
geste ont pris a la tradition monastique et n'ont pu prendre
que là. Au passage où il dit que Guillaume d'Orange est un
saint, le poète {\' Aliscans rapporte cette circonstance de sa
mort :
639 Nostra Sires le vent si maintenir
Que ses sains anges li tramist au morir.
C'est, sans doute, une allusion à la légende, racontée dans la
Vila (55 32), et la seulement, selon laquelle, à l'instant de la
nKU't d« saint Guillaume, les anges vinrent au-devant de son
âme et lui tirent cortège : deduceniWus angelis alacri et
dulce canora processione^. . .
yiijur il'- Montpellier, t. IV, IS')"»); — Vinas, Visite rétrospective à
S<xint-(inHhem, p. ij7.
1. AA. SS. dos nollanilistos, t. VI de mai, p. 815 (Historia elevati
tnifislntique corpnris).
'■i. Jo dis au moins, car l'élévation de 1139 n'est peut-être pas la pre-
niit-re; il y en afuii'ie anlro,à une date incertaine, vers la fin du x» siècle.
li. <'.) qui diminue la portée de la remarque, c'est la banalité de ce
mirarlf.
LÉGENDES DU CYCLE DE GUILLAUME D*ORANGE. 3l
4° Plusieurs auteurs de chansons de geste savent (cf. supra)
que Guillaume, s'acheminant vers le cloître, avait dépose ses
armes en ex volo sur l'autel de Saint-Julien de Brioud^. Ils le
savent pour avoir lu la Vita (chap. xx) ou pour avoir recueilli
cette légende sur place, à Brioude ou à Gellone.
5° Pour expliquer que les poètes connaissent ces traits de la
tradition monastique, il suffit de supposer qu'ils ont lu la Vita.
Mais voici où cette explication ne suffit plus. Dans le Montage
Guillaume, le héros réside d'abord à Aniane, puis à Saiut-
Guilhem-du Désert. Le vrai saint Guillaume fit ainsi, comme
on a vu. Dans quel livre un jongleur du nord de la France
aurait-il pu trouver la connaissance de ce fait historique? Pas
dans la Vita, puisqu'Aniane n'y est pas nommée. Un seul texte
indique les deux résidences du saint, et c'est le récit d'Ardon.
Mais il nous est bien interdit de supposer que la légende épi-
que tire son origine de ce texte *. Ce n'est, on se le rappelle,
qu'un chapitre de la Vie de saint Benoît. Comment un jon-
gleur du nord de la France, sans le secours des répertoires de
Potthast et d'Ulysse Chevalier, aurait-il été quérir dans cette
Vie de saint Benoit les trente lignes qui concernent Guil-
laume? Supposé qu'il ait lu ces trente lignes, quel intérêt
pouvaient-elles lui offrir? Il n'y aurait trouvé que ce qui s'y
trouve, rien que la description édifiante des vertus d'un bon
moine, nommé Guillaume. Ardon ne dit pas même que ce bon
moine, qui fut un grand du monde, ait été un homme de
guerre : pourquoi le jongleur aurait-il été tenté de l'identifier
avec le Guillaume belliqueux et romanesque qu'il connaissait,
filsd'Aimeri de Narbonne? Supposé pourtant qu'il ait fait cette
identification et qu'il ait tirn de la un roman du Moniage Guil-
laume, il aurait donc placé l'action de ce roman à Aniane, puis
à Gellone; à Gellone, non pas à Saint-Guilhem-du-Désert, puis-
que le texte d'Ardon ne lui donnait pas, et pour cause, le nom de
Saint-Guilhem-du-Désert. Il faut donc, et de toute nécessité,
que l'auteur premier du Moniage^ s'il a lu Ardon, l'ait lu dans
1. Pour une théorie contraire, voy. W. Cloetta dans l'A rc7i/w de Herrig,
t. CXIII, p. 422 et suiv. et dans la Festgabe fur TF. Fôrster. p. 99 et suiv.
32 JOSEPH BÈDIER.
le pays. Le fait que Guillaume avait séjourné d'abord à Aniane,
puis à Saint-Guiihem, il faut qu'il l'ait appris non dans les
livres, mais sur place, par la tradition vivante. Or, cette tra-
dition, où se conservait-elle? Dans les deux monastères, avant
leur querelle. Mais lorsque leur conflit en fut venu à ses
phases violentes, et tout au moins dès la première moitié
du xii» siècle, les moines de Saiut-Guilhem prirent, comme on
l'a vu, toutes les mesures possibles pour qu'on cessât de dire
que leur abbaye était une ancienne colonie d'Aniane et que
leur saint avait passé par Aniane ; le nom d'Aniane était de-
venu tabou d. Saint-Guilhem. De là l'indication que la tradition
épique du Montage Guillaume is' est formée à une époque où
les gens qui passaient par Saint-Guilhem y entendaient encore
parler d'Aniane comme de l'abbaye-mère, et cela nous ren-
voie très haut '.
G" Enfin, il faut donner le relief qu'il mérite à ce fait encore.
La femme du Guillaume epiijue s'appelle Guibourc. Pareille-
ment, la seconde^ des deux femmes de saint Guillaume de
1. 11 y aurait là contre une objection très forte, si, comme le croit
M. Gloi-Ua, Uellono n'avait commencé que récemment à s'appeler Saint-
tiuillieMi-du-Déserl. Il suppose (Die beide>i Epen vom Moniage Guil-
laume, p. 440) que ce changement de nom ne s'est produit qu'après la
Iraiislaliûii des reliques du saint (27 février 1139). M. Pûckert {oitvr.
cité, j). 111 et p. 117) lui a opposé des documents, dont le plus ancien
date de 938, où le nom de saint Guillaume ligure dans la tilulature de
l'abbaye (cf., dans le même sens, les très anciennes observations de
Ménard, Mémoires de l'Académie des Inscriptions, t. XXIX, 17bO,
p. ;hi()). M. Cloetta pourrait répondre, il est vrai, que des formules telles
que celle-ci : doncmnis S. Salvatori et S. Vexillo crucis et S. Wilhelmo
et ruonurkis qui siint in monasterio Gellotiensi... indiquent que Guil-
laniiii- est honoré comme un saint à Gellone, mais non que le nom de
sailli (inillaumo est déjà entré dans l'usage pour désigner l'abbaye. Mais
c't'sl bien celte preuve que fournissent ces autres formules : /« nomine
Dei om ni put ends, lùjo litrengarius, gralia Dei abbas S. Guilelmi Gel-
tutus (charlo de 1093), ou Ego Berengurius, abbas S. Guilelmi (charte
de li'77); voyez ces textes dans le Cartulaire de Gellone, p. p. Alaus,
Cassan et Mnynial, 189«, p. i2(J0.
y. 1,'acie du \h décembre 8itl (Aniane) porte iixores meas Viiitburgh et
Ctongutuie; l'acte du 14 décembre 8Ui (Gellone) porto uxoribus meis
Cuiitgunde et Guithurgi. 1/ordro vrai est : 1° Cunégonde, 2° Guibourc-
coînme le montre le témoignage du Manuel de Dhuoda (cf. Joseph Cal-
mettP, art. cité, jtp. C-8).
LÉGENDES DU CYCLE DE GUILLAUME D'ORANGE, 33
Gellone s'appelait Guibourc. Ce nom nous est donné, comme
on a vu, par les deux actes de donation de 804 ; et si ces actes
sont suspects par ailleurs, ils ne le sont pas en ce qu'ils nous
donnent ce nom Ou sait, en effet, que la bru de saint Guil-
laume, Dhuoda, a écrit pour son fils aîné Guillaume, petit-fils
du saint, un court traité de morale et d'éducation, qu'elle ter-
mina le 2 février 843. Eu ce livre charmant, elle énumère à
son flls les défunts de sa famille paternelle dont il doit se sou-
venir dans ses prières. Or, elle nomme à l'enfant les deux
femmes de son grand -père Guillaume, et ce sont les deux
mêmes noms que dans les chartes de 8U4 : Chungundis,
Wilhburgis ^ Le fait que l'une des femmes de saint Guillaume
s'appelait Guibourc est donc certain.
Comment expliquer que la femme du Guillaume épique porte
le même nom? Est-ce une rencontre accidentelle? Personne
ne l'a jamais supposé et personne, je pense, no voudrait le
supposer. Le nom de Guibourc semble avoir été rare dès l'épo-
que carolingienne; au xii» siècle, il ne se porte plus guère. Si
l'on tient compte de sa rareté, il est hautement improbable
que le rapprochement de ces deux noms Guillaume-GuibourCy
s'etaiit fait une fois dans la réalité de la vie, se soit produit
une seconde fois, indépendamment de la première, dans la
fantaisie d'un poète.
Si on l'admet, quiconque parle du cycle de Guillaume
d'Orange est tenu de répondre à cette question : Comment les
auteurs de nos chansons du xii^ siècle pouvaient-ils savoir que
Guillaume de Gellone avait épousé une femme nommée Gui-
bourc? Et, plus on examine la question, mieux on voit qu'il y
a deux réponses possibles, et deux seulement.
La première consiste à recourir a la théorie des « canti-
lènes ». Nos chansons de geste ne sont que des remaniements
de chants épiques contemporains des événements. Si les jon-
1. Le Manuel de Dhuoda, publié par Edouard Bondurand, Paris, 1887,
p. 39. Cf. l'excellente discussion de M. J. Calraette, La famille de saint
Guilhem, p. 6 et suiv. Voyez aussi une étude de M. Ph.-Aug. Becker
sur le Duodas Handhuch dans la Zeilschrift fil)- rom. Philologie,
t. XXI, p. 7.S-10L
ANNALKS UU MIDL — XJX 3
34 JOSEPH BEDIER.
gleiirs il 11 xii« siècle conservent dans leurs poèmes le nom au-
thentique de Guibourc, c'est que. vers l'an 800 au plus tard,
des chants héroïques et populaires avaient célébré cette Gui-
boui'C, de son vivant même. « Qui sait, écrit M. A. Jeanroy *,
si sous l'héroïne légendaire ne se cache pas une héroïne réelle,
dont l'histoire était sans doute bien diflferenle de celle d'Orable
(Guibourc), qui s'était signalée peut-être par quelque action
éclatante et dont le nom aurait été conservé par la reconnais-
sance et l'admiration populaires? » Il va sans dire que la vrai-
semblance de cette explication croîtra ou décroîtra selon que
par ailleurs l'on trouvera ou l'on ne trouvera pas d'autres
raisons de croire à l'existence de ces chants populaires de
l'an 800. Il faudra, en tout état de cause, que ces raisons
soient bien fortes pour nous décider à croire que des aèdes,
au vui« siècle, aient chanté, avec les exploits de guerre de
Guillaume, les exploits de sa femme. Tout ce que nous savons
de Guibourc, c'est qu'elle a donné à son mari six enfants au
moins, peut-être neuf- : il semble peu probable qu'elle ait,
par surcroît, trouvé le temps de devenir une « héroïne ».
Il faut choisir pourtant entre ces deux partis : ou bien la
vraie Guibourc a été dans la réalité une sorte de Bradamante
et a mérite p ir là d'être chantée, de son vivant même, par
des scaldes, — ou bien il faut se résigner à une explication plus
prosaïque : les jongleurs du xu» siècle savent son nom pour
s'être renseignes auprès des moines de Gellone. Comme aucune
chronique ne parle d'elle ni aucun texte hagiographique,
comme son nom n'a jamais di^i être écrit ailleurs que dans des
documents d'ordre privé et familial, il faut que les auteurs
des chansons de geste l'aient pris dans un de ces documents.
Et qui aurait pu le leur fournir, sinon les moines de Gellone?
Or, supprimez par la pensée le personnage de Guibourc de
la Prise d Orange, de la Chanson de Guillaume et d'Alis-
cans, de la beauté de ces poèmes, que restera-t-il?
1. Ho)nu,ii<i, i. \X.VI, 1». '^X.
2. J. CulincUi', art. cité, p. 8 et suiv.
LEGENDES DU CYCLE DE GUILLAUME D^ORANGE. 3Ô
Si nous revoyons d'ensemble tous les faits que nous venons
d'analyser, ils se distribuent en deux groupes.
D'une part, les jongleurs du nord de la France connaissent
fort bien le sanctuaire de Saiul-Guillein-du-Désert; plusieurs
identifient leur Guillaume Fierebrace au saint Guillaume qu'on
y vénère: d'autres décrivent le paysage de Saint-Guilbem avec
exactitude, ou font des emprunts à la légende monastique.
Si ces faits étaient isolés, ils se prêteraient à une explica-
tion très simple et qui leur enlèverait à peu près toute signi-
fication : la VUa sancli Wilhebni a pu être portée au nord
de la France (nous savons par Orderic Vital qu'il en fut ainsi)
et venir a la connaissance d'un jongleur; d'autre part, un ou
deux jongleurs, d'humeur voyageuse, ont pu passer par Saint-
Guilhem-du-Désert, et, de retour en France, consigner dans
leurs poèmes quelques souvenirs de cette visite accidentelle.
Mais cette théorie de l'accident est insufil^ante, s'il est vrai,
comme j'ai cru l'établir, que les jongleurs ont fréquenté le
monastère de Gellone très anciennement, avant même que la
Vila i\xi composée, et si la connaissance qu'ils y ont faite de
Guibourc suppose que les moines entretenaient avec eux des
relations plus étroites que celles qu'on a d'ordinaire avec de
simples toui'istes.
De {)lus, à ces faits correspond un second groupe de faits :
les moines de Gellone, à leur tour, connaissent fort bien les
chansons relatives à Guillaume Fierebrace; en deux passages
de leur Vita, ils couvrent ces chansons de leur autorité.
Ici encore, la théorie de l'accident est insuffisante. Est-il
permis de dire : De même qu'un jongleur ou deux du nord de
la Franco ont pu passer par hasard à Gellone et y recueillir
quelques traditions monastiques, de même un moine de Gel-
lone a pu, par hasard, avant de se faire moine, entendre quel-
que part, dans le nord de la France, des jongleurs chanter de
Guillaume Fierebrace, puis, plus tard, par fantaisie,, au fond
36 JOSEPH BEDIER.
de sa cellule, introduire dans la Vita quelques réminiscences
de ces chansons jougleresques ?
Non certes, caria Vita n'est pas l'amusette d'un moine isolé,
qui l'écrit au gré de son caprice; et que notre étude, oiseuse
en apparence, des circonstances où elle fut composée, trouve
ici sa justification. La Vita est une œuvre concertée, faite
avec réflexion, pour le bien du monastère, au plus fort de son
procès contre Aniaue. Il s'agit pour l'abbaye de Gellone de
défendre sa liberté, de prouver qu'elle n'a jamais été sous la
dépendance d'Aniane, que sa relique de la sainte croix est
authentique, à telles enseignes que Guillaume, l'ayant reçue
des mains de Charlemagne, l'a portée à Gellone. Or, supposons
un instant que le moine chargé par ses frères de rédiger la
Vita ait le premier pris sous son capuchon de mêler a celte
histoire les récils fabuleux des jongleurs, comment ses frères
auraient-ils pris ce jeu et cette fantaisie? Si per.'sonue jus-
qu'alors à Gellone n'avait ouï parler de Guillaume d'Orange et
de ce siège extraordinaire d'Orange, n'aurait-on pas sur l'heure
supprimé de la Vita ces imprudentes nouveautés?
Il ne servirait de rien de dire : i'hagiographe était tenu de
rapporter quelque chose de la vie de son héros dans le siècle,
et, comme il ne savait rien de cette vie, il a fait comme il a pu :
il a recouru, faute de textes historiques, à des textes légen-
daires. C'est là, en effet, une assertion que les critiques litté-
raires ont volontiers repétée jusqu'ici : les moines de Gellone,
à leur estime, vivaient dans une telle crasse d'ignorance qu'ils
avaient au xii« siècle tout oublie de la vie de leur fondateur.
Mais c'est une erreur de fait, comme M. Pùckert Fabien mon-
tré. Les moines de Gellone, nous l'avons dit ci- dessus, con-
naissaient le Chromcon Anianense, puisqu'ils en ont démar-
qué un passage relatif à la relique de la croix, puisqu'ils lui
ont emprunté certaines dates'. La, dans le Chroviicon Ania-
1. Vuyoz l'uckoi-t, p. 118, ii. 13. et p. 119. Cf. Révilloiit, p. 44. — 11 s'agit
surtout de (luclques lignes dii cliapitrc d'Ardon, relatives à la vèture de
Guillaume, qin" lo.-> inoiaos d'Aniane ont introduites dans le Cliro7iicon
Anianense ( Mon. Gevm. hisl., S:S., 1, 308). Ces iiièines lignes se lisentaussi
dan» la Vita i>. Wilhehni (cli. .xxiii). A première vue, on est tenté de
LÉGENDES DU CYCLE DE GUILLAUME d'ORANGE. 37
nense, qu'ils venaient de relire pour écrire leur Vita^ ils
trouvaient (Mon. Germ. hisl., SS., I, 300) un récit des
exploits guerriers de leur Guillaume. Ils auraient pu racon-
ter la bataille très réelle qu'il livra aux Sarrasins sur la
route de Narbonne a Carcassonne. Ils auraient pu le faire,
ils n'ont pas voulu. Ils ont choisi de raconter le siège fabuleux
d'Orange.
S'ils ont préféré, sous le regard de leurs ennemis d'Aniane,
faire appel aux chansons des jongleurs et décalquer leurs ré-
cits mensongers: s'ils on' o^é, en f-elte œuvre pnileiiie qu'est
la Vi/a, identifier saint Guillaume au Guillaume des jon-
gleurs, je n'en vois qu'une explication : il faut qu'on fîit dès
lors, dès 1122, habitué, à Aniane comme à Gellone, habitué
dans tout le pays à entendre chanter des chansons sur Guil-
laume Fierebrace, et c'était normal, et chacun admettait dans
la région que c'était le même personnage; il faut aussi que les
moines de Gellone aient trouvé un intérêt réel à couvrir de
leur autorité ces chansons et, pour ainsi dire, à les authenti-
quer.
Cette explication, imposée par les faits, personne n'a osé
encore la proposer nettement. Si le seul critique qui ait vrai-
ment serré de près la question, M. Becker, s'en est tenu, lui
aussi, à une théorie de l'accident, qui ne suffit pas, c'est que
tous se sont arrêtés devant cette difficulté, à quoi j'ai déjà fait
allusion : Comment admettre que les moines d'une abbaye
perdue au fond d'une vallée sauvage des basses Cévennes
aient eu une connaissance directe de la poésie vulgaire du
temps? Qu'à la rigueur l'un d'eux ait pu, par accident, con-
naître une ou deux chansons de geste, soit; mais que tout le
monastère ait connu ces chansons et s'y soit intéressé, com-
ment le concevoir? Quelles chansons de geste, d'ailleurs? Des
chansons en langue méridionale, nécessairement; et qui vou-
croire que les moines de Gellone les ont prises directement, comme le
reste, dans le chapitre d'Ardon; mais le chapitre d'Ardon ne donne pas la
date de cette vèture. La Vita dit qu'elle eut lieu en 8U6, et le Ch>-otiicon
Anianense pareillement. Donc, la Vita a utilisé le Chronicon.
38 JOSEPH BEDIER.
(irait aujourd'hui ranimer le fantôme de l'« épopée proven-
çale»?
La réponse est celle ci. Le sanctuaire de Gellone ou de
Saint-Guilhem est, en effet, situé dans une vallée des basses
Cévennes et cette vallée est aujourd'hui déserte. Mais il n'est
pas vrai qu'elle l'ait été au moyen âge. Elle était une étape
du pèlerinage de Saint-Jacques de Compostelle,
Compostelle, Rome, Jérusalem, ce sont les trois grands
pèlerinages, et depuis le x*> siècle d'innombrables pèlerins ont
suivi les chemins que l'apôtre saint Jacques, en semant dans
les cieux les étoiles de la voie lactée, avait indiqués à Charle-
magne. Nous avons conservé, comme on sait, un Guide de ces
pèlerins : celui qui fut inséré, vers 1147 au plus tard, dans le
Codex Composlellanus, mais qui est nécessairement plus
ancien'. L'auteur y décrit les divers itinéraires que l'on peut
suivre. Décrivant la via Tolosana, il dit- :
Igitur ab his qui per viam Tolosanam ad sanctum Ja-
cobum tendunl, beali confessoris Guillielmi corpus est
visilandum. Sanclissimus namque Guilhelmus, signifer
egregius, cornes Caroti magni régis, exUlît non minimus^
miles foriissimus, bello doclissimus Hic urbem Nemau-
sensem, ut /ertur, et Aurasicam. aliasque mull.as c/iris-
iiano imperio sua virlule jwienti subiugnv t, lignumque
dominicum apud vallem Gelioni secum deiulil, in qua sci-
licet valle eremiticam vitam duxit, et beulo fine Chrisli
confesser in ea honorifîce requiescit. Cuius sacra solem-
nitas quinto halendas iunii colitur.
Ces lignes, à peu près contemporaines de la Vita Sancti
Wllhelmi, (lisent que, dans la première moitié du xii« siècle,
1. Le Codex de saint Jacques de Compostelle (Liber de Mirnculis
sanrii JiK-ohi, liv. IV). iiublio pour hi prciuiiTe fois |.:ii- le T. Fita avec le
concours (II! .hiiicn Viusoii, Paris. 1882. Cf. V. Kriedel, hUndes Compos-
telbuies, I, L'i'poqiœ et le milieu où fut composé le Codex Calixiimis
dans les Otia Mcrsciuiiu, t. I. Liverpool, 18H9.
2. P. 27. {J'.'st (^.nni(l llofiiaim, je i-mis {Ueber ein Fragment des
GnillaiiuioaOrunge, Munich. 1801, p. Gl). qui a le premier ciié ce pas.
sajçe.
LÉGENDES DU CYCLE DE GUILLAUME D'ORANGE. 39
on invitait les pèlerins à faire le détour de Gellone, et que,
pour les y exciter, on leur racontait l'histoire de la Prise
d'Orange et du Charroi de Nîmes.
Des jongleurs devaient guetter aux étapes les passages de
pèlerins. Nous n'avons pas besoin de supposer que leurs chants
fussent en langue méridionale : les pèlerins venaient de toutes
les provinces de la France, et la vieille route qui menait
vers Saint-Jacques de Galice s'appelle, aujourd'hui encore,
en plusieurs régions d'Espagne, le chemin français : à ce,î
foules de pèlerins français, les jongleurs chantaient en fran-
çais.
II semble donc vraisemblable — et c'est la seule façon, à
mon sens, d'expliquer tous les faits ici considérés — que dès
le début du xii® siècle au plus tard, moines et jongleurs colla-
boraient à l'exploitation des pèlerins qui, suivant la via To-
losana, passaient par Gellone. Il s'agissait, pour les moines,
de les attirer et de les retenir, et c'est pourquoi la Vita sancti
WilJielmi, tout comme le Guide des pèlerins, a accueilli les
fables des jongleurs, leur a fait un sort, les a accréditées.
Ces faits sont-ils isolés, accessoires et sans portée? Il faut
rechercher si d'aventure il ne s'en produit pas de semblables,
ou d'analogues, à d'autres étapes du même pèlerinage. Ce que
nous ferons prochainement.
Joseph BÉDIER.
RECHERCHES HISTORIQUES
SUR
OIELOUES I>I{0TECTE11S «ES TROUBADOURS
!,ES DOUZE PRIM'X NOMMÉS DANS LE « CAVALIER SOISSEUBUT »
D'ELIAS DE BARJOLS
{Suite ^)
VI
EN RANDOS
Le baron de ce nom est à chercher clans une maison du
Gévaudan qui y possédait de vastes domaines, dont les plus
importants étaient, à ce qu'il paraît, ceux des châteaux de
Randon et de ChàleauneuC''. Elle fut du nombre des plus puis-
santes du pays de Gévaudan, aux xii» et xiii*' siècles, et tout
indique qu'elle dépassa en puissance les autres familles des
« huit barons du Gévaud in »'; elle releva, comme les autres,
de l'evôché de Mende '. Elle put se distinguer, au cours du
1. Voy. A/i)inles du Midi, XVIII, 473.
2. Aujniird'lmi GliàtOiumenf-de-Randon, Lozère, arr. de Mende. — Dans
les ilocuiiH'iUs (|aoje cite plus loin, on voit qu'il y eut au xip et xiii» siè-
cles deux cliîUeaux distincts : Randon et Ghàteauneuf. On y trouve dans
lu possession des doux branches, en lesquelles la maison se scinda au
dt'ltul du XIII' s. : hs châteaux de Belvezet, du Chaylar, de Château-
neuf, do UaiidoM, d'Allier, do La Garde, de Planchamp, des Baluies, de
Puyiauroiu. do Mirauth)!, de Luc, etc., dans les mains delà branche de
Randon; dos ciiiUoaux et terres de ïourneniire, de Baet, de (Jubiores, de
Sorvios, de Valcscuro. de Rocliedure, de Montmirat, du Bloymard, de la
Loiibii''ro, do MonlDrsior, d'Allonc, dans les mains de la brandie du Tour-
noi. (Inc. Arck. Uép., Lozère, série li t. 1, Mende, 188'2, p. 33, liasse
G l'.i'i;i)p. 34-.'), liasses G 13U-1.)
3. Proir-col, Histoire du Géodudan, Mende, 184(3, t. I, p. 23:'i, t. Il, p. 276.
4. Voy. l'alihc Baibit, Notice sur (es baron)iies du Châteu neuf- Ran-
don, 'l.ms i.' LiitiL. de lu Sor. li'aj. du dép. de la Lozère, IHliU, t. XI,
pp. m et suiv. —Cf. A. Moliuier, Sur la géographie féodale de la pro-
QUELQUES PROTECTEURS DES TROUBADOURS. Ai
XII® et du xiii® siècles, par des donations importantes * ; un de
ses membres fut, au xiii" siècle, grand-maître de l'Ordre de
Saint-Jean de Jérusalem, je veux dire Guillaume de Château-
neuf (1257-60)^. En somme, il n'est pas douteux qu'un En
Randos puisse avoir été protecteur des troubadours et connu
en dehors du Gévaudan.
Mais l'idenlitication individuelle présente des difficultés.
Dans les témoignages historiques qui me sont connus il y a
une lacune et précisément pour le temps qui nous intéresse.
On peut cep3ndant suppléer à cette lacune par un ensemble
d'informations antérieures et postérieures. La généalogie de
cette maison fournira, d'ailleurs, des renseignements relatifs
non seulement au Randon protecteur des troubadours, mais
utiles pour d'autres questions encore. Les témoignages tirés
des sources historiques, et cités dans les notes, attestent les
noms suivants et les groupent comme suit ( — une ligne de
points signifie que la filiation n'est pas explicitement expri-
mée dans les actes, par exemple « Guillaume fils de... » ou
« Guigues, fils de... », mais en résulte directement ou bien en
doit être conclue) — ^ :
vince de Languedoc aie m. â., dans VHist. gén. de Languedoc, XII,
pp. 271 et 2?3-4. — Cette puissante autorité temporelle exercée par les
évèques de Mende coaime suzerains de tout le pays du Gévaudan fut
contirmée et établie d'une fa(,"on définitive par la célèbre Bulle d'or du roi
Louis VII, de l'an 11(51 (voy. Inv. des Arch., p. 16-1, liasse G 742 et
introduction).
1. Hist. gén. de L., VI, p. 565.
2. Ibid., VI, p. 864; cf. L. Niepce, Le grand prieuré d'Auvergne,
Lyon, 1883, pp. 269-271; Delaville Le Roul'x, Cartul. gén. Hospit., Il,
pp. 833, n" 2845 et suiv.
3. Le P. Anselme, Hist. généal. et chron. de la maison royale de Fr.
des pairs... Paris, 1?26 et suiv., t. III, f"' 8U8, et suiv., consacre un arti-
cle à cette maison. On y voit presque les mêmes noms qu'ici sauf quel-
ques-uns qu'il a intercalés sans aucune justification (- il l'avoue du reste
lui-même : « on rapportera ce qui s'en trouve rassemblé jusqu'environ
120L) plutôt par ordre chronologique et par mémoire que par degrez de
filiation bien certains et prouvez » f" 8U8 A — ); mais dans les dates et
dans les filiations, il y a de difïérences considérables entre cette table et
la sienne, presque sur chaque point. Dans quelques cas, il se base évi-
demment, comme les dates le prouvent, sur quelques-uns des actes que
nous allons citer; d'autre part, on peut accepter comme dignes de foi
quelques mentions pour lesquelles il donne des dates précises ou bien
même des renvois à la source et où il s'agit d'actes qui sont perdus ou qui
ne sont pas encore signalés aujourd'hui.
42 STANISLAS STRONSKI.
TABLEAU GÉNÉALOGIQUE DE LA FAMILLE DE RANDON-DE-CHATEAUNEUF.
Garin* Odilon*
1126-1148 1126
I
I i I
Guillaume de Randon» Garin» X»
1118-tll76/86 t av. 1162 1152-9
EnRandon, prot. des tr.» Garin de Randon»» Raimond de Barjac"'
1176 H6-V. 1205 1198 1186-1191
: I
Guillaume
: 1191
i [
Odilon Garin, s^ du Tournel* Guigues Meschin*^ [sb' du Ran-
1205-11237. donnât] 1212-tl242/3.
I I I
Guigues Mesclun, s»-- du T .* Randon de Chàteauneuf *^ Guillaume de Randon *'
1237-1278 1243-tl275-7 1213-1268
I I
Odilon Garin, s*"' du T. Guillaume de Randon
(1243) 1259-78-t92 (1266-1277...)
1. En 1126 : donation (ou confirmation) faite par Raimond, comte de
Barcelone [R.-Bérenger III, 1093-1131] et Douce, son épouse [fille et héri-
tière de Gilbert, vie. de Milhaud et du Gévaudan], en faveur de Garin et
d'Odilon, du château de Randon {Inv. Arch. dép. Lozère, série G. I,
p. 99, liasse G 455; cf. H. g. d. L, IV, p. 137). — En 1134 : Serment de
fidélité prêté à Guillaume, évêque de Mende [G. II, 4123-51, Mas-Latrie,
col. 1446] par Garin [le même ou cf. n. 2, an. 1162] pour le château de
Randon (/nu. Arch. Loz., G. I, p. 31, liasse G 117). — Pour 1148, voy. n. 2.
2. En 1148 : Serment à Guillaume, évêque de Mende, par « Guillaume
de Randon, fils de Garin », pour le château de Randon {I)iv. Arch. Loz.,
ibid.). — En 1152 : « Wilelmus de Randon » est nommé le premier parmi
les témoins d'un acte de Pagana, sœur de Bernard-Aton, vie. de Nimes
(Tculet, Layettes du Très, de chartes, t. I, p. 70i'). — Entre 1152-9 :
Bernard I Durand, abbé de Chambon, reçut de Guillaume de Randon et
de ses frères une donation de tout ce qu'ils possédaient au lieu de Cha-
brollières (//. (/en. de L., IV, p. 639, pas « Preuves »). — [1156, novem-
bre : P. Anselme, f» 808 : « donna le mas de Grosfaux à la commanderie
de Jalels en Vivarais » ; cf. le suiv.] — Pour 1162 : « Copie de l'acte de
donation du village de Grosfau aux chevaliers de l'ordre du Temple de
Jnles par Guillaume de Randon et son épouse Marie » {Inv. Arch. Loz.,
G liasse KH) « pour le repos de l'âme de son frère (Guerin) et de la sienne »,
ajout»' P. Anselme, lac. cit. Il avait deux frères au moins, comme il
résulte de 1» mention 1152-9. Grâce à l'amabilité de M. L. Pages,
QUELQUES PROTECTEURS DES TROUBADOURS. 43
archiviste do la Lozère, j'ai une copie du serment prêté pour le château
de Randon [en partie?] par Garin à l'évêque Aldebert, nouvellement élu
en 1151 {Inv., ibid.). Le serment est en provençal : Eu Garis a te Alde-
bert evesque non tolrai lo castel de Rando ni t'en tolrai las forcsas
quel so ni ade>ia?it i sseran {ni ti descehrai?) ni t'en descebrai te
ni'ls evesques que adenant i sseran. E se horn era ni feynena que'l ti
tol(/es, ab aquel ni ab aquella fi [sens : paix] wi societad no aurai se
[=: à moins que] pe'l castel (a?) recobrar non o avia e quant recobrat
l'aurai, eu lo-t redria et adenant en eis sacrament t'en istaria. E
quant tu lo'm deinayidaras par te o par to messatge eu lo't redrai, et
aquel messatges regard non aura de me ni d'orne qu'en tornar en
posca e des so momment no m'en gardarai [je n'aurai pas de préten-
tions au château]. Aisi t'a tenrai e t'o ate?idrai a te et a-ls evesques
que seguentre te venran ses lugre d'aver e d'onor e sses engan, Per
aquetz saintz Evangelis Guirent [corr : juirent] Rainiond argidiaque,
Guigo prior, Gnillem, lo sagresta, Benedech Blau, Aldebert de Peira,
Raimond Merle (('), Scicard, Ponso de Servaireta, Peiro Golfeir, Rai-
mo?id Amblard, Geremias, Peiro Arnald, Raitnond de Castelnou. Ab
iiwarnatione Dni anno mill.CLI, in TJrbe romaiia papa Eugenio et
Lodovico rege Francorum regnantibus sub Dno. Amen.) — Vers 1174 :
Guillelmus de Randone (de Randun) figure dans deux chartes échangées
entre Bernard-Aton, vicomte de Nimes, et Raimond V, comte de Toulouse
(Teulet, op. cit., I, pp. 117-8; H. g. d. i.^, VII, Preuves, pp. 306-7). —
En 1176 : Guillelmus de Radone {s.) assiste à la publication du testament
d'Ermenssindo, comtesse de Melgueil (Teulef, op. cit., I, p. 111; H. g. d. L.*,
VIII, Preuves, 233-4). — Pour 1186 voy. n. 3^, qui atteste que Guillaume
de Randon ne vivait plus à cette date.
3. Voy. dans le texte à la 'suite de la table.
û=. En 1198 : H. g, d. L., VII, pas « Preuves », p. 187, nomme Guérin
de Randon comme témoin d'un accord passé, à cette date, entre lo comte
de Toulouse et l'évêque de Viviers. (Charte publ., comme l'indique le
renvoi de VH. g. d. L., par J. Columbi, De rébus gestis episcopor. viva-
riensium, Lugduni, 1651, p. 108, « Guarins de Randon ».) ■ — Il s'agit
évidemment d'un fils de Guillaume sans qu'on puisse affirmer ou nier
que ce tut l'aîné de ces fils et le même personnage que En Randos.
SI*. En 1186 : « Raimond de Barjac, fils de Guillaume de Randon », fait
une donation aux chevaliers de l'ordre du Temple de Jales ; cf. 2, an. 1162
(Inv. Arch. Loz., G, I, p. 89, n. G 104). — [P. Anselme, f» 809 A : « fit
plusieurs donations à la commandation de Jalets du consentement de
Guilaume son fils, en l'an 1186, et au mois de mars 1191; se dit fils de
Guillaume en 1196 (corr., 1186)].
La branche du Tournel (Lozère, arr. de Monde, canton de Bleymard,
commune de Saiat-Julien-du-Tournel).
4. 1205 ; « Transaction entre le chapitre (de l'église de Mende) et Odilon
Garin, seigneur du Tournel, au sujet du mas de Chadenet » [Inv. Arch.
Los., G, I, p. 240, n. G 1181). — 1212, voy. 4». — 1219 : « 0 lilon Garin re-
connaît tenir en fief le château du Tournel et les autres... à savoir... etc. »,
comme p. 40, n. 2. (Inv. Arch. Los., G, I, p. 34, n. G130; — ne marque
pas un changement à la seigneurie du Tournel, parce qu'il paraît que
l'église de Mende exigea à cette date, bien qu'il n'y ait pas eu instal'
44 STANISLAS STRONSKI.
lation d'un nouvel évêque, un renouvellement général des hommages
dont plusieurs sont attestes; voy., par exemple, l'acte suiv.). — 1-219,
18 juillet : Odilon Garin, G. Mescliin... assistent à l'hommage de Rai-
mond d'Anduze au chapitre de l'église de Mende, en l'absence de l'évèque
[Guillaume IV, 1187-23], Inv. Ai-ch. Los., G, 1, pp. 24-5, G 92. (Je cite la
formule du serment de cet hommage pour laquelle le texte latin, corres-
pondant mot |)ar mot à peu près, se trouve, ibid., pp. 2U-21, n. G 81, dans
un acte de 1273 : Eu R. d'Anduza, davan lo cors de Deu, jure sobre
saings evangelis tochats et sobre las reliquias de Mosenor saing Pri-
vât que d'aquesla hora enans serei fidels a Mosenor sning Privât et
a la gleisade Mende et a mosenor en Guillem l'evesque et a tots los
altres que après Lui venran et al chapitol. Et no serei en cosseil tii e
fag per que perdo vida ni membre ni sio près; lo cosseil que'm dirayi
per se (dicelis per vos) o per lur messalge o per letras no manifesturei
a lur da7i; anan et vinen (eundo et redeundo) los defen-irei e-ls gui-
darei (« guidabo ») de tôt 'mon poder.) — 1224, juillet : Un acte de Rai-
mond VII de Toulouse fut passé en présence de « Ozili Garini et Gui-
gonis Meschini et (cf. p. 51-2) Guillehni de Castronovo » (H. g. d. L.,
VIII, Preuves, p. 800). — 1226, 15 avril : Au moment où la croisade
de Louis VIII contre les Albigeois s'approchait du Midi, « sui fidèles
0. Guarini et G. Meschini, frater eius... « adressent au roi une lettre par
laquelle ils se déclarent prêts à changer la suzeraineté de l'évèque de
Mende contre la sienne et désavouent (cf. acte préc.) toutes relations avec
le comte de Toulouse (//. g. de L., VII, 822, et cf. VI, 601, où « Guil-
laume do Mescliin » est inexact). — En 1229 : Odilon Garin et Guignes
Meschin mettent leurs sceaux (rect. : S. Odilonis Guarini ; vers. : S. Gui-
gonis Meschini) sur un acte passé entre la commanderie du Gap fran(;ais
et Hugues Mossatier, prieur de Saint-Julien (Blancard, Iconographie,
p. 66; j'ai trouvé encore une autre mention du même acte dans J. Ray-
baud, Hist. des gr. pr. et du prieuré de Saint-Gilles , p. p. l'abbé
C. Nicolas, Nimes, 19iJl, p. 139) où nous apprenons que c'étaient
« Odilon Guerin, seigneur du Tournel et Guignes, sou fils * (et non plus
les deux frères de l'acte précédent), qui y sont intervenus comme garants
du traité, parce qu'il s'agissait d'une donation faite par un hospitalier
nommé Fouqnes du Tournel, alors sans doute leur vassal, et que la date
exacte est 2 septembre 12 '9. — Pour 1237, n. 5, mention pour cette année,
qui est d'accord avec celle de 1239 pour attester qu'Odilon Garin no vivait
plus à cette date.
5. Les chartes donnent soit « Guignes », soit c< Guignes Meschin ». Des
mentions que nous citons pour l'an 1249, il pourrait résulter qu'il s'agit
de denx personnages dilléronts, tous les deux fils et héritiers d'O lilon
Garin. Mais il n'est pas probable que deux frères aient porté l'un le nom
de tt Guignes », l'autre le nom de « Guigues Meschin » et, de plus, que
l'un et l'autre aient eu le droit do porter le titre « soigneur du Tournel »
(a. 1237 et 1243 pour G. M., tous los autres pour G.). Et d'après l'ensem-
ble des mentions, il est sûr qu'il ne s'agit que d'un seul personnage, Gui-
gues, surnoM)mé G. Meschin, comnu» S(m oncle paternel (n. 4''); toutefois,
j'écris, pour l'orientatiim, soit « Guigues », soit « Guigues Meschin»,
suivant toujours la source.
1229 : voy. n. 4. — 1-237 : Le P. Anselme (qui fait la confusion avec
Guigues Moschin de Randon, oncle de celui en question), f. 811 : < Gui-
QUELQUES PROTECTEURS DES TROUBADOURS. 45
gués Meschin reçut divers hommages en 1237 et 1238 en présence de
sa femme et comme seigneur du Tournel ». — 1:239, août : Un sceau
« S. Guigonis Mescliini » et verso : « S. Guigonis filii jquondam 0. Gua-
rini x se trouve sur l'acte de donation faite par G. de La Garde (vassal
du seigneur du Tournel) au prieur de l'hôpital du Gap Français (Blan-
card, Iconngruplde, p. 67 et cf., pi. 21, n. 3); Blancard écrit « Guigues
Meschin, fils d'Odilon Guarin », et sans doute il en eut confirmation dans
l'acte lui-même, ce qui éclaircit la question d'identité de Guigues Meschin
et de Guigues; c'est aussi l'interprétation la plus simple et elle est con-
firmée par la plupart des exemples, cf. ici n. 5», an. 1243 et 1264; mais
le contraire, sceau portant les noms de deux personnages n'est pas
impossible, cf. n. 4, an. 1229). — 1243 : « Pons de Polignac soutint une
petite guerre contre les seigneurs de Chàteauneuf-Randon et Gui Meschin,
seigneur de Tournel » {Hist. g. de L., VI, p. 791)). — 1247 : une plainte,
entre les Alestensnnn quatrunoniae, portée au roi par ce baron contre le
sénéchal de Beaucaire et de Nîmes : Signi/icat dominus Guigo lo Meschi...
{Rec. hist. Gaul. Fr., t. XXIV, contre les Enq. adm. du règne de Saint
Louis, p. p. AI. Léopold Delislo, Paris, 1904, 2" partie, p. 4U0. n. 54.) — 1248 :
P. Anselme, p. 811 : « Guigues Meschin... confirma avec Odilon-Guarin,
son fils, le 28 septembre 1248, à Bertrand de Montaigu, commandeur do
Gap-Francez, tont ce que son père avait donné à cette commanderie ». 1248 :
Reconnaissance passée par Guigues Meschin (à l'évêque Etienne, 1223-48)
pour les châteaux de Ghapieu, du Tournel, de Montialoux et de Montmirat
(hio. Arch. Lo::., G I, p. 138, n. G, 631; cf. 1249). — 1249 : 1» « Accord
entre Odilon de Mercoeur, évèque de Mende [1249-74] et Guigues du Tour-
nel (au sujet des châteaux Chapieux, Montmirat, Montialoux...) » {Inv.
Arch. Lo::., G I, p. 35, n. G, 130); 2° a hommage rendu à l'évêque élu de
Mende, Odilon de Mercoeur, par Guigues du Tournel qui confirme en
outre l'accord précédent » {ibid.); 3° « foi et hommage prêtés par Gui-
gues Meschin, fils de feu Odilon Garin» (ibid.; donc, le même pour d'autres
terres ou bien pour toutes ses terres, tandis que l'hommage précédent
ne serait rapporté qu'aux terres en litige?) — 1259 : « Hommage rendu à
l'évêque de Mende, Odilon de Mercoeur, par Odilon Garin, fils de Guigues
du Tournel [c.-à-d. de notre Guigue.s] pour les châteaux de Ghapieu, de
Montmirat et de Montjaloux qui lui ont été cédés par son père; le pré-
lat approuve cette cession » {Inv. Arch. Los., G I, p. 35, .n. G, 131). —
1267 : Actes de reddition par Guigues du Tournel, des châteaux du
Tournel, de Rochedure, de Montmirat, du Bleymard, de Servies, de la
Loubière et de Montorsier ». [Ibid. ; ces deux dernières mentions per-
mettent donc de constater la présence dans ses mains de toutes les terres
principales dont Odilon, son père, prêta hommage en 1219). — 1269 :
Une lettre de Guiguon Me-chin, seigneur du Tournel, dans l'alTaire des
plaintes soulevées contre lui et contre Randon de Ghàteauneuf par les
habitants de la Garde-Guérin et de Raschas. — Guigues (Meschin) du
Tournel ne vivait plus en 1278, date à laquelle, d'après le P. Anselme
(loc. cit.). Odilon Garin, seigneur du Tournel prêta hommage (c'est-à-dire
fils de Guigues : celui qui « fut pris prisonnier dans la guerre que son
père eut en 1243 avec le vicomte de Polignac au sujet de la succession de
Guillemette de Seissac, son ayeule », P. Anselme, loc. cit. et cf. notre
mention pour 1243 et le renvoi à l'Hist. gén. de Lang., VI, p. 199; qui est
attesté dans la mention pour 1248; que nous avons rencontré en 1259, où
il n'était pas encore héritier de son père à la seigneurie du Tournel; qui
46 STANISLAS STRONSKI.
confirma une vente en 126'2, Inv. Arch. Loz., p. 32 G, 119; qui figura en
1281 comme seigneur du Tourne!, ce qui corrobore la mention pour 1278,
dans une sentence arbitrale, ibid., p. 35 G, 132; qui, avec Miracle sa mère
et Eaymbaude son épouse, vendit le village du Talisson à l'évèque de
Mende pour 12,000 sous tournois [ibid, G 507, p. 112]; et qui ne vivait
plus à sa date de 1292, à laquelle la seigneurie du Tonrnel se trouvait
déjà en possession de Garin du Tournel, ibid.).
Ce Guignes (Meschin), seigneur du Tournel en 1237, attesté comme
vivant encore en 1269, mort vers 1278, n'est pas indifTérent pour l'histoire
de la poésie provençale. C'est lui qui est nommé par Peire Cardenal, 335,
57 (ce que n'a pas reconnu INIaus, P. C. Strophenbau, p. 27 et 91), dans
sa seconde tornada :
Faidit, vai t'en chantar lo sirventes
Drecli al Tornel a' N Guigo, qui que pes.
Car de valor non a par en est mon
Mas mon senhor En Eblon de Clarmon. (Ms. Ebles.)
Cela permet aussi d'établir la date 1237 comme tertninus a qiio pour
cette pièce et de déterminer sa position relativement à la priorité de la
forme strophique en question.
La branche de Randon. De deux frères, Odilon Garin (4) et Guignes
Meschin (4»), le premier, fondateur de la branche da Tournel, se trouve
être l'aine, puisque dans plusieurs actes où il figure avec son frère, c'est
lui qui est toujours nommé le premier. Pourtant. Randon paraît avoir
été, dans la tradition de la famille, le château le plus important. L'expli-
cation se trouve peut-être dans le fait que l'aîné, Odilon Garin, fut pourvu
de la seigneurie du Tournel dès le vivant de son père, et cette hypothèse
s'accorderait assez bien avec le fait qu'il doit avoir été marié avant la
mort de son père, puisque son petit-fils, Odilon Garin, fut fait prisonnier
de guerre dès 1213. D'antre part, on verra que dans la branche de Randon
même le titre porté ne fut plus « seigneur de Randon >>.
4» {Guignes Meschin) — 1207 : G. Meschin est un des garants dans
l'acte de fidélité jurée à l'évèque Guillaume II par Guigon de la Garde
{Inv. Arch. Los., G. 476, p. 101). — [1212 : P. Anselme, p. 811 : « Gui-
gaes Mescliin [que le P. A. croit, à tort, tige de la branche du Tournel,
et qu'il confond avec son neveu G. M. du Tournel]..., rendit hommage avec
son frère Odilon Garin — [c'est lui qui fut seigneur du Tournel] — le
15 juin 1212 à B.. évèque d'Uzès — [corr. Guillaume, év. de Mende, 1187-
12;{y; le r. Ans. écrit constamment « B. » et constamment « évêque
d'U/.es » ; mais, dans plusieurs autres cas, on peut confronter sa mention
avec les nôtres, et on voit qu'il s'agit des év. de Mende] — de tout ce
qu'il possédoit dans son diocèse en qualité de seigneur d'Altier — [terre
qui n'appartenait pa.s à la seigneurie du Tournel, mais à celle de Randon,
cf. 5«, 1216, 1267] » — la date précise et la méthode générale du P. An-
selme rend l'essentiel de cette mention digne de foi. — 1219 .■ « Foi et
hoinniage de Guignes Meschin pour la moitié de Chàtcauneuf » {Inv.
Arch.. Loi., G 118; cf. n. 4, a. 1219; ChtUeauneuf faisait aussi partie de
la seigneurie do Randon, mais en partie seulement, puisque la branche
Api-liier avait dos droits sur lui : cf. plus loin). — 1219, 18 juillet, voy. 4.
— 1224, juillcl. voy. 4. — 1226, 15 avril, voy. 4. — (1229, voy. 4.) — 1242 :
« Hommago rendu à Guigues Meschin, seigneur d'Altier, par Pierre Bar-
lhr.|..iny. . .. ( /. ,|. Lo3., G 1]8, p. 31; les terres de Guigues Meschin, dans
QUELQUES PROTECTEURS DES TROUBADOURS. 47
lesquelles son vassal a des reconnaissances à faire, à savoir : Planchamp,
Mirandol, Chàteauneuf, Altier, Montfort, appartenaient à la seigneurie
de Randon et non à celle du Tournel, la dernière, Montfort, à toutes les
deux, cf. ")', 1265, 7, 9). — En 1243, il ne vivait plus.
5' {Randon de Chàteauneuf). — 1243 : « Randon de Chàteauneuf, fils
de Guignes Meschin [cf. 1276], fait, à Montfort, une donation au comman-
deur de l'hôpital du Gap français et met son sceau « S. Domini Kando-
nis » (Blancard, Iconographie, p. 67, n. 9 et pi. 24, n. 4). — 1243 : c'est
lui et son frère Guillaume qui sont les « seigneurs de Gliàteauneuf-Ran-
don », de la mention rapportée pOur cette année au n. 5. — 1246 : « Re-
quisitiou adressée par Hugues de la Garde, bailli de l'évèque de Mende,
au seigneur Randon de Chàteauneuf, de lui remettre les châteaux d'Al-
tier, des Baluces et de Planchamp, ce que ce seigneur refusa, prétendant
que c'était par erreur qu'il avait rendu hommage pour ces châteaux à
l'Eglise de Mende » (/. Ar. Loz., G 119, p. 32); — H. g. de L., VI,
p. 566 : « Etienne, évêque de Mende [1223-1248] soumit entre autres Ran-
don de Chàteauneuf [Randonum de Castronovo] et prit sur lui et rasa
dix-huit de ses châteaux », ce qui est aussi rapporté dans la Gallia
Christ., I, col. 92; c'est sans doute vers le temps du conflit, signalé dans
la mention précédente, que l'évèque partit en guerre contre Randon; les
motifs allégués par le chroniqueur sont : c< Hanc episcopum,.. strennuum
se ostendisse in compescendis nobilium vexationibus erga rusticos, qui-
bus arare non nisi dominicis et solemnioribus diebus permittebant ». —
1253 : « Randon de Chàteauneuf » ou « seigneur de Randon » passe un
acte concernant les châteaux de Pradelles et de Chaylard, avec Armand-
Falcon, son vassal (/. Ar. Loz., G 397, p. 88) — 1262 : voy. 5». — 1264,
1 mai : appose son sceau sur l'acte de vente par Pierre de Vérune (son
vassal, évidemment), à la commanderie deJalez, des terres sises au mas de
Las Chasas : « S. Dni Randonis. D. Cast'novo. » (rétro) et c< S. Randonis.
Dni Luchi » (versoj, (Blancard, Iconographie, p. 67, etcf.pl. 21 bis, n. 2). —
1265 : Une reddition des châteaux : Belvezet, Puylaurent, Mirandol, par
Randon de Chàteauneuf, seigneur du Luc (Inv., G 120, p. 32) - 1266 • une
transaction et sentence arbitrale entre l'évèque et Randon de Chàteau-
neuf, tant pour lui que pour son fils, Guillaume de Randon, au sujet du
château de Chaylard et des terres de la Garde-Guérin {ibid., n. G 397,
p. 88) — 1267 : 1° actes concernant le noble Randon de Chàteauneuf et ses
châteaux du Chaylard, VV Allier, de Balmes, de Planchamp {ibid., G 120,
p. 32, et G 397, p. 88) ; 2° une sentence arbitrale entre l'évèque, d'une
part, et Randon de Chàteauneuf et son'fils Guillaume de Randon, d'autre
part {voy. ib., G 110, p. 32) — 1268 : un rachat des terres par R. de Ch.
{ibid.) —V. 1269 : privilèges accordés par Randon Chàteauneuf, seigneur
du Luc [P. Ans., p. 811, et par Guignes Meschin du Tournel, cf. 5 an.
1269] aux habitants de Montfort {ibid.) — 1271 : acte concernant Randon
de Chàteauneuf et le château de Belvezet {ibid., G 171, p. 32) — 1275 :
hommage et serment de fidélité rendus par Randon de Chàteauneuf, fils
de Guignes Meschin, à Etienne, évèque de Mende [E. III, nouveau élu,
1274-79] ; mais il mourut entre 1275 et 1277, parce que à cette dernière
date Guillaume de Randon, fils de Randon de Chàteauneuf, rend hom-
mage et reçoit lui-même plusieurs hommages en qualité de seigneur du
Luc {ibid., 9121, p. 32; de nombreuses mentions de ce personnage, nommé
toujours « Guillaume de Randon », seigneur du Luc, se trouvent dans les
^8 STANISLAS STRONSKI.
liasses G 120-126, 395, 403, 475, 1060; pour l'an 1331, G 482, p. 107, imo
mention de Guillaume de Randon et de Jean de Randon, son fils, fait
changer la généal. du P. Ans.).
5b {Guillaume de Randon] — 1218 : « Copie des hommages rendus
par Guillaume de Randon, fils de Guignes Mcschin, à Odilon, évèque
élu de Mende [1249-74] pour ce qu'il possède à Randon, à Belvezet, au
Ghaylar, à la Garde, à Puylaurent, à Planchainp et aux Balmes {I. A.
Loz., G 118, p. 31) — 1262 : une vente « consentie par Randon de Châ-
teauneuf, seigneur du Luc. Guillaume de Randon, son père, et Guillaume,
fils du précédent » [ihid., G 119, p. 32).
Il résulte des menlioûs laites a. 2 a. 1176 et o. 3'^ a. liS'j
que Guillaume de Randon, baron très puissant, coaiine ses
donations l'indiquent, qui vivait encore en 1176, ne vivait
plus en 1186. Puisque son fils Raiinond qui figure dans la
mention de 1186 ne fut tige que d'une branche cadette, de
Barjac, continuée par son fils Guillaume, il faut qu'il y ait eu
un successeur aîué de Guillaume de Randon à la seigneurie
de Randon. La date de l'avènement de celui-ci est donc
1176-86. Au xiii*^ siècle, nous rencontrons deux frères (ffères :
n 5, a. 1226; n. 5", a. 1212), Odilon Garin et Guigues-Mes-
chin; |)uisque les terres qui constituaient le « Raudonnat » se
retrouvent dans les mains de Guignes Meschiu (n. -'i^, a. 1212,
a. 1219, a. 1242) et plus visiblement encore dans les mains de
ses fils (fils : n. 5\ a. 1243 et 1275; n. 5^ a. 124.) et « frère de
Rand. de Ch. » pour les autres), Randon de Châleauneuf
(5=» toutes les mentions) et Gui laume de Randon (5'' a 1249 et
les autres) avec lesquels revient, en plus, le nom « Randon »
et le titre « de Randon » il est évident que ce Guigues-Mes-
cbin fut béi'ilier et, vraisemblablement, fils du seigneur de
Handon : et puis(iue nous trouvons la grand* seigneurie du
Tournel (n. 4, a. 1205; n 5 a. 1237, 1249, 1259, 1l67) dans
les mains de son frère Odilon Garin, ainsi que de ses succes-
seurs en ligne di'oite ( : u. 5, a. 1239, 1259), il faut croire
qu'elle lut ac([uise du vivant du précédent seigneur de Ran-
don. Il est clair ([iie l'avènement de ces deux barons, Guigues-
Meschiu au Raudonnat. Odilon-Garin au Tournel, marque la
mort de b-ui- père, ou bien, pour ètie plus strict, de leur tes-
tateur; et puisque nous trouvons Odilon-Garin a la seigneurie
QUELQUES PROTECTEURS DES TROUBADOURS. 49
(lu Tournel dès 1205 (ii. 4 a. 1205; cf. sous : La branche de
Randon) el que Guignes- Meschin, figurant comme garant
en 1207, ne saurait être que seigneur déjà indépendant, on est
autorisé à dire que leur prédécesseur ne vivait plus vers celte
date. On peut, par conséquent, renfermer entre les années
1176-8G et 1205 environ la présence à la seigneurie de Randon
de l'héritier de Guillaume de Randon et testateur pour Oïlilon
Garin et Guignes- VIeschin. C'est lui qui est le En RindO'i de
la poésie provençale. 11 est possible qu'il ait été identique
avec le Garin de Randon, dont nous avons une mention pour
l'an 1198; en ce cas, il aurait été appelé En Randos comme
Raimon de Miraval fut appelé En Mirauals. M:iis il e.t
aussi possible que, comme au degré 5^ et 5''. un Randon
(de Châteauneuf) ait existé à côté de Garin de Randon; ce
nom de famille et de château devint, en effet, un prénom,
comme l'atteste n. 5'', comme l'atteste aussi, dans l'autre
branche, l'existence d'un « Randon du Tournel, chanoine
de Mende » (a. 1291; Inv. Ar. Loz , G. 132, p 35), comme
l'atteste enfin le prénom — qui peut cependant avoir
été tiré du nom de famille, comme cela est souvent le cas
pour les noms des femmes — de « Randonne de Château-
neuf » devenue veuve de Raimond de Montauban entre
le 9 avril 1215 et le 17 juillet 1220 (P. Ans., f. 809;
elle doit être sœur ou fille iVEn Randon^ tandis que « la
dame Valburge de liandon », qui engagea, en 1217, pour
garantie d'un prêt la seigneurie du château de Serverette
[Loz., ch.-l., arr. et cant.J. probablement son douaire,
V. Inv. Ar. Loz., G, 5, t. V, p. 177, pourrait être veuve de
celui ci).
En Randos est nommé dans divers 3S autres pièces proven-
çales, et il n'est pas difficile de voir qu'il s'agit toujours du
même personnage, vivant vers la fin du xii« siècle, protecteur
des troubadours.
Le Moine de Monlaudon (.305, 12, v. 14) célèbre aussi « En
Randon ». Une allusion très précise à Richard Oœur-de-Lion
a permis à M. Klein {Die Dichiungen d. M. v. M., 1385, p. 31)
l'enfermer cette pièce entre la fin de 1193 et le commeace-
ANNALP;S DU MIDI. — XIX 4
50 STANISLAS STRONSKI.
ment de 11&4, ce qui prouve qu'il s'agit du Randon déjà
nommé dans les autres pièces^
Garin d'Apchier (162, 5, str. IV), parlant de son interlo-
cuteur Torcafol, dit : ... dilz lo paire N'Eraill Que home
quinafre nitaill... No deu maniener nuls hom bos Per
que nol manten En Randos (p. p. Witlhoeit, Sirvenies
joglaresc, p. 59). — M. Appel {Z. f. r. Ph . XI, 223-3) dit :
« On peut penser à Randon de Châteauneuf, auquel Etienne,
1223-47, évêque de Mende, prit dix-huit châteaux. Je ne sais
pas si le Randon de Châteauneuf. qui se trouve en conflit avec
révêque de Mende, Odilou de Mercœur, 1247 1274 (v.Vaiss.,
VI, 864), est identique avec celui-là. » Mais il n'y a pas de
raison de chercher ce Randon si loin dans le xiii« siècle — (on
verra dans nos notes. 5*, que, si c'était bien ce Randon, le
terminus a quo serait 1243). Et, en général, la tendance de
M. Appel {l. c), ainsi que celle de M. Witthoeft (pp. 35-6) à
chercher Garin d'Apchier surtout au xiu^ siècle, parait peu
ju.stiliée. On est bien en droit de dire que cet En Randos
qui est nommé par Garin d'Apchier est le même que celui
d'Elias de Barjols^.
1. J'essaierai, dans le prochain numéro des Annales du Midi, d'expli-
quer celte allusion de Moine de Montaudon (31)5, \2), ainsi que deux allu-
sions des pièces Apchior-Torcafol (443, 1 et 443, 2).
2. Déjà dans les mentions faites dans YH. g. d. L. et dans Baluze, qui
ne remontent qu'à la seconde moitié du xin" s., les plus anciennes con-
nues à M. Appel et à M. Witthoeft, on voyait que le nom plein de cette
famille fut « de Castronovo, dominas de .\pcherio ». Puisque la famille
est de Châteauneuf, elle ne sera pas, pensera-t-on, étrangère à la famille
des Randon de Châteauneuf. Et il resuite, en réalité, des renseignements
qui se trouvent dans P. Ansehne, t. 111, pp. 813 et suiv., et dans l'Inv.
Ar. Los., L c, qu'elle n'est qu'une branche de cette famille. Il est possi-
ble de saisir les degrés suivants dans la généalogie de cette famille, en
général d'accord avec P. Anselme.
I. Garin de Ciiàteauneuf (seigneur d'Apchier) : P. Ans., l. c, « eut
pour sa part Arzens, la moitié des baronnies de Châteauneuf et de Ran-
don. et lit donation de ses terres à son iils aîné [Garin], le 4 mars 118U »
et « femme Alix d'Apchier, héritière du baron d'Apchier, de S. Auban, de
S. Chely, de Vazeille, de Montalleyrac, etc. »
II. Quatre personnages doivent être regardés comme ses fils : Garin,
Guiguon. (luillaume, Raimond. -— /. Garin de Châteauneuf [seigneur
d'Apchier] : llWl u. s. —1207 ; v. Engagement souscrit en faveur de
révêquf Guillaumr Ji par (iuigon et Garin de Châteauneuf des portions
QUELQUES PROTECTEURS DES TROUBADOURS. 51
et droits qu'ils avaient sur le château de Randon et son mandement en
garantie do la somme de 3,000 sous pougeois, reçue du prélat à titre de
prêt » {Inv . Arch. Loz., G 117, p. 81 ; il serait erroné de penser à Gui-
gnes Meschin de Randon et à son frère Odilon Garin du ïournel, parce
que ce dernier n'avait aucune possession en Randon; il ne s'agit que des
possessions et des droits partiels de la branche d'Apchier, comme il ré-
sulte d'ailleurs de la mention elle-même et de la différence des noms que
l'on ne saurait prendre pour des abréviations admissibles); — 1214,
P. Ans. : V Vendit le 2 octobre 1214, au commandeur de Jalets, tous ses
pâturages du bois de Mercoire dépendant de Ghàteauneuf, pour 1,000 sois
poyaux et un cheval «. — Il faut accepter qu'il vécut jusqu'en 1245 et qu'il
ne mourut qu'entre le commencement, sans doute, de cette année, date à
laquelle il confirma une vente de son frère Guillaume (voy. sous le nom
de celui-ci), et le 2 septembre, date à hiquelle son fils Garin (voy. III) prêta
hommage; il doit être mort fort âgé, ce qui est d'accord avec le fait que
son successeur mourut bientôt après. C'est donc à lui et non pas à son
fils qu'il faut rapporter la mention de l'hommage prêté en 1236 à Hugues,
comte de Rodez (P. .4/(5., p. 814 et cf. Inv. Arch. Loz., G 74, p. 79, pour
l'an 1256). — 2. Guignes de Châteauneuf, 1207 : voy. ci-dessus. —
1207 : « serment de lidélité prêté à Guillaume II, évèque de Mende, par
Guigon de la Garde... Guigon de Châteauneuf, Contor, et G. Meschin se
portent pour caution... » {I)io. Arch. Los., G 476, p. 105); — 1214 :
P. Ans. : « aprouva la donation faite par son frère au précepteur de Ja-
lets, le 2 octobre 1214 *>. — 3. Guillaume de Châteauneuf : 1215 : i.< vente
par Guillaume de Châteauneuf, doyen de l'église du Puy, à l'église de
Notre-Dame de Croissance [H. -Loire, arr. du Puy, cant. de Saugues]...
de tous les droits qu'il possède dans le territoire, tenement et village de
Chalmeis...; confirmé par Garin et Raimond de Châteauneuf, frères du
vendeur [Inv. Arch. Loz., G 412, p. 91) — 1245, 2 septembre : voy. III,
Garin. — Il est encore identique, sans doute, à Guill, de Châteauneuf qui
prêta, en 1219, hommage pour sa portion du château de Châteauneuf {Inv.
Arch. Loz., G 118, p. 31), qui figura à côté de Guignes Meschin etd'Odilon
Garin en 1224, et qui fut père de Guignes de Châteauneuf, mentionné
pour l'an 1268 et l'an 1276 [Inv. Arch. Loz.. 120-121, p. 132) — 4. Raimond
de Châteauneuf : 1245, voy. sous Guillaume.
III. Garin de Châteauneuf (II, 1) eut plusieurs fils dont Garin de
Châteauneuf, son successeur. — 1245 : « Hommage [à l'église de Mende]
de Garin de Châteauneuf, autorisé par son oncle G(uillaume) et non Garin,
d'après II, 3) de Châteauneuf, doyen de l'église du Puy, et par Bernard
de Châteauneuf (cf. P. Ans., 813-4), son frère; il reconnaît tenir en fief
franc, de l'église de Monde, les châteaux de Saint-AIban, d'Apchier et de
Montaleyrac, avec leurs droits et appartenances, les aubaines ou affars
de Montrocoux, de Randon et de Châteauneuf [Inv. Arch. Los., 974,
p. 19; l'autorisation de la part de G. et de B. tient non pas à la minorité
de Garin, mais au fait qu'ils partageaient avec lui la possession de ces
terres). — Il ne vivait plus en 1252. A cette date, « Odilon de Mercœur,
évêquo de Mende, à la requête de Garinet de Châteauneuf, assisté de son
aïeuL maternel Pons de Châteauneuf [sa mère fut Béatrix de Châteauneuf];
de B. de Châteauneuf, son oncle [v. ci-dessus]..., lui donne un tuteur et
curateur, à l'elfet de reconnaître les fiefs qu'il tient de l'église de Mende »
[ibid.]. Ce Garinet n'atteint l'âge de dix-huit ans qu'en 12.57. — Voy. ihid'
et dans P. Ans.) sur les dates postérieures, ainsi que sur le conflit des
52- STANISLAS STRONSKI.
comtes de Rodez et des évêques de Mende au sujet du fief sur la seigneu-
rie d'Apchier, qui tint sans doute à ce fait que, en leur qualité de sei-
gneurs en partie de Chàteauneuf, de Eandon, etc., ils relevaient de l'église
de Mende, tandis que, en leur qualité de seigneurs « d'Apchier, de Saint-
Alban, de Montaleyran et leurs dépendances » (cf. Inv. Arch. Loz.. l. c,
an. 1261), ils relevaient des couUes de Rodez (N'Uc aiquel, dans 16-2, 1,
V. 5, le troubadour Garin d'Apchier fait une allusion, est, sans doute, le
comte de Rodez).
Le fait que les soigneurs d'Apchier — (la mention sur la femme de
Garin, n. I, explique comment ils le sont devenus) — portaient le titre
« de Chàteauneuf » et avaient des possessions en Chàteauneuf et en Ran-
don (I, an 1181); II, 1, an 1207-1214; II, ;J, an 1219; III, an 124.:)) attestent
qu'ils étaient une branche de la famille de Randon. Quand et comment
s'en est-elle séparée? Il faut se i-apporter à notre table de la famille de
Randon. Le P. Anselme croit que Garin de Chàteauneuf (I) fut fils de
Guillaume de Randon qui correspondrait à notre Guillaume de Randon,
n. 2 (1148-1 176, 86). Cela n'est pas probable, parce que ce Guillaume eut
un fils, Garin de Randon (n. 3^;, attesté pour l'an 1198, et il ne peut pas
avoir eu deux fils du même nom. Il ne peut pas non plus avoir été frère
de Guillaume, puisque celui-ci eut un frère, Garin, qui était mort avant
l'an 1162, comme il paraît résulter de la mention rapportée sous cette
date, et, ici encore, Guillaume, qui avait plus qu'un frère (v. 2, an 11.52-9),
ne peut cependant pas avoir eu deux frères du nom de Garin. Deux
éventualités restent : ou bien ce Garin, tige des seigneurs d'Apchier, est
fils d'Odilon signalé pour l'an 1126, ou bien il est fils de Garin, qui était
frère de Guillaume et qui mourut avant 1162.
Quel est Garin, le troubadour? Une réponse définitive ne paraît pas
possible. En tout cas, il faut abandonner complètement la tendance de
M. Appel et de M. Witlhoeft à placer son activité poétique au xiir siècle
surtout. Le seul fait précis, c'est la mention, dans 162, 2, sir. III, d'Aza-
laïs, femme (depuis 1171) de Roger II de Béziers (régn. 1167-1194), morte
avant la fin du xii« siècle (voy. Appel, loc. cit., et Witthoeft, p. 36).
Aucun fait n'oblige à accepter une date quelconque du xiii« siècle dans
aucune des pièces du confiit Garin-Torcafol, qui se suivirent naturelle-
lemcnt toutes d'assez près. Le fait que Garin est un troubadour du
XII* siècle, ou bien poétisant surtout au xii« siècle, s'accorde bien avec la
mention de la biographie que ce fut lui qui « fetz lo premier descort que
anc fo faitz ». - - Mais il reste encore douteux si c'est avec Garin I,
attesté en 118(1, ou bien avec Garin II, attesté entre 1180 et 1215, que
nous avons all'aire. Or, plusieurs allusions contenues dans les invectives
de Torcafol contre Garin d'Apchier paraissent indiquer qu'il s'agit du
vieux Garin, qui céda en 1180 sa seigneurie à son fils aîné : l" Torca-
fol — (qui est lui-même appelé par Garin viellz, fJacs, plaides (162,
2, V. 1 ; 162, 4, V. 5; 162, 7, v. 1) ou bien iovenz... l'en faill J62, 5, v. 5)
et ses iocen e ses vigor (162, 5, v. 48), mais qui n'était pas d'une extrême
vieillesse, comme l'indique 162, 7. vv. 18-21 : Tossa.., outra doas messos
Son auria drut de vos) — insiste à plusieurs reprises et avec beaucoup
d'ai)lomb sur la vieillesse de Garin; s'il dit Viellz Comunal (162, 8, v. 1)
ou bien : !<: honi viellz pois desclacella Xi s'eis] de totz pretz ahatutz,
liem meracill com se feiiiij drutz (4:33, 2, vv. U-8), ou même : E de'l
vostre vielh Inirat E de vostrn vielha pansa (443, 1, vv. 11-12). on pour-
rait regarder tout cela comme des réponses aux railleries de Garin ; mais
QUELQUES PROTECTEURS DES TROUBADOURS. 53
quand il lui dit : Viells e pus blancs d'un colom, il n'est plus possible
d'y voir autre chose qu'une allusion exacte. Et c'est ce qui ne va pas
bien pour le Garin, mort en 124ô, et, par conséquent, assez jeune vers 1190,
date appro-ximative du conflit Torcafol-Garin. 2" L'allusion de 143, 1, v. 21 :
E non aves senhoril ne saurait signifier que Garin « jetzt ohne Oberherrn
sei » (Witthoeft, p. 29), puisque ave)- senhnritc ne veut pas dire « avoir
l'autorité de quelqu'un sur soi-même », mais « avoir, posséder une sei-
gneurie ». Et cette allusion pourrait bien viser le moment ou Garin le
vieux se démit de ses terres en faveur de son fils (en se gardant quelques
revenus ou quelque usufruit, ce qui expliquerait telles allusions de Tor-
cafol comme ibid., v. 31-6 : Toz vostr' argens torn en plom E vostr' affars
desennnsa). De même, c'est avec un moment postérieur à la cession
faite par le vieux Garin que s'accorderait l'allusion de 102, 8, vv. 33-6 :
Si be-s fan gabador Li filial e-lh oissor, Monlaur fai sobre lor Sos
honraz faz auzir... Torcafol y fait donc allusion à un conflit d'un fils de
Garin et de sa femme avec le seigneur de Montlaur; le fait que la
femme est spécialement mentionnée paraît indiquer qu'il s'agit des devoirs
dus au seigneur de Montlaur de la part de Garin fils pour des terres
acquises par voie de mariage (il se peut bien que telle ait été la raison
du conflit entre les Apchiers et le seigneur de Montlaur, signalé encore
dans 433, 1, vv. 17-20; pour l'an 1302, on trouve : « Hommage rendu par
Guérin de Chàteauneuf, seigneur d'Apchier, à noble Pons de Montlaur,
pour les châteaux et mandements de Vabres, du Chaylan. et pour ce qu'il
possédait du château de Doschanet (Duobus Canibus) » {Inv. Arch. Loz.,
G 592, p. 130); mais cette dépendance peut dater d'une, époque posté-
rieure; il est attesté que Pons de Montlaur prêta hommage, en 1222, à
l'évêque Guillaume II, pour Vabres et Deux-Chiens entre autres, ibid.,
G 463, p. 102, ce qui n'exclut cependant point la possibilité d'un sous-
fief existant déjà à cette époque). En tout cas, cette allusion à un fils de
Garin s'accorde bien avec ce que nous savons sur la cession de la baronnie
d'Apchier. Et quand Torcafol dit dans la même pièce, vv. 45-8 : Jes no
m'en don jiaor Par lor dig de folor, Sitôt quatre comtor Mi nienassoti
d'aussir, ceci ne se rapporte-t-il pas aux quatre fils du vieux Garin, tous
attestés? (Le titre de contor était dans la famille. Il est attesté pour
Garin le troubadour dans 443, 1, vv. 1 et 6; pour un des quatre frères.
Guignes, dans notre mention de l'an 1207 ; « Guillaume, comtor, sire de
Apchon [Cantal, arr. de Mauriac, canton de Riom-ès-Montagne] », dont
je trouve mention dans Vhiv. Arch. Isère, B, t. III, p. 194, n. B 3765,
pour l'an 1322, a-t-il quelque chose de commun avec la famille d'Apchier?
(M. M. Boudet, dans son intéressant article sur « L'affaire de Lugarde »
(Revue de la Haute-Auvergne , 1905, I, pp. 59-72), où il a occasion de
s'occuper des comtors d'Apchon (p. 61 surtout) ne fait aucun rapproche-
ment avec les Apchiers ; voyez-y aussi les notes 3, p. 61, et 1, p. 62, pour
la question de comtor, traitée ci-dessous); M. AVitthoeft (p. 35), sou-
tient contre Diez [Leb. u. W.^ 300) et contre le témoignage de Uc Fai-
dit (édit. Stengel, 86, 19 : « comtor, parvus comes ») que le comtor était
le titulaire d'une commanderie [comniendator] dans un ordre militaire,
probablement celui des chevaliers de Saint-Jean, et que Garin d'Apchier
devait appartenir au prieuré d'Auvergne. Mais, c'est, bien entendu, Diez
et surtout Uc Faidit, bien placé pour connaître le sens d'un mot encore
en usage, qui sont dans la vérité; outre que la dérivation proposée par
Witthoeft viole les règles de la phonétique, au point de vue historique,
54 STANISLAS STRONSKI.
ce titre désignait sûrement un degré dans la hiérarchie féodale au-dessus
du « vavassor », du « miles » et au-dessous du « vicomte» (Voy. E. Mayer,
Dent. u. franz. Verfassnngsgeschichte, Leipzig, 1889, t. II, 127-8, et
cf. aux Lexiques : Raynouard, P. Meyer, Crois. A Ib., Appel, Chrest.^, Stim-
ming, Bertr. de Born\ et Godefroy. Dict.. etc ; cf. aussi une indication
dans Yhiv. Arch. Loz., G 1444, p. 385 : « xyip siècle. Documents historiques.
Notes recueillies par M. Lenoir. « Du mot comptor qui est moins que le
baron et plus que le gentilhomme. ») — Les quelques allusions saisissa-
bles dans le dialogue, si insuffisamment éclairci, entre Garin et Torcafol,
paraissent donc indiquer plutôt Garin le vieux que son fils. — Quant à
Torcafol, il faut remarquer le reproche que lui fait Garin (162, 2, vv. 47-8) :
Atic sagramen non tengues del Tornel, quant l'avias. Il résulte de nos
renseignements sur la branche des seigneurs du Tournel de la famille de
Randon que les terres du Tourne! étaient d'une importance remarquable.
Torcafol parait donc avoir été jadis un des propriétaires de ces tei'res avant
qu'elles eussent passé dans les mains de la famille de Randon. Des mem-
bres d'une famille « du Tournel » (autre chose que « seigneurs du Tournel »
delà famille de Randon) sont même attestés, p. ex. par Jordan du Tour-
nel en 12m7 (Inv. A. Loz., G 476, p. 105), ou bien par Fouques du Tournel
mentionné dans la généal. précéd., n. 4, an 1229 (p. 44), et cette famille
doit avoir été importante peu de temps auparavant, comme l'indique le
fait qu'Adalbert du Tournel fut évèque de Mende de 1151 à 1187. On voit
bien par le ton des pièces Garin-Torcafol que le dernier ne fut pas
un simple jongleur. Et, en généi-al, on se demande jusqu'à quel point ce
conflit doit être rattaché au sirventes jogluresc et si sa place ne serait
pas plutôt à côté des polémiques personnelles, telles que par exemple
celles de Sordel-Peire Bremon. Il est sûr, en tout cas, que cet échange
ne s'accorde pas avec la définition de M. Witthoeft (p. 8), qui indique
qn'nn. sirventes joglaresc doit railler un jongleur sur ses défauts a et
notamment avec son approbation ». (Cf. encore sur ces pièces le numéro
prochain des An?iales).
VII.
LES SIX AUTRES BARONS.
N'Aymars est, sans aucun doute, Adhémar V de Limoges
(1148-89, majeur seulement en 1159), [ils de Marie de Turenne,
cliantee, comme comtesse de Ventadoru (par un second ma-
riage avec Èble 111), par Bernard de Ventadorn ', père de la
trobaif^Uz Marie de Ventadorn, femme d'Èble V^. Ce person-
nage est bien connu par la vie et les chansons de Bertran de
Born3 et jouissait d'une grande renommée dans le monde des
1. Suchier, Jnhrhuch, XIV, 214.
2. p. Schultz (-Gora), Die provenzalische7i Dichterinnem, p. 21.
3. Voy. éd. Stimming et éd. Tliomas : 80, 20, v. 11 et razo; 80, 21.
QUELQUES PROTECTEURS DES TROUBADOURS. 55
troubadours, car c'est à lui que se rapporte presque certaine-
ment' la complainte de Giraut de Bornelh Plaign e sospir e
pîor e cfian (242, 56), où est pleuré mos seigners n'Aimars
que sera plains per Fransa.
N'Eblos est, naturellement, Èble V de Ventadorn , qui
épousa en 1183 la trobairitz Marie de Limoges, connu par les
sirventés de Bertran de Born^, et qui eut comme ancêtres
Èble III (m. 1170), à la cour duquel vivait Bernard de Venta-
dorn, et Èble II, dit le Chanteur, dont Geoffroy de Vigeois
rappelle la magnifique hospitalité^, de même qu'Elias de Bar-
jols célèbre le covit de son successeur.
En B) ian (?). — On peut au moins remarquer que l'exis-
tence d'une famille où ce nom était porté est attestée sur les
confins de l'Albigeois et de la Guyenne. En 1243, un .< Brianus
de Insula » (Liste ou L'Isle-d'Albi, Tarn, arr. de Gaillac) est
nommé dans les Rôles Gascons^; vers la fin du xiu» siècle,
on rencontre un « Briand de Montélimar, seigneur de Lom-
bers eu Albigeois» (Tarn. arr. d'Albi, cant. de Réalmont)^;
d'autre part, on trouve mentionné dans un acte de Gaston,
comte de Foix, et de Jean, comte d'Armagnac, en 1379, un
« Maurin de Briand, senhor de Roquefort » (Haute-Garonne,
arr. de Saint-Gaudens, cant. de Salies?) '\
En Miraval. — Dans tout ce qui a été dit sur la date de
l'activité poétique de Miraval, rien n'est contraire à la men-
tion d'Elias, attestant que ce troubadour était déjà célèbre
vers 1190'.
vv. 18, 75, 85 et razo ; cf. Stim.», p. 268; 80, 34, v. 36, el ibid., p. 287 ; 80,
37, V. 53 et razo ; 80, 39, v. 41 ; 80, 44, v. 10 et razo\ cf. Thomas, pp. 7-8.
1. H. Springer, Klagelied, pp.*34 et 65.
2. 80, 21, V. 18 [Quatre vescomtat de Limozi), cf. razo et Stimming',
n., p. 267; 80, 33, v. 1; cf. ibid., n., p. 284.
3. Chabaneau, Biographies, art. Eble.
4. N. 1501, p. 198, cf. Table.
5. Hist. gén. de Lang., X, 18.
6. Ibid.,X, Preuves, 1610.
7. P. Andraud {La vie et l'œuvre du tr. R. de M., 1902, pp. 23 et 31)
renferme sa vie approximativement entre 1135 et 1216, bien que toutes
ses pii''ces soient des dernières années du xip siècle ou bien des pre-
mières du xiii" ; Salverda de Gvaye (Annales du Midi, XV, 75) ne croit
pas à la date de naissance 1135 pour ne pas être obligé d'admettre que ce
56 STANISLAS STRONSKI.
En Bertran est Bertran de Born, auquel Elias a emprunté
l'idée de sa pièce. On l'a dit déjà plusieurs fois'.
^^^^s Ca5/e//a5.— Il faut rectifier une notice de M. O. Schultz-
Gora, qui a rapproché ce passage de deux autres et proposé
d'introduire dans la liste des troubadours un « Castellan »2
Dans le premier texte cité par M. Schultz, celui de ^? (Rai-
mon Vidal, So fo), la cobla qui est attribuée à un « castel-
lan » est précédée de deux vers qui écartent l'interprétation
de M. Schultz : com dis .1. castelas, Mas no sabria so nom
dir (voy. Mahu, Ged., II, 29); nous n'aurions à choisir
qu'entre « châtelain » et « Castillan», si la question n'était
déjà tranchée en faveur du dernier sens par la publication
des autres mss., dont il résulte que celte cobla fut citée par
Raimon Vidal en espagnol^. Le second texte est la pièce
10, 50d'Aimeric de Pegulhan, où on lit (envoi) : Bel Castelas
qe s vostre prez non tolh De meillurar quoi val pro mais
qe fier; il est probable que ce « Bel Castelas » est un senhal
de la dame chantée, puisque cette chanson, purement amou-
reuse, n'en contient aucune autre mention. Mais peut-être
quelques-uns voudront-ils invoquer à ce propos les relations
connues d'Aimeric dé Peguilhan avec la Castille et sa cour.
Pour notre passage, on ne saurait rien proposer de sûr*.
S. Stronski.
serait surtout à partir de l'âge de soixante ans que Miraval aurait pris
une part active à des intrigues amoureuses; A. Jeanroy (Romania,
XXXI 1, lo^i) propose de ne pas identifier lo troubadour avec le Raimon
de Miraval d'un acte de 1157.
1. Rochegude, Paru. Oec.,99; Stimming, B. de B^.; Chabaneau,
Biogr., art. B. de B., razo 2, note 4; Thomas, B. de B., 110.
2. Zeit. f. royn. Plul., X, 592.
. ;j. Max Oornicelius, So fo... Berlin, 188S, p. 29; cf. Groeber. Rom. Stiid.,
11,038: « Castellan, un... »
4. Voy. notre éd. d'Elias, p. 150. 11 no s'agit pas d'un nom de famille
comme « Uandon » ou bien « Miraval ». On ne saurait penser à la mai-
son provençoli- de Castollanc, une des plus puissantes des xii" et xiu" siè-
cles, car son nom on provençal était « de Castoilana », lat. « Petra (Jas-
tollana ». (Voy. Le P. i.auronsi, Histoire de Castella?7e, 2' édit., Castel-
huie, IH'.lH, pp. 09 ss., spéc, pp. 81-5; cf. Gras-Bourget, A?itiquités de
l'arr. de (UistelUnie, Digne, 1842, p. 11.)
iVIKI.ÂNGES ET DOCUMENTS
LES LKTTRES DE CHARLES VII ET DE LOLMS XI AUX ARCHIVES
MUNICIPALES DE BARCELONE.
Le premier érudit qui ait songé à rechercher, pour les pu-
blier, des lettres de rois de France dans les collections des
Carias Reaies, aux archives municipales de Barcelone, fut
M. Félix Pasquier, alors archiviste de l'Ariège, actuellement
archiviste de la Haute-Garonne. Il publia, en effet, à Foix,
en 1895, une plaquette^ contenant sept lettres inédites de
Louis XI découvertes par lui parmi les Carias Reaies de
1461 à 1473. Cette publication est en général très correcte et
de nature à faire honneur à M. Pasquier^. Mais, en raison
1. Lettres de Louis XI relatives à sa politique en Catalogne de 1461
à 1473. Foix, imprimerie veuve Pomiès, 1895, in-S» de 39 pages. Dans
son introduction, M. Pasquier rend hommage à D. Manuel de Bofarull,
archiviste de la couronne d'Aragon, qui l'a aidé et guidé dans ses recher-
ches.
2. Je dois faire remarquer cependant que quelques légères inexactitudes
de graphies se sont glissées dans la copie de ces lettres, notamment dans
la copie de la lettre X, au comte de Caudale (K. Pasquier, loc. cit., p. 35).
De plus, je relève dans cette même lettre une omission qui change le
sens d'une phrase. Entre les lignes 13 et 14 de l'édition, il faut lire:
Catheloigne qui est joignant et contigue de nostre pays de Pour la
lettre IX, au Sage Conseil de la ville de Barcelone, M. Pasquierhésite, en
58 ANNALES DU MIDI.
d'erreurs de classement, trois autres lettres appartenant à la
même période échappèrent à ses regards; elles ont ele [)!ibliées
depuis'.
Enfin, grâce à un dépouillement complet des Carias Reaies
depuis le premier portefeuille de la série jusqu'à la lin du
XV® siècle, j'ai retrouvé en dernier lieu, et tout récemment,
les documents qui font l'objet de la présente publication.
Outre une nouvelle letlre de Louis XI dauphin, écrite le
31 mars 1447, elle met au jour plusieurs missives de Char-
les VIP, dont la politique en Catalogne ne fut jamais, il est
ce qui touche le quantième, entre les deux lectures IX et XIX : or, véri-
fication faite, je ne crois pas douteux que la bonne leçon ne soit XIX,
contrairement à ses préférences. Enfin, il n'est pas inutile de faire obser-
ver que, dans trois cas, un millésime erroné a été adopté : le n° VI est de
1462 nouveau style et non de 1463 ; le n» VIII est de 1463 et non de 1464 ;
le n» IX est de 1464 nouveau style et non de 1465. Ces erreurs provien-
nent d'une inadvertance. L'éditeur a fait une réduction fautive, parce
qu'il n'a pas tenu compte du style de Noël, usité en Catalogne, et dont
les dates ont été traitées par lui comme s'il s'agissait du style de Pâques,
usité en France. (Voir, sur ce point précis, mon livre intitulé Louis XI,
Jean II et la Révolution catalane, p. 232, note 1.)
1. En voici l'énumération, avec les références correspondantes : 1" Le
Crotoy, 14 décembre 1163, au Sage Conseil de Barcelone (J. Calmette,
Louis XI, Jean II et la Révolution catalane, p. 232) ; 2» .Sans date (oc-
tobre 1466), au Sage Conseil de Barcelone {ibid., p. 272); 3» Moniils-les-
Tours, 12 mars 1472, à René d'Anjou [ibid., p. 327). Seule, cette dernière
est représentée par une copie ; pour les deux autres, nous avons l'origi-
nal. Il convient d'ajouter à cette liste un mandement au comte de Com-
mingps (Mesley, 8 août 1463), dont il ne subsiste qu'une traduction en
catalan {ibid., p. 215, note).
2. De la lettre V, il existe aux archives de Barcelone, outre l'original
publié ci-dessous à son rang, une traduction catalane classée par erreur
à l'année 1459 (Carias Reaies, 1455-1462, f" 155). La même erreur de clas-
sement a été commise h'ftî'rf., f" ],")3) pour une copie de la réponse de la
reine Marie d'Aragon à Charles VII, document qui semble bien d'ailleurs
se rapporter à la même démarche. Cette lettre, qui n'est pas datée, est
ainsi conçue : « Uona Maria, etc. Al molt ait e molt excellent princep don
Karles per la gracia de Deu rey de Ffrança, nostre molt car e molt amat
cosi, sainte creximent de honor. Molt ait e molt excellent princep, nostre
molt car e molt amat cosi, vostra letra havem rebuda per la recomen-
dacio de les galees de vostre argenter e altres fustes, mercaders e merca-
derics de vostres vassals, a laquai vos responem que nos sempre havem
haut e haurem de bona vohintat en rccomendacio e havem tractât e
tractarom favorablement les dites galees et altres fustes et los mercaders
vostres vassals c les mercaderies de aquelles, axi com si eren coses del
dit illustrissimo senyor le senyor rey, raarit e senyor nostre molt car, car
MELANGES ET DOCUMENTS. 59
vrai, particulièrement active, mais dont il est précieux aussi
de relever les traces à divers titres et en raison surtout du rôle
assumé par son successeur.
Joseph Calmette.
I.
Charles VII au Sage Conseil de Barcelone.
Missive contenant copie d'une lettre du même à la reine d'Aragon. Tours,
9 février [14.'J9] (Arch. mun. de Barcelone, Cartas Reaies, 14UU-1411*,
orig. pareil.)
Charles, par la grâce de Dieu roy de France. Très cliiers et
bien araez. Nous escripvons présentement à nostretrés chiére et
très amée cousine la royne d'Arragon, en faveur de frère Guigue
de Veauclie, commandeur de IHospital Saint- Antoine, en la cité
de Barselonne, en la forme qui s'ensuit :
A très liaulte et puissant princesse Marie par la grâce de Dieu
royne d'Arragon, nostre très chiére et très amé ^ cousine
Charles, par icelle raesme grâce roy de France, salut et très
entière dilection.
Très chiére et très amé cousine. Frère Guigue de Veauche,
natif de nostre royaume, commandeur de THospital Saint- An-
toine de vostre cité de Barselonne, nous a donné a entendre que,
jaçoit ce que le dit bénéfice et commanderie lui ait esté bien et
justement conféré, lui corapète et appartiengne et en ait ja
par long temps joy, que, à l'occasion de certaine ordonnance,
que dit avoir esté faicte de nouvel en voz pays et seigneuries,
que doresenavant aucun n'y pourra tenir ne avoir bénéfice s'il
n'en est natif, laquelle ordonnance a esté faicte, comme l'en dit,
à l'occasion de certaine course que l'en dit avoir esté faicte par
aucuns de noz gens de guerre en aucunes parties de voz pays,
laquelle, se faicte a esté, a esté à nostre desceu et grand deplai-
sance, ledit frère Guigue double que, pour ce qu'il est natif de
nostre dit royaume, que on luy vueille mectre ou donner aucun
som certa aquesta es sa voluntat, e confiam vos fareu semblant en los
vassals del dit senyor. E sia, molt ait e molt excellent princep, nostre
molt car e molt amat cosi, en vostra guarda et protecio la Santa Trinitat.
Data...)).
1. Le portefeuille n'est point folioté.
2. Sic.
60 ANNALES DU MIDI.
empeschement en son dit bénéfice, et l'en debouterpar ce moyen.
Si vous prions, très chiére et très amée cousine, que ledit frère
Guigue vous veuillez, en faveur et contemplacion de nous, avoir
espécialement recommandé et lui laissez tenir et posséder son
dit bénéfice, tout ainsi qu'il a faitjusques a présent et paravant
ladite ordonnance faicte, ainsi que souffrons ceulx de voz pays,
lesquelz souffrons paisiblement en noz royaume et seigneurie,
et vous nous ferez tiés agréable plaisir Nous prions Dieu qu'il
vous ait en sa saincte garde. Escrit a Tours le ix^ jour de fé-
vrier.
Si vous prions très acertes que, envers nostre dite cousine
veuillez tellement faire et vous emploier, que ledit frère Guigue
n'ait en sa dite commanderie aucun destourbier ou empesche-
ment, soubz umbre de la dite ordonnance ou autrement, et
qu'il puisse joir entièrement des fruits dicelle, ainsi que font en
nostre royaume ceulx qui sont des pays de nostre dite cousine.
Et, en ce faisant, vous nous ferez plaisir. Donné à Tours le neu-
tiesme jour de février,
Charles.
N. PiCH (paraphe).
{Au dos) : A nos très chiers et très amès les conseillers de Bar-
celonne'.
II.
Charles VII au Sage Conseil de Barcelone.
.Saiiit-Priest, 19 murs [1445] ' (Arcii. muii. do Barcelone, Cartas Reaies,
U11-U51. f« 92, orig. pareil.)
Charles, par la grâce de Dieu roy de France. Très chiers et
très amés...3 le contenu d'icelles et aussi avons oy maistre Pierre
Belaguier, secrétaire de très hault et très puissant prince nos-
tre... d'Arragon, envolé devers nous par très haut et très puis-
sant prince nostre très chier et très araé cousin le roy de Na-
varre...^ voz lettres et aussi par la créance dudit maistre Pierre
1. On lil('K.ili'!noiUau dos : R. a vi. do nian; any MCCCCXXXVIIII.
2. Du moins la pièce est classée parmi colles qui partent ce millésime.
3. Le parcheiniu est troué en plusieurs endroits. Je représente les
parties enlevées par des points.
4. Jean, plus tard roi d'Aragon.
MELANGES ET DOCUMENTS. 61
Bala^uier, vous requérez que vous vueillons donner et octroyer...
mille sextiers de fronaent pour la provision de ladite cité de Bar-
salonne, laquelle, ainsi que nous escrivez., est pour le présent...
habitée et y afflue grant multitude de peuple, tant par mer que
par terre. Et combien que vous ayons en bonne et singulière
recommandation, toutes voyes, pour ce que nous avons esté ad-
vertiz que, en nostre dit pais de Languedoc, a stérilité de blez
l'année présente, ne vous pouvons pour le présent faire res-
ponse asseurée a vostre dite lequeste, mais nous avons ordon-
nez noz amez et feaulx conseillers Tanguy du Chastel, chevalier,
nostre conseiller et chambellan, Jean de Jambes, aussi chevalier,
sire de Montsoreau, premier maistre de nostre hostel, maistre
Pierre de Reffuge et Jean Hébert, generaulx conseillers sur le
fait de noz finances, aler en nostre dit pays de Languedoc pour
estre et assister de par nous a l'assamblée des gens des trois
Estas dudit pais, que faisions assembler pour aucunes nos af-
faires, lesquelz partent présentement, et leur avons chargé eulx
informer sur ceste matière, et se en nostre dit pais de Langue-
doc a habondance ou faulte de blez, et pouvez envoyer devers
eulx, et ilz vous y donneront la meilleure provision que bonne-
ment faire se pourra. Donné a Saiut-Priet en Daulphiné, le
XlXe jour de marc.
Charles.
De la Loere.
{Au dos) : A noz très chiers et grans amis les conseillers de la
cité de Barsalonne.
IIL
Charles VU au Sage Conseil de Barcelone.
Montils-los-Toiirs, 12 mars [1447] (Arch. inun. de Barcelone, Cffr^a5
Reaies, 1447, f» 151, orig. parch.)
Charles, par la grâce de Dieu roy de France. Très chiers et
bien amez. Nostre très chiére et très amée compaigne la royne
nous a fait remonstrer que, puis aucun temps ença, elle a en-
voyé aucuns de ses serviteurs par devers très haulte et puis-
sante princesse, nostre très chière et très amée cousine la royne
d'Arragon. pour lui remonstrer les droiz et places, terres et sei-
gneuries de Concentane. Borgia et Magailhon, ei aussi lui requé-
rir paiement de la somme de cent mille florins d'or restans à
62 annai.es du midi.
paier de cent soixante mil florins du dot de feue la royne Yoland
de Cécile, que Dieu absoille, raére de nostre dite compaigne, et
pour ce que nostre dite compaigne ne peut dés lors avoir res-
ponse ne expedicion, elle renvoyé présentement, par devers
nostre dite cousine la royne d'Arragon et par devers très liault
et très puissant prince nostre très chier et très amè cousin le
roy d'Arragon, nostre araé et féal conseiller et raaistre de nostre
hostel Regnault Girard, chevalier, et nos bien amez Brunet de
Longchamp, escuier, nostre escliançon, maistre Jean de Vaulx,
nostre juge de Montpellier, et Estienne de Vernois, son argen-
tier', instruiz des droiz de nostre dite compaigne, en entencion
d'avoir sur ce finale conclusion. Et vous prions, tant acertes que
pouvons, que, en faveur de nous et de nostre dite compaigne,
vueillez pourchacer et faire de vostre part, envers nostre dite
cousine d'Arragon et nostre dit cousin de Navarre, que les places
et sommes dessusdites soient délivrées et paiées a ses diz amba-
xadeurs, eticeulx benignement oys, et faire par manière qu'ils
ayen^ bonne et briefve expedicion. Et vous nous ferez bien
grand plaisir. Donné aux Montils, prés de nostre ville de Tours,
le XII« jour de mars.
Charles.
De la Loere.
{Au dos) : A nos très chiers et bien amez les conseillers de la
cité de Barcelonne '.
1. C'est-à-dire argentier de la reine de France. Celle-ci a écrit également
au Sage Conseil une lettre, en date du 13, conçue dans des termes ana-
logues à ceux de la lettre de Charles VII (ihid., i° 152).
2. Hic.
3. On lit en outre au dos : R. al rey Charles de Franra a XV. de iiiaig,
any MCCCC.XLVII. — .J'ai exi)Osé la négociation à laquelle se rapporte
cette missive dans un article iulitulé; Un épisode de l'histoire du lîous-
sillon au temps de Charles Vil, paru en 1900, dans la Revue d'histoire
et d'archéologie du Roussillo», t. I, p. 7 et suiv. Outre la lettre de Char-
les VU transcrite ici même et la lettre de Marie de France citée à la note
précédente, j'ai retrouvé, depuis la publication de cet article, la réponse,
soigneusement évasive, de Marie d'Aragon. Cette réponse, en date du
y juin 1417, figure en original dans un manuscrit du fonds Libri (Bibî.
nat., Nouv. acq. franc. l.")177, f" 1). En 1451, la cour de France renouvela,
sans plus de succès d'ailleurs, les mêmes revendications. (Arch. nat..
J. 917, n» 1). Quant à l'ambassade de 1417, elle était arrivée à Barcelone le
11 mai pour en repartir le 11 juin {Dietari del conseil barceloni. t. II,
p. 1«). [.es trois villes réchunécs jiar Charles VII, Concentania, Borja et
Magailon, sont aujourd'hui comprises, la première dans la province d'Ali-
cante et les deux deruières dans la province de Saragosse.
MÉLANGES ET DOCUMENTS. 63
IV.
Le dauphin Louis [Xl\ au Sage Conseil de Barcelone.
Koiiians, 31 mars [1447]. (Arch. mun. de Barcelone. Carias Reaies,
1441-1457, f° 148, orig. papier.)
Loys ainsné fils du roy de France, daulphin de Viennoys. Très
chiers et bien amez. Puis aucun temps ença, nostre très re-
doubtée dame et mère a envoyée devers très haulte et très
puissant princesse nostre 1res chiére et très amée cousine la
royne d'Arragon' aucuns de ses serviteurs et officiers pour recou-
vrer certaines terres, seigneuries et paiement de certaines som-
mes de deniers qui iuy appartiennent es roiaumes d'Arragon,
Valence, Cathaloigne et autres seigneuries de très hault et puis-
sant prince nostre très chier et très araé cousin le roy d'Arra-
gon2, tant par droit de succession que a cause de certain trans-
port a elle fait par feue nostre très chiére mère et ayeule Yolant,
royne de Secile, sa mère, que Dieu assoille, et pour ce que lors
nostre dite cousine ne peut faire response final auz serviteurs de
nostre dame et mère, et, pour abregier la chose, elle a envoyé
devers nostre dit cousin, lequel, comme avons sceu, a escript a
nostre dite cousine et aussi a très haut et puissant prince nostre
très chier et très amé cousin le roy de Navarre ^ son frère et
lieutenant*, que les dites terres, seigneuries et sommes de
deniers ils fassent délivrer a nostre dite dame et mère, pour
laquelle cause elle renvoie présentement par devers nostre dite
cousine et cousin de Navarre ses ambassadeurs et serviteurs,
officiers de monseigneur et d'elle, instruiz de ses dits droiz, en
intencion d'avoir sur ce final conclusion, et délivrer ses dites
seigneuries et sommes de deniers, comme raison est, et qu'ilz
aient regard a ce que, de la part de nostre dite mère et ayeule,
nostre dite dame et mère est yssue de l'ostel d'Arragon : vous
savez que son fait est le nostre et nous touche comme a elle, et
1. La reine Marie.
2. Alphonse V le Magnanime, roi d'Aragon et des Deiix-Siciles.
-3. .Jean, plus tard successeur d'Alphonse sur le trône d'Aragon.
4. Aliihonse Y. qui vivait en Italie, avait confié le gouvernement de ses
Etats patrimoniaux à sa femme et à son frère,
64 ANNALES DU MIDI.
que par droite succession la chose nous doit appartenir après
son trespas. Pourquoy nous vous prions tant acertes que plus
pouons que, en faveur de nous, vueillez pourchassier de vostre
part, envers nostre dite cousine d'Arragon et nostre dit cousin
de Navarre, que les places et sommes de deniers dessus dites
soient deslivrées et paiées aux ambassadeurs de nostre dite dame
et raére. eticeulx benignement oys, et faire par manière qu'ilz
aient bonne et bresve expedicion. Et vous nous ferez très grant
et agréable plaisir. Très chiers et bien araez, Nostre Seigneur
soit garde de vous. Escript à Romans, le dernier jour do mars.
LOYS.
BOCHETEL.
{au dos :) A nos très chiers et bien amez les conseillers de Bar-
selonne.
V.
Charles Vil au Sage Conseil de Barcelone et aux députés .
Villedien, 17 octobre 14r)l (Arcli. mun. de Barcelone, Carias Reaies,
1441-1454, f" 282, orig. parch.).
Charles, par la grâce de Dieu roy de France. Chiers et grans
amis. Nous vous avons par plusieurs fois escript en faveur de
nostre amé et féal conseiller et argentier Jacques Cuer. touchant
ce que le dit Jacques Cuer avoit rendue sa personne en arrest
devers nous et tous ses biens en nostres mains, jusques a ce
qu'il fust justifié d'aucunes choses, dont aucuns le vouloient char-
gier a son deshonneur', vous priant que les galées et autres
fustes de France, ou nostre dit argentier et plusieurs autres no-
tables marchans de nostr.3 royaume ont leurs biens, deniers et
marchnndiscs, voulsissiez ensemble les patrons, marchans et au-
tres gens estans en icelles. avec leur robe, deniers et marchan-
dises, traicter et faire traicier le plus favorablement et aima-
blement que pourriez : lesquelles choses contons* fermement
que vous avez fait et soyez toujours en voulenlé de faire pour
amour et contemplacion de nous. Toutesfoiz. il a esté rapporté
1. Passage intéressant en ce qui concerne Jacques Cœur.
2. Ms.: Cotons.
MÉLANGES ET DOCUMENTS. 65
par deçà que aucuns, estans sur la mer es marches de par delà,
se sont esforcez et veulent esforcer déporter dommaigeaus dites
galées et fusles. Et pour ce que, comme avons escript, nous
avons grant désir et affection a l'entretenement des dites galées
et au fait do la marchandise qui se conduit par le moien d'icel-
les, et que l'empeschement qui leur pourroit estre donné seroit
grant domraaige à la chose publique et la destruction de notre
dit argentier et de plusieurs autres marchons de nostre dit
royaume et a nous très grant despiaisir; nous vous prions et re-
quérons de rechief, le plus affectueusement que pouons, que les
dites galées et fusles, e/iserable lesdits deniers et marchandises
et autres gens estans en icelles, veuillez traicter et faire traic-
ter en toute amitié et faveur et ne souftVir faire a eulx ni a leurs
dits deniers et marchandises aucun erapeschemenl ou destour-
bier en corps ne en biens, en aucune manière; mais s'aucune
chose leur esioit faicte au contraire, la vueillez faire reparer et
raectre a plaine délivrance, en leur donnant tout confort et aide,
ainsi que vouldriez que feissions pour les vostres en cas sembla-
ble et greigneur. Et vous nous ferez très agréable et singulier
plaisir. Donné à Villedieu le dix septiesme jour d'octobre.
Charles
De la Loere.
{au dos:) A nos obiers et grans amis les conseillers et députés
de la cité de Barcelone'.
II
UN CONTRAT DE MARIAGE GASCON DU XV» SIECLE.
L'acte que nous reproduisons plus loin est conservé, sous le
numéro 14526, dans les Archives du Grand Séminaire d'Auch
où nous avons pu en prendre copie grâce à l'obligeance de
M. Lalagùe. Il est rédigé sur un assez grand |)archemin, me-
surant 67 centimètres de haut sur 42 de large. L'écriture,
posée et régulière, est de l'époque. A partir de la ligne 62,
1. En outre, le veiso porte cette mention ; R. al senyor rey de França a
XIII de noembre del any RI.CCCCLI, sobre les fustes del argenter.
ANNALES DU MIDI. — XIX- y
66 ANNALES DD MIDI.
l'encre change, ainsi que l'écriture qui devient plus cursive ;
ce fait justifie ce qui est expliqué à la ligne 63 touchant la con-
fection (le la charte.
L'objet de l'acte est le contrat de mariage de noble Bertrand
de Navailles, seigneur de la Mothe-Pouilhon, avec demoiselle
Agnete de Navailles, fille de dame Marguerite de Ciderac et
sœur de noble Roger de Navailles, seigneur de Sales (6 octo-
bre, 1445).
A la suite de cet acte s'en trouve un second, qui compte dix-
sept lignes, émane du même notaire, et présente un change-
ment d'écriture identique à celui que nous signalons ci-dessus.
Il est daté de « Castanhons » (Castagnos, canton d'Amou),
7 octobre de la même année, c'est-à-dire le lendemain du jour
où fut signé le contrat. Il relate le transport de Bertrand de
Navailles audit lieu de Castagnos, pour y aviser tous les fiva-
tiers absents la veille, des conditions du contrat et recevoir
leur serment. Nous jugeons superflu de reproduire cette courte
pièce.
Ce qui fait l'intérêt de la charte que nous donnons, c'est
avant tout qu'elle offre un spécimen de la langue des actes
notariés du xV siècle dans la Chalosse méridionale. L'on
n'a publié que fort peu de documents chalossais en gascon.
L'on nous saura sans doute gré de présenter celui-ci ^
En voici un bref résumé : 1. 1-6 : Énonciation du mariage.
— 6-14 : dot à Agnete de Navailles; mode et termes du paie-
ment. — 15-31 : Cens et censitaires qui en seront la garantie.
— 31-40 : Retour de dot; gages qu'en donne l'époux. —
40-51 : Formules, déclarations et serments affirmant la soli-
dité de ces conventions. — 51-60 : Les fivatiers présents
jurent fidélité à leurs nouveaux seigneurs. — 60-4 : Date.
Georges Mii.lardet.
1. Les iUaliques représentent les abréviations résolues. Nous mettons
entre crochets [] les lettres que nois avons ju^^é indispensable de sup-
pléer, mais qu'aucune abréviation n'autorise paléoyraphiquenient à intro-
duire.
MÉLANGES ET DOCUMENTS. &t
[I] In nomine domini Amen. Conegude cause sie que, en
pre^enci de rai woiari et deus testimonis ius scriutz, per lo
meyan, intercession et voluntat deus très nobles et po-[21deros
senhov et done, Moss. lo viscompte de Carmalh et de Madone
Ysabe de Fuix sa molher senhor et done de Nabalhes, es stat trac-
tât, aiustat et acordat matrimoni enter los nobles Madone Mar-
garide de Ciderac, done [3] de Sales et de Frontuy et Rotger de
Nabalhes son flili senhov de Sales et de Frontuy de une part, et lo
noble hondrat escuder Bertran de Nabalhes. senhor de la Mote
de Polhon, d-Arricau, et de Feugars, en sa partide [4] d'aute.
So es a-ssauer : que losd. Madone Margaride et lod. Rotger son
tilli, de lor bon grat, an dade et autreyade Agnete de Nabalhes,
fllhe de lad. Madone, sor deud. Rotger, per molher et per spose,
a le ley [5] de Diu et de Rome, aixi cum Sancte Gli^e vol et
raane, aud. Bertran de Nabalhes, senhor que dessw*. Et lod. Ber-
tran de Nabalhes, senhor desus dit, de son bon grat se es dat' et
autreyat per marit et per spos, a la ley de ['ij Diu et de Rome, si
cum Sancte Glise bou et mane, a lad. Agnete de Nabalhes. Et
suber lo oontreyt deud matrimoni, et per que aquet plus gracio-
sementz et amoroseme^ztz se ensegui, los suberd?7.3r raay et fllh
done [7] et senhor que dessus, que an promes et prometen, dar
et pagar en dot, et per nom de dot de maridatge de lad. Agnete,
molhe?' deud «7 Bertran de Nabalhes, senhor susd., la some de
sept centz franx bordales. [8j Et le quoau some de .\ii.c. franx
pi'ometon et prometen losdiitz Madone Margaride. et Rotger son
fllh, senhor que dessM5. portar et pagar audi/ Bertr.in de Na-
balhes, senhor prédit, et a-ssons hertz, ordenh et successors, [9]
per aques termis qui-s seguen : so es a-ssaber, dus centz franx
la 2 que audiran misse nuptiau, et, per cascun an après, de an
en an annuaument et continuademen^ seguent, cent franx, tant
entrou que [10] tote led. some de .vu. c. franx sie pagade. Et,
— pagatz que seran losd. .u.c. franx deu prnmer paguement, —
fo accordât, enter lesd. partides, sus los scincq centz restanti!
de qui ansditz .vii.c. franx bordales, [H] so es a-ssaber : que,
per lo deflfalime^t de cascun paguement deus scinq centz
franco; los suberd. raay et fllh, de lor bon grat et unide volun-
tat, per lor, lors hertz et successortz, an dat et assignat ausd.
1. Charte : es se dat..
2. = lors que.
68 ANNALES DD MIDI.
Bertran [12] et Agnete, marit et mo\\\er, ei a lors hertz, ordenh et
successors, per cascun deusd. pajîuemé'wiz annuaus defalheniz,
scinq franca? bordales de prjmfflu, per cascun, et per tusteraps
mes, per lod. senhor de la Mote, son hertz, [13] e< successortz de
luy, et de led. Agnete descendentz, recebedors et culhidors, a la
valor et raontanse de vint el sincq franco; bordales de prj'ras
fius per totz losd. scinq paguemewtz, et tant entrou que seren
fl4j pagatz pe?' lod. senhor de Sales o sons hertz et successors de
tote led. some de .v. c. francx. Et, per losquoaus scinq franx de
ipnm flu per lo deiïalhiment de cascun paguement annuaus, et
per ios .XXV. f. per totz losd. [13] paguementz si feytz no eren,
cum diit es, et per tote led. some, expressément Ios an mes en
lorpoder, tiense et sasine, so es assauer : Ios homis, caps-casaus,
flus et fluaters seguentz , losquoaus dixon que edz [16] aben,
et lors ancestres senhovs de Sales, et aben tengut et possedit, en
la parropie de Castenhos', so es a-ssauer : lo casau de Gassie de
la Cau, lo casau de lohan deu Besii, lo casau de Bidau d- Arrat,
lo casau de [17] Avnauton d- Aret-Iusan, lo casau de Per Arnaud
deFortan, lo casau de 1 Estele, lo casau de Per Arnaud de Ca-
saubon, lo casau de Lobainho, lo casau de Clauset, lo casau de
Buse, lo casau de Benga, lo casau de Sansoo, [18], lo casau de
Passicoset, lo casau de Passicot, lo casau de Camp perer, totz
losd. homis, casaus et flus d-aqueiz, tant que monten losd.
.XXV. franx et lad. some, ab tote la senhorie, dretz, et deuertz
que [19] aueu. Et suber aquetz losd. Madone Margaride et Rot-
ger son filh senhov de Sales, per lor, lors hertz et successors,
ares per lasuetz, et lasuetz per ares, despuys lo comensement
deu termi prumer per pagar losd. v. c. [^0] franx bordales en
abant, s-en son desbestitz et despartitz deu tôt et an ne ma«gs-
vestitz, sasitz, posseditz et metutz et pausatz en lor loc et cum
a berays senhor et donc, losd. Bertran de Nabalhes et Agnete sa
[21] molher e^ lors hertz, ordenh et successors, per ne far et dis-
pausar et usar cum de lor propri cause, et aixi cum hom pot et
deu far et usar de homis subgetz et fiuaus, balhatz suber co?2treyt
de matr^'raon^ et per [ti] some dotau, e schetz que arres qu-en
prenquen no sie condat per usure, ni per arnau, ni en solution
0 deduct/on de pague ni diminution de led. some de scincq centz
franco; bordales, mas ac tenguen, [23] possedesquen franque-
i. Casta^Tios-Souylens, canton d'Aniou Landes).
MÉLANGES ET DOCUMENTS. C9
ment, cum per cause dotau assignade cum diit es. Et an promes
et antreyat losd. Madone de Sales et Rotger senhov de Sales, son
fllh, lad. donation et assignation aixi per lor feyt[e] thier bone,
(^24| ferme, estable, de lor médis, de lors hertz, snccessors et de
toî.es antes pe?'Sones deu mon, qui, pe?' norae de lor, question,
perturbat?on, impediment los y fesse, dar, far, o meter volos o
podosse en augune muneyre. [25] Et, en lo cars • que per lor, o
augun aute en nome de lor. ne ère feyte demande ni question,
volon, aut'-eyan losd. may et fllh, senhors de Sales 2, que fosse
nulhee?^ de nulhe valor, are pe/- lasuetz, et lasuetz per are, et no
ne [2G] fossen auditz ni escotatz en res, abantz, cum dessus es
diit, cum p^^r cause dotau et per amor flliau et fraternau, que en
vert lad. Agnet.e valos et tengos. Et, per aixi. ne los prometon
far et portar bone, ferme garen-[27j-thie, atau garentbie cmn
hom deu et es tengut de far et portar de tau donation et assigna-
^eon feyte suber co^treyt de matrmiowi. Et plus, suber lod. con-
treyt de matreraoni, fo arcordat enter lesd. partides so [28] es
a-ssaber : que si lod. senhor de Sales o sons hertz successors
balheuen et pagueben aud. senhov de la Mote biu estan, — o
a-ssons hertz, successors après la fin, — led. some de scincq centz
franx bordales en ung pague-J29j ment, o en tant cum dessus
son noraiatz, que, — feytz los paguementz de tote lad. some, —
lod. senhov de la Mote et sons hertz successors relaxin et tornin
'osd. horais et fluaters aud. hostau et senhorie de Sales, tôt aixi
que de [30] lor los an reeebutz ; totes betz, cum diit es, que los
flus et autres debers qui seren reeebutz, de qui lad. some sere
pagade, no fosse ni podosse esser domandade audi< senhov de la
Mote, ni a-ssons hertz et successors, ni condat en [31] solution de
pague, de to^ ni de partide. Et aixi medw, si ère cause que des-
biencosse deud. matrtmoni schetz heret —, so que no fera', si
Dius platz —, en aquet cas, losd. homis et fluaters tornassen
aud. senhov et hostau [32] de Sales. Et, si cas ère que lod. senhor
de Sales 0 sons successors pagassen lad. some de .v. c. franx
bordales, et, erapres aquetz pagatz, desbie deud. matrimoni
schetz heret de lor descendut et engendrât, lod. senhov de 133] la
Mote, de son Ijon grat, en quet cas assigne, obligue yppotheca
per ferm, exprès obliguement et assignation de torn de dot de
1. Graphie =: caas.
2. Les trois mots suivants sur un grattage.
3. {Sic) sur grattage.
70 ANNALES DU MIDI.
maritlatge, a lad. Agncte sa molher, — o Rudit Rotger senhor de
Sales, son fray, si ère [34^ no ère, o adaquet. o ad aquere a qui
lod. dot et some de .vu. c. franx de maridatge deure tornar et
estader. — suber tôt aquet hostan cauererie' et affar de la Mote
de Pollîon, hostaus, teres Ireytes et 2 a trer, molins |3oJ. raoliars,
flus, rendes, beys causes ons que ssien,en tau Cormo, mwneyre et
condition que lad. Agnete, — 0 lod. Rotger son fray, si ore no
ère, o aquet, 0 aquere a qui led. some deud. dot deure tornar et
estader, — an ten-[36] gossen. possedissen bonemewt et pasible-
ment, cum for et costume es de maridatge en la biele d-Acqx,
ans f rs et costumes d-Acqx. Empero fo arcordat enter lesd.
partides que, — pagan et tornan led. some de dot de [37] mari-
datge. per los termis et paguementz ai\i que aud. senhov de la
Mote seren statz feytz, après que d sbingut sie deud. matri-
moni —, que lod. hostau, teres, molins flus. rendes, beys, causes
deud. senhov de la Mote fossen qw/ttis. [38]. Et, en lo cas que
hom no pagasse et tornasse lad. some de torn de dot de mari-
datge en los terrais susd., que led. Agnete. — o lod. Rotger son
fray, si ère no cre. 0 a-jMe/, 0 aquere a qui lod. dot de maridatge
deu [39] retornar et estader —, agossen, tengossen et possedis-
sen lauanidit hostau, cabarerie, teres, molins, rendes, beys,
cause* deud. senhov de la Mote ab totz sons dretz et deuertz et ab
totes sas aperthienses bonementz et passblementz, [40] cum per
cause dotau, sclietz perde ténor, cum for et costume es de mari-
datge en la biele d-Acqx. Asso et totes et sengles les causes
susd. an manat, promes, autreiat et obligat lesd. p;irtides, cas-
cune endret si, tenir [41] et complir. en obligation de totz et
sencles lors beys et causes raobles et no moldes, pre^eus et abie-
dors, ons que ssien, per totz locx et per tote* senhovies. et
volentz essev destretz, compellitz et penheratz en totz et sencles
lors beys et cause*, [42] per thenir et far tenir tote* et sencles las
causes en la présent carte contengudes et expressades, ab totz
et sengles senhors et iudyos, temporaus et de glisi, la une
senhov\Q no ce.ssan ni demoran per 1-autre, per totz locx et per
totes sen/tories [43] ons lesd. parthides ne seren clamantz o ren-
curantz, o cascune de lor per si, aixi cura per cause conegude,
degude, iudyade, et en raang de senhor fermade, schetz tôt senhor
1. {Sir) cf. ligne ;W.
W. Sur grattngc.
MELANGES ET DOCUMENTS. 71
reclam[ar] ', renunciawt a totz fors, costumes, stab-[441-liraentz,
priuiletgi3S, franquesses et usatges de locxs et de teres, feytz o
affar, autreiatz o a-d-autreiar, a totz ...2 bic, cort. appeu,
clam, se«/iorie, pieytesie, a penhere tort[e|, a totz dies cos-
costumaus, de coselh et d-auocat, a tote domant [45] de libeu 0
d-aute petitïon en scri'ut, a toiz feriatz 0 festiuaus, a totes letres
de grâce et d-estat, erapetrades o a empetrar, au priuilegi de
crotz prese 0 a prener. et au sant passatge d-outremar et a tote*
aute^ renunciatîons. [461 enspeci'awmentz et expresse' renuncian
losd. Madone Margaride et Rotger de Nabalhes, son fllh, senhors
que dessM5. aus dretz qui disen que donateon pot estar reuocade
per ingratitut 0 imraensitat. aus dretz [47] qui disen que dona-
tion excédent .v. c. diers d-aur no bau ni thien, si no es insi-
nuade d-auant iudge, aus dretz qui aiuden aus decebutz otre la
mieytat deu iust pretz, a la condiUon per cause, [48] a la condi-
teon sclietz cause et de no dreyturer cause, aus dretz qui disen
que generau renu?îciatîon no bau ni thien, si la caw^e no es
expressade a la qt^oau hom enten renu^ciar, et a totz autre*
dretz screutz et no [49] scriutz, canonixs et ciuils, au beneflci de
diuision, a la generau costume de Gaschonhe, a lautantiqMe
pre.se«cie, a 1-autantique « hoc itaque et utroqwe », au cenat-
consul de la ley Euellian. au dret qui ditz « Rem major. [50]
pcn. », au dret qui ditz « Si qua mulier... », et a totz autre*
dretz, leys, fors, costumes, exeptions, defen^eons, cautheles,
deffuy^e*, subtilitatz, ab las qwoaus, o ab augune de las qwoaus,
podossen anar 0 hier, o far [51] anar o hier contre las cause* en
la pre*ent carte coy^'tengudes et expre*&ades. Et per mayor fer-
metat que [aye]^, juran cascune parthide de lor bon grat que
contre no yran en negune maneyre. Et aqui medix [S'a] losd.
Madone Margaride et lod. Rotger senhors de Sales, de lor bon
grat, dixon que quittaben et relaxaben del oblic et segrement et
de totes causes que lor fossen tengutz. los surno»^iatz lors [53]
homis et flbaters de Castawhons, aus qui son presens et aus abs-
centz. Et mandan aqui mede*[a] lohan deu Besin, Bidau de Aret,
Agassie de la Cau, a Per Arnaud de Forcau, a ArnaMton de Aret,
1. Usure.
2. Mot de trois lettres déchiré.
3. = spécialement et expressément.
4. Charte : adff p. ê. pron. neut. antécédent du que qui suit. Cf. lan-
dais at =z cela.
72 ANNALES DU MIDI.
paropiantz de [34] Castanhons, lors homis sosmes et fibateys
aqui presens, aixi ben aus abscentz, que de-ssi en auant recone-
gossen, los totz ensemps, et cascuw per si. per lor senhor et done
lod. Bertran de Nabalhes senhor de le Mote [55] de Polhon, et
led. Agnete sa molher, et los pagassen et responossen de totz
lors fins, ceys et rendes de qui a le montante de .xxv. franx, et
deu raan, clam, bic, cort de totz auies dretz, deuertz qui cren tew-
gutz (56] de far, ni aben acostu^nat de far, audit senhor de Sales,
dabant lo temps deu présent mairimom, dona/ion, assigna/ion
per lod. senhor de Sales et sa done may feyte*, et fessen et pres-
tassen segrement de tideutat, que [57] sosmes son tengutz de
ffar a senhor^ a 1-auantd. Bertran de Nabalhes senhor de le
Mote. El, fasen asso, losd. Madone de Sales, Rotger senhor de
Sales, son fllh, los quittaben et relaxaben lo segrement qui
1-eren [58] tengutz, et los remeten per totz temps. Encontinent
los auantd. lohan deu Besin, Vidau'de Aret, Gassie de la Cau,
Per Arnaud deu Fortan, Arnaiclon de Aret, homis et fluaters
susd., qui aqui eren pre^ens, dixon, [39) responon que edz volen
obedir aus manderaentz a lor per lod. senhor de Sales feytz, et
eren prestz et apparelhatz de receber, et recebon, en tant quant
deben, cum a lor senhor et done losd. Bertran senhor de le Mote
[60 et Agnete sa molher. Et. de totes et sangles les qwoaus cau-
ses, lesd. partides requerin sengles cartes, o tantes quantes mes-
tier ne auren ne requerin. de une ténor. Asso fo feyt a Sales
Pisoo ', lo M-e [61] iorn deu mes d'-Octobre. 1-an mil .IIII. C. XLV.
Pre^entz testimonis fon Guilhem Arnawton de Sales, bayle deud.
loc, Guilhem deu Portau, Guilhem Arn^wd deu Portau deCarmun,
iuratz de Sales, [62] et io Ard. de Cassoarames, notari, codidiutor
de Maeste lohan de Gassoaremes, notari public de Bonut^ et
per 1-octoritat imperiau, qui la présent carte retenguo et enre-
[63)-giste et per autre man serte en queste forme publique mete
la fe, et io condiutor susd. —, feyt collateon ab 1-original deud.
Maeste Jolian —, la senhe et son sen-[64]-hau costumât y pause.
(Paraphe :)
1. Siillcs|)issi\ canton d'Ortiipz (B.-Pyr.), à 5 kilomùLres de Suult-do-Na-
vaillcs. — Cf. P. Raymond, Dict. topof/r. des li.-Pyr., p. 155.
2. Bonnut, canton d'Orlliez, à (5 kiloinètrcs d'Amou. — Cf. P. Ray-
nioml, op. cit., p. :j:!. — Bonnut faisait partie de la Chalosse et delà sub-
délégatiun de Saint-Scver. — La cliarle, œuvre de notaire chalossais, et
rédigée en Chalosse, est donc un document exact sur la langue des actes
publics de ce pays.
MÉLANGES ET DOCUMENTS. 73
III
A PROPOS d'une récente EDITION DE GUILLAUME ADER
{.suite *.)
V. 2300 que deu hust ei l'eschascle est traduit : « le dernier éclat
échappé au tronc ». C'est peu exact. Ascla ou eschascla (cf. Donjat,
Lespy et usage de L. S.), c'est refendre du bois généralement en deux
morceaux, appelés asclos ou échasclos. Ici, le morceau de bois, le hust,
c'est Jupiter et les deux asclos sont : Hercules et Dardan. Ader dit par
suite, non que le Gascon est le dernier éclat du tronc Dardanus, mais
qu'il est la deuxième bùciie de refend (que Dardan, Héraclès et Jupiter
me pardonnent) de la souche Jupiter; et que la première bûche (Dardan)
s'étant, si j'ose dire, consumée, c'est à la seconde (Hercule, représenté
par Henri) à recueillir l'héritage de la première. J'explique, je ne traduis
paa, ce serait moins facile, à moins qu'on ne veuille se contenter de ce
mot à mot, fort peu respectueux des héros et des dieux : « car de la sou-
che, il est la bûche de refend. » — 2317 amairj)iague fort dous : « ca-
resse tout doucement. *> Pour amaignaga, cf. Mistral : amaniaga et notre
note au v. 1871. — Dous est adverbe comme souvent encore dans la lan-
gue parlée; dans cette facétie, par ex., où un touriste demande à un ber-
ger des Pyrénées pourquoi il ne siffle pas plus fort pour faire venir ses
brebis et où celui-ci lui répond en le regardant :
Ké siularn tout dous
Can las bèstis soun près de nous.
— 2320 aut'ardent ne signifie pas « haut, ardent ». mais « aussi ardent »
= auta ardent et cet auta commande le que qui commence le v. 2322. —
2326 arrephoita signifie » replanter » et il serait bon d'indiquer un peu
mieux dans la traduction qu'il a pour complément non pas liri, mais
casau. — 2332 la conducte e la guise = la conduite et la direction ; cf.
Dastros, I, 267, 4. Guisa s'emploie encore à L. S. dans le sens de <.< con-
duire, diriger, mener >> : guisa tm chibau = conduire un cheval cf. vv.
311 et 974. — 2331 apapachouat figure dans Doujat sous la forme apa-
payssouna. — 2344 jjoï de hu armes ne doit pas être traduit par : « père
des armes », mais « père d'armes » [du petit Hercule], de même qu'on
dit : « mère de lait, » — 2349 dab desi non traduit := « avec ardeur. » —
2353 « enfonce profondément et fortement sa dent et son dard. » — 2361
suou mentoun = « sur le menton » et non « sur la figure », et fait allu-
sion, à en juger par la suite, à la barbe blanche du bragart cabaillé de
la souque d'Eslarac. — 2365 de tous nujos é pais =^ a de tes aïeuls et
pères. T) — 2371 « le feu de paille » implique une idée de brièveté, de vie
éphémère que ne veut pas exprimer le Gascon : « ... faire flamber
1. Voy. Annales, t. XVIII, p. 209 et 357.
74 ANNALES DU MIDI.
comme de la paille aux quatre coins du monde... » — 2372 cors =
(i coins » et non « parties »; cf. Mistral : cor 3; Camélat Piti-Piu, p. 10 '■
« At pople armiimhrém lou éras coustumas d'en téms é, ras leyéndas
dét cor dét hoiiéc. » — 2^379 qu'et..., mettre : que-t... et traduire : « qu'il
te grave... » — 2385-8 : «■ Je vois d'un Enée le fidèle Acliate quand je vois
lo Gascon qui suit de si près, les armes à la main, Hercule à la guerre. »
V. 2406 lous Césars : il ne serait pas inutile do renvoyer à Mistral s.
v, pour qu'on ijùt se rendre compte que César s'emploie dans le Midi
comme nom commun avec le sens, qu'il a ici, de « vaillant homme ». —
2410 desperat n'est pas traduit. Ce mot n'a rien à voir, sans doute, avecle
désespoir, et est une alléralion de desparat (cf. Mistral : despara) =
esp. : disparado : « toujours parti en guerre. » — 2444 le, corr. : la. —
2454 lou brabe des Césars « le plus brave des Césars » et « le brave des
braves. » Ader me paraît jouer ici sur le double sens de César comme
nom pi-opre et comme nom commun. Cf. Mistral, s. V brave où l'on trou-
vera l'expression : brave coum César. — 2460 à la note à ce vers et pi)ur
expliquer que le cramail soit les armes parlantes des Caraman, il est
dit : « .. comte de Caraman (par corruption Carmaing et Cramail). » Il
serait plus juste de dire que Caraman est une forme qui doit exister quel-
que part de cramail < caramail < caramanh < caraman. — 2161-2 on
a peine à comprendre qu'on ne comprenne pas des phrases aussi simples :
« enfumé de la vertu qu'allument dans son cœur ce boute-feu de Mars,
Uranie et Clio. > — 2470 beil (?) est traduit par « œil » qui se dit pour-
tant oueil partout ailleurs, par ex. aux vv. 572, 876, 979, 2537. — 2471
arrajous {'radiolos) n'a pas exactement le même sens que array. Ce
n'est pas le « rayon », c'est le « rayonnement », l'acte de rayonner, de ré-
chauffer, lioutà-sà l'arrajou. c'est se mettre à l'endroit où le soleil darde
ses rayons, chauffe le plus — 2480 cariau m'étonne. Cette forme existe-
t-elle dans le patois d'aujourd'hui? En somme. Mistral, le seul qui la
donne, n'en connaît pas d'autre exemple que celui-ci qui pourrait être une
coquille pour : courau — graone = « gravier ». — 2483-4 la traduction
n'est pas construite.
V. 2b01 p lichens ne signifie pas « puissance », mais « puis » et s'oppose
à are: « celui-ci maintenant a le bon droit et [mis il n'en a guère. »
Cf. Lespy, 5. v°. Fondeville, Calvinisme, v. 1470. — 2508 « cela, c'est être
aussitôt dedans que dehors, à la façon des bohémiens joueurs ; » — de cartes?
d'instruments de musique? A cette époque, joufjaire doit plutôt indiquer
un jou(iur do cartes ou autres jeux de hasard. — 2518 ce vers ne m'est pas
clair, et il ne me paraît pas surtout avoir le sens qu'on lui donne. Per
l'un et j)er l'autre se rapportent probablement à costats. « Vous enten-
dez celui-là [le Gascon] d'un côté et de l'autre les ligueurs. » Aiigits
peut encore être un impératif : c< entendez.,. » — 2520 ligne, corr. : ligue,
allusion à la fois à la Ligue des Grecs contre Troie et à la Ligue des
Ligueurs. — 2.523 Gracie, corr. : Grecie: c'esi l'identification qui continue
entre les Grecs et les Ligueurs. — 2537-39 nous avons ici, si nos souve-
nirs du Musée du Prado ne nous trompent point, le portrait physique
fort exact de Philippe II. Ce prince avait, en effet, les sourcils très rele-
vés, les i)ommcttes rouges, les cheveux roux et le nez quelque peu en
forme de museau. — 2542-3 ces vers font sans doute allusion aux terri-
bles maladies dont souffrit Philippe II dans les dernières années de sa
vie, qui sont aussi celles de son intervention la plus active en Erance. Il
MELANGES ET DOCUMENTS. 75
eut les reins et les flancs couverts d'ulcèreb et fut privé de l'usage de ses
jambes. — 25^0 ce « seignor Cousconil » pourrait être le fameux général
Alexandre Farnèse, qui obligea Henri IV à lever le siège de Paris. Parmi
les sens de Cousconil, Mistral en enregistre un assez grossier. — 2547
peu mange ou per la punte : du côté du manche ou du côté de la pointe.
— 2548 Mistral nous apprend qu'en Provence on dit généralement : lou
(jrun Caire; il devait en être de même en Gascogne. — Madril. Cette
forme de Madrid est curieuse en ce sens qu'elle se retrouve dans l'adj.
madrileno. De plus, les paysans des environs de Madrid et même les
habitants des bas quartiers de la capitale disent los Madriles au lieu de
Madrid. — 2555 la rnatèro à L. S. est un piège à oiseaux fait de la façon
suivante : une fosse carrée sur laquelle on tend comme un toit une motte
de terre \viato] munie de tout son gazon, au moyen d'un bâtonnet verti-
cal. Ce bàlon, en sa partie infériiure, porte sur le pis7ial ou pisualh,
morceau de bois fourchu, à l'endroit oii les deux branches de la fourche
se rejoignent, ces deux branches d'ailleurs s'étendant vers l'intérieur de
la fosse, sur le vide. L'oiseau arrive, voit l'appât au fond de la fosse, se
perche sur la fourche, fait tout basculer par son poids et reste prisonnier
dans la niatcre. La meilleure traduction française me parait être '•
<i trappe. » — per aciou = par là-bas ; acy = ici. — 2560 après alUvme,
une virgule et non un point. — 2561 lou bieil gelous, c'est Philippe.. —
2565 Ce sont les armes de Philippe IL avec des aigles, qui figurent déjà
dans les armes des rois catholiques et ne sont pas, par suite, d'origine
impériale, les barres ou bâtons d'Aragon, les lions de Castille et, enfin,
trois fleurs de lys; cf. Lafuente, t. IX, p. 115. Par nostes au v. 2566,
peut-être Ader veut-il opposer les trois lys français à ceux qu'avait déjà
Philippe IL — 2581 de la niique deu pan v~ de la mie du pain ». — 2584
berot me parait une coquille pour : beroi — apechiou pâturage. « Patus »
n'est guère, je crois, du français courant ni académique — 2587 couei-
tioue, d'après Mistral, s. v" coutieu, signifierait « inculte » en Gascogne,
sens qui conviendrait fort bien ici et c^ue nous retrouvons, à peu près,
dans Dastros. I, 109, 595 sq. :
Tant es bertat que 7nas ploujados.
Que mas brumos, mas arrousados
Qu'azaygo'ùon ton camj) coueytiou...
« ton champ stérile », qui le serait, du moins, sans mes arrosages. — 2588
d'après le contexte, la sarde et le bailhac ne peuvent guère désigner que
des herbes ou des broussailles. Le baillac doit être le même mot que
à L. S. balhar, et une autre foi-me de balharc, issue d'une simplification
différente du groupe final rc. Or, à L. S., le balhar est une plante four-
ragère qui resseuible tellement à l'orge que les paysans disent naïvement
que l'orge est la femelle du balhar. Citons un passage de Dastros où se
retrouvent la brioue et le baillarc, I, 185, 686 sq. :
E jou [-t bailli] blat rouget é groussaigno
brioiJo, segle que blat espraigno,
baillarc, orch coiiadrat é primauc...
Quant à la sarde, je ne la trouve ni dans Lespy, ni dans Doujat; mais
M. Jordana y Morales, dans son lexique intitulé : Algunas voces fores-
taies... (Madrid, 1900), donne sarda comme svnonyme du catalan gar-
76 ANNALES DU MIDI.
rign. et la snrda désignerait, (}n. Aragon, soit des buissons de certaines
variétés de ciiênes, soit toutes sortes de végétations basses et rabougries,
comme celles du thym, du pinastre, etc. En somme, le sens général qui
conviendrait bien ici est celui de « buissons, broussailles ». Citons le
vieux français sart, « terre stérile, couverte de broussailles », Godefroy ;
et à L. S. : échartic « terre défrichée », qu'il faut peut-être décomposer
en ex- sart- ic; échartiga : « défricher », opération qui consiste surtout
à enlever buissons et broussailles. — [halhnrk (dans les Landes, parfois
avec substitution de suffixe : balhart) = « paumelle, baillarge ». Sur ce
mot, dérivé de balearicum, voy. A. Thomas, Mél. d'étymol. franc.,
p. 27. — L'on a peut-être donné par extension le nom de bailhark à cette
herbe improductive dont l'épi ressemble à un épi d'orge et que l'on intro-
duit par plaisanterie dans la manche des gens : il est très difficile de s'en
débarrasser. A Bordeaux, les gamins appellent cette herbe « des voleurs ».
— sarde, catal. sardônica f. a herba que, menjada ô bégut lo such de ella,
obliga â fer gestos corn de riiirer, y causa la mort ab ells » (Labernia). —
Comme le v. fr. sarde = sardoine (v. Godefroy), ce doit être le mot
en question. Le caractère dangereux de la sardônica convient au sens
du contexte. — G. M.]. — •2589-90 « qu'il ne s'étonne pas si des brebis,
agneaux, taureaux, beaux moutons, il ne voit plus que les peaux. » Les
bergers ont mangé, fait disparaître le reste, en lui disant, sans doute,
que le bétail est mort de maladie, et en en conservant la peau, comme
c'est d'usage dans ce cas-là. — 2591 niajouraus « bergers chefs » ici. —
La vieille édition donne :
que d'aquets inajouraus s'et aff'raire sa toque
« car s'il associe ses troupeaux avec de tels bergers », sens qui me satis-
fait pour ma part. M. V. corrige en : s'et s'affraire et s'atoque et intro-
duit un verbe atouca avec un sens qu'aucune note ne vient justifier. —
2592 broque; cf. Dastros, II, 68, 23-1 :
E poudiom ana a l'aumoyno
Dap cadun soiin bastoiin pelât.
V. 2G07 arruha-s ce n'est pas se précipiter en avant, mais : « se héris-
ser, hérisser ses plumes » comme font les coqs au moment de se battre.
— 261ti ses failli, omis : » sans manquer [son coup] » — 2617 d'un coti-
ratge trop grand, omis : « le dernier rejeton au trop grand cœur de l'ar-
bre de Dardanus ». A m liiis qu'il ne faille comprendre que le loup n'a
fait preuve que de trop de courage en allant tuer Henri III au beau milieu
de toute son armée. — 2622 per courounai dessus « pour couronner sur
lui », sur son dos, puisque le Gascoun est à cheval sur le Dragon. —
26:iU oilouhi est traduit par « ensorceler »; « fasciner » conviendrait
peut-être mieux. Lorsque on rencontre lo loup, si le loup vous voit le
premier, vous restez enloubit, c'est-à-dire incapable de parler et de mar-
cher pendant un certain temps. C'est, du moins, ce que croient et disent
les paysans. Mon oncle m'a plusieurs fois conté que cela était arrivé à
ma grand'mère. En tout cas, aujourd'hui qu'il n'y a plus de loups, enlou-
bit cunlinue à s'employer à \j. S. au sens de « rester sans voix et sans
mouvement. » — 2t>r/ Couscouil, cf. v. 25i5. — Baldeu = l'archiduc
Albert (?) — Escrig enregistre baldeu avec le sens de « cul ». — 2639 an,
corr. : au. C'est l'emploi bien connu de l'article devant les noms de per-
MKLANGES ET DOCUMENTS. 77
sonne en gascon. On pourrait songer à an=: a en, n'était l'Henric qui
suit. — <i641 ou, corr. : 0)1. — "^645 malese « l'ourré », cf. vv. 1576, L'^GQ
et esp. : maleza. — 2646 saubemai « chèvrefeuille i>. Pourquoi ne pas
conserver les expressions hardies de l'auteur? Un « chèvrefeuille » de
bons fruits est-il bien plus étonnant qu'une « fourmilière » de blés?
Le chèvrefeuille est sans doute symbole d'abondance par sa végétation
luxuriante et touffue. De plus, nous avons ici une sorte de litanie à la Gas-
cogne, où Ader use de toute la liberté d'expression permise dans ce genre
de prières. — 2648-9 « que notre Gascogne soit la reine secrète », c'est-
à-dire : qu'elle soit reine sans en avoir le titre officiel. Y aurait-il là quel-
que allusion à quelque maîtresse gasconne de Henri IV, à quelque
Laure? Ader veut-il dire qu'en donnant à Henri IV de vaillants soldats
la Gascogne lui donnera ses vrais fils et sera sa vraie femme, quoiqu'en
secret? Je ne sais, inais le sens littéral n'est pas douteux. A la même
époque on disait que le prince de Condé était le « capitaine muet »
(c.-à-d. secret, de la conspiration d'Amboise. Citons encore Dastros, I,
269, 14 « yo mudo paraulo » — 2660 de detras ii7i Barthas « de derrière
un buisson. » Cf. Doujat : « bartns, buisson, broussaille ». — Dastros
fait aussi l'éloge de Du Bar tas, I, 116, 811 sq. — 2665-6 « et que la race
de ce roi gascon durei'a tant qu'à aucun autre au monde jamais plus il ne
fera place ». — 2667-8 « Ensuite Vulcain représente sur le bouclier, tout
au bord, avec des replis ondoyants, la mer qui va et vient. » — 2670 Naus
ne saurions bien comprendre ce vers et ce passage si on ne nous avertit
pas en note qu'il est un poisson de mer appelé : lou rey ; cf. Mistral s. v".
— 2672 coume rei : jeu de mots sur le double sens de rei : 1° roi ; 2° pois-
son de mer appelé roi. Le mot a ici les deux sens à la fois. Coume rei ne
signifie pas, d'ailleurs, « comme un roi », mais « comme roi, en sa
qualité de poisson roi ». — 2686 « que finalement de tout le monde ils ne
reçoivent que des couronnes ». A moins que en fin ne soit un latinisme
et ne signifie : « jusqu'à la (in » qui se dirait dans le pur gascon d'Ader :
« dequie la fin et à L. S. duico la fin ». — 2687 Ha « va I » C'est l'excla-
mation pour faire avancer les bêtes encore aujourd'hui*.
m. — Lou Catounet.
P. 183, 10. Bei-in. Cervantes cite cet auteur dans le D. Quichotte,
part. II, chap. xxxiii ; « Todo cuanto aqui ha dicho el buen Sancho, —
dijo la Duquesa, — son sentencias catonianas, ô, por lo menos, sacadas
de las mismas entranas del mismo Micael Verino ». Voir la note de Cle-
mencin à ce passage. Remarquons que Cervantes, tout comme Ader, asso-
cie Caton et Verino. Quant à la vogue du Caton en Espagne, ajoutons à
ce que nous en avons déjà dit plus haut dans I, hitroduclion , que le
premier livre de lectui-e s'appelle encore là-bas Catô?i : « livre composé
de phrases et de périodes courtes et graduées pour exercer à la lecture les
débutants». Acad., s. v». — «Pourquoi ne vas-tu pas à l'école ? » demande
1. J'ajouterai à ce que j'.ai dit à propos du v. 1901 que « lou bouymc désigne aujour-
d'hui à Aignan (Gers l'étui en bois où lo faucheur met sa pierre à aiguiser la faux. Cet
objet a passablement la forme d'un carquois et il se porte le plus souvent sur le bas-ven-
tre, pendant d'une ceinture » .
78 ANNALES DU MIDI.
dans les Cuenfos color de rosa de Trueba (xix" s.) un riche monsieur à
un enfant. « Parce que je n'ai pas de quoi acheter un Caton », lui ré-
pond celui-ci. — P. 184, 3 s'empare de bous signifie exactement : il
s'appuie sur vous. — P. 184. 1. 8 aue pic ou pelade, expression relevée
par Doujat s. v» pic. Ce sont deux façons différentes de se procurer un
morceau de quelque chose : en le coupant (pic) ou en l'arrachant {pelade).
— P. 184, 8 et 9 da deu pe... da deu nas : ces deux expressions se
retrouvent réunies dans Dastros, II, 30, 8. — La seconde se lit encore
dans Dastros, t. I, p. iv, v. 3, et est, de plus, donnée par Doujat s. v 7ias
avec le sens : « hocher la tête, rejeter, mépriser ». — P. 185, 1. 5 parla
dab sa cohe, cf. Doujat s. v° : cofo : bol i parla d'an sa cofo, je veux
parler à lui tète à tète, quand on veut faire des reproches à quelqu'un. » —
III, 4 à rapprocher Garros, Hannibal, 104 :
Aixi tu serviras oey-mes d'e>ise)'iament
A tots, que lo maïc hà no dura longament...
— IV, 2 haubareu. Il est probable, en effet, que le sens pri?nitif de hauba-
reu ou aubareu est celui de « hobereau », oiseau de proie (cf. Mistral •
aubaJieu). Cependant, au français « hobereau », dans ce sens-là, corres-
pond dans notre auteur Gefit.x. 224 houbreau, ce qui laisse supposer que
le mot ne s'employait plus dans le domaine d'Ader avec son sens propre et
primitif, mais avec son sens figuré et dérivé qu'il a encore aujourd'hui à
L. S. de « écervelé, bruyant, tapageur ». Quiti aubarèu! quino auba-
rèlo! dit-on de celui ou de celle qui mène grand bruit, surtout dans les
auberges. Par suite, la traduction qui nous paraît convenir le mieux
n'est pas « pique-assiette » mais « casseur d'assiettes ». Notons que Das-
tros, I, 113, 706, emploie encore haubaréou au sens de oiseau de proie,
et que nos deux auteurs lui donnent la même épithète de « bolo-haut ».
— V, 2-3 :
Bési, )iou-t arridis dou rney niau
q'ùan loii mey sye bieil, lou tou que sera )iai(
Hourcadut.
— JX, 2 peut-être serait-il possible et utile de conserver lo subjonctif
du gascon : « ... n'en puissent... » — XI, 1-2, l'esp. dit :
sirve à sefior
y sabras de dolor.
— XIII, 2 esla-s-en en « s'en rapporter à » s'emploie oncore'aujonrd'liui
et l'on trouvera un autre exemple de cette expression dans Dastros, t. I,
p, XII, v. 12. — Je traduirais qu'en haran d'une façon i)lus précise par :
« que décideront. » Encore aujourd'hui à L. S., après avoir longuement
parlé d'une atfaire, on termine en disant : é bé, qué-n hèm? « hé bien,
que décidons-nous? » — les getis de ben sont les gens de bien que l'on a
pris i)Our arbitres pour tâcher d'arranger une affaire sans aller en justice.
— XIV, 2 riche poulenl pourrait bien ne pas signifier : « riche et opu-
lent, mais « i)iiissammont riche ». Noter que l'expression usuelle aujour-
d'hui ilans le Gers est : rich-opulén. Nous mettons le trait d'union
Itour indiquer que ces doux mots doivent se prononcer d'une haleine, sans
virgule. Peut-être on était-il de même de riche-poutent. En somme, il ne
s'agit que de richesse dans ce quatrain. Dans l'expression bes e cabaus,
MÉLANGES ET DOCUMENTS. 79
bes nie paraît signifier, comme aiijourd'lmi à L. S., « les biens immeu-
bles » et cabaus « les « capitaux » ou « biens meubles ». Cf. Doujat :
Cahal. — XVIII, 2 empacha-s « se tromper » aurait besoin d'une note
justificative. Ce mot ne signifierait-il pas plutôt : « tarder s>, ce qui est un
gros défaut dans les dons que l'on fait. Empaches dans le Gent, v. 1397,
est employé comme synonyme de destrics, au sens de : « chose qui
entrave, retarde.» Cf. Doujat, empacli et empaches. — 4. Cf. Le Guide
des Gascons... (Paris, Garnier, 1858), p. 171, n° 11 : « un bienfait repro-
ché n'est compté pour rien ». — XIX, 4. Que lampournè remonte à
lampous)iè, cela est encore attesté par la forme lampoyiiè, Garros, Epist.,
I, 100 :
leicha ans tauernés
Ans turliiretz, marmytos, Imnpoynes...
Lo descridat mestie de gaynardiza.
Quant au changement de s en y devant consonne, il se retrouve dans
Garros, et il est fréquent dans toute une partie de la Gascogne, à l'ouest.
A propos du changement de s en r dans lampouriié, peut-être pourrait-on
citer aux vv. 9i39, 1379, 1477 eshalaiirit qui correspond au prov. esbaluusit ;
galère » truie mère » à Cazères (Landes) à côté de galese (Lespy) ; dans
la trad. gasconne de la Disciplina Clericalis : cordurey pour costurey
(dans Mistral : courdurié] ; dans Uastros, I, 178, 482 et ailleurs : wrma
pour usma; enfin, et surtout (car la position de l's est ici la même) :
piiDiache et pusnache dans Lespy. — [Le passage de s k r devant con-
sonne se produit actuellement dans le patois d'Arrens en plusieurs cas,
notamment devant d : hé sun tur dus se dit couramment pour : tus dus,
au témoignage de M. Camélat. V. Revue des patois gallo-ronians , Ca-
mélat, le Patois d'Arrens et Réclams de Biar)i et Gascoiigne, 190-5,
p. 124. — G. M.] — Quant aux deux radicaux lamp et ramp, je note
qu'ils existent aussi bien au Midi qu'au Nord et avec des sens sensible-
ment voisins. Nord : lamponner et raniposner ; Midi : lampourna et
rampoutia (Mistral) ; ce dernier avec le sens de « cramponner » qui n'est
pas très loin de celui de lampourna, s'il est vrai que les cancaniers soient
facilement bavards et les bavards facilement crampons. Avons-nous là
deux radicaux difterents ou deux doublets phonétiques d'un même radi-
cal ? C'est ce que nous dira sans doute un jour M. J. dans une addition
à son suggestif article des Annales, XVII, 75. En attendant, notons dans
Doujat rampoyno « quelque relique de fièvre » et dans Garros, Egl. 7 :
Si beue vos, jo n'e que de rauipoyna
et dans Dastros (cité par Mistral, s. v rampogno) :
Si)i pan 7ii car, vin ni ramjjoino
ou rampoyna, rarnpoino semblent signifier « de la piquette ». — XX, 2
d'humbles parents ne te font pas de honte », ne sont pas pour toi un
déshonneur. Hèn est un indicatif et non un subjonctif-impératif. — XXI,
2 esburba-s me paraît le même mot que le vieux français : s'esbriver. —
Remarquer de la doun= dou?i, qui se retrouve dans Gent, v. 2449, dans
Dastros, I, 263, 14, et qui est donné par Doujat : de là oun où, auquel lieu,
en quel endroit (sans interrogation). » — 3 truque-taiilés, cf. Doujat :
« truco-tauliés, fainéant, vaurien, vagabond. » Le sens de taulé est bien
80 ANNALES DU MIDI.
celui que nous avons fourni à M. J.. et qui se retrouve Geiit, v. 2100. —
Garros, Egl. G, nous dit d'un joyeux compagnon qu'il se fit herniite :
... aprop aue gaturlejat
e dam. taiis gens com et bandolejat...
triicat taules, heyt deu balandureu...
— 4 enjourrit à L. S., c'est le contraire d'un « désgourdit ». c'est un
meurt-de-peur, un trenibleur. Nous retrouvons ce mot uans Dastros.
I, 15, 218 sq., parmi les injures que l'été adresse à l'hiver, et avec le sens
bien net de ' « engourdi, meurt-de-froid » :
Mésjoii é bergouignasso qui m'auch
m'eygrim' ataii contro aqiiet bauch
coiïo-tisous é coïio-cene
d'ijouer que. nou bau pas lou pêne,
perdut, eticheprit, enjourrit,
barbo-gilut, barbo-lourit...
M. J. a eu tort d'assimiler enjourrit à Venjaurit de Mistral et de Dou-
jat, qui se retrouve aussi dans Dastros, II, 324, 1. Il faut donc traduire
i< enjourrit » par : « engourdi » ou terme synonyme, « empaillé », par
exemple. — XXIV cf. Ilourcadut, n» 213 :
Dap cen chagris nou pnguéren pas n dente.
Le Guide des Gascons , p. 171, n" 9 : « cent heures de chagrin ne paient
pas un denier de dettes ». — XXX, 2 arrebrec : c< rebrec, un reste, un
hiiiUon ; rebrega, chUXonnev; rebregat , chilTonué, liaillonné, soupi (?! »
Doujat. — XXXIII, 1 alielequade Doujat, s. v» aferlecat renvoie à
afizoulat, afusculat, où il donne un sens qui justifie la traduction de M. J.
— XXXV, 1-2 ces deux dernières lignes de la p. 225 doivent être reportées
à XXXIII, v. 1-2. — 3 car rida, « quereller, agacer, harceler » (Doujat).
Garros, Egl. 8, 87 : « tarridu los talens, » éveiller la faim, mettre en
appétit ». — Id. J. César, 12 :
U)i tant espauentos miracle de natura
me turrida lo co d'assaja l'aventura
« m'incita à tenter l'aventure » — Id. Epist. 1, 74 :
... leixa aqcra costuma,
jterqe l'amie aixi tu perderes,
e l'enemic qui drom tai'ridares
V ... lu réveillerais l'ennemi qui dort. » — XXXVII, 4 cf. Hourcadut,
"" ^-'-^ •
Lou qui n'a pas di/iès en bousse
Que ca'à abé paraît le en bouque.
llita Lill, :i.
(Jiiien no tiene miel en la orza téugala en lu boca.
— XXXVllI, 1 noter le sens fort curieux de niaynatjario chez Dastros.
I. ■', 11) :
Que tiare ses jou la gario
e fout auto maynatjario,
= oiseau de basse-cour. — XXXIX, 3-4 cf. Ilourcadut, n" 107 ;
MÉLANGES ET DOCUMENTS. 81
Tan ba lou péga enta la ho/in
qu'à la fi, lou tutou qu-i dantoure,
mieux présenté à L. S. :
Can ta soubén ban à la hoim
ke-y dèchon l'arrémèro oxi lou tutoun.
— XLII, 3 letre-herits. Dastros, I, 70, 142 et 195, 4, emploie ce mot au
sens de « savant » sans la moindre nuance de raillerie. Garros l'emploie
en bonne part, Egl. 5, 45. Doujat note que « letroferit se dit le plus souvent
par risée ». — XLIII, 4, àe a de beres on peut encore rapprocher : a de
maies, Gent, vv. 1164, 1895, et a de passetenips, ibid., v. 1894. Cf. un
proverbe français qui a cours dans mon pays : « Amis comme deux frè-
res, mais les bourses ne sont pas sœurs. » — XLV, i pèche : pour ce sens
de pèche = « faire manger, nourrir. » Cf. Dastros, I, 45, 232 ; 112. 684 ;
162, 12; 188, 791. — XLVIII cf. Hourcadut, n" 31 :
Lou qui né tribaille pas pouri
que calera que tribailli roussi,
— LU, 4 Hita, 620, 4 :
Hace andar de caballo al pedn el servicio.
— LUI, 4 arrouigne peut signifier « gale « dans certains cas, par ex.
LXXXVIII, 4, mais je crois qu'il a ici comme Gent, v. 1160, son sens le
plus courant de « crasse ». La gale n'attend pas d'être vieille pour déman-
ger. — LIV, 4 « tel s'en dit [ami] et il n'y a pas à s'y fier » ; « dit on » =:
dits O'iïi ou sa dits ou sa dits om, mais jamais se-7i dits. Cf. X, 3;
XXXIV, 4 ; XXXIX, 3 ; XLIV, 2 ; XLIX, 4; LUI, 3. — LVII, 4 bare. On
pourrait ajouter à la note à ce vers, pour donner raison à M. J., des
exemples tirés de Hourcadut, n"» 313, 584 et de Dastros, passim. Nous
nous contenterons du plus caractéristique, Dastros, I, 3, 56 :
Aro pe)' hé, lou mes de niay
bava suu soun d'un branle gay...
— LX, 4 qu'a tu = qu' e a tu = qu' ei a tu = « c'est à toi ». — LXI,
1 groiïa; cf. Gent. v. 1317. — 4 cf. Hourcadut n" 17 :
lou Ihéit caut que hé ?7iinya la soupe réde,
— LXIII. Le début de ce quatrain est interrogatif. L'impératif est ^3re;î et
nonprenes. Il faut donc traduire : « Avec ta femme prends-tu conseil sur
des choses qui ne vont pas plus loin que la maison? [sur des affaires de
ménage, d'administration intérieure). Si ta femme sait que tu as fait quel-
que chose de mal, c'est une affaire réglée, puis touches-y si tu l'oses » :
que je n'entends pas au sens de « frappe si tu oses », mais dans celui de
« touches-y si tu oses, soit aux affaires intérieures, soit aux extérieures ».
Elle profite du fiasco de son nu^ri pour lui enlever même le ministère des
affaires étrangères, si j'ose m'exprimer ainsi. Aquoi prou dit, littérale-
ment : « c'est assez dit », s'emploie à L. S. au sens de : « assez causé, ça
suffit, c'est fini, c'est réglé, c'est une affaire entendue », et indique soit
un accord définitif, soit une rupture définitive des négociations. — LXV, 2
« encore plus qu'il ne leur appartient, qu'il ne. leur est dû, qu'ils ne le
A.NNALES DU MIDI. — XIÏ. 6
32 ANNALES DU MIDI.
méritent ». — LXVI, 3-4 « et le plus souvent tel te cachera qui du doigt
montrera ta cachette ». Notre traduction est moins poétique que celle de
M. J. qui personnifie le méfait, mais nous la croyons plus naturelle et
plus exacte. Atau = <i tel », cf. Cat. LIV, 4 et Lespy, s. v 1.— LXVII,1
trebulossis ou trehoulossis. Lespy donne : « tribulossi, tracas, ce qui
donne de l'inquiétude », qui ne peut être qu'une autre forme du même
mot, et qui doit se rattacher à trihula (donné encore par Lespy) plutôt
que à : trihalh. — LXIX, 3-4 je comprends « aux noces où on n'est pas
invité, le chapon est sans queue » [par où on puisse le prendre], c'est-
à-dire : « qu'on ne tàte pas des bons morceaux ». Peut-être s'agit-il aussi
des poires ou pommes cuites appelées capotis et que l'on attrape, en
effet, par la queue, que l'on a soin de leur laisser. Sur ce sens de capou,
outre l'usage de L. S., cf. Lespy, s. v". — LXX. i prenes parie pourrait
avoir un sens plus précis que celui que lui donne M. J., à savoir :
« prendre femme » ; cf. Lespy : lyarie 2 ; Dastros, I, 5, 114 et ailleurs. —
LXXI, 4 toumeja. Ajouter à la note de M. J. : « et tourna se trouve Gent.,
Y_ 890 ». — LXXV, 1 sie, cf. tzia, Garros, Egl. 4 v. 29. — 4 « tel que tu
crois vivant, la mort l'eminène ». Jamais se pense ne pourrait se dire :
petise-s. \^(i pronom complément conjoint ne peut se mettre après le verbe
qu'à l'impératif et à l'infinitif. — [Par exception, on trouve dans les an-
ciens texLes le pronom postposé à un mode fini autre que l'impératif daiis
la locution usitée dans les titres : seguen-se las ordonanses que... —
G. ^I.] — LXXIX, 3-4 « celui-là y [à son but] va, dit-on, tout droit et ne
perd ni sou bien ni ses peines ». Celui-là = celui qui voit mieux la fin que
le commoncement. On trouverait d'autres exemples de que = « et il » ou
bien « car », et dès le quatrain suivant v. 4. Quant à de ciment, cf. notre
note à Gent. v. 38. — LXXXI , 4 signifie littéralement « car en ce jour-là
les pierres s'y voient clair», c'est-à-dire qu'on les voit clairement pour les
prendre et vous les jeter. Je ne pense pas qu'il s'agisse ici des peires
dont il est question Gent. v. 2100 et où les inarciiands étalaient leurs mar-
chandises. Dans ce cas, il faudrait voir dans se un de ces pronoms dits
étiques. purement explétifs, et entendre que non seulement le marchand,
mais même son étalage, a l'œil ouvert sur le client malhonnête. Ce serait
une exagération poétique. — LXXXII, 2 amarra. A L. S., les gens avides,
toujours à l'affût d'un gain à réaliser, sont flétris de l'épithète de : amar-
rans. — LXXXlll, 2 littéralement « et s'en garde toujours [quelque
chose] » ne dit jamais toute sa pensée. Saiiha-s a le sens qu'il a dans
l'expression courante : at bas pu dise, saiibo t-ec « tu ne veux pas le dire,
garde-le pour toi ». — LXXXV, 3-4 Le rapprochement dans ces deux vers
de poioichut et de cautelous nous pousse à reproduire deux définitions
de Doujat : « cautélo, pointillé; cautelous, riotcux, pointilleux, fâcheux ».
— LXXXVIII, 3 lou cas, corr. Ions cas. — XC, 2 Hourcadut, n»» 105 et
Cl() : Que calï decha drourni lou ca qui droum. — XCL 4 cf. Hourcadut :
Dai^ temps é paille las mésplos que maduren.
—XCIV, 4 je n'omettrais pas eau dans la traduction : « et c'est pour cela qu'il
en est réduit à se vanter lui-même ». — XCV, 1 hraguere. Aux renseigne-
ments déjà fournis à M. J., j'ajoute que raquèro à L. S. = « une faiblesse
générale, un état maladif, surtout celui où vous laisse une maladie. Un
convalescent dira par ex. : Akéro frèbé kem'a déchat uo raquére dessus,
ne me l'en podi pa tira, « cette fièvre m'a laissé une faiblesse dont je ne
MÉLANGES ET DOCUMENTS. 83
puis me débarrasser ». Même sens à Duhort-Bachen (Landes). — Mainte-
nant notre assimilation de hraguère à flaquére peut-elle se soutenir? Il
y a un inconvénient assez grave, et c'est que du même radical flacc- Ader
t'wehlaqua, Gent, 204; hlac, ibid. vv. 1902, 2486, nulle part/ira^a, hrago.
Cependant l'emploi de deux foi'mes différentes d'un môme mot ou d'un
même radical, dans un seul endroit, n'est pas pour étonner ceux qui pra-
tiquent les dialectes vivants. — Citons encore ici Dastros, II, 37, 5 :
La rnalo raquo i^ousco aucise
Loii qui penso dets hé ploura.
Nous trouvons enfin la raca comme maladie du bétail dans Garros,
Egl. 6, 42 :
Que l'Esclarmonda aué la priisarana
E son bestia la raca e musarana.
— 4 niescounec)uts « reniés » [de leurs enfants ou héritiers qui ne veu-
lent plus les reconnaître pour leurs parents ou bienfaiteurs maintenant
qu'ils n'ont plus rien à leur donner]. — Le Guide des Gascons, p. 172,
n" 82 : « celui qui se défait de son bien avant que de mourir, se prépare
à bien souftrir ». — XCVI, 1 gorge a ici le même sens qu'en esp. dans
l'expr. : estar de gorja, « être en fête, être joyeux, être de bonne humeur,».
Je traduirais : t^ avec ses amis, quelque petit mot pour rire... »; avoir
« la gorja » signifie « être ivre » dans Garros, Egl., 2, 102. — 3 parla
lourd ne signifie pas : « parler rude » mais « parler sale » et oppose les
« propos obscènes » aux « propos enjoués ». — XCVII, ^ prou de temps
« assez longtemps ». — XCIX, 4 aleite. A la note de M. J. à ce mot
ajouter : cf. Dastros, I, 33, 385 sq. où il s'agit de choisir entre plusieurs
poires :
Et troubo béro la prmnéro
la secoundo es encoué plu béro,
aquer' es bouno à la coulou,
l'auto l'y sembla encoué milhou:
souti ouéil d'arré nou l'aproufieyto
per y counegue nado lieyto,
et pot e?i tout aquet barrailh
couéilhe bét é boun tout à tailh.
et où l'on voit que du sens de « choix», par l'intermédiaire de « différence
qui sert à faire un choix », aleite, Iheyte, liéyto étaient arrivés à signi-
fier tout uniment: « différence ». J'oserais donc traduire : « d'un méchant
à un bon il y a bien de la différence » ou « de quoi justifier un choix ».
J. DUUAMIN.
GOMPTKS RENDUS flRITIQURS
Joseph Dechelette. Les vases céramiques ornés de la
Gaule romaine. Paris, Picard, 19J4 ; 2 vol. in-4°.
Il n'est pas'de ruine gallo romaine qui n'ait fourni des spéci-
mens de ces poteries rouges que les archéologues d'autrefois
dénommaient improprement poteries samiennes et que l'on
appelle de préférence aujourd'iiui poteries sigillées. Cette céra-
mique de la Gaule n'avait jamais été l'objet d'une étude d'en-
semble. On connaissait beaucoup d'oftlcines de potiers dont on
avait retrouvé les fours et les déchets ; dans la statistique dres-
sée en 1902 par M. Adrien Blanchet, on en compte une centaine.
Mais il ne faut pas confondre les fabriques do poterie commune,
réparties sur toutes les régions du territoire gaulois, et les ate-
liers de poterie sigillée, qui exigent une argile exceptionnelle,
un outillage spécial et un personnel d'ouvriers d'urt. On avait
publié la plupart des estampilles de fabricants; e les figurent
au Corpus des inscriptions latines. On avait reproduit certains
types de décoration, ceux qui paraissaient être les plus rares,
surtout les médaillons historiés. Mais on n'avait jamais étudié
de près la technique; on n'avait jamais inventorié les sujets
d'ornementation; on était fort mal renseigné sur les origines et
le développement de cette importante industrie. M. Déch dette a
comblé cette lacune. Il a visité les principaux centres de produc-
tion, tous les musées do France, presque tous ceux de l'Europe
et nombre de collections particulières. Il a noté, moulé, photo-
graphié, collationné. Il a consacré à cette tâche ardue plusieurs
COMPTES RENDUS CRITIQUES. 85
années de son labeur. Si l'effort fut considérable, le résultat est
de tout premier ordre. M. D. ajoute un chapitre nouveau à l'his-
toire économique de la Gaule et de l'empire romain, en même
temps qu'à l'histoire de l'art antique.
Ces produits céramiques ne procèdent pas d'une industrie indi-
gène. « Ils ne représentent en réalité que la dernière manifes-
tation d'une technique déjà bien ancienne, qui a parcouru les
étapes de la civilisation gréco-romaine... De la Grèce, elle a
gagné l'Italie méridionale et l'Aquitaine ». Les Grecs, en effet,
n'avaient pas ignoré la technique du relief moulé; celle-ci s'était
peu à peu développée sur le sol hellénique, parallèlement au
procédé de l'ornementation peinte ; elle avait produit les grands
vases archaïques à relief de Rhodes, de Crète, de Béotie. Le
bucchero nero des Etrusques décorait de reliefs estampés ou
moulés son épaisse pâte noire. Au r^ siècle avant notre ère,
Arezzo possédait les plus célèbres ateliers de poterie sigillée.
Les vases arrétins les plus anciens, qui paraissent dater du
11^ siècle, portent encore une couverte noire, comme les vases
étrusco-campaniens du siècle précédent. Dès le début du i" siè-
cle, le vernis rouge a remplacé le vernis noir. Grâce à l'élégance
raffinée des modèles figurés, qui sont empruntés à l'art helléni-
stique de la belbi époque, grâce aussi à la finesse plastique
de la pâte, qui ne laisse rien perdre de la souplesse des formes
et do la pureté des lignes, les poteries d'Arezzo sont restées les
chefs d'œuvre du genre. Des manufacturiers comme les Peren-
nii et les Cot-nelii étaient de véritables artistes. Ils fabriquaient
également de la vaisselle unie et lisse; c'était cette marchandise
à bas prix que l'on rencontrait sur tous les marchés d'Italie et de
province. « Les vases unis d'Arezzo ont été importés en Gaule
par quantités considérables. » Chez les Gaulois, pendant la pé-
riode qui précède immédiatement la conquête, la poterie peinte
constituait la principale série de la céramique indigène. Nous
connaissons l'un des centres de cette industrie; c'était Lezoux,
Ledosus, en Aivernie. « Les vieux céramistes de Lezoux, der-
niers représentants des traditions celtiques, disparurent l'un
après l'autre, vers le commencement du lef siècle de notre ère,
sans avoir formé de nouveaux apprentis. >• Leurs successeurs
immédiats, en effet, bien que leur nom révèle nettement une
origine gauloise, délaissèrent la technique nationale. « La clien-
tèle avait appris à connaître les pâtes rouges d'Arezzo, solides
86 ANNALES DU MIDI.
et sonores, protégées par un vernis inaltérable, ornées de reliefs
délicats, et séduisantes par l'éclat de leur couleur coralline. Le
nouveau procédé, d'ailleurs, est en partie purement mécanique
et d'une application facile. Il s ; prête aisément à une production
abondante. C'en est fait de l'ancienne méthode, et l'emploi du
pinceau se trouve condamné. »
Pour utiliser leurs riches gisements d'argile, les potiers gau-
lois imitèrent donc la technique de leurs concurrents italiens.
Sans doute, leurs produits conservèrent une lourdeur toute pro-
vinciale. « Le sentiment de la mesure et de l'harmonie, qui a
guidé les potiers d'Arezzo, dépositaires des saines traditions de
l'art grec, manquait à l'éducation des céramistes gaulois. » Mais
il s'agissait d'une concurrence commerciale, dune lutte écono-
mique. L'avantage des Gallo-Romains était dans la modicité des
prix de vente, que permettait une main-d'œuvre peu coûteuse.
Ils eurent vite fait de réduire à néant l'importation italienne.
\ leur tour, ils écoulèrent en Italie les produits de leurs offlci-
368. Ils réussirent bientôt à s'emparer de tous les marchés occi-
dentaux. Ils ruinèrent complètement l'industrie toscane.
Les vases céramiques ornés de la Gaule romaine se classent
en cinq catégories : vases moulés; — vases à reliefs d'applique;
— vases décorés à la barbotine, sans aucun emploi du moule; —
vases à décor incisé, dont l'ornementation est presque toujours
linéaire; — Imitations de vases métalliques, patères et œno-
choés dont le décor est surtout réservé aux anses, vases an-
thropomorphes et zoomorphes. Les grandes divisions de l'ou-
vrage correspondent à cette classification générale. Mais M. D.
a naturellement consacré la plus grosse part de son travail aux
poteries moulées, qui forment le groupe de beaucoup le plus
important. Celles-ci se subdivisent elles-mêmes en pâtes blan-
ches ou jaunâtres, de glaçure jaune ou verte, dont il faut cher-
cher les prototypes dans la vallée du Pô, et en pâtes rouges, à
vernis ruuge, dont les modèles sont dérivés de la technique
arrétine. Les vases à pâtes blanches sont sortis des manufactu-
res de la vallée de l'Allier; on les fabriquait à Saint-Remy-en-
Rolhit. à Vichy et à Gannat. Ils ne comportent qu'un nombre
très restreint de types figurés. Les vases rouges, dont la pro-
duction fut si intense, proviennent de trois régions : la Gaule
méridionale, !;■ Gaule du Centre, la Germanie. Les ateliers ger-
mains restent étrangers au cadre que s'est imposé M. Déchelette.
COMPTES RENDUS CRITIQUES. 87
Au cœur même de la Gaule se perpétuait la vie des ateliers
arvernes. « Sur tout le territoire romain, la fabrique de Lezoux
n'est égalée par aucune autre, à partir des premières années du
second siècle. » En 1887, Plicque y avait exploré près de deux
cents fours. M. Déehelette a relevé, sur des estampilles, les noms
de quatre-vingt-seize potiers. Des milliers de vases firent connaî-
tre ces noms dans les provinces les plus lointaines et même au
delà des frontières de l'Empire. Mais les véritables créateurs de
cette industrie d'exportation appartenaient à la Gaule du Sud-
Ouest. Avant les officines gallo-romaines de Lezoux avaient
prospéré celles de la Graufesenque, de Montans, de Banassac,
dans le pays des Rutènes et des Gabales.
La Graufesenque n'est plus qu'un lieu-dit, à 2 kilomètres à
l'est de Milliau, non loin du Tarn. « C'est là, dans une vallée au
sol argileux, fermée par de hautes murailles rocheuses, que la
voie romaine, allant de Segodunum (Rodez) à Luteva (Lodève),
rencontrait une des trois localités connues des Rutènes, le Con-
datomagus, ou Champ du Confluent, de la Table de Peutinger. »
Les fouilles de l'abbé Cérès, conservateur du Musée de i^odez,
qui découvrit le premier gisement en 1882, celles de MM. Hermefc
et de Carlshausen, commencées en 1901, ont permis définitive-
ment d'établir que la Graufesenque, durant la seconde moitié du
premier siècle de notre ère, fut « le centre de fabrication céra-
mique le plus important de tout l'empire romain ». On a retrouvé
de ses produits, en notable quantité, sous les cendres du Vésuve.
Les dix-neuf bols ornés des musées de Pompéi et de Naples ont
livré à M. D. un précieux point de repère pour le classement
chronologique des vases rutènes. D'autres ont été rencontrés
dans plusieurs castella du limes germanique, avec des monnaies
qui ne sont ni antérieures à Vespasien. ni postérieures à Tra-
jan. Tout au nord du Rhin, chez les Bataves, l'ancienne Fictio
(Vechten) possédait un entrepôt des vases de la Graufesenque.
L'Angleterre, l'Espagne, l'Afrique du Nord s'approvisionnèrent
de vases sigillés dans la vallée du Tarn. La technique de ces po-
teries est conforme à celle des vases d'Arezzo. Mais la pâte est
plus dure, ayant subi sans doute à la cuisson une température
plus élevée. Le vernis est plus brillant; ces fabriques rutènes
ont eu aussi la spécialité d'un vernis jaune à veines rouges, qui
imite l'aspect du marbre. Les formes ont changé et ne présen-
tent plus le même profil qu'en Toscane. Enfin les reliefs ne
88 ANNALES DD MIDI.
constituent plus de véritables compositions; la panse se divise
en compartiments où se répètent les mêmes figures. La nature
des types Hgurés permet de distinguer les produits rutènes des
produits arvernes. Sur sept cent quatre-vingt-treize types ca-
ractéristiques de Lezoux et cent douze types caractéristiques de
la Graufesenque, on en connaît seulement vingt qui sont com-
muns aux deux fabriques. Quarante trois potiers de Condatoma-
gus nous ont laissé leurs noms.
Banassac (département de la Lozère, arrondissement de Mar-
vejols) éiait sur le territoire des Gabales. Ce furent dos ouvriers
de la Graufesenque, semble-t-il, qui vinrent s'installer à cet en-
droit. Ils avaient emporté avec eux un petit matériel de poin-
çons-matrices; les types qu'ils durent modeler sur place sont
d'une exécution maladroite et rudimentaire. Mais leur fabrique
sut bientôt se signaler par une spécialité exclusive : ils mirent à
la mode les vases épigraphiques à légendes décoratives. L'in-
scription occupe le milieu de la panse, entre une bordure d'oves
et une zone de fleurons, de feuilles, de personnages ou d'ani-
maux. On y lisait des invitations à boire : « Bois, ami, de mon
vin « {biOe, amice, de meo); « remplis-moi de bière» {cervesa
reple). Certaines formules amoureuses ne sont, peut-être, f(uedes
appels à la dive bouteille : « Salut, ô divine ! » [ave, divina);
«viens à moi, amie » (veni ad me, arnica). Les légendes Bonus
puer, Bona puella, conviennent à des objets offerts en cadeau.
Ces industriels eurent aussi l'heureuse idée d'expédier dans les
diverses régions de la Gaule des vases décorés d'acclamations
ethniques. Les Rémois, les Séquanes. les Lingons, les Trévères
recevaient de Banassac des poteries avec formules appropriées :
Remis féliciter! Lingonis féliciter! Sequanis féliciter! Treveris
féliciter! Hanassac avait également l'Italie dans sa clientèle. On
a retrouvé l'un de ses produits à Pompéi. La période d'activité
de cette manufacture peut donc être fixée approximativement
au dernier quart du i*' siècle. Sous les Antonins, les potiers
Gabales végètent ou bien ont disparu.
Montans s'élève sur la rive gauche du Tarn, à une lieue environ
en aval deGaillac, sur un plateau qui domine d'une soixantaine de
mètres le niveau de la rivière. Ce fut un oppidum assez prospère
au temps d'Auguste, si l'on en juge par les monnaies, et dont la
vitalité s'arrête après Marc Aurèle. Les établissements cérami-
ques de cette localité nous sont connus depuis les intéressantes
COMPTES RENDUS CRITIQUES. 89
découvertes d'Elie Rossignol, qui commencèrent en 18o9; le
musée Saint-Raymond de Toulouse, grâce à un don généreux de
M. Rossignol, possède la série la plus importante des vases
sigillés de Montans. Ici, comme à Lezoux, les ateliers gallo-
romains n'avaient fait que succéder à des ateliers gaulois qui
fabriquaient, dans les derniers temps de l'indépendance, des pote-
ries peintes à décoration géométrique. Parmi les types figurés, les
sujets mythologiques sont en petit nombre; la majorité des
reliefs nous montrent des gladiateurs, des bestiaires et surtout
des animaux. Voisins de la Garonne, « les potiers de Montans
utilisaient la grande voie fluviale qui leur ouvrait en Aquitaine de
larges débouchés ». Aussi exportent-ils de préférence leurs pro-
duits dans le sud-ouest de la Gaule. Leurs vases abondaient sur
le marché de Bordeaux.
Le second tome de l'ouvrage de M. Déchelette est un Cof-pusdea
types figurés et des motifs ornementaux qu'il a pu recueillir sur
les poinçons, moules et vases d3S officines gallo-romaines. Ce
riche inventaire comprend 1185 numéros pour les seuls vases
moulés. 139 pour les poteries à reliefs d'applique de fabrication
arverne et 153 pour celles de la vallée du Rhône; il est illustré
d'environ liJOO dessins. Voici les principales conclusions que
l'auteur a dégagées de ce travail. Les potiers ont puisé leurs
modèles aux sources hellénistiques. Ils n'ont jamais repré-
senté les divinités gauloises. C'est exclusivement sur les
vases à pâtes blanches de Saint-Rémy et de Gannat qu'apparais-
sent quelques rai'es éléments d'origine celtique. Le décor des
poteries routes fut d'abord composé de simples ornements, guir-
landes et godrons ; telle était à la même époque la décoration des
vases d'Arezzo, alors en décadence. Quand les ateliers rutèneset
arvernes adoptèrent le décor figuré, il fallut constituer un réper-
toire de types. On emprunta les motifs non pas à la céramique
italienne, mais à des objets de toute nature, statues, statuettes,
reliefs, intailles; sous l'Empire, les sculpteurs de bas-reliefs
usaient volontiers du même expédient. Presque toute la série des
Vénus est empruntée par les céramistes à des œuvres populaires
de la sculpture gréco-romaine. Les sujets les plus communs sont
naturellement ceux qui étaient à la mode dans l'art décoratif du
Haut Elmpire : Amours et Vénus, Silènes et Satyres, Tritons,
Tritouesses et Néréides. Mercure se manifeste sous une douzaine
d'aspects. Hercule sous une trentaine. Les sujets de genre, les
90 ANNALES DU MIDI.
scènes rustiques, idylliques, familières reproduisent naïvement
ou gauchement, parfois même à contre-sens, des thèmes de l'école
alexandrine. Les scènes de l'amphilhéâ+re et les sujets de chasse
sont répétés à satiété. Le céramiste Libertus, artiste de talent
qui vivait à Lezoïix vers 1 époque de Trajan et qui eut un rôle
prépondérant dans la composition du léperloire lédozien, imita
de préférence la décoration des vases métalliques. Si l'on excepte
les produits de Libertus et de quelques autres, les vases sigillés
de la Gaule romaine n'offrent leplus souvent qu'un décor de rem-
plissage, obtenu à l'aide de poncifs dont le choix ne fut pas tou-
jours intelligent et dont le groupement n'est )»as toujours
fort logique. Mais, déclare judicieusement M. D., « si nous
nous représentons qu'à partir du second siècle le commence-
ment de la décadence des arts industriels n'était pas moins sen-
sible en Italie et dans toutes les provinces, nous serons conduits
à juger avec moins de sévérité l'œuvre des potiers gaulois. Il
sera plus équitable, en effet, d'envisager avant tout le puissant
effort accompli par eux dans le domaine industriel. Tandis que
leurs tours ne cessaient de produire, aux conditions les plus éco-
nomiques et par énormes quantités, une poterie dont les quali-
tés techniques provoquent aujourd'hui l'admiration des céramis-
tes, alors qu'un commerce des plus florissants s'exerçait sur cette
marchandise et la transportait au loin, que devenait l'activité
jadis si féconde des représentants de cette industrie dans les
régions méridionales de l'Empire? Où trouver alors, soit en ter-
ritoire hellénique, soit en Italie, une fabrique comparable à celle
de Lezoux?... C'est à ce titre qu'il est juste de revendiquer pour
les officines de la Gaule romaine un rang des plus honorables
dans l'histoire du travail aux temps antiques ».
Nous savons d'autre part que de nombreuses industries furent
prospères en Gaule, sous l'Empire : telles la métallurgie, la
bijouterie, la verrerie, la laine, le lin. « On rencontrait dans les
petites villes gauloises, dit M. Ferrero, des artisans habiles,
très exactement initiés aux diverses industries orientales et qui
excellaient à les imiter. L'Italie et les provinces danubiennes
leur fournissaient des débouchés. Il semble résulter de ces faits
que la Gaule aurait joué quelque temps, dans le monde antique,
le rôle assumé par l'Allemagne depuis une trentaine d'années.
La Gaule excella dans la vulgarisation industrielle et dans ce
qu'on appelle aujourd'hui la pacotille. Rien d'étonnant à ce
COMPTES RENDUS CRITIQUES. 91
qu'elle ait fini par devenir riche. Richesse considérable, richesse
comparable à celle de l'Egypte. Ces deux provinces furent long-
temps les plus florissantes de l'empire, les plus imposées aussi ».
De cette prospérité économique résulta, d'après M. Ferrero, un
fait politique dont l'importance est capitale : la Gaule fit contre-
poids à l'Egypte et à l'Asie Mineure. « J'estime que, sans la
Gaule, Rome ne fût pas restée capitale de l'empire. »
H. Graillot.
V. Crescini. Manualetto proveuzale, per uso degli alunni
délie FacoUà\di lettere seconda edizione emendata
ed accresciuta. Vérone et^Pa(loue,prucker, 1905; ia-12 de
548 page-,.
C.-H. Grandgent. An Oatline of the Phonology and Mor-
phology of old Provençal. Bostoo, Heath, 1905; petit.
ia-S*^ de xi-159 pages.
La deuxième édition du Manuel de M. 'V. Crescini a été déjà
annoncée sommairement ici (XVII, 448); si nous y revenons
aujourd'hui, c'est pour insister sur quelques points de détail de
l'introduction grammaticale. Cette publication ne pouvait s'ac-
commoder que d'une rapide esquisse de la grammaire proven-
çale; M. Crescini, dont les notes prouvent qu'il est admiiable
ment au courant de la bibliographie du sujet, n'a rien oublié
d'essentiel. Voici les remarques et observations que nous a sug-
gérées la lecture de cette partie du Manualello.
Phonétique. — P. o. La forme valdôtaine zh' < caru est rele-
vée ; à en rapprocher la forme tsi < capul des dialectes franco-
provençaux. — P. 6. L'explication de aigua par * augua ne me
paraît pas admissible. On s'étonne de ne pas voir citée ici la
dissertation de M"e Hiirlimann (cf. i^oma^ita, XXXIII, 461), au lieu
du paragraphe de Meyer-Liibke, qui est vraiment trop bref. Il en
est un peu de même d'ailleurs de celui qui est consacré par
M. Crescini au traitement de a. Il n'aurait pas été inutile de rap-
peler que a fermé est devenu d'assez bonne heure o, du moins
dans de nombreux dialectes; il n'est pas parlé non plus des
formes gasconnes où aa provient de a fermé. — P. 10, Debetz
(avec e ouvert) s'explique par etz {estis). — P. 22. Gallicisme en
92 ANNALES DU MIDI.
parlant de joi est trop vague; on peut préciser et dire poitevi-
nisme; cf. Jeanroy, Poésies de Guillaume IX, p. 12. — P. 33. Le
domaine de it, eh lat. et) devrait être indiqué d'une manière plus
précise. — F. 38. Euz(i vient de * elicem non de llicem. — P. 43.
Probaina renvoie a *prop igina, non à propaginem. — P 44, n. 1.
Le renvoi à Foerster, op. cit., est insuffisant, le volume ayant
été cité vingt-quatre pages avant. — P. 45. J'écrirais lauzenja,
breujar, greujar, et p. 48 manjadoira. — P. 46, 1. 5. A propos de
cj, tj, il fallait mettre en tète du développement les formes
de la Chanson de Sainte Foi, qui sont les plus anciennes. —
P. 52, 1. 8. La forme a-uel est française. — P. 54. Le phénomène
s > i est à rapprocher de t > i, traité à la page précédente, le
processus étant en somme de même nature. — Ibid. Dominicus
est aussi représenté par domergue. au moins comme nom propre.
— P. 57. L'explication de l ^ i dans aitre (allerum) est intéres-
sante, et le rapprochement avec les langues de la péninsule ibé-
rique me paraît s'imposer; mais aiial, aitant représentent acla-
lis, actanium. — P. 61. Conortar ne pré.sente pas au premier
abord le même traitement que preon : l'explication donnée par
M. Grandgent [Old Provençal, p. oO) est plus claire. — P. 63.
L'explication donnée en note pour orne me paraît être la bonne.
— P. 65. C'est hoc + que au lieu de hoc -\- ue qu'il faudrait par
analogie de dunque ; mais cette addition n'est pas nécessaire. —
P. 68, n. 2. Il n'est pas probable que palais soit un emprunt
français; l'emprunt remonterait trop haut, car on prononce le
second a.
Morphologie. — P. 78. Il ne me paraît pas douteux que cabal-
lario représente de très bonne heure, dans le latin vulgaire,
l'ensemble des cas obliques du singulier. — P. 82. Breviari, tes-
timoni ne peuvent pas être comparés à damnalge, etc. : il s'agit
de formes savantes ou demi-savantes. — P. 87-8. Je crois à la
théorie de M. Philipon sur l'origine des noms propres en -on. La
question de l'accent est capitale; l'accentuation germanique
Hugo, Hi'igun n'a pu être changée que sous une influence latine.
La question de s du nominatif me paraît beaucoup moins impor-
tante. — P. 90. Cor (lat. cor) est encore sans s dans la plupart
des dialectes du midi ; il n'en a sans doute jamais eu dans le
parler populaire. — P. 115. Je ne crois pas — d'accord en cela,
sauf erreur. a^fcM. Chabaneau — à 1 existence de l'article el. —
P. 115-6. Los formes de l'article signalées dans Ux Chanson de
COMPTES RENDUS CRITIQUES. 93
Sainte Foi remontent à ipse et ipsa ; la graphie du manuscrit ne
doit pas nous faire illusion.
Additions. — P. 171, l. 24. Lire domine au lieu dç nomine.
La grammaire de l'ancien provençal que publie M. Grandgent
estl-i fruit de longues années de travail, car l'auteur déclare
dans sa préface qu'il s'en est occupé plus ou moins régulière-
ment pendant une période de vingt ans. Il y a des chances à
priori pour que le résultat d'un .si long labeur soit excellent; et
la lecture du petit livre de M. Grandgent confirme en très grande
partie cette présomption.
Le volume comprend, après une courte introduction, la phoné-
tique et la morphologie de l'ancien provençal. Dans l'introduc-
tion le classement des voyelles et des diphtongues (p. 5) n'est
pas des plus heureux, car s'il s'agit de représenter le son de la
diphtongue ue, il est peu logique de mettre sur la même ligne o
et de classer cuec à côté de olh; cf. uei = ai. Ce tableau devrait
être refait.
Nous exprimerons le même désir pour la carte qui est en tête
de l'ouvrage et qui gagnerait à être développée; M. G. aurait
dû ajouter le nom des villes importantes qui se trouvent en deçà
ou au delà de la frontière linguistique. Dans la même introduc-
tion, rénumération des caractères qui distinguent le gascon des
autres dialectes méridionaux fp. 7) est trop brève aussi; il aurait
fallu parler du traitement de II devenu final, puisqu'il est ques-
tion de II intervocalique.
Voici ce qui nous a paru contestable dans la phonétique.
P. 1 1, Rem. 3. Classer reddedi à part, avec tes parfaits en -dedi. —
P. 1i, g îi. L'upsilon n'est pas toujours rendu par m, i; ex. gup-
sos ^jéis (plâtre). — P. 16, Rem. I (e) ; la forme sélse avec le
premier e fermé, dans le languedocien moderne, doit être an-
cienne. — P. 18, R. 6. Le croisement de plexus et de paxillus pour
donner p^ais est peu vraisemblable; il suffit de remarquer, pour
expliquer le changement, que les sonsej eiai sont très voisins .
ce qui explique que ay (habeoi soit si facilement passé à ei. —
P. 21, R. 3. Je ne vois pas qu'il y ait trop de hardiesse à faire
remonter ara au lat. vulg. âora. Le iirec à'pa irait à merveille,
mais la sémantique serait-elle satisfaite ? — P. 24. C'est trop vite
dit que de dire : ioi, ioia, ioios sont d'origine française : il y
aurait lieu au moins de préciser la date et la provenance. —
94 ANNALES DD MIDI.
P. 26, R. 1. Piiu dans ' pû{e)Uicella changé en piu sous l'influence
de pius paraîtra au moins invraisemblable! C'est un développe-
msnt phonétique qu'il faut invoquer, celui de u en i devant
labiale (voy. Thomas, Nouveaux essais, p. 210, n. 1). Je ne crois
pas non plus à l'influence de az (ad) sur vas > ves : le change-
ment s'explique par l'emploi du mot comme proclitique (avec in-
fluence du V initial). — P. 26, R. 2. Aissi venant de eissi s'expli-
que aussi phonétiquement; l'analogie n'a rien à faire dans ce
développement. — Ibid. R. 3. L'influence française dans ti-esanar
est toat à fait contestable. — P. 27. R. 3. Fenit s'explique comme
vezi par dissiinilation vocalique. — P. 32 : Flebilem ne peut pas
àonwQT frevol\ cf. avol ; faut-il admettre ' flebulem ? — P. 33,
R. 4. L'analogie de ferra n'a que faire dans le traitement de
ferre-, cf. auj. tourre et tour, mourre et mour, sorre et sor. —
P. 33, R. o. L'explication de coma par analogie de bona, mala ne
me paraît nullement démontrée. Cet a peut avoir été emprunté
dans des locutions comme les suivantes : com a mi, com aco, etc.
— P. 35. R. i. Les doubles formes frair, fraire, etc., ne doivent
rien à des formes comme vair, vaire: pour sorre, sor, cf. supra.
— P. 3j, N. 2. L'alternance entre n et r (dans mongue, morgue)
est une question de pure phonétique; cf. domergue, canorgue, les
noms de lieu en -argues {-anicas), etc. Cf. encore p. 52, 1, où
la même explication revient. — P. 3">, R. 1. L'explication de faim
(facimus) serait mieux à sa place dans la morphologie. — P. 40.
M. G. consacre un paragraphe aux consonnes : pourquoi ne
l'a-t-il pas fait également pour les voyelles? C'était le cas de
citer ici E. Mackel, Die germanischen Elemente..., etc. Ce para-
graphe ne perdrait rien à être un peu plus développé. — P. 53,
R. 2. Puisque M. G. cite les départements où r intervocalique
passe à z, s, il eût pu ajouter l'Aude à l'Hérault et au Gard,
les exemples tirés des archives narbonnaises étant très nom-
breux — P. 54, R. 3. Mezeis n'a pas subi d'influeuce. U s'agit là
de mots très fréquemment usités, où le passage de < à d, puis z
ne présente pas de difficultés. — P. 54, R. 5. Calabre au lieu de
Vadabre, par l'analogie de Calabria, est bien invraisemblable.
— iôîci. Que vient faire ici le « bourguignon » [sor, sobre)? —
P. 61. U n'est pas probable que vezoa (vidua) soit un mot savant,
pas plus (\\XG pi'rdoa,(iic. (voy. ThomsiS, Essais de philologie, p. 90);
c'est le même traitement qui de vèzoa a fait dans les dialectes
modernes x-éuza. — P. 62, leuns pas davantage. — P. 65. Saubia
COMPTES RENDUS CRITIQUES. 95
est aussi languedocien; of. Revue des langues romanes, 1897,
p. 321, § 162. — Fbid. Le processus de cambiare .. cambiar me
paraît mal exposé : que vient faire la forme caniar ? — P. 66,
Asabenlar est évidemment refait sur sabenl; il était inutile de le
rappeler. — Ibid. En employant i pour j partout, M. G. rend les
mots méconnaissables; si piion est un emprunt français, il faut
au moins l'écrire pijon! — P. 66. Cargar et clergue [cierge] exis-
tent dans les dialectes modernes; ils sont évidemment anciens.
— P. 68. Pourquoi êcTwe parage et viaie ? — Ibid. Sazo ne peut
pas venir de stationem. Le provençal, le français et l'espagnol
exigent sationem : la saison est proprement le temps des semail-
les. — P. 68. N. 2. Poizo doit être commun aux dialectes méri-
dionaux. Ce chapitre 3 [Groups ending in y) devra être retouché
dans une deuxième édition. — P. 70, R. 3. Pâlies peut être rap-
proché du lang. mod. tebés, coubés où s est emprunté aux formes
féminines coubézo. lebézo ; *padillus est bien inutile. — P. 76. Le
développement de amygdala présente peu de difficultés si on
lient compte de la forme amendola; ce n'est pas le seul cas où
upsilon a passé à i, e en latin vulgaire; cf. p}'esbilerum ; n épen-
théthique ne fait pas non plus de dilflculté. — P. 77. Batejar
vient de baplidiare.
Mo7'phologie. — P. 101. Le paragraphe 119 sur les dérivés de
ipse devrait être plus développé. — P. 110. Quin et quina me
paraissent représenter qûn, qûno proclitiques, dans des phrases
exclaraatives comme qûn âme; ainsi donc qui unus et non qui-
nam. — P. 130. Il me paraît difficile d'admettre que i de la pre-
mière personne du prétérit de l'indicatif soit dû à l'analogie de
Vi de vei, dei, etc , où il formait le second élément d'une diph-
tongue et avait peu d'i valeur par lui-même.
Un index assez détaillé, mais non complet termine l'ouvrage.
Malgré les réserves que nous avons dû faire sur quelques
points de détail, ce petit livre est appelé à rendre de grands
services. La plupart des grammaires provençales que nous avions
jusqu'ici servaient d'introduction ou d'appendice à des recueils
de textes ; elles n'existaient, pour ainsi dire, qu'en fonction de
ces recueils. C'est ici la première grammaire qui se présente
sous une forme indépendante. Saluons-la avec sympathie et
souhaitons lui bon succès. Quoi qu'elle n'ait pas de prétentions à
être complète, les principaux faits s'y trouvent, et si l'auteur,
comme il est probable, la tient au courant et la fait profiter des
96 ANNALES DU MIDI.
indications de la critique, elle deviendra un manuel indispen-
sable, J- Anglade.
L'abbé J. Lestrade. Les Huguenots dans le diocèse de
Rieux. Auch, Cocharaux, Paris, Champion [1905]; in-S"
de xiii-258 pages. {Archives historiques de la Gascogne,
2* série, fascicule VIII).
La « Société historique de Gascogne », continuant ses publica-
tions de documents sur les guerres de religion, nous donne Les
Huguenots clans le diocèse de Rieux après Les Huguenots en Com-
minges, dans la Navarre el en Béarn. M. l'abbé Lestrade, auteur
de l'une et de l'autre publications, a trouvé les principales
sources de la première dans les riches archives de la Haute-
Garonne (fonds de l'évêché de Rieux). Il a mis. en outre, à con-
tribution les archives de Muret, celles de l'Ariège, celles du Par-
lement de Toulouse et même les archives nationales. Le présent
recueil donne des renseignements nouveaux et précis sur la mar-
che de Montgomery. Ce dernier, appelé par la reine de Navarre
au secours de Navarreins assiégé par Terride, partit de Castres,
traversa le Lauragais, le comté de Foix. le Nébouzan, le Bigorre,
et arriva en B'arn après avoir déjoué la surveillance de Belle-
garde, de Damville et du terrible Monluc. Son armée passa, pil-
lant et, dévastant le pays. 11 est possible de déterminer son iti-
néraire à travers le diocèse de Rieux et aussi les dates exactes de
son passage. Ces détails ne nous apprennent rien de nouveau
sur les rava^(es que causaient les troupes calvinistes ou catho-
liques. Celles-ci, dailleurs, étaient aussi ardentes que celles-là
à s'emparer de tout, même des biens ecclésiastiques; Monluc
nous renseigne à ce sujet.
M. l'ablié Lestrade a eu 1 heureuse idée de ne pas s'arrêter au
xvi«sit''cle;et une s<''rie de documents, laplus nombreuse (p. 59-212),
nous fait connaître comment, de 1G2.3 à la veille de la Révolu-
tion M769), les catholiques, devenus les maîtres, traitèrent les
huguenots. Destructions des murs des villes protestantes et des
temples, contributions à des œuvres exclusivement catholiques,
entraves ii l'exercice du culte, conversions forcées, surveillance
des nouveaux convertis, mise en demeure de ces derniers de
pratiquer leur nouvelle religion, entraves aux mariages mixtes,
COMPTES RENDUS CRITIQUES. 97
ministres condamnés à mort etfidùles aux ^salères, mises hors la
loi, voilà le régime auquel furent soumis ceux qui ne voulaient
pas abandonner la foi de leurs pères. La noblesse céda, surtout
après la Révocation de l'Edit do Nantes. Il en fut de mêine de la
haute bourgeoisie Ou tr)uve mê n ? parmi les chefs actuels du
parti catholique des descendants de notables huguenots,
d'anciens des Eglises réformées. Le peuple seul résista, et on se
demande comment la religion protestante a pu conserver tant
d'adeptes dans un pays où les rigueurs déployées contre elle
furent si impitoyables.
Deux documents sont particulièr.'ment remarquables, car leur
porti'^e dépasse les événements à propos desquels ils furent rédi-
gés. Le premier est le « Mémoire su'^ les nouveaux convertis » qui
fut envoyé par M. de Bertier. évêquede Rir-ux. à l'archevêque de
Paris, en 1698, en réponse à la lettre écrite parce dernier, de la part
du roi, sur la conduite à suivre envers les huguenots qui, apiès
avoir abjuré, continuaient à pratiquer le calvinisme. Ce mémoire
a été publié par M .Jean Lemoine dans les « M ■moires des évê-
ques de France sur la conduite à tenir à l'égard des réformés. »
(Paris, Pii-ard.) La minute trouvée aux archives de la Haute
Garonne diffère en trois endroits, légèrement il est vrai, du texte
imprimé. Elle estaccompagnée. en outre, d'annotations, citations
et remarques soit ajoutées après l'envoi, soit supprimées dans la
rédaction officielle. Les moyens proposés sont les suivants :
1" dans chaque lieu exiler et envoyer le plus loin qu'on pourra
quelques-uns de ces vieux piliers de consistoire, et les plus opinià
très « aux colonies françaises ». Le prélat ajoute en note que ce
n'est pas une dureté, mais un moyen d'empêcher de nuire, que
d'exiler; 2" révoquer la dernière déclaration par laquelle les
biens des réfu,,àé3 sont unis aux domaines de Sa Majesté, ensuite
appliqués aux hôpitaux et en dernier lieu donnés aux plus pro-
ches parents des réfugiés. C'est cette dernière disposition qui est
mauvaise ; 3" « défendre aux nouveaux convertis d'exercer la fonc-
tion de médecin, apothicaire et chirurgien, ni de tenir boutique
sans permission par écrit des intendants des provinces, qui ne
les accorderont... que sur le certificat de l'évêque diocésain que
ces particuliers ont fait continuel. ement toutes les fonctions de
catholiques, du moins depuis un an. » Il est dit enfin « qu'on ne
peut se dispenser d'obliger par des peines pécuniaires tous les
nouveaux réunis, sans distinction, d'aller à la messe et aux ins-
ANNALES DU .MIDI. — XIX 7
98 ANNALES DU MIDI.
tructions, d'y conduire leurs enfants et d'assister encore avec
modestie aux divins mystères, sous peine de prison. » Un com-
mentaire ne pourrait qu'affaiblir la portée de ce document.
Le temps marche, et un demi siècle plus tard, le 29 juillet 1753,
M. de La Roche-Aymon, archevêque de Narbonne, envoie à M. de
Catellan, évêque de Rieux, sur la conduite qu'il doit tenir à
regard des huguenots des conseils que M L. déclare pleins de
modération et de prudence. Le roi et ses ministres sont décides
à arrêter les entreprises des religionnaires en faisant cesser
entièrement les assemblées, baptêmes et mariages, qui se font au
désert. Des troupes seront bientôt envoyées. Mais le ministère
persiste à croire que le mal serait moins grand si les évêques se
relâchaient de la rigueur des épreuves que la plupart exigent
des nouveaux convertis avant de les marier. Les curés devront
s'abstenir de donner dans les actes de baptême la qualité de flis
naturels aux enfants de ceux qui n'ont pas été mariés à l'e^lise.
On donnera simplement la qualité de dis à tous les enfants,
quelle que soit leur origine. Le Conseil de S. M. est d'avis que les
curés ne sont pas juges de la qualiié des enfants pas plus que
de leur sexe, et doivent se borner à enregistrer la déclaration
qui leur est faite. Voilà donc les mariages au désert interdits et
cependant, en quelque sorte, reconnus. L'archevêque se plaint
doucement et dit à son correspondant <^ qu'il ne s'agit pas au-
jourdhuy d'exiger tout ce qui seroit à désirer... C est aujour-
d'huy plus que jamais le cas de devoir dire : Quod polest sacer-
dos (acial, quod non potesl misericorailer gemal. » Le clergé lit,
en effet, tout ce qu'il put et, en 1767, le curé de Saverdun s'en-
tendait traiter de délateur par M. de Paulhiac, seigneur du lieu.
Le recueil est terminé par de nombreux arrêts du Parlement
de Toulouse contre les huguenots.
Après cette analyse, il est inutile d'insister sur la conscience
avec laquelle M. L. a reproduit les documents. Peut-être eût-il
mieux fait de les transcrire tous intégralement, car l'auteur ne
peut jamais savoir si un détail qui lui paraît inutile ou négli-
geable ne sera pas pour tel lecteur d'une certaine iraporiance.
Mais cette observation ne vise que peu de passages de ce livre
très remarquable. M. l'îibbé L. n'ambitionne, dit-il, que « le
téaioi nage d'absolue impartialité que des juges non suspects
lui ont procédeiuuient décerné. ■ Il le mérite par ie choix des
documents. Pourtant ses convictions se font jour parfois dans
COMPTES RENDUS CRITIQUES. 9Ô
les commentaires. Il emploie pour désigner le protestantisme
l'expression aujourd'hui tombée en désuétude de R P. R. [reli-
gion prétendue réformée], qui n'a d'ailleurs jamais appartenu
au langage de l'histoire. Il qualifie de théâtral le style dans
lequel !'« Histoire du protestantisme français » raconte une
scène cV abjuration qui eut lieu sous la halle du Mas-d'Azil. Ce
n'est pas le style qui est théâtral, c'est la scène organisée par
le clergé catholique. Le seul point intéressant est de savoir si
les détails reproduits sont exacts.
Quant aux expressions d'abjuration et d'apostasie, pourquoi
s'en moquer quand ce sont des huguenots qui en font usage?
Elles ne sont pas exclusivement réservées aux catholiques et,
si elles sont ridicules, pourquoi M. L. s'en sert-il fp. vii)?
En résumé, cette publication est d'une importance capitale.
Très complète et très impartiale, elle fait honneur à la Société
historique de Gascogne et à M. l'abbé Lestrade.
A. ViGNAUX.
REVUE DES PÉRIODIQUES
PÉRIODIQUES FRANÇAIS MERIDIONAUX
Alpes (Basses-).
Annales des Basses-Alpes. Bulletin trimestriel de la So-
ciété scientifique et littéraire des Basses-Alpes, 26*^ année,
t. XII, 1905.
Fasc. %. P. 1-8. Cauvin. Etudes sur la Révolution dans les Basses-Alpes.
La Grande Peur. [Juillet-août 1789; d'après les archives de Digne,
Moustiers et Seyne ; caractère patriotique que prennent là les mesures
de défense improvisées par les paysans et les bourgeois, l'ennemi
étant supposé venir du dehors ; persistance des milices et gardfs natio-
nales ; suite et fin, p. 85-95.] — P. 8. X. Nobles de Digne. [Mention d'un
acte du notaire Gaudemar, arch. des B.-A., sans intérêt.] — P. 9-22.
Jaubeut. Souvenirs de décembre 18")1. [Impressions d'un écolier sans
doute véridiques, mais lointaines et contrôlées par des lectures.] —
P. '<jy-84. LiEUTAun. Une nouvelle source de l'histoire bas-alpine. Le
journal de Jean Lefèvre (1382-1388). [Fin. Extraits de l'édition Moran-
villé, annotations d'intérêt local; utile.] — P. 35-52. Da.mase-Arbaud.
Les possessions de l'abbaye de Saint-Victor dans les Basses-Alpes.
Diocèses di; Senez (Suite et p. 96-111), d'Embrun (p. IHu-C, à suivre).
[Précis, beaucoup de renseignements et de références ; notices sur la
famille de (Jastellane, sur les seigneurs de Moriez ot de la Mure.] —
P. G2-4. Vars. Un milliaire d'Aurélien. [Trouvé à Saint-Jeannet, quar-
tier Salignac ; publié d'après un estampage : imp. caes. l. dom. | aure-
UANUS p. F. I INVICT. AUO. P. M. | TRIB. P. VI . COS . III . | P. P. PROCOS |
PERIODIQUES MÉRIDIONAUX. 101
P.K3TIT. oRBis | REFEC ] ET RESTiTUiT | XV. | . L'éditeur annoncc une
étude de topographie à ce sujet, non encore parue.] — P. i-xliv (avec
pagin. spéciale). Extraits des comptes de la vicomte de Valernes (1401-
1408). [Sans nom d'éditeur; aucune note ; aucune indication d'origine-
Peu utilisable en l'état.]
Fasc. 97. P. 65-84. F. Vkve. Paul Arène. [Né à Sisteron, 2Q juin 1843;
mort à Antibes, 17 déc. 1896 ; biographie littéraire et documentée,
intéressante.] — P. 111-8. J. Delmas. De Céreste à Reillane. [Souve-
nirs historiques.] — P. 119-122. V. L[ieutaud]. Donation de Volone et
de Rognes (3 février 1489) par Fouque d'Agout, seigneur de Sault, Mison,
Tour-d' Aiguës et Volone, à Fouquet Vincens, coseigneur de Rognes.
[Résumé avec extraits; orig. Arch. B.-d.-R., reg. Phénix, B, f. 190.]. —
P. 123-4. [Lieotaud]. Changement du nom de la Tour de Bevons en
celui de Valbelle (février 1687). [A la demande de J. de Valbelle, mar-
quis de Tourves, glorieux descendant d'un pharmacien marseillais; le
peuple a continué à appeler cette localité La Tourré.]
Fasc. 98. P. 129-53. Bigot (P. -H.). Saint-Sauveur de Manosque. [Mono
graphie utile et bien documentée ; quelques notes bibliographiques sur
les précédents historiens de Manosque; description de l'église; catalo-
gue avec lacunes des curés de Saint-Sauveur. A suivre.] — P. 154-79.
V. LiEUTAUD. Le protocole de Jean Monge, notaire à Digne, 1478. [Des-
cription du manuscrit très précise ; grand nombre de renseignements
d'intérêt économique et social.] — P. 188. X. Résumé en français du
testament de Pons de Justas, seigneur de Peypin (27 mars 1327).
[Aucune indication d'origine.]
Fasc. 99. P. 189-209. XX. Une promenade à Chanolles. [Rien d'historique.]
— P. 210. [Texte provençal de r]acte de réception du juge et du viguier
annuels dignois, Antoine Reynard et Maurice Taulier, 23 mai, 4 juin
1432. Orig. arch. munie. Digne, BB 15, f° xi.J — P. 211-36. Arnaud
d'Agnel. Le préhistorique dans le sud-ouest des Basses- Alpes. (12 plan-
ches et plan.) L.-G. P.
Charente.
Société historique et archéologique de la Charente,^ Bul-
letin et Mémoires^ 7*^ série, tome V, 1904-1905.
I. Bulletin. — P. xxvii. Mourier. Note sur un ex-libris de Cosson de
Guimps, bibliophile angoumoisin. — P. xxviii-xxxvi. G. Ch\uvet.
Hypothèses sur les sujets représentés dans les sculptures de Saint-
André de Rufifec. — P. xxxvi-xxxviii. G. Chauvet. L'hommage du roi-
102 ANNALES DU MIDI.
telet et la fête des fous à Villejésus (xv-xvin* s.). — P. xxxix-xl.
Lettre de Jean de Neuville, lieutenant en Aquitaine, à Richard II (1380),
p. p. DE La. Martinière. [Au sujet de l'abbé de Bournet : épisode du
grand schisme.] — P. xlii-xlv. D. Touzaud. Saint Cybard et les reclus
au vi« siècle et jusqu'au xvii'^ siècle. [D'après l'étude d'Esmein, avec des
notes complémentaires.] — P. XLV-XLVin. D. Touzaud. Le louage des
domestiques agricoles et les foires, fêtes ou assemblées d'accueillage en
Angoumois et Poitou. [D'après l'opuscule de Papillaud sur les Foires
de la région de Barbezieux et d'autres sources.] — P. xlix-lyi.
G. Chauvet et J. de La Martinière. Notice sur Brigueil. [Etude criti-
que sur la monographie due à l'abbé Pérucaud.] — P. lxiv-lxv. A. Fa-
VRAUD. La station gallo-romaine de la Font-Brisson (commune des
Gours). — P. Lxxii. Abbé Legrand. Note sur des cartiers d'Angou-
lême. — P. Lxxiii. G. de La Martinière. Note sur l'évaluation de la
seigneurie de Balzac (1778). — P. lxxiv-lxxv. Lettre de M. de Breteuil
au syndic de Blanzac, p. p. J. de La Martinière. [1719, janvier ; au
sujet du logement du régiment de Poitou.]. — P. lxxvi-lxxvii. Abbé
Mondon. Deux ermitages de la Charente. [A Bellevaud et à Pranzac]
— P. Lxxvii-Lxxviii. E. Biais. Le portrait en émail, par Petitot, de
François V^I de La Rochefoucauld. [L'auteur des Maximes.] — Id.
L'office de la Vierge exécuté par Jany (1651) pour le même. — P. lxxix.
Id. Note sur le portrait de la duchesse d'Estissac par Nattier. —
P. Lxxxiii-Lxxxiv. Mourier. Note sur trois ex-Jibris (xvii'^-xviii' s.) du
marquir, d'Aubeterre, des marquis de La Rochefoucauld-Bayers et de
Montalembort. — P. lxxxiv-xc. Abbé Pérucaud. Note sur l'origine
des seigneurs de Brigueil, suivie d'observations par J. de La Marti-
nière. [Celui-ci remarque avec raison que rien ne prouve jusqu'ici
que cette seigneurie ait appartenu avant 1283 à la maison de Roche-
chouart.] — P. xc. Abbé Perchet et J. de La Martinière. Note
relative à la famille d'Alloué et à ses alliances au xvii» siècle avec
le seigneur de Rochevert (Chartrain). — P. xcm-xnv. Abbé Legrand.
La protestation de dom Mathieu Messeix, bénédictin de Saint-Maur,
résidant au monastère de Bassac (29 octobre 178L. [Au sujet de lu ré-
forme de l'ordre de Saint-Maiir et de rassemblée tenue à Saint-Denis
(septembre 1783), avec extraits et commentaire.] — P. xcvii-xnx. Abbé
Legrand. La déformation du nom d'Eparchius en Cybard. — P. xcix-cii.
Mourier et J. de La Martinière. Note sur Rouillé, intendant de la gé-
néralité de Limoges, et sur l'agrandissement du couvent des Minimes
d'Angoulôme en 170j. — P. ni-riu. Mourieu. Un ex-libris du mnrquis
d'Argenson.
PERIODIQUES MERIDIONAUX. 103
II. Mémoires et Documents. — P. 1-410. Livre des Fiefs do Guil^
laume de Blaye, évèque d'Angoulême, p. p. l'abbé J. Nanglard. [Avec
introduction et notes : recueil do chartes conservé au trésor de l'évê-
clié d'Angoulême, dépôt distinct des Archives départementales; les
chartes éditées s'échelonnent de 1173 à 1491; le recueil comprend de
plus une liste de fiefs par châtellenies ; les états de droits dus à l'évè-
que par les paroisses des archiprêtrés et des décimes supportés par les
bénéficiers du diocèse au xv« siècle ; enfin, une relation de l'élection et
du sacre d'Octavien de Saint-Gelais (1494). Guillaume de Blaye, qui fit
commencer le Livre des fiefs, mourut évèque d'Angoulême en 1307.
L'introduction et les notes sont utiles, mais contiennent quelques er-
reurs, notamment sur la chronologie des Lusignan ; le recueil ren-
ferme des documents de premier ordre pour l'histoire politique, écono-
mique et sociale de l'Angoumois. Une table excellente a été dressée par
J. DE La Martiniére.] P. B.
Drôme.
Bulletin de la Société d'archéologie et de statistique de
la Drame, t. XXXIX, 1905.
P. 1-72. Ch.-F. Bellet. Histoire de la ville de Tain. [Fin. L'auteur ter-
mine la première partie de cet important travail par une étude sur le
rôle du clergé. La cure relevait de l'archiprêtré de Saint-Vallier et de
l'archevêché de Vienne. Depuis le x« siècle, les Bénédictins de Chxny
avaient à Tain un prieuré dont les revenus en biens-fonds étaient de
10,000 livres et qui avait dii être composé de six religieux dont l'un
remplissait les fonctions de curé de la ville. Le prieur affermait (ar-
rentement) les biens de la mense à des rentiers qui en percevaient les
revenus à charge de subvenir à l'entretien des religieux, d'entretenir
le curé, son vicaire et ses clercs, de payer les impôts du prieuré, une
part de la prébende des religieux et de faire aux pauvres les aumônes
accoutumées d'après des listes dressées par le prieur et les consuls de
la ville, sous le contrôle du capitaine-châtelain. Mais si les rentiers se
montraient exigeants dans le prélèvement de la dîme, ils négligeaient
souvent d'acquitter les charges qui leur incombaient. Pendant le xvii»
et le XVIII» siècles, il y eut plaintes et protestations incessantes des
habitants privés des offices et des aumônes, des curés non rétribués, des
consuls contre les prieurs. La foi de la population reste cependant in-
tacte grâce au dévouement des curés aidés des confréries pieuses. On
trouve dans les comptes de la ville la première mention d'une école en
104 ANNALES DU MIDI.
1391, puis régulièrement à partir de 1599. Le maître d'école recevait
de la communauté des habitants, en 1599, 16 écus, 30 sols ; en 1720,
100 livres ; en 1750, 150 livres, plus une rétribution, payée par les familles
des écoliers, de 5, 10, 15 ou 20 sols par mois. Le maître était désigné
d'un commun accord par les prieur, curé, consuls et notables habitants.
Les familles riches envoyaient leurs enfants au collège des Jésuites de
Tournon. En 1789, grâce à une fondation, des religieuses dirigent une
école pour les filles pauvres. En 1785, le seigneur, M. Mure de Larnage,
fonde une école de garçons. Un hôi)ilrtl fut créé en 1481 ; il fut très flo
rissaut dès les premières années du xvip siècle.] — P. 73-91, 196-218,
273-91. Brun-Durand. Le président Charles Dncros et la société protes-
tante en Dauphiné au commencement du xvir siècle. [Suite et à suivre.
Retrace le rôle joué par Ducros qui, dès 1602, prit en main la défense
des intérêts du tiers état dans le procès des tailles, par lequel les Dau-
phinois réclamaient la substitution de la taille réelle à la taille person-
nelle et la suppression de l'exemption dont jouissaient les nobles et les
magistrats. En 1604, il obtint la fondation d'un collège à Die. 11 est
désigné par Henri IV pour être le représentant de robe du parti protes-
tant auprès de lui ; il est le porte-parole de Lesdiguières dans les synodes
protestants de la province ; il est en 1609 président de la Chambre de l'Edit
à Grenoble. L'auteur s'attache à montrer le caractère politique des as-
semblées protestantes qui, malgré l'Edit de Nantes, essayent de jouer
un rôle prépondérant dans l'Etat.]—?. 100-15, 149-67, 292-314,385-405.
J. CiiEV.ALiER. Mémoires pour servir à l'histoire des comtés de Valenti-
nois et Diois. [Suite. Histoire détaillée du développement du protestan-
tisme dans cette région pendant la seconde moitié du xvi'^ siècle : exploits
du baron des Adrets, de Montbrun, de Lesdiguières; pillages et ven-
geances tour à tour exercés par les protestants et les catholiques. A
signaler la création de «■ Ligues de l'équité », associations de défense des
bourgeois et des paysans contre les déprédations des gens de guerre des
deux partis. Un certain Jean Serves, dit Pommier, originaire de Mont-
miral, qui imi eui l;i direction, se trouva, en 1579, à Li tête de quatre
mille hommes armés, li'auteur conduit son récit jusqu'en 1642.] —
P. 1:^1-48. A. BiiRETTA.. Les cités mystérieuses de Strabon. [A suivre.
Cf. Strabon, I. IV, cli. i, | J(S5. Sur l'emplacement d'Aeria, terrftoire des
Cavares, M. I'.. cherche d'abord ce (qu'est r"Iaapoç; ce serait l'Eygues dont
le confluent a lieu « en face du point où les Cévennes se soudent au
Rhône ».] — P. 18.5-95. Dom G. ?*Lvii,let-Guy. J. de Montchenu, comte
et évêque de Viviers de li78 à U97. — P. 5^33-52, 406-33. R. V. C.
Population des laillabilités du j)auphiné. [A suivre. D'après un docu-
PERIODIQUES MERIDIONAUX. 105
ment del44ff. qui doit ("Ire identifié avec l'étude de rintendantBouchu, de
1698.] — P. 258-6Ô. X. Notes historiques sur la famille Bonnot-Condillac.
[Récit des démêlés entre les parents de Condillac au sujet de sa succes-
sion.] — P. 266-72. A. Lacroix. Les environs de Chàtillon. [Suite. Village
de Barnave à 2 kil.] — P. 315-35, 376-81:. E. Melmkr. Les ponts anciens
sur le Pihône. [Suite et fin. Le pont ancien fut probablement commencé
sous les auspices d'Odon, évèque de Valence, et de ses neveux les
seigneurs de Crussol. Un pont suspendu, œuvre de J. Seguin, fut
ouvert en 1830 et devint gratuit en 1885 seulement; le pont de pierre
(pont Loubet), inauguré en 1905, est le premier édifice en maçonnerie
construit sur le Rhône depuis ceux de la Guillotière et de Pont-Saint-
Esprit.] 0. N,
Garonne (Haute).
I. Bulletin de la Société ai chéulogique du Midi de la
France, 1905-1906.
p. 370-2. Pasquier. Sarcophage du xiv siècle, découvert place Dupuj', k
Toulouse (avec figure). — P. 372-3. Pasquier. Remarques sur les en-
ceintes fortifiées de Caumont et du Castelas de Belvezet, près d'Uzès. —
P. 373-8. Cartailhac. L'ambre dans les dolmens et les grottes sépul-
crales du Midi. — P. 379-82. J. de Lahondès. Le vieil Aibi; Exposition
Léon Soulié ; notice biographique sur Soulié. — P. 388-95. Galabert.
Jean Valette Penot, peintre montalbanais ; exposition de ses œuvres
A Bordeaux en 1766. — P. 395-400. J. de Lahondès. Une vue du quai
de la Daurade en 1781 ('avec une planche et deux figures). — P. 400-3.
Bégouen. Une stèle funéraire romaine trouvée à Saint-Girons en décem-
bre 1905. [Très bonne lecture et étude de l'inscription.] — P. 404-6,
FouRGous. Une statue de saint Pierre du xiii» siècle (àRampoux, Lot);
un buste de femme du xiv siècle à Cahors. — P. 406. Delorme. Note
sur des monnaies romaines trouvées à Nolet, près Grenade. — P. 406.
Cartailhac. Une cachette de haches de bronze près Millau (Aveyron).—
P. 407-8. Delorme. Prospectus de marchand toulousain du xvii' siècle.
— P. 409-11. Abbé Breuil. La dégénérescence des figures d'animaux et
motifs ornementaux à l'époque du renne. — P. 411-3, Abbé Galabert.
Un manuscrit explicatif des hymnes du Bréviaire. [Du début du xv siè-
cle.] — P. 413-8. Désazars de Montgailhard. Le tableau de Seysses;
un coin du vieux Toulouse (avec deux fig. et une gravure). [Excellente
étude sur le tableau du xvn" siècle, conservé dans l'église de Seysses
et représentant une procession des Carmes qui entre à Toulouse par la
barbacane du Château Narbonnais ] — P. 418-28. J. de Lahondès. La
1U6 ANNALES DU MIDI.
restauration des monuments. [Discours très intéressant.] — P. 429-42.
DÉSAZ.4RS DE MoNTGAiLH.'^RD. Rapport général sur le concours de l'an-
née. [Notices sur des ouvrages couronnés inédits : Au Pays de Brassac
(histoire des châteaux de Ferrières, Brassac, Belfortès, de Castelnau-
de-Brassac) ; François-Louis Lemercier du Chalonge (biographie de
cet évèque constitutionnel de Pamiers); Les Vicomtes et la vicomte
de Paulin dans le comté de Castres; Histoire de Saint-Michel-de-
l'Ancs.] — P. 443-6. J. de Lahondès, et p. 505-10, Rachou. Album de
portraits de parlementaires toulousains. [Intéressantes notices sur ce
recueil précieux de 123 portraits de parlementaires toulousains exécutés
à la fin du xvii" siècle.] — P. 448-9. Ms' Douais. Un contrat entre bala-
dins à Tholose en 1663. — P. 450-7. Ms' Batiffol. Manuscrit toulousain
au British Muséum. [Ce Graduel romain, qui n'a rien de toulousain,
renferme cependant trois pièces extraites du cartulaire de Saint-Étienne,
dont deux paraissent inédites.] — P. 451-2. J. de Lahondès. Notice sur
ce même manuscrit. — P. 452-5. Id. Les statues des deux femmes por-
tant un lion et un bélier. [Description et explication de ce bas-relief
du Musée de Toulouse.] — P. 456-8. J. de Lahondès. Despanses pour
les Jeux Floraux suivant le testametit de Darne Clémence, 1650. —
P. 458-9. Barrière-Flavy. Sceau ou contre-sceau du xy« siècle, trouvé à
Auterive (Haute-Garonne). — P. 459-65. De Puybusque. Comptes d'apo-
thicaire au xvn' siècle. [Curieux documents tout à fait moliéresques.]
— P. 473-7. Cartailhac. Les palettes des dolmens aveyronnais et des
tombes égyptiennes (avec planche). — P. 477-9. Lamouzèle. Sur quel-
ques outils en pierre taillée et en pierre polie de Castelmaurou (Haute-
Garonne). — P. 482-3, 48.J-8. Delorme. Une médaille satirique du
XVI' siècle; Jeton satirique contre les femmes, xv* siècle (planche). —
P. 401. Delorme. Fragment de colonne sculpté provenant du cimetière
des Sopt-Deniers de Toulouse. — P. 491-9. De Bourdes. Un cahier de
comptes manuscrit de 1687, relatif au Parlement de Toulouse. [Docu-
ment intéressant pour la composition du Parlement et les traitements
des parlementaires.] — P. 500-5. Massif. Les étudiants et les régents
du collège Saint-Martial à Toulouse. [D'après une pièce des archives
du Lot, de 1751.] — P. 511. Abbé Lestrade. Impression d'imagerie
populaire à Toulouse ; 24 septembre 1522. — P. 511-3. Abbé Galabert.
Strophes janséniennes : Les quatre embarras (du xviii' siècle). —
P. 513-20. J. de Lahondès. Le Congrès de la Société française d'archéo-
logie tenu à Carcassonnc et à Perpignan. — P. 520-5. M»' Douais.
D'Assézat créancier d'un étudiant, 15,55; Testament de Pierre d'Assézat,
18 aoilt 1581. [Documents extraits des Archives des notaires.] — P. 525-6.
PERIODIQUES MÉRIDIONAUX. 107
J. DE Lahondés. Une vue panoramique d'Albi (fin du xviif siècle). —
Abbé Lestrade. Histoire de l'art à Toulouse ; nouvelle série de baux
à besogne. [Documents de 1471 à 1677 sur la chapelle Saint-Pierre et
Saint-Géraud, l'église Saint-Georges, les églises de Pouse, Saint-Martin-
des-Pierres, Deyme, Saussens, Muret, Montgiscard, Saint-Jory; le châ-
teau des Varennes, etc.] — P. 542-4. Cartailhac. Edouard Piette, sa vie,
ses œuvres préhistoriques. Ch. L.
II. Mémoires de l'Académie des Sciences, Inscriptions
et Belles-Lettres de Toulouse, 10*' série, t. V, 1905.
P. 140-56. Desazars de Montgailhard. L'art à Toulouse, ses enseigne-
ments professionnels pendant l'ère moderne, 2'= partie. Début du
xviii» siècle. [L'école de Toulouse est restée fidèle à l'art italien, tout
académique; c'est Antoine Rivalz qui y fait triompher r« académisme ».
Ecole de dessin inaugurée par lui (1726-1735) sous le patronage des
capitouls. Après sa mort, G. Cammas en devient le directeur (1737). |
P. D.
Gers.
I. Bulletin de la Société archéologique du Gers, 1905.
p. 15-23. A. Branet. Le manoir de Saint-Cricq. — P. 24-9. Abbé Gaubin.
Barcelonne (fin). — P. 29-35. A. Miégeville. Demande de transfert de
l'évèché d'Agen à Auch (an Xl-1817). — P. 36-7. Plainte d'un père au
sujet de l'inconduite de son fils (1786). — P. 44-6. A. Lavergnk. Paul
Parfouru, ancien archiviste du Gers. — P. 47-54. Abbé Breuil. Fon-
dation de M. de la Mothe-Houdancourt pour l'àme d'Anne d'Autriche.
— P. 54-68. Oh. Samaran. Le voyage des ducs de Bourgogne et de Berri
en Gascogne, pendant l'hiver de 1700-1701. [Excellent travail.] — P. 68-
70. Sance. Organisation de la garde nationale à Ansan et Lucvielle
(1791). — P. 70-81. R. Pagel. Dom Brugèles, prieur de Sarrancolin.
[L'auteur des « Chroniques ecclésiastiques du diocèse d'Auch » fut con-
damné aux galères comme coupable de faux. Gracié à l'occasion du
sacre de Louis XV, il rentra dans son monastère de Simorre dont il fut
un des principaux dignitaires. Il s'agissait d'une délibération du Chapi-
tre, antidatée. Le Chapitre tout entier paraît coupable, et le monastère
de la Daurade, contre lequel luttait l'abbaye de Simorre, n'avait pas
moins à se reprocher.] — P. 81-2. Prières des patriotes pendant les trois
journées de juillet 1830. — P. 82. Transfert de l'horloge du prieuré à la
mairie d'Auch. — P. 82. Certificat de M. de Villars pour justifier la
conduite de Jean-Jacques de Cardaillac-Lomné à l'attaque du châ-
108 ANNALES DU MIDI.
teau do Sarrancolin, en l.')n2. — P. 83. Une origine du mot Gironde.
[Légende absurde.] — P. 8ô-7. Dartigues. L'assistance médicale gra-
tuite dans la généralité d'Aucli. — P. 87-102, 196-208. Abbé S. Daugé.
Un pliysiocrate seigneur de Roquelaure : le marquis de Mirabeau. —
P. 102-6. Abbé Lamazouade. Notes sur Castelnau-Barbarens. — P. 112-
29, 231-53. A. Miégeville. Etude historique sur les haras de la géné-
ralité d'Aiich et du département du Gers. [Bon travail, plein de rensei-
gnemeuts intéressants ; de 1740 à la fin de l'ancien régime.] — P. 129-32.
.J. Mastron. Budget d'un curé au xviii» siècle, Cambo (Gironde.) —
P. 132-52. 208-31. J. de Broqua. Antoine d'Escrimes, maréchal de camp
des armées de Louis XVI. — P. 152-63. L. Mazeret. Quelques sceaux
gascons inédits. — P. 163-72, 312-18. Barada. La garde d'honneur de
Napoléon I" à son passage à Auch. (Suite et fin.) — P. 173-9. De Sar-
DAC. Monsieur Eugène Camoreyt. [Excellente notice.] — P. 179-80. En-
tretien des tapisseries du château de Pau. — P. 181-91. Carrère et
Rolland. Excursion en Pardiac. — P. 253-60. Abbé Tournier Les
fléaux dans les environs de Jegun. — P. 262-91. Béinétrix. Un collège
de province sous la Renaissance. Les origines du collège d'Auch (1540-
1590). [A suivre.] — P. 291-8. A. Lavergne. La commanderie de la
Cavalerie. [Bonne étude monumentale d'une église du xr ou xii' siècle,
accompagnée d'un cliché de M. Lauzun.] — P. 304-8. Ch. Palanque.
Note sur des objets provenant des fouilles d'Antinoé. — P. 309-10. Bré-
gail. Echaullburée au théâtre de Toulouse (an V). [Lettre d'un député
du Gers, Gauran, à un de ses collègues du même département. Cet épi-
sode de l'histoire de Toulouse a été déjà traité.] — P. 319-20. La-
mazouaih:. Mesures agraires et impôts de Sauveterre au xvni= siècle.
— P. 321-6. Abbé Lagleize. Les Flourantini viennent au secours de la
commune d'.\uch en 1793. — P. 327-8. Cieutat. Armoiries d'Auch et de
Saiiit-Piiy. [.\rrèt de la Cour d'Agen ordoanant la transcription de
lettres patentes de Louis XVIII qui autorisent ces deux villes à porter
des armoiries. On n'a pas trouvé la transcription.]
A. V.
II. Revue de Gascogne, nouvelle série, t. V, 46® année,
1905.
Janvier :
P. 5-21. A. Jkanuuv. L'abbé Léonce Couture. [Eloge prononcé le 17 jan-
vier 19itl, à la séance [jublique de la Société archéologique du Midi de
la Franco.] — L*. 25-31. 59-(it;. .\. IJegert. Evoques gascons devant l'In-
quisition romaine (suite et (in). — P. 32-8. V. Foix. Fables choisies du
PERIODIQUES MÉRIDIONAUX. 109
nouveau « Lïi P'ontaine » de Bayonne. [Choix des variantes les plus
caractéristiques. Complément à l'étude préliminaire parue dans un
numéro précédent.] — P. 39-40. D"' J. de Sardac. Dépenses pour une
exécution à Lectoure en 1518. [Curieux détails, notamment sur le salaire
des « sargans et companhons » qui assistèrent le maître des hautes
œuvres, et du <f barbier » qui « bacquet 1-espasi d-ung mes a medecinar
lo bras » du condamné qui eut le poing coupé. D'après les comptes
consulaires de Lectoure, aux Arch. de cette ville.]
Février :
P. 49-59, 149-60. F. Sarran. Une anthologie gasconne : les Poètes gascons
du Gers, par J. Michelet. — P. 69-78, 268-77. G. Balencie. Chronologie
des évèques de Tarbes (1227-1801).
Mars :
p. 97-112. A. Clergeac. Jean IV d'Armagnac et les papes d'Avignon,
Innocent VI et Urbain V. — P. ll:j-24. A. Degert. La célébration du
décadi dans une commune rurale. [Il s'agit de Gamarde, canton de
Montfort (Landes). Les cérémonies s'organisèrent avant l'institution
officielle du culte décadaire par la Convention. D'après un registre offi-
ciel des procès-verbaux de ces célébrations conservé aiix archives muni-
cipales de Gamarde.] — P. 125-34. J. Duffour. Heures anciennes
d'Auch. — P. 135-8. C. Cézérac. A propos d'une lettre inconnue du ma-
réchal Lannes. — P. 139-40. J. Lestrade. Louis XIII et les prédications
du P. Rebourg à Lectoure.
Avril :
P. 145-9. Ch. Samaran. Biaise de Monluc défend son frère Jean devant
l'inquisition romaine. [Addition de délai! aux articles de M Degert, cités
plus haut, sur les démêlés de Charles IX et de la papauté. Texte de la
lettre de Biaise de Montluc au pape Pie IV (20 déc. 1.563) pour défendre
son frère. D'après une copie trouvée dans les papiers du cardinal de
la Bourdaisière.] — P. 161-71, 215-22. C. Daugé. Quelques comptes
du vieux Lourdes. — P. 172-9. P. Coste. Comment se faisait uu évêque
constitutionnel. — P. 180-1. A. D[egerï]. Une tragédie jouée à Pau :
Phalaris. — P. 182-6. J. Lestrade. Deux documents sur le collège de
Gimont.
Mai :
P. 193-205. J.-B. Gabarra. Un poète gascon : le chanoine J.-F. Pédegert.
[Cite plusieurs extraits. Dans le bulletin de Borda, l'abbé Beaureddon,
si je ne me trompe, avait aussi rapporté quelques fragments du poète
landais.] — P. 206-15. A. Degert. Le plus ancien manuscrit connu du
110 ANNALES DU MIDI.
prieuré de Saint-Orens (d'Aucli). — P. -223-34. A. Benaben. Lettres iné-
dites du dernier évêque de Lombez.
Juin.:
P. 241-3. A. Degert. Nécrologie : M»"' Balaïn, archevêque d'Aucli. —
P. 244-.59. J. DuFFOUR. Doléances des évèques gascons au concile de
Vienne (1311). — P. 260-4. Cézérac. Le dernier prieur de Saint-Orens.
— P. 265. J. Lestrade. A l'abbaye de Saint-Polycarpe. — P. 266.
G. MoLLAT. Un procès criminel à l'officialité d'Auch, en 1336. — P. 267.
A. Degert. Pierre Charron réprimandé par le Parlement de Bordeaux.
— P. 278. Lafargue. Charges et revenus d'un curé de campagne en 1790.
Juillet-aoùl :
P. 289-317. A. Clerge.ac. La désolation des églises, monastères et
hôpitaux de Gascogne (13.56-1378). — P. 318-26, 441-55. V. Aijriol.
La coutume de Cadeilhan. [Notions géographiques , économiques
et historiques sur ce petit village du Gers, canton de Lombez,
autrefois membre de la commanderie de Montsaunès. Transcriptions
annotées du texte latin de la coutume, d'après une copie qui est sans
doute du xv^ siècle, et d'une traduction française du xviii" siècle, con-
servées aux archives départementales de la Haute-Garonne. Certains
mots gascons ne sont pas bien interprétés : il n'y a aucun rapport éty-
mologique entre espleissa, « couper les branches d'un arbre « et espleita,
«exploiter » (p. 443, n. 5), entre barat, « fraude » et harat « fossé »,
de vallatum (p. 444, n. 3).J — P. 327-48, 425-40, 503-21', 548-62.
A. Degert. L'ancien diocèse d'Aire. [Avec sa compétence et sa science
habituelles, M. A. D. donne, dans une série d'importants articles, l'his-
toire religieuse d'une partie de la Gascogne qui n'a pour ainsi dire point
été étudiée jusqu'ici. Ce sera là une étude délinitive à mettre à côté de
la précieuse histoire des évèques de Dax. Reproduction de la carte de
r« Evesché d'Aire, tracée par le S' Pierre de Val, seci-étaire de Mons.
l'Evesque ». Beaucoup à apprendre dans le texte et les nombreuses
notes aux références précises qui documentent l'étude.] — P. 349-54.
S. Daugé. Ruines gallo-romaines de Saint-Lary. -^ P. 354-8. J. Duffo.
Le bien patrimonial de saint Vincent de Paul. — P. 362-3. A. Degert,
Deux lettres inédites d'Henri IV. — P. 365-71. E. Castex. Construction
d'un couvent de capucins à Gondrin.
Septembre-octobre :
p. 385-406, 490-502, 519-37. C. Tauzin. Les débuts de la guerre de Cent
ans en Gascogne (1327-1310). [Excellente étude du savant érudit
landais.]— P. 407-24. J. Dedieu. Le prieuré de Saint-Lézer sur l'Adour,
PERIODIQUES MERIDIONAUX. 111
en 1402. — P. -456-62. C. Ckzérac. L'abbé de Montesquiou-Fezensac, prieur
de Saiiit-Orens. [Complément à l'article signalé plus haut.] — P. 163-4.
Cardaillac. Question -.ISaticta Fades de Cuberturis ? [Quelle identifica-
tion se proposer pour ce Sainte-Foi, en Toulousain?]
Novembre :
P. 481-y. Gh. Samaran. Une croix reliquaire des comtes d'Armagnac.
Décembre :
P. 538-48. A. Clergeac. Deux lettres inédites de Marca. — P. 563-5.
J. Lestrape. a propos de Guillaume Ader. [Quelques détails inédits
sur la vie de G. Ader, médecifi.] — P. 566. A. D[egert]. L'historien
bayonnais Veillet nommé chanoine de Dax.
G. M.
Gironde.
ArcJiives historiques de la Gironde^ t. XL, 1905.
p. i-xiv et 1-81 iU. J. Lépicier. Table chronologique des documents et
table alphabétique des noms de lieux et de personnes publiés dans les
volumes XXI à XXXIX. [L'une va de la p. 1 à 156, l'autre de la p. 157
à 80<>. Il est aisé et agréable de louer un travail aussi considérable et
aussi bien fait, mais on comprendra qu'il soit impossible d'en parler
avec quelque détail.] P. D.
Isère.
I. Bulletin de V Académie delphinale,^^ série, t. XIX, 1905.
P, 51-83. PicoLET d'Hermillox. Note sur la fondation du diocèse de
Chambéry. [Discours de réception. La note, quoique faite de seconde
main, est utile et ^précise. Le diocèse date seulement de 1779: il a
éprouvé depuis des modifications importantes.] — P. 95-176. Capitaine
JusTER. Fort Barraux en 1814 et 1815. [Etude très complète d'après les
Archives de la guerre et celles de l'Isère. Le fort couvrait seul Grenoble
contre les Autrichiens venant de Genève. Il devint un des points
d'appui d'Augereau dans sa campagne et fut rendu par lui le 26 avril 1814.
En 1815, le fort, moins bien approvisionné, mal défendu par une garni-
son médiocre, est bloqué par les Autrichiens jusqu'au 8 août. Appendice
formé de diverses pièces.] — P. 195-235. Abbé A. Milliat. Pétrarque.
Ses rapports avec Humbert II et les Chartreux. [Le poète n'est pas
venu en Dauphiné ; mais des Dauphinois l'ont fréquenté. Il rencontra à
la Sainte-Baume le dauphin Humbert II et ne s'en félicita point. A la
chartreuse de Montrieux, où était entré son frère, il vit le prieur, Per
112 ANNALES DU MIDI.
ceval de Valence, un Dauphinois: il comble les Chartreux de loiiann[es;
M. M. ajoute qu'il fut ramené par eux à hi foi.] — P. 237-78. Capitaine
JusTER. Les gardes d'honneur de Grenoble (1811) et de Vienne (18:)7).
[Désignés pour faire le service auprès de l'empereur lorsqu'il viendrait
à passer dans ces villes. Trop détaillé pour le sujet, qui est mince. Les
gardes grenoblois devaient endosser un uniforme majestueux, dont spé-
cimen en couleur.] — P. 279-305. .T. de Beylié. Lettres inédites de Bar-
nave sur la prise de la Bastille et sur les journées des 5 et 6 octobre.
[Avec quelques documents annexés; le tout fort intéressant. Les billets
échangés entre Barnave et M""" de Staël mettent au jour au moins l'un
des mobiles d'action du député — ses relations personnelles avec Nec-
ker — et ses rapports avec la cour, plus anciens qu'on ne croyait.] —
P. 327-501. Cl. Faure. Histoire de la réunion de Vienne à la France
(1328-1454). [Publication in extenso d'une thèse de l'Ecole des Chartes
dont les positions ont paru en janvier 1905 (Cf. Annales, t. XVIII,
p. 278) sous un titre un peu différent. Nous nous contenterons de ren-
voyer le lecteur à l'analyse de ces positions, sauf les quelques remar-
ques suivantes. Les consuls de Vienne semblent pourvus d'uue moindre
autorité que nous ne l'avions cru d'abord (v. p. 396) : ils n'avaient pas
de juridiction ; ils se bornaient à protéger les habitants, à administrer
les finances et les travaux publics. Le travail de M. F., d'ailleurs so-
lide et intéressant, ne nous fait pas pénétrer assez profondément dans
la vie municipale. Sur la place où se réunissaient les bourgeois, ombra-
gée d'un orme que le consulat avait placé dans ses armoiries (d'où le
nom de « paroisse de l'Orme » ou « grande paroisse », la plus riche,
ayant le « grand banneret », et fournissant quatre consuls sur huit),
nous nous permeltrons de le renvoyer à un article paru ici même
(t. XI, p. 348); sur le sens du mot i< feu », du moins en Languedoc, à
nos Instit. polit, et administr. du pays de La)iguedoc, p. 619. A
suivre.] P. D.
H. Reoue épigi'aphiqiie, t. V, 1905.
Janv.-mars, N° 1601. Epitaphe trouvé à Dauphin (Basses-Alpes). [Le sur-
nom gaulois Uellico parait nouveau à M. Espérandieu, quoique la
forme Bellicus soit connue par plusieurs exemples ] — N" 1602. Fonda-
tion de jeux annuels par un personnage de rang sénatorial. [Ce frag-
ment, depuis longtemps au musée d'Arles, a provoqué au Cl. L. un
essai de restitution (jue M. E. améliore. Le fondateur a pour surnom
Camo.rs. M. Muwat suppose qu'il est le même qw'Aulus A/tnius Ca-
mars, connu i>ar une inscription de Rome, inscrit dans la tribu Teren-
PERIODIQUES MERIDIONAUX. 113
tina, qui était celle d'Arles. La Camargue lui aurait appartenu et
aurait pris son nom : Camartiacicm.] — P. 132-7. Remarques épigra-
pliiques, par A. Héron de Villefosse. Saint-Paulien {Haute-Loire .
[La ville du Puy n'a jamais été une colonie romaine. La capitale des
Vellavi était Ruessium ou Revessio, devenu Saint-Paulien. Toutes les
inscriptions et toutes les sculptures antiques du Puy viennent de Saint-
Paulien.] Dàir-el-Gamar [Liban). Les 7iaviculaires maritimes d' Arles.
[Il s'agit de l'inscription n" 1351 de la Revue. Elle est malheureuse-
ment fragmentaire, mais suffit à montrer que, vers le début du ni' siè-
cle, les cinq corporations des naviculaires maritimes d'Arles, qui trans-
portaient à Rome, sur ses navires, les céréales de la Narbonnaise,
avaient eu lieu de se plaindre, auprès du procurateur impérial de l'an-
none de cette province, des difficultés qu'ils rencontraient dans le port
d'Ostie. Le procurateur prit des mesures très intéressantes pour leur
donner satisfaction. L'inscription de Daïr-el-Gamar, qui rappelle cette
curieuse affaire, est entrée au Louvre- Elle est sur bronze. Elle avait été
transformée en couvercle do ciste, ce qui l'a sauvée d'une perte com-
plète. M. H. de V. améliore la lecture de quelques passages.] — P. 138-4^4.
Médaillons en terre cuite ornés de sujets avec épigraphe, par le C' R.
Mowat. [Il s'agit de huit médaillons provenant d'Orange. Restitution
des légendes : [Jupiter o^ptirnlus Maximus]; [Merciirius f\elix nobis ;
Nica, Par[the]nopaee J Tu sola, nica. Légendes : Féliciter ; Malisius;
Epegesine; Lente inipelle ; Vides quam be/ie chalas ; Dionysius, qua
hora volt, \_r\icet chalare; Vicisli, domina; Teneo te; Philocte. Les
décors de la céramique rhodanienne rattachent étroitement les ateliers
d'Orange, de Vienne, de Lyon, aux représentations scéniques de ces
villes, même les décors erotiques. E21 effet, les spectateurs romains
avaient, en ce genre, iine force d'endurance dont nous ne pouvons
douter.]
Avr.-juin. N"' 1007-12. Inscriptions fragmentaires de Poitiers. — P. 154-9.
Dieux de la Gaule, par A. Allxier. Deus '/ elo, à Périgueux. [Il est as-
socié à la déesse Stanna. Ce dieu est la belle fontaine de Toulon et
Stanna la rivière à laquelle cette source donne naissance.] Mars Tri-
ttdlus, au musée de Mende, provenant de Saint-Laurent-de-Tréves,
canton de Florac. Tutela de Bordeaux. Tutela do Lyon? Juillet 1905 à
juin 1900. — N°1021. Autel aux Mères, découvertàSavoillaus (Vaucluse).
— N" 1022. Autel à Mercure, trouvé à Vaison (Vaucluse). — N° 1023. Autel
à Vatio, trouvé à Vaison. [Florian Vallentin voit dans la déesse Vatio
la personnification divinisée de la ville de Vaison. Hirschfeld y voit
celle de la rivière d'Ouvèze. Le gentilice Birrius est assez rare.] —
ANNALES DU MIDI. — XIX 8
114 ANNALES DU MIDI.
N" 1624. Epitaphe provenant d'Aps (Ardèche). Le surnom Atiamoenus
est nouveau.] — N° 1625. Marque du fabricant Hermias sur un bassin
de plomb acheté à Aps. — N» 1626. Epitaphe chrétienne à Saint-Thomé
(Ardèche). [Elle est fragmentaire.] — N° 1627. Dédicace d'un locus con-
sacré à Jupiter. [C'est un petit autel trouvé à Bauveplantade, dans la
vallée de l' Ardèche. M. E. voit avec raison dans le mot locus un empla-
cement. Je ne traduirais pas constitua par « a bâti », mais simple-
ment par « a constitué ». — N<> 1628. Epitaphe d'Aigaliers (Gard). [Le
surnom gaulois Dumnias est nouveau.] — P. 168-72. Remarques épi-
graphiques, par A. Héron DE ViLLEFOSSE. Orange{Vaucluse), [Etudiant
sur place la fameuse inscription trouvée en 1904, M. H. de V. rejette le
Inclus inercurialis auquel avait fait penser une lecture insuffisante. Il
lit, au dernier paragraphe :
et meris VI ad luclum
versus p{edes) LXXV et au.e
Il ne retrouve pas, à la fin de la dernière ligne, les éléments de la for-
mule : in annos singulos. Dans ludus sans épithète, il voit plutôt
une école primaire qu'une école de gladiateurs. Il déplore l'absence d'un
petit musée municipal à Orange, où tout a disparu par l'incurie des
habitants, sauf ce qui est d'un transport difficile, comme le théâtre an-
tique. Tous les amis de l'histoire et de l'art s'associeront à l'éloquente
adjuration de M. H. de V.] — P. 173-5. Dieux de la Gaule, par A. Allmer.
Tiitela Vesunna de Périgueux. [Vesunna est la personnification divi-
nisée de la ville des Pétrucores. Il y avait une tour romaine dite la Tour
deVésonne.] Maires Uhelnae,k kwTioX (Bouchos-du-Rhône). [Les mères
Ubelnae sont les déesses protectrices de la vallée de l'Huveaune.] —
P. 17")-6. M. E. améliore la lecture d'une inscription trouvée dans la
villa gallo-romaine d'Arneps (Haute-Garonne), en lisant : Titullus Cin-
tugnati filius. E. B.
Landes.
Bulletin de la Société de Borda, t. XXX, 1905.
t*. 1-47. J.-M. Pereira de Lima. Ibères et Basques, traduit du portugais
par le D'' Voulgre. (Suite et fin.) [Présente les conclusions de son étude :
origine touranienne des Ibères; analogie « flagrante ■» (?) des dialectes
de langue ibérique : basque, étrusque et picte; « filiation... assez directe
des Basques, comme descendants des Ibères. » Suivent des notes et
pièces justificatives, notamment un tableau de la déclinaison euska^
tienne, d'après Charancoy, et plusieurs fragments de chansons et poèmes
basques on dialectes bas-navarrais et souletin avec traductions en fran-
PÉRIODIQUES MERIDIONAUX. 115
çais.] — P. 49-72. A. Darricau. Le marquis de Vignolles. [Étude
généalogique et biographique.] — P. 77-132, 185-237. C. Daugé. Gram-
maire gasconne. [Y . A7tfiales, t. XVIII, p. 556.] — P. 133-57. G. Beaurian-
Contribution à l'iiistoire de l'instruction publique en Béarn. [Étude do-
ciimentée sur les écoles à Pontacq, depuis le xvp siècle jusqu'à la
fin du xviii% d'après des documents d'archives : listes de régents et
de maîtresses d'écoles (celles-ci au xviii" siècle seulement) ; durée de la
régence; patrie des régents (très vai'iable, mais ils sont ordinairement
d'origine béarnaise) ; Leur rétribution ; leur enseignement ; moyenne de
l'instruction primaire ; la nomination des régents appartenait aux jurats
sous le contrôle d'abord de l'évêque et plus tard de la Cour.] — P. 161-
84. J. Beaurredon. La paroisse de Bascons au xviii* siècle. [Etude
d'histoire paroissiale d'après un manuscrit de 84 pages intitulé : Livre
des affaires paroissiales de Saint-Amand de Bascon à commencer à
la fin du 7nois de février 1731..., par J.-J. Lavenère, curé de Bascon.
Se poursuit jusqu'en 1789.] — P. 241-79, 285-350. M. de Chauton.
Cahier de doléances des paroisses de la sénéchaussée de Tartas
en 1789. [Publie tout au long — en le faisant précéder de quel-
ques éclaircissements, dont plusieurs sont dus à M. F. Abbadie, — le
texte des cahiers de doléances de 61 paroisses de la sénéchaussée,
d'après les originaux conservés dans les archives familiales de M" de
Chauton, notaire à Tartas. L'arrière-grand-père de M. de Chauton avait,
en qualité d'ayocat du roi au siège de Tartas, en 1789, groupé ces
cahiers qui demeurèrent dans la famille. Il faut féliciter M. de Ch.
d'avoir sauvé de l'oubli des documents importants qui auraient pu
s'égarer dans d'autres archives privées, moins soigneusement tenues.]
G. M.
Pyrénées (Basses-),
I. Bulletin de la Société des sciences et arts de Bayonne^
1905.
p. 5-256. E. DucÊRi';. Bayonne sous l'Empire. Études napoléoniennes.
[Suite et à suivre. Cinquante et une études détachées, dont beaucoup
sont fort curieuses. L'anecdote d'ailleurs l'emporte sur l'histoire propi'e-
ment dite ; mais comment faire le départ entre l'une et l'autre? L'inédit
n'y manque point.] P. D.
IL Reclams de Biarn et Gascougne^ t. VIII, 1904.
P. 1-6. C. Labeyrie. Les foires en Chalosse. [Etude de psychologie régio-
nale.] — P. 67-71, 95-8. J.-B. Laborde. Un poète béarnais oublié :
116 ANNALES DU MIDI.
François Destrade. [Notes biographiques sur ce poète né à Oloron
vers 1820. Quelques citations.] — P. 79-84. E. Bourciez. Règles ortho-
graphiques du gascon moderne.— P. 109-13, ir)4-8, 230-3, 295-8. C. Daugé.
Le mouvement félibréen dans le S.-O. — P. 129-31. L. Constans. Le
félibrige et l'école primaire. — P. 168-70. J.-B. Laborde. Un mot
encore sur Destrade. — P. 170. Deux documents sur Despourrins.
Tome IX, 1905.
p. 21 9. E. Bourciez. La version gasconne. [M. E. B. reprend cette ques-
tion qu'il traite avec sa maîtrise coutumière. Lire, p. 28, la délicieuse
traduction du sonnet d'Andrèu Baudorre intitulé Esthi.] — P. 160-4.
L. Batcave. Quelques documents sur le poète oloronais Destrade.
G. M.
Pyrénées-Orientales.
Société agricole, scientifique et littéraire des Pyrénées-
Orientales, t. XLVII, 1906.
P. 5-558. P. Vidal et J. Calmette. Bibliographie l'oussillonnaise. [Ce
remarquable et excellent travail est bien ce qu'ont voulu les auteurs :
« un tableau de la littérature scientifique, géographique, historique,
archéologique et économique » de la province, et un « instrument de
travail destiné à fournir pratiquement au chercheur l'indication des
ouvrages et articles à consulter sur une période, un sujet, un person-
nage ou un lieu... » Deux tables alphabétiques la complètent : l'une est
la table des noms d'auteurs, l'autre celle des rubriques des matières.]
P. D.
Savoie (Haute-).
Revue savoisienne, 1905.
P. 2-3. Marteaux. Note sur l'étymologie de Saint-Alban, nom de plu-
sieurs villages du département de la Savoie et de l'appellation de mont
du Chat. [Il en résulterait que les noms act.:els proviennent do noms
romains plus tard oubliés.] — P. 4. Font.une. Note sur des peintures
découvertes au palais de l'isle, à Annecy. — P. 6. Miquet. Rectification
de la date de naissance de l'astronome Bouvard, directeur de l'Obser-
vatoire de Paris. — P. 7-29. C. Duval. Le sénateur Folliet. [Notes sur
sa famille. Sa biographie. Ses œuvres. En dehors de sa vie parlemen-
taire, il a été un historien de la Savoie. Portrait.] — P. 39-48. F. Miquet.
Recherches sur quelques ingénieurs savoyards au service do la France
avant 1860. [Anciens élèves de l'École polytechnique. Notices biographi-
ques. Intérêt presque uniquement local. Quelques-uns ont rempli leurs
PÉRIODIQUES MERIDIONAUX. 117
fonctions dans le Midi, en particulier dans l'Ariège, la Hante-Garonne
et le Tarn-et-Garonne.] — P. 62-5. J. Désormaux. Notes philologiques.
Dzà 103 È. [On se promène à Annecy sous les arcades, et cette prome-
nade s'appelle Diô lôz È. M. D. étudie le mot ê et le fait venir de
ati'ium.] — P. 78-4. Note des registres paroissiaux d'Orcier mention-
nant la réunion des villageois en 1792 et le vote qu'ils émirent en faveur
de l'annexion de la Savoie à la P'rance. Lue par M. Pictard. — P. 79.
C. Marteaux. Note où l'auteur rectifie certains noms du Faucigny
déformés dans rinve?itaire des archives des dauphins de Viennois à
Saint-André de Grenoble en 1436, publié en 1871, à Lyon, par le cha-
noine U. Chevalier. — P. 79-83. Le testament de Claudine de Chatïar-
don, veuve Lambert (février 1543), p. p. J.-F. Gonthier. [Avec brève
notice généalogique. Intérêt purement savoyard.] — P. 84-6. F. Sor-
DELLi. Note sur l'herbier des Alpes de la Savoie offert par J. de Bon-
jean à l'impératrice Joséphine. — P. 87-91. Voyages du seigneur de
Villamont, partant de « la duché de Bretaigne », pour aller en Terre-
Sainte, par la Savoie, le Piémont, l'Italie, la Grèce, la Syrie et l'Egypte,
au mois de juin 1589. Ses deux passages en Savoie, p. p. le D' Tho-
NiON. [Passages intéressant la Savoie de cette relation qui eut sept édi-
tions de 1596 à 1619. Une notice et des notes.] — P. 92-100. F. Miquet.
Eecherches sur quelques officiers savoyards au service de la France
avant 1860. [Notes biographiques. Plusieurs ont servi dans le midi de
la France.] — P. 121-4. A propos de la vente du château de Rumilly-
sous-Cornillon et dépendances aux Muffat-Saint-Amour, de Mégève.
[M. J. DussAix publie l'acte de vente et peut ainsi rectifier la date de
cette vente, survenue en 1737, et le nom des acquéreurs.] — P. 125-9.
C. Marteaux. Noms de lieux dans des chartes de 1153, 1250 et 1448.
[Notes linguistiques sur des noms de lieux savoyards déjà identifiés.]
— P. 129-34. F. Miquet. Recherches sur quelques fonctionnaires sa-
voyards ayant servi en France avant 1860 et sur leurs familles. [Notes
biographiques.] — P. 144-5. Un autographe inédit du conventionnel
Simond, p. p. F. Miquet. [Lettre où il dénonce comme agioteur le tail-
leur René dont il n'était pas content parce qu'il trouvait trop cher le
costume qu'il lui avait commandé.] — P. 151-2. Marteaux. Note sur
l'appellation « Laciiat ». [Vient du latin câlàmum, chaume, par le bas-
latin cabnis.] — P. 154-5. Id. Note étymologique et historique sur
Duingt. ~ P. 155. Id. Note sur un sceau en fer trouvé aux environs de
Saint-Jorioz. — P. 159-63. J.-F. Gonthier. Les paroisses du diocèse de
Genève dépendant d'Ainay. [Détermination de ces paroisses.] — P. 163-5.
M. DussAix. Le trousseau d'une mariée savoyarde au xviii' siècle.
118 ANNALES DU MIDI.
[Contrat de mariage. J — P. 236-42. M. Bruchet. Les impressions d'un
prêtre bolonais à travers la Savoie au xvii" siècle. [Passages relatifs à
la Savoie d'une relation inédite, traduite par M. Ad. Vautier, du voyage
que fit en France Sébastien Locatelli, en 1664.]
M. D.
Vaucluse,
Mémûires de l'Académie de Vaucluse, 3® série, t. V, 1905.
Fasc. 1. P. Il-Si8. DiDiÉE. Un héros vauclusien. Episode de la prise de
Bomarsund en 1854. [Notice en style fleuri et bizarre sur le sous-lieute-
nant Gigot qui prit, le 14 août, le fort du sud et détermina la capitula-
tion de la place ; sa carrière fut retardée, puis interrompue par des actes
d'indépendance ; il fut blessé et fait prisonnier à Wissembourg.] —
P. 83-96. Bayol. L'eau potable en Avignon. [Bonne étude d'histoire
économique et d'administration. Cf. une lettre rectificative de quelques
détails du D'' Pamard, ibid., p. 280.]
Fasc. 2, 3. P. 105-17. VissAc. M"" de Sombreuil et l'hôtel des Invalides
d'Avignon. [Notice surtout littéraire ; ne croit pas au verre de sang ;
la phrase v- Il est des heures extatiques où l'illusion se teinte d'émerau-
des (I) » = elle eut un moment d'espoir; quek|ues détails sur l'hôtel des
Invalides d'Avignon dont le mari de M"" de S., Villelume, fut gouver-
neur.] — P. 119-46, 287-310. P. de Faucher. Le pont de Bollène et
sa chapelle de Notre-Dame de Bonne- Aventure. [Bonne étude histo-
rique et archéologique.] — P. 147-96. V. Laval. Lettres inédites de
Rovère. [Suite. Documents utiles, bien commentés.] — P. 261-70. Re-
quin. La fresque des Spiefumi à la métropole d'Avignon. [Bonne des-
cription; d'ailleurs, la fresque n'est pas de Charonton et l'évèque Gui
Spiefumi n'a jamais existé : de nouvelles preuves sont ajoutées à la dé-
monstration d'Albanès. Elle fut exécutée avant 1426, probablement par
ordre de Charles de Spiefami, peut-être par Bertrand de la Barre.] —
P. 271-80. MoLLAT. Les changeurs d'Avignon sous Jean XXII. [Extrait
d'un ouvrage en préparation.]
Fasc. 4. P. 311-21. Vissac. John Stuart Mill. [Souvenirs sur son séjour à
Avignon, à Monloisir.] — P. 325-70. F. Sauve. La région apt sienne ;
étude d'iiistoirc et d'arcliéologie. IL Gargas. [Beaucoup de renseigne-
ments.]— P. 371-88. liiMASSET. De la juridiction du ban à propos d'un
procès entre la communauté de Roquemaure et M. Charles-Sébastien
du Laurens de Beaurogard. [Procès plaidé de 1780 à 1784 au sujet de la
« nobililé » de l'ile d'Oiselay, allodium Ausseleti, qui fut proclamée
par la Cour de Montpellier.]
PÉRIODIQUES NON MERIDIONAUX. 119
Tome VI, 1906.
Fasc. 1-2. P. 7-26. Bruguier-Roure. Le roi Giannino. [Essai intéressant
pour identifier ce mystérieux aventurier et retrouver les événements
historiques utilisés par sa légende.] — P. 27, 179-218. J. Gibaud. Les
Etats du comtat Venaissin depuis leurs origines jusqu'à la fin du
XVI* siècle. [Très important mémoire. A suivre.]
Fasc. 3. P. 219-38. Vissac. Dom Pernety et les illuminés d'Avignon.
[Curieux épisode de l'histoire de l'occultisme au xviii* siècle; ce groupe,
formé en Prusse et qui compte parmi ses disciples la famille polonaise
Grabianca, Philibert de Morveau (Brumore), deux Anglais, les frères
Bousie, et le comédien Bauld (de Sens), se transfère, en 1783, à Bédar-
rides chez M. de Vaucroze. Pernety, persécuté par le légat d'Avignon,
meurt en 1801.] — P. 211-76. A. Durand. Correspondance de [l'évèque]
constitutionnel Périer. [Douze lettres à Grégoire et autres, de 1791
à 1797; orig. de la coll. Gazier. Très utile supplément à la biogra-
phie de ce prélat.] L.-G. P.
PÉRIODIQUES FRANÇAIS NON MÉRIDIONAUX.
1. — Académie des Inscriptions et Belles-Lettres. Comp-
tes rendus, 1905.
P. 285-93. JouLiN. Les établissements antiques de Toulouse. [Exposé trop
sommaire des recherches de l'auteur à Toulouse, dans la banlieue, dans
les vallées de la Garonne, du Tarn et sur plusieurs coteaux du Gers.] —
P. 383-7. Vasseur. Découverte de poteries peintes à décoration mycé-
nienne dans les environs de Marseille. [Trouvaille importante rattachée
à la céramique ibéro-mycénienne.] — P. 41.5-23. Dufourcq. Lérins et la
légende chrétienne. [Tend à prouver que les gestes des martyrs d'Agaune
ne sont pas isolés dans l'œuvre d'Eucher, des évèques ses amis, de
l'école de Lérins, et en' rapproche les gestes de Nazaire, de Pontius, de
Sébastien.] — P. 423-41. D"' Capitan et abbé Arnaud d'Agnel. Rapports
de l'Egypte et de la Gaule à l'époque néolithique. [D'après des silex de
l'île de Riou.] — P. 783-7. Babelon. Les fouilles de la Turbie. [Histoire
succincte des fouilles ; importance des résultats.] Ch. L.
2. — Bibliothèque de V Ecole des chartes., 1905.
P. 5-69. H. O.MONT Nouvelles acquisitions du département des manuscrits
de U Bibliothèque nationale pendant les années 1903-1904. [Beaucoup
120 ANNALES DU MIDI.
intéressent le Midi ; ainsi, 852 : Terrier des cliâtellenies d'Escorailles
et de Reilhac (Cantal), 1439; 853 : Livre de notes de G. Bancal, notaire,
de Saverdun (Ariège), 1494-1495; 854 : Registre de Mahet, notaire à
Corrousac (Haute-Garonne), 1513-1516, et n»' 1871, 1872, 1874, 1880,
1884, 1887, 2391, 2403, 10188, 10372, 20205; ainsi, 20468-20480 :
treize mss. ou autographes de Brantôme.] — P. 246-55. Ch. Samaran.
De quelques manuscrits ayant appartenu à Jean d'Armagnac, évêque
de Castres, frère du duc de Nemours. [Frère puîné (1440-1493), et de
.semblables goûts artistiques. Description des mss., au nombre de trois :
des traductions latines de divers traités d'Aristote (Bibl. nat., lat. 6323*);
un missel (British Muséum, addit. mss. 19897); un magnifique bréviaire
en deux volumes (collection H. Yates Thompson). Jean était abbé
d'Aurillac et fit exécuter un sceai;, décrit, pour sa cour abbatiale.] —
P. 255-60. L. Delisle. Note complémentaire sur les manuscrits de
Jean d'Armagnac, ,dac de Nemours. [Complément de la liste publiée
par le même en 1868 (Cabinet des mss., I, p. 86 sqq.).] — P. 281-6. H.
MoRANViLLÉ. De l'origine de Thomas de la Marche. [Se rapproche de
l'hypothèse de M. Boudet et combat celle de G. Paris, du moins partiel-
lement; car il croit que Thomas était le fils ou du comte de la Marche
ou de Gautier d'Aunoy, amant de la comtesse, sans qu'on pût savoir
duquel, mais non de Philippe de Valois. C'est de ce doute fâcheux que
Thomas aurait été victime.] — P. 401-25. E. Clouzot. Un voyage à l'île
de Cordouan au xvp siècle. [Le voyageur n'est rien moins que le sieur
de La Popelinière, l'annaliste excellent et bien connu des guerres de
religion. Il alla à Cordouan en 1591, avec une délégation, et visita les
travaux de la nouvelle tour que bâtissait l'architecte Louis de Foix. Il
n'y a dans son Journal ni description minutieuse de l'île, ni repérage
des distances ; encore moins dans le Mémoire qui suit. On ne peut donc
en tirer grand profit pour l'étude des modifications du littoral.] —
P. 426-34. L. D. Vers français sur une pratique usuraire abolie dans le
Dauphiné en 1501. [Il s'agit d'emprunts gagés sur des ventes de denrées
alimentaires, dits « mortes pensions ». Cette pratique fut interdite, à
la requête des Etats, par ordonnance du lieutenant général en Dauphiné,
dont texte. Une pièce de vers français constate la satisfaction du peuple.]
— P. (i33-54. Ch. DE La Roncière. Henri II précurseur de Colbert.
[Comme réformateur de la marine, qu'il trouvait en un déplorable état.
Il fait mettre d'un coup sur chantier à Marseille et à Toulon 26 galères,
modifie le commandement, nommant Strozzi capitaine général des galè-
res, au lieu de La Garde mis eu prison, etc. Le reste de l'article est le
récit des exploits de Strozzi, de ses démêlés avec lo connétable de Mont-
PÉRIODIQUES NOiN MERIDIONAUX. 121
morency, et des intrigues devant lesquelles il fut obligé de déserter
(16 septembre 1551). La Garde, relaxé, le remplaça à son tour, sans
l'égaler.] — P. G55-60. L. .Halphen. Une rédaction ignorée de la Chro-
nique d'Adémar de Chabannes. [A quelle rédaction de la Chronique ont
été faits les emprunts du chroniqueur de Saint-Maixent? Ce n'est pas
au ms. A (Bibl. nat., lat. 5927), comme le veut M. Lair. Mais si l'on
rapproche le texte du chroniqueur du ms. lat. 692 de la Bibl. vaticane,
on s'aperçoit que les deux textes ont une source commune, à savoir une
rédaction qui contenait en un seul livre, sans les digressions, les incohé-
rences du ms. A, l'histoire de l'Aquitaine et spécialement du Poitou de
Pépin I" au début du xi" siècle.] P. D.
3. — Bulletin de géographie historique et descriptive^
1905.
P. 183-212. P. BuFFAULT. La marche envahissante des dunes de Gascogne
avant leur fixation. [Proteste, avec raison semble-t-il, contre l'exagéra-
tion à laquelle se porte la théorie de « l'antique stabilité » du littoral
gascon. Fournit de nombreuses preuves du mouvement des lignes de
dunes, poussées parle vent d'Ouest, jusqu'à ce que les travaux de boise-
ment exécutés de l'an X à 1863 les aient immobilisées. Textes et docu-
ments, la plupart inédits, contemporains de la marche des dunes, signa-
lant leur progrés vers l'Est.] — P. 213-6. Ch. Duffart. Etat actuel de
la question des transformations anciennes et modernes du littoral gas-
con, de la formation récente et du comblement des lacs landais. [Sim-
ples « positions de thèse », dont l'auteur demande qu'une mission scienti-
fique soit organisée par le Ministère afin de les vérifier.] — P. 217-86.
A. Pawlowski. L'île d'Oléron à travers les âges, d'après la géologie, la
cartographie et l'histoii'e. — P. 237-51. Id. Jean Fonteneau, dit Alfonce,
ses collaborateurs ; la science de la cosmographie au milieu du xvi" siè-
cle. [Sous-titre un peu ambitieux. M. P. n'accorde pas à l'éditeur d' Al-
fonce, M. Musset, que ce navigateur fût un cosmographe original : cor-
saire, pirate du reste, il a plagié dans sa Cosmographie Enciso, Suma
de geografia, sans bien le comprendre parfois. Son collaborateur Olivier
Bisselin, auteur de tables marines qui accompagnent les Voyages aven-
tureux de Jean Alphonse, Xanto)igeois, est peut-être le capitaine Oli-
vier Vasselin, un Normand; un autre, Sécalart, pilote de Honfleur, a ou
composé ou compilé les Voyages, de concert avec Alfonce.]— P. 252-66.
J. FouRNiER. Le marquisat des îles d'Or. [Fief formé des îles d'Hyères,
moins PorqueroUes, depuis François I". Le nom d'îles d'Or leur est
donné d'abord par Nostradamus, en 1515, dans sa Vie des plus célè-
122 ANNALES DU MIDI.
bres poètes provençaux. Le baron de Saint-Blancard, général des galè-
res de France, premier marquis des îles (juill. 1531), eut à les défendre
contre les pirates barbaresques. Ensuite Henri II confère le marquisat
au comte de Rockendorf, Allemand réfugié en France ('1549) ; puis il
passe de main en main et est réduit à l'état de simple fief en 1785.]
P. D.
4. — Bulletin historique et philologique du Co?nité des
travaux historiques et scient i Tiques, 1904.
p. 13-28. E. PoupÉ. Documents relatifs à des représentations scéniques
en Provence du xx" au xvii» siècle. [Cf. trois communications précéden-
tes, ibid., 1899, 1900, 1903. Ces documents sont tirés des archives de
douze communes du Var, outre les archives de ce département. Ils
mentionnent 51 représentations et donnent le titre de 54 pièces, énumé-
rées. Allocations communales, etc.] — P. 35-42. M. Raimbault. Jean-
Antoine Lombard, dit Brusquet, viguier d'Antibes en 1518. [Fou de
cour, d'origine provençale. Attaché à la personne de Henri II, alors dau-
phin, il devint son valet de chambre (lettres du 23 juin 1542) et viguier
d'Antibes, où il était né. Textes.] — P. 248-52. De Sarran d'Allard.
Note sur une transaction entre Durand de Montai et la commune de la
Roquebrou. [De février 1302, au sujet du pont commun. Elle complète
la transaction de févr, 1282, passée entre la commune et le même sei-
gneur. {Gî.ibid., 1902). Texte.] — P. 270-90. Guillibert. Constat au
prieuré de Saint-Jean-de-Malte de la commanderie d'Aix en 1.373. [Pro-
cès-verbal constatant les ressources de la maison, tiré des archives du
Vatican. Texte et traduction.] — P. 445-72. Portal. Une mine de
fer des environs de Lacaune (Tarn) au xv« siècle. [Trois actes de 1466,
dont deux sont des transactions entre le seigneur, comte de Castres, et
lés tenanciers, tandis que le troisième règle l'octroi des concessions et
l'exploitation de la mine de la Leune. Les documents de ce genre sont
rares ; ceux-ci fournissent « des doanées nouvelles sur les rapports des
tenanciers et des travailleurs ».] — P. 525-87. G. Doublet. Le théâtre
au monastère de Lérins sous Louis XIV. [Tragédie jouée en 1668 audit
monastère, intitulée Saint Honorât, œuvre de nulle valeur, d'ailleurs
mutilée.] — P. 555-6. Brutails. Rectification â la liste des abbés de
Sainte-Croix, de Bordeaux. [De 1455 à 1490, au lieu d'un seul abbé
mentionné dans la Gallia christiana, il y en eut deux, appelés tous
deux Pierre de Foix ; d'où la confusion.] — P. 630-43. A. Gandilhon.
Etude sur un livre d'heures du xiv" siècle, fragment d'un ancien bré-
viaire du diocèse de Dax. [Par certaines fêtes, spéciales au calendrier
PERIODIQUES NON MERIDIONAUX. 123
de ce bréviaire, on doit le rapprocher des mss. d'Aire, de Toulouse, ori-
ginaires du diocèse de Dax, et conclure qu'il en provient également.]
1905.
P. 10-3. A. Leroux. Processions demandées par Louis XI aux religieux de
Saint-Léonard en 1479. [Le roi espérait que le « glorieux saint Léonard »
favoriserait ses entreprises contre Maximilien d'Autriche. Il y eut trois
semaines de processions. La relation de ce fait est écrite en français,
circonstance très notable.] — P. 76-146. G. Dupont-Ferrier. Etat des
officiers royaux des bailliages et sénéchaussées de 1461 à 1515. Séné-
chaussée de Lyon, [Nous mentionnons cet « état », parce qu'il constitue
un spécimen fort remarquable de travaux que M. D.-F. prétend éten-
dre à toute la France. Au-dessous du nom de chacun des personnages
qui y figurent sont analysés ou indiqués, avec références, tous les actes
qui se rapportent à ses fonctions. Cet état, portant sur une seule séné-
chaussée, suppose déjà un labeur considérable. Que sera-ce s'il s'agit
de tous les bailliages et sénéchaussées du royaume 1 Or, M. D.-F. em-
brasse à peine plus d'un demi-siècle. Sa Gallia regia, comme il dit, à
la différence de la Gallia christiana pi-ise pour terme de comparaison,
risque fort de rester en route. Mais, telle quelle, elle est appelée à ren-
dre de grands services. Bon nombre des officiers royaux en Lyonnais
étaient issus du Midi ou y possédèrent aussi des charges. Par exemple,
Jean, comte de Comminges, bâtard d'Armagnac, devenu lieutenant du
roi en Lyonnais (1468), fut, en même temps, gouverneur du Dauphiné
et gouverneur de Guyenne.] — P. 150-3. U. Rouchon. Deux lettres de
Henri III au baron de Saint- Vidal. [Des 16 et 27 mars 1585, tirées des
archives de la Haute-Loire, destinées à prévenir les agitations qui ont
précédé la Ligue.] — P. 215-24. Abbé Arnaud d'Agnel. Rôle de
soixante-quatorze esclaves provençaux échangés ou rachetés à Alger
par le sieur de Trubert. [En exécution de l'accord signé le 17 mai 1666
entre Louis XIV et le divan. Le rachat coûtait très cher : 54,000 livres
pour 68 esclaves; il devenait une lourde charge pour les commu-
nautés de Provence, la plupart des captifs étant incapables d'y con-
tribuer. Villes taxées : La Ciotat, Marseille, Martigues, Cassis, Can-
nes, etc.] — P. 24-5-71. P. Coquelle. La mission de J.-B. de Cocquiel à
Alger et Tunis (1640) d'après des documents inédits. [Après de nom-
breuses hostilités entre les Turcs et les Marseillais notamment, le
« Bastion de France », simple maison bâtie en vue du commerce, près
de la Calle, avait été détruit, au grand préjudice de la Compagnie mar-
seillaise pour le commerce de la Barbarie. Cocquiel, envoyé par Riche-
lieu, réussit à rétablir la capitulation relative au Bastion et au comi
124 ANNALES DU MIDI.
merce, et à signer nn traité de paix avec le divan d'Alger, qui d'ailleurs
ne l'exécuta nullement.] — P. 4U1-5. Hérelle. Etat des manuscrits de
pastorales basques conservés actuellement (nov. 1905) dans les dépôts
publics. [A la Bibl. nat. 33 mss., à celles de Bordeaux 37, de Bayonne
13; aux arch. muuicip. d'Ordiarp 1 ms. Titres des pièces.] P. D.
5. — Mélanges d'archéologie et cC histoire de V Ecole de
Rome, 1905.
p. 223-42. Ancel. Les tableaux de la reine Christine de Suède; la vente
au régent d'Orléans. [Rôle considérable joué dans cette affaire par le
Toulousain Crozat.] — P. 273-93. M.\rtin-Ch.'\.bot. Le registre des Let-
tres de Pierre Ameil, archevêque de Naples, puis d'Embrun (1365-1379).
[Importantes pour l'histoire du Dauphiné.] Ch. L.
C. — Le Moyen âge, 2^ série, t. VIII, 1904.
P. 281-337. L. Levillain. La translation des reliques de saint Austre-
moine à Mozac et le diplôme de Pépin II d'Aquitaine (863). [Le saint est
le premier évèque et l'apôtre de l'Auvergne. Ses ossements reposèrent à
Issoire, puis à Volvic, jusqu'au moment où l'abbé Lanfroi les fit em-
porter à son abbaye de Mozac. M. Krusch date cette translation de 767,
Mgr Duchesne de 761 ; mais le document sur lequel ils s'appuient n'a
peut-être pas la valeur qu'ils lui attribuent. C'est un diplôme de Pépin,
donné à Clermont, lequel, d'après M. L., serait un acte récrit, com-
posé non au \nv s., mais vers 1095; il se rapporterait non à Pépin le
Bref, mais à Pépin II, roi d'Aquitaine; la translation aurait eu lieu du-
rant l'hiver de 862-863, avant le 1" février. Conclusions accessoires inté-
ressantes sur le roi Pépin II, l'évêque intrus Adebert, le catalogue
épiscopal de Clermont et celui des abbés de Mozac, etc. Texte, publié
avec grand soin, du susdit diplôme.]
T. IX, 1905.
P. 258-62. G. lIuET. Déformations de quelques noms propres des chan-
sons de geste dans les imitations en moyen-néerlandais. [Explique en
particulier celle du mot « Ganelon », et conclut que les gens des Pays-
Bas ont dii connaître les récits épiques sur Roncevaux par des textes
écrits, et non par la tradition orale qui n'admettrait pas des transfor-
mations pareilles.] — P. 263-7. Deux privilèges de Raimond BérengerlV,
comte de Provence et de Forcalquier, en faveur de la commune de
Seyne, confirmés par le roi Charles II d'Anjou. [Publication anonyme.
Il s'agit de Seyne-les-Alpes, arr. de Digne. Privilège des 28 nov. 1222 et
5 août 1223, l'un relatif à la liberté des legs et à celle des nouveaux ha-
PÉRIODIQUES NON MERIDIONAUX. 125
bilants, l'autre accordant aux consuls divers droits de justice et leur
confirmant le consulat, le tout sous certaines conditions.] P. D.
'3'. — Revue d'histoire ecclésiastique^ 1905.
p. 557-65, 785-810. J.-M. Vidal. Notice sur les œuvres du pape Benoît XII.
[Ce pape n'est autre que Jacques Fournier, ancien évêque de Pamiers,
qui avait dirigé le tribunal d'inquisition établi dans ce diocèse contre
les hérétiques. Quoique theologorum sumniiis au dire de ses contem-
porains, ses œuvres théologiques étaient restées dans la pénombre.
M. V. les fait connaître d'après les manuscrits de Rome, spécialement
les commentaires sur saint Mathieu.] P. D.
8. — Revue historique, t. XG, 1906.
P. 18-60. E. RossiER. L'affaire de Savoie et l'intervention anglaise en 1860.
[La Savoie est devenue française en 1860; mais, en vertu du traité de
Vienne de 1815, sur ce point demeuré valide, elle ressortit au système
défensif de la Suisse. Incidents que cette question a provoqués durant
et après l'annexion : l'Angleterre, qui se juge dupée par Napoléon III,.
intervient éiiergiquement en faveur des droits de la confédération sur
le Chablais et le Faucigny, sans rien obtenir, et ainsi se termine entre
elle et la France l'entente inaugurée lors de la fondation du second
empire.] — P. 77-80 et 340. Correspondance. [Discussion entre MM. A.
Richard et P. Meyer sur le surnom donné à Aliénor, duchesse d'Aqui-
taine, femme de Louis VII, puis de Henri II Plantagenet. L'un pense
que ce surnom équivaut à « aliet d'or » ou grand aigle d'or; l'autre
que le sens du jeu de mots imaginé pour expliquer le nom d'Aliénor
demeure douteux, « aliet » signifiant émouchet, épervier, et non aigle.]
Tome XGI, 1906. Néant. — Tome XCII, 1906.
P. 1-41. Ch.-V. Langlois. Doléances recueillies par les enquêteurs de saint
Louis et les derniers Capétiens directs. [D'après les enquêtes publiées
par L. Delisle dans les Historiens de la France, t. XXIV. On conserve
des fragments de celles de 1217-1248, faites en Saintonge et en Poitou,
en Languedoc et dans d'autres parties de la France ; puis des docu-
ments relatifs aux restitutions opérées de r~'54 à 1262 dans les pays
désolés par la guerre des Albigeois. A suivre.] P. D.
NÉCROLOGIE
M. Emile Molinier, conservateur honoraire du musée du Louvre,
est décédé à Paris, le 6 mai dernier, à l'âge de 49 ans. Il était frère
de M. Auguste Molinier, mort il y a deux ans à peine, et de
M. Charles Molinier , professeur d'histoire à la Faculté des lettres
de Toulouse, membre du Comité de rédaction de notre Revue.
Ancien élève de l'École des Chartes, il s'était bien vite consacré à
l'histoire de l'art, et presque toute son œuvre intéresse l'art et l'ar-
chéologie. Nous ne pouvons oublier cependant que le sujet de sa
thèse de l'École des Chartes est pris dans notre histoire méri-
dionale, et que cette thèse, sous le titre suivant : Étude sur la vie
dWrnoul d'Audrehem, a été insérée, avec de nombreuses et pré-
cieuses pièces justificatives, dans les Mémoires présentés par
divers savants à l'Académie des Inscriptions, 2^ série, t. VI,
!>■« partie. Arnoul d'Audrehem fut lieutenant général en Languedoc
durant les années les plus malheui-euses du règne de Jean le Bon.
C'est dire rinlérôt de l'œuvre que M. E. Molinier lui a consacrée.
Le 19 juin dernier est mort M. Jean-Henri-Antoine Doniol, né
à Riom le 20 avril 1818. Ancien préfet, ancien directeur de l'Im-
primerie nationale, il a écrit des ouvrages généraux, dont le prin-
cipal est une Histoire des classes rurales en France (1857), rema-
niée et rééditée en l'JÔO sous le titre de Serfs et vilains au Moyen
âge. Mais ses travaux administratifs, ou d'iiistoire générale, ne
lui faisaient pas perdre de vue l'histoire de son pays d'origine,
comme en témoignent ses éditions du Cartulaire de Brioude
(186?), du Cartulaire de Sauxillanges (1864) et des Lettres du
conventionnel Soubrany (1867).
NÉCROLOGIE. 127
M. Alphonse Picard, libraire-éditeur, à Paris, et l'un des édi-
teurs de notre Revue, est mort le 23 juin dernier. Par sa longue
carrière consacrée presque entièrement à la librairie ancienne, par
la publication de la Bibliothèque de l'École des Chartes, des
Comptes rendus des séances de V Académie des Inscriptions et
Belles-Lettres et des Séances et Travaux de l'Académie des
sciences morales et politiques , par la publication de nombreuses
œuvres des historiens de notre temps, par sa science bibllogra-
pliique et le concours très précieux qu'elle lui permit de prêter aux
savants et érudits, il tient une large place dans le développe-
ment des connaissances historiques durant la seconde moitié du
xix.e siècle.
CHRONIQUE
L'Académie des Inscriptions a décerné pour la troisième fois le
second prix Gobert n M. A. Richard pour son Histoire des com-
tes de Poi ou. MM. Sama.ran et Mollat obtiennent une partie du
prix Bordin. Au concours des Antiquités de la France, M. L. Mi-
rot reçoit une médaille pour ses deux ouvrages, Isabelle de
France, reine d' Angleterre, comtesse d'Angouléme, et Les insur-
rections urbaines au début du règne de Charles VI; M. Serbat
une antre {Les assemblées du clergé de France de 1561 à 1615);
de môme M. H. d'Allemagne {Les cartes à jouer, du xive au
xxe siècle). Signalons parmi les mentions celles de MM. G. Doï-
TiN {Manuel pour l'étude de l'antiquité celtique), l'nbbé G. Ali-
BEHT {Histoire de Seyne), E. Bonnet {Antiquités et vionuments
du déparle^ncnt de l'Hérault), H. Moris {Cartulaire de V abbaye
de Lérins).
M. Stanislas Stronski, l'érudit et consciencieux éditeur d'Elias
de Barjols. prépare une édition critique des poésies de Folquet
de Marseille.
L'Esquisse historique de la littérature française au Moyen
âge de Gaston Paris, tout récemment publiée (Paris, A. Golin,
19U7), comprerul un l;iljleau sommaire, mais très exact et vivant,
de la littérature provençale, considérée surtout dans ses rapports
avec la littérature française du nord.
Une nouvelle édition des v Essais » de Montaigne. — Le tome I
de l'édition nouvelle «les Essais de Montaigne, due à la munifi-
CHRONIQUE. 129
cence de la ville de Bordeaux, vient de paraître. C'est un somp-
tueux volume in-4o de xxiv-47.j pages, tiré sur papier à bras parla
maison F. Pech et G'^, de Bordeaux, véritable chef-d'oeuvre de
typographie, accompagné d'une héliogravure et de deux photogra-
phies hors texte (prix : 25 francs. — 50 exemplaires numérotés ont
été tirés sur papier de Hollande, grand iu-4o, texte réimposé;
36 seulement sont mis dans le commerce au prix de 100 francs).
Cette édition nouvelle des Essais — l'édition municipale —
doiine pour la première fois le texte authentique et définitif de
Montaigne. Elle a été établie d'après le fameux exemplaire de
Bordeaux, enfin déchiffré et transcrit complètement. Au texte on a
joint toutes les variantes, corrections et repentirs de Montaigne,
en sorte que l'on peut suivre, pour ainsi dire, pardessus l'épaule,
le travail minutieux de l'auteur modifiant et complétant le texte
de 1588. Par un artifice typographique très simple et très clair on
a distingué le texte primitif de 1580 des apports successifs posté-
rieurs. Il est désormais possible de faire l'histoire du livre et de la
pensée de Montaigne. On peut leur appliquer — ce qui n'a jamais
été fait — la méthode historique, la seule rationnelle pour
débi'ouiller cette œuvre complexe. Un appareil critique très soigné
donne toutes les variantes imprimées et manuscrites. Cette édition
résume donc tous les travaux déjà faits sur les Essais et en même
temps présente l'ouvrage sous un jour tout nouveau.
Entreprise grâce à l'initiative de M. de la Ville de Mirmont,
professeur à l'Université de Bordeaux, adjoint au maire, sous les
auspices et avec la collaboration de la commission des Archives
municipales de cette ville, elle a été dirigée avec une sûreté et une
diligence vraiment dignes de l'œuvre par M. F. Strowski, profes-
seur à l'Université de Bordeaux. M. Strowski s'est placé, par ce
beau travail, au premier rang des familiers et des fervents de Mon-
taigne. Il ne s'est pas contenté de donner tous ses soins à l'établis-
sement scrupuleux du texte, besogne délicate entre toutes. Il a
écrit en tête du volume une importante introduction sur l'histoire
des Essais, qui met définitivement en lumière la valeur inestima-
ble de l'exemplaire de Bordeiux. Trois appendices donnent les
variantes très curieuses de ponctuation et d'orthographe, les leçons
des éditions de 15S0 et 1582, enfin un choix de leçons de l'édi-
tion de 1595, qui démontre qu'il convient de n'accorder qu'une
confiance limitée à la vulgate publiée par Mi'e de Gournay.
Ce tomel contient le livre I des Essais. C'est dans ce livre que
ANNA.LKS DU MIDI. — XIX 9
130 ANNALES DU MIDI.
se trouvent, on le sait, quelques-uns des chapitres les plus célè-
bres : ceux notamment du Pédantisme et de VlnstUuUon des
Enfants. L'édition comprendra quatre volumes. Elle sera accom-
pagnée de notices sur les sources de Montaigne, de notes expliquant
les allusions historiques, enfin d'un lexique définitif. Cette œuvre
magnifique, due à l'initiative municipale et aux efforts des érudits
bordelais, est une éclatante manifestation de vie intellectuelle
régionale et une contribution capitale à l'histoire des lettres fran-
çaises *. ^ P. C.
Adoptée par la Chambre après le Sénat, le 12 décembre dernier,
la proposition relative au dépôt facultatif dans les Archives dépar-
tementales des minutes des actes notariés, va devenir une loi. Peu-
vent être déposées auxdites archives les minutes antérieures à 1790,
puis, à l'avenir, celles qui dateront de plus de cent ans; de même
les minutes, registres et dossiers des greffes. Les archivistes dépar-
tementaux ou autres délégués du ministère de l'Instruction i)ubli-
que peuvent être autorisés à vérifier l'intérêt historique de ces
documents là où ils se trouvent, afin d'en assurer la conservation
et le classement. L'autorisation est donnée à la requête du procu-
reur de la République, par ordonnance de référé du président du
tribunal civil.
Chronique de l'Hérault.
Si j'ai, trop longtemps peut-être, retardé la publication de cette
chronique, c'est que je craignais qu'elle n'eût un peu trop, pour
le bon renom de notre activité littéraire et scientifique, l'aspect
d'un procès-verbal de carence. La voici cependant telle quelle, et
je m'en excuse.
A la Bibliothèque de la ville, depuis le Catalogue du Fonds de
Languedoc (Cf. Annales du Midi, XV, 1903, p. 564), qui s'est
prouvé à l'usage un excellent instrument de travail, rien n'a été
publié sauf les autographes de Fabre et de ses amis qu'insère de
1. Citons à ce propos les ouvrages suivants qui viennent de paraître:
Strowski (F.). Montaigne. Paris, Alcan, 1906; in-S" de viii-3.56 pages (col-
lect. des Grands philosophes). — Zangroniz (J. de). Montaigne, Amyot
et Salint. Etude sur les sources des « Essais ». Paris, Champion, 1906;
petit in-S" do xvi-196 pages {Bibl. littér. de la Renaissance, t. VIH. —
Montaigne. Journal de voyage, p. p. L. Lautrey. Pai'is, Hachette, 1906;
petit in-8° de 531 pages.
CHRONIQDE. 131
temps à autre la Revue d'Italie. La question du transfert du Lycée
dans le local rendu vacant par la fermeture du Collège catholique
n'ayant pas fait un pas, et la proposition rivale, — transfert dans
les casernes actuelles, qui seront prochainement évacuées par
les troupes, — étant également en suspens, il en résulte que la
Bibliothèque continue à ne pouvoir s'agrandir, agrandissement
pourtant aussi séant que nécessaire. A la Bibliothèque de la ville
a été déposé un bas relief de bronze symbolisant le souvenir d'Al-
fieri, hommage offert à Montpellier par la municipalité d'Asti lors
des fêtes du centenaire du tragique astésan. La ville de Montpel-
lier avait adressé au municipe d'Asti la copie du catalogue de la
Bibliothèque du poète, avec beaucoup de belles paroles et une let-
tre éloquente de M. le député Mas. Le conservateur du musée,
M. d'Albenas, a publié une nouvelle édition, augmentée et très
améliorée, du catalogue du Musée F.-X. Fabre.
Aux Archives municipales, M. Berthelé travaille à la rédaction
des tomes II et IV de l'Inventaire; aux Archives départementales,
il a achevé de publier le tome IV de la série C, Intendance. Ces
travaux ofticiels ne l'empêchent pas de poursuivre ses recherches
personnelles d'archéologie et d'épigraphie. Il a fait accepter par le
Comité des travaux historiques le principe d'un grand recueil
d'Archéologie et épigraphie campanaires. En attendant qu'il le
réalise, il vient de publier un volume de Mélanges où l'on retrou-
vera de nombreux articles de campanographie. et sa description
de la collection Didelot, collection de moulages d'art gallo-romain
et médiéval récemment acquise par la Faculté des lettres, le seul
guide et catalogue que nous en ayons jusqu'à présent. M. B. y
décrit avec compétence et amour cette collection dont il s'est cons-
titué le cicstos et ultor, comme dit Vex libris de la Marciana.
Malheureusement pour les médiévistes, le projet de publication
du Cartulaire de Maguelone, dont M. Fabrège s'était fait le géné-
reux promoteur, est abandonné. Il n'en reste que la copie exécutée
sous la direction de M. Berthelé et les recherches déjà entreprises
par lui, recherches arides et difficiles, pour lesquelles il n'aura
pas même, comme réi-om pense, le plaisir de la publicité. L'avor-
tement de cette tentative, dont M. Berthelé n'est à aucun degré
responsable, fait craindre que le Cartulairf. de MnguelonexvQ soit
jamais imprimé. Et cependant, quelle mine infiniment précieuse
de documents il y a là pour l'histoire des origines languedociennes
et de toute la France méridionale 1 — La séparation de l'Etat et
132 ANNALES DU MIDI.
des Églises aura pour les Archives départementales de Montpel-
lier un résultat aussi favorable qu'inattendu : le palais (?) ex-épis-
copal va être affecté à leur dépôt. La place ne leur y manquera
pas, et elles s'y trouveront sensiblement rapprochées des Archives
de la ville. Il y a là un double intérêt de concentration et de déve-
loppement, mais ce n'est sans doute qu'après bien des travaux
d'aménagement que ce transfert sera possible.
Nos Sociétés savantes continuent un sommeil paisible. UAcadé-
mie des sciences et lettres a consacré tout son tome IV à la publi-
cation d'un Bourdaloue, par quoi le doyen honoraire Castets a
rivalisé avec le P. Griselle. Le tome III reste inachevé au second
fascicule, consacré à une amusante et piquante étude anecdotique
sur les Bonaparte à Montpellier, due à la savante plume de
M. Grasset-Morel. Le fascicule I^'' avait été rempli par une mono-
graphie de M. de Saporta sur le débat universitaire , aussi
insoluble qu'intéressant, entre Aix et Marseille. Depuis lors,
les publications de la section des lettres sont arrêtées par une
f;\cheuse thésaurisation. — Quant à la Société d'archéologie, elle
n'a plus rien publié depuis 1903 [Une villette de Languedoc : Lan-
sargues, monographie de M. Gazalis de Fondouce). Mlle l. Gui-
raud prépare un travail biographique et de minutieuse docu-
mentation sur l'évêque Guillaume Pellicier. Souhaitons qu'elle le
rende plus utilisable que ses aînés en le munissant d'index co-
pieux, complets et bien faits. Quant à la publication des Cartu-
aires d'Aniane et de Gellone, elle est provisoirement suspen-
due; l'un des auteurs, M. Cassan,curé d'Aniane (précision néces-
saire, vu la célébrité fâcheuse que s'est acquise son scandaleux
homonyme le cui'é de Faugères), est mort en pleine activité intel-
lectuelle, et le survivant M. Meynial (qui a récemment pris l'ini-
tiative du jubilé du romaniste Fitting), semble détourné par d'au-
tres préoccupations. — La Société de géographie a publié dans sa
Géographie départementale (non sans ladrerie et tiraillements,
dit-on, en matière de planches) une importante monographie de
M. Emile Bonnet, dont nous reparlerons. — Quant à la Société des
langues romanes, elle obéit au conseil de Théophile Gautier, et •
Doucement de chemin suit son petit bonhomme.
Le lexique de la langue de Ronsard, de M. Vaganay, n'a pas
encore commencé de paraître.
A la Faculté des lettres, il y a lieu de signaler quelques muta-
CHRONIQUE. 133
tions. M. Galniette, pour qui avait été créée, en 1903, une confé-
rence spéciale d'iiistoire (fondation Tenipié Melon), a quitté l'Uni-
vetsitéde Montpellier pour celle de Dijon, où il a été récemment
promu à une chaire magistrale. Il continue et achèvera inces-
samment le classement des Archives de la Faculté de médecine
de Montpellier, dont l'inventaire sera publié aux frais de l'Uni-
versité. M. Delacroix, niaitre de conférences de philosophie, a été
remplacé par le psychophysicien M. Foucault. M. Martinenche,
nommé à la Sorbonne après une lutte épique et mouvementée
où il n'a pas été toujours combattu à armes courtoises, a été
remplacé dans son double enseignement par M. Henri Mérimée,
qui a en préparation une thèse sur la comédie valenciane. Son
prédécesseur avait, en 1906, publié, coup sur coup, deux volumes,
l'rn de critique littéraire, Molière et le théâtre espagnol, l'autre
d'impressions de voyage, — Propos d'Espagne, — qui peignent
tout entier son talent i)rimesaulier et brillant, trop habile seule-
ment à dissimuler la finesse de son observation et la solidité
de son érudition sous des dehors parfois fantaisistes et volontaire-
ment légers.
La thèse de M. Louis André sur Le Tellier, dont je parlais ici-
mème (1903, XV, p. 569), a vu le jour à la fin de 1906, et a valu à
son auteur, avec un prix à l'Académie des sciences morales, les
félicitations méritées de son jury. La petite thèse était consacrée à
la publication de Deucc Mémoires de Cl. Pelletier, utile contribu-
tion à la connaissance de l'historiographie française au xviie siècle.
M. Louis Thomas poursuit la difficile élaboration de son étude
d'anthropogéographie languedocienne. M. Albert Monod étudie la
défense de la religion contre les philosophes au xvjii« siècle, et
M. Buchenaud étudie le roman social de George Sand. M. .Tules
Goulet achève sa seconde thèse.
Un ancien étudiant de notre Faculté, M. J.-B. Séverac, licencié
de philosophie, a soutenu, au printemps de 1906, ses thèses de
doctorat sur Ce que Nietzche pensait de Sacrale (question un peu
étriquée, peut-être, pour une thèse), et sur La secte des Honiines
de Bien en Russie, travail de sociologie confus et hâtif, mais pré-
sentant (résultat de recherches personnelles) un tableau assez neuf
d'un de ces groupements mystico-anarchistes dont le pullulement
explique, pour une part, l'actuelle décomposition de la Russie. Le
jury a su gré à M. Séverac d'avoir voyagé en Russie pour pré-
parer son travail à l'époque des troubles terroristes , et d'y avoir
134 ANNALES DU MIDI.
couru de sérieux dangers : il lui a conféré la mention honorable.
L'année 1907 sera marquée ici par la soutenance des thèses de
M. V. Durand sur Le Jansénisme au XVIIlo siècle et J. Colbert,
évêque de Montpellier, actuellement sous presse; — M. Cabanes
a présenté pour la licence un bon mémoire surie rôle du clergé
pendant la révolution de 1848, surtout dans le diocèse de Mont-
pellier; — M. Lacroix, professeur au Lycée d'Alais, a donné, pour
le diplôme de hautes études d'histoire, un Mémoire svir les Mémoi-
res de Mme Rolland (éd. Perroud) considérés comme source his-
torique; — M. Grousset prépare, pour le même examen, un tra-
vail sur La situation économiqite de la Lozère pendant la Révo-
lution- et M. Vidal, pour la licence, examine l'importance
\\\?,io\-\(\ViQ à'Un Recueil de lettres inédites sur les événements
politiques de 1651-1652 que possède la Bibliothèque de la Ville
(cod. 41). Ces divers travaux sont sortis de la conférence d'his-
toire moderne à la Faculté des lettres, et se poursuivent sous ma
direction.
Le Comité pour l'histoire économique de la Révolution, formé
au mois de juin 1905, après une première réunion où il a élu pour
président M. Gachon, n'a pas été convoqué en 1906.
La disparition de la Faculté de théologie de Montauban a eu un
contre-coup favorable pour l'Université de Montpellier. Un cours
d'histoire du christianisme primitif a été créé et confié à
M. E.-Ch. Bahut, que sa thèse sur Le Concile de Turin et l'hono-
rable polémi(iue, qui en fut la suite, avec Mk'' Duchesne quali-
fiaient hautement pour celte nomination.
M. Lambert, directeur honoraire du Conservatoire municipal de
musique, a enfin publié le recueil impatiemment attendu de Chants
et chansons populaires du Languedoc , auquel il a travaillé pen-
dant toute sa vie. Ces deux volumes seront désormais le livre fon-
damental du folk lore musical languedocien : le premier comprend
les chants du premier âge, pour endormir, pour éveiller, les rondes
enfantines, les jeux d'enfants, les formules d'élimination, les diffi-
cultés de prononciation, les dictons facétieux sur les noms de
baptême, les incantations enfantines, les rondes ; le second volume
énumère les danses (bourrées, rigaudons, montagnardes, diverses),
les chansons de printemps et la copieuse série des chants d'amour,
— y compris le mariage et ses conséquences : 7)ial maridado,
marit jalous et cougùous (Paris, Welter, 2 vol. in-8", 1906). Le
beau recueil d'Antiquités et monuments du département de
CHRONIQUE. 135
- l'Hérault, de M. Emile Bonnet, est aussi un livre capital pour les
études languedociennes médiévales. L'auteur y a groupé, classé et
décrit tous les monuments (édifices, monnaies, inscriptions, objets
mobiliers) conservés ou trouvés dans le département et actuelle-
ment connus, pour les six périodes préromaine, gallo-romaine,
wisigothe, carolingienne, romane et gothique. C'est un guide par-
fait pour le touriste archéologue et un excellent point de départ
pour continuer des recherches et reprendre des discussions. Il faut
souhaiter que M. Bonnet continue cet inventaire pour la période
moderne, de la Renaissance à 1900 : il ne serait pas moins utile,
et les oeuvres à inventorier ne seraient pas moins importantes.
Signalons enfin deux récentes monographies, l'une purement his-
torique, l'autre d'intérêt universitaire et social. M. Saint-Quirin
(de Gazenove) a étudié Les verriers de Languedoc de 1290 à 1790
(un vol. in-8o, 362 pp. Montpellier, Bœhm, 1904 [en réalité, 1906]),
avec une érudition très précise et très documentée, et il a su faire
revivre, à travers toutes les vicissitudes de son histoire, cette noble
corporation. MM. les docteurs Truc et Pansier ont publié l'Histoire
de rophlalinologle à VÉcole de Montpellier, du XII^ au
XX^ siècle. Après une courte introduction sur les diverses phases
de l'histoire de l'ancienne École de médecine et du Collège de
chirurgie, les auteurs donnent la liste, — biographique et autant
que possible bibliographique, — de tous les oculistes ayant pra-
tiqué à Montpellier depuis le quatorzième siècle, depuis Bienvenu
de Hierusalem et Bernardus Provenzal jusqu'à la création de la
chaire d'ophtalmologie actuelle et de la nouvelle clinique, et ter-
minent par une vue d'ensemble sur l'importance des progrés
accomplis et des services rendus. L'honneur de l'admirable orga-
nisation de cette clinique revient, avant tous, au Dr Truc.
Le Congrès des Sociétés savantes doit se tenir, en 1907, à Mont-
pellier. Il faut espérer que le désir de paraître avec honneur à cette
solennité intellectuelle, et l'appât des palmes académiques qui en
sont la conséquence obligatoire, sinon le motif, stimuleront le
zèle somnolent de nos érudits locaux.
L.-G. Pélissier.
LIVRES ANNONCÉS SOMMAIREMENT
AuRBLLE-MoNTMORiN (R. d'). Samarobriva, Uxellodunum. Pé-
ronne, 1903; in-12 de 26 pages. — Etude étymologique tendant à
prouver que Saynarobriva Ambianorum doit être cherchée à
Péronne, et Uxellodunum à Capdenac.
Dbsdevises du Dezert.
BoNNEFOY (G.), statistique générale avec carte économique du
département du Puy-de-Dôme. Clermont-Ferrand, Monier, 1903,
in-8° de 79 pages (1" fascic des Mémoires de la Société des Amis
de VUniversité de Clermont-Ferrand). —M. B., déjà connu par de
nombreux travaux sur l'histoire administrative du Puy-de-Dôme,
nous donne dans ce mémoire, d'après les documents officiels les
plus complets et les plus récents, une étude détaillée sur le mou-
vement de la population dans le Puy-de-Dôme depuis 1790, sur
la statislique cadastrale du département, la zoologie et la bota-
nique agricoles, le régime des eaux et forêts; des tableaux résu-
ment les données statistiques fournies par le texte. Une carte
très claire et très ingénieuse complète l'ouvrage et fixe dans
l'esprit la physionomie du département. D. d. D.
BouBOUNELLE (H.). Saint-Flour et ses environs. Saint-Flour,
1903; in-12 de 127 pages. - Le guide du touriste à Saint-Flour
occupe dans cette brochure 70 pages environ. Détails sur Saint-
Flour, le viaduc de Garabit, les châteaux du Sailhans. d'Alleuze,
des Ternes et de Roffluc, l'église de Villedien et les eaux de
Chaudes-Aiguës. Quelques indications bibliographiques. Les cha-
pitres sur les châteaux d'Alleuze et du Sailhans sont dus à
M. Léon Belard, archiviste de Saint-Flour. D. d. D.
LIVRES ANNONCES SOMMAIREMENT. 137
Brémond (E.). République de Marseille, i2Hi257 ; son origine,
son organisa lion, sa fin. Marseille, Auberiin et RoUe, 1905; in-S"
de ".t pages. — L'auteur n'a pas eu « la prétention de faire une œu-
vre d'érudition, mais de rappeler des souvenirs oubliés et de
porter à la connaissance de tous quelques-unes des années glo-
rieuses et néfastes de la seule ville qui, avant 1792, a osé pren-
dre, en France, le nom de République ».
Cet opuscule n'est, en effet, qu'un travail de vulgarisation,
rédigé d'après les histoires de Rufli, Papon, Guindon et Méry, etc.
Après quelques pages relatives aux origines de Marseille (où l'on
ne voit pas sans surprise qu'au temps des Phocéens la culture de
l'orange/- florissait en cette ville), l'auteur expose la situation de
Marseille et la généalogie de ses vicomtes, puis la façon dont elle
se libéra de leur autorité. Une deuxième partie traite de l'admi-
nistration et de l'organisation de la république, dont la troi-
sième et dernière partie raconte la fin.
Dans tout cela, non seulement on chercherait en vain quelque
chose de nouveau (M.B. nous a prévenus), mais quelque chose d'in-
téressant: c'est un récit sec et décoloré, peu propre, je le crains,
à attirer les lecteurs et à leur inculquer, comme le voudrait l'au-
teur, l'amour du passé de leur ville. Il s'écoulera sans doute bien
du temps encore avant que l'on puisse donner au public un abrégé
intéressant de l'histoire de Marseille au moyen âge: il faudrait
d'abord que cette histoire fût refaite complètement, autant du
moins que le permettent les trop rares documents qui en subsis-
tent. M. Clerc.
Cohen (G.). Histoire de la mise en scène dans le théâtre reli-
gieux du moyen âge [avec six planches gravées]. Paris, Cham-
pion, 1906; petit in-8o de 304 pages. — Jamais cet intéressant
sujet n'avait été traité avec cette ampleur et cette abondance
d'informations; aussi le volume de M. C. apporte-t-il beaucoup
de nouveau. Le contenu, au reste, en est notablement plus étendu
que le titre, car il n'y est pas seulement question de la « mise en
scène » proprement dite, mais aussi de la condition des acteurs,
des auteurs, du prix des places, etc. Un titre comme « Etudes
sur l'organisation matérielle de l'ancien théâtre français » eût
donc été plus exact. Le théâtre du Midi et celui du Nord ayant
évolué parallèlement, il nous a paru bon de mentionner ici ce
volume, bien que rien n'y concerne spécialement les oeuvres mé-
138 ANNALES DU MIDI.
Pidionales (celles-ci, qui contiennent de iiombreuses indications
scéniques, y sont peut-être même un peu plus négligées que de
raison). L'ouvrage, malheureusement tiré à petit nombre, est
déjà épuisé, bien que tout récemment paru; mais il en sera
publié dans quelques mois une traduction allemande par les soins
de la librairie Klinkhardt, à Leipzig. A. Jeanroy.
Fabrb (C). Austorc d'Orlac, troubadour du Yelay au xin« siè-
cle; élude sur sa vie et son œuv7-e. Le Puy, 1906; in-8" do 20 pages
(Extrait des Mémoires de la Société agricole et scientifique de la
Haute-Loire, t. Xlll)..— Dans la première partie de ce travail,
M. Fabre montre que le sirventés d'Austorc d'Aurillac, Ay Dieus !
per qu'as fâcha tan gran maleza se rapporte, non à la croisade
de 1270, mais à celle de 1247-50. Ses arguments sont en grande
partie ceux que j'avais moi-même invoqués dans un article écrit
avant que le sien ne parût', et qui aboutit naturellement à la
môme conclusion. Mais dans le reste de sa brochure, M. F. fait
certainement fausse route. A la suite de F. Mandat {Histoire poé-
tique et littéraire de l'ancien Velay, Paris, I8i2, p. 428), et de
L. Pascal [Bibliographie du Velay et de la Haute Loire, Le Puy,
'1904, p 401, note 1), il considère l'auteur du sirventés comme
originaire du Velay et non de l'Auvergne. Mais le second de ces
écrivains n'a certainement fait que copier le premier, et celui-ci.
bien qu'il s'appuie sur l'autorité des « manuscrits », n'a utilisé,
comme le prouvent ses propres indications, que les copies de c
exécutées pour Sainte-Palaye (Arsenal. n° 3071); or, on sait que
le manuscrit en question ne fournit, en fait de renseignements,
que trois rubriques, dont l'une mutilée. On se demande donc com-
ment M. F. peut écrire (p. 4 2), que « les manuscrits {sic) de la
Bibliothèque nationale font naître le poète au Puy ». Ce n'est pas,
du reste, au Puy que lui-même veut le faire naître, mais à Orlac,
commune do Pébrac (Haute Loirei.
Supposition inadmissible, car le nom de ce village est toujours
écrit, dans les anciens documents, comme M. F. lui-même veut
bien mo l'apprendre : Ortac ou Orlat. tandis que les formes Aor-
Ihac, Aorllac désignent constamment, dans les textes du moyen
âge, le chef-lieu actuel du CantaP. C'est encore une idée raallieu-
1. (!et article, ri'M^o en août 1905, et qui a déjà paru en tirage à part,
doit faire partie des Méluuçies Chabaneau.
■Z. Voy. par exemple Afinales du Midi, Vil, 437,
LIVRES ANNONCÉS SOMMAIREMENT. 139
reuse que d'identifler avec Austorc l'auteur d'un sirventés bien
connu (439, 1), œuvre d'un « chevalier du Temple », dont le ma-
nuscrit a nous a récemment fait connaître le nom '. Le fait que le
second sirventés est sur le rythme et les rimes du premier
constitue déjà un argument suffisant contre cette identification,
qui n'est au reste proposée ici (p. 17) qu'avec quelque réserve. En
dépit de ces erreurs, M. F. a fait preuve dans ce travail de con-
naissances étendues ^ et d'une critique avisée, et il serait désira-
ble qu'il poursuivît ses études sur les troubadours de sa pairie
d'adoption, A. Jeanroy.
GuÉLON (l'abbé P. F.). Essai sur les marguilleries des Collégiales
de France (d'après un ancien manuscrit). La Collégiale de Sainl-
Gen'es à Cleruiont en Auvergne aux dix-septième et dix-huitième
siècles. Clerraont-Ferraud, Bellet, 4 905; in-8» de 152 pages. —
Le livre de M. l'abbé G. donne un peu moins et un peu plus
que son titre. L'ancien manuscrit découvert par l'auteur est in-
titulé « Registre de la raarguillerie pour la paroisse de Sainl-
Genez en cette ville de Clermont ». Il fallait le faire précéder
d'un historique de la paroisse Saint-Genès, le publier in extenso
avec notes explicatives et l'accompagner d'un index, s'il y avait
lieu. M. l'abbé G. a préféré esquisser une histoire générale des
marguilleries du cinquième au seizième siècle; encore ne la
présente-t-il que morcelée, mêlée à toutes sortes d'épisodes et de
digressions. Du manuscrit on voit de longs fragments, recousus
tant bien que mal à l'aide de quelques phrases de l'auteur; on
ne sait si on a tout le manuscrit ou seulement une partie; on ne
se sent pas en présence du document, mais d'une interprétation
personnelle du texte. A chaque instant, M. G. prend la parole
pour donner son opinion sur tel ou tel fait, tel ou tel person-
nage, pour décrire un objet qui l'a frappé, pour stigmatiser les
idées ou les hommes qui lui sont antipathiques. Le livre, en
somme, serait intéressant si l'auteur avait su se borner à son
sujet. Desdevises du Dezert.
Keller (W.). Das sirventés « Fadet joglar » des Guiraut von
Calanso, Versuch eines hritischen Textes, mil Einleitung . Anmer-
1. Voy. Bertoni, Nuooe rime provenzali, p. 25.
2. Les deux sirventés en question sont reproduits et traduits d'une façon
très satisfaisante, à quelques détails près.
140 ANNALES DU MIDI.
kungen, Glossar und Indices. Erlangen, Junge, 1905; in-S" de
142 pages {dissert, de Zurich). — Les deux manuscrits qui nous
ont conservé ce texte bien connu étant très divergents, M. Keiler
a pris le sage parti de les reproduire tous deux in extenso, ce qui
permet de contrôler très aisément son texte critique. Il y a bon
nombre de passages qu'il n'est pas arrivé à restituer d'une façon
sûre, ce qui ne saurait nous étonner, un grand nombre de cor-
rections et de conjectures ayant déjà été proposées par G. Paris
et M. Paul Meyer, à propos du livre de M. Birch-Hirschfeld (Ro-
mania, VII, 44S). Mais c'est beaucoup d'avoir sous la main tous
les matériaux qui permettent de se livrer à de nouvelles étu-
des. Ce qu'il y a de nouveau surtout dans ce travail, c'est la
très longue et intéressante introduction (pp. 1-47), où l'auteur
n'a pas laissé grand'chose à dire sur le sujet. Il faut signaler
particulièrement ses vues sur l'origine du mot sirventés , qui
aurait désigné d'abord, comme l'avait pensé M. P. Meyer, une
poésie composée par un sirven ou un ancien sirven. Selon M. K.,
les sirventés auraient été à l'origine de deux sortes : les uns, oii
l'auteur aurait fait l'énumération de ses talents (c'est à cette
variété que M. K. rattache, assez arbitrairement, notre texte);
les autres, où sont pr'is à partie les vices du siècle. Mais on
ne s'explique guère ni pourquoi la première catégorie est si pau-
vrement représentée, ni pourquoi la seconde en serait venue à
toucher si fréquemment à la politique proprement dite. — Dans
les notes (pp. GO-130) on remarquera les recherches approfondies
sur les diverses légendes poétiques et sur les instruments de
musique mentionnés par G. de Calanson. L'introduction et les
notes eussent pu aisément être un peu réduites; l'auteur eût pu
laisser de côté certaines hypothèses tout à fait en l'air, celle, par
exemple, qui rattache frémir à frendere (pp. 114-5), ou celle qui
fait de escrimir un substantif, qui aurait le sens de «^' sorcier »
ou de « larron » (p. Il 8). On eût préféré, en revanche, trouver
dans le même volume une édition aussi soigneusement établie
de deux autres textes inséparables de celui-ci ; les deux pièces
de Guiraut de Cabrera et de Bertran de Paris. — Page 76. note
aux v. 49 51, au lieu de Raynaud, lire Raymond; page 115. n. 2,
au lieu de Flury, lire Fluri.
A. Jeanroy.
LIVRES ANNONCES SOMMAIREMENT. 141
Mabilly (F'h.). Les villes de Marseille au moyen âge. Ville supé-
rieure et ville de la Prévôté. Marseille, Astier, 190ï; in-Sode 294 pa-
ges. — L'auteur nous prévionl, dans son introduction, qu'il n'a
pas l'intention de constituer l'histoire des villes hautes de Mar-
seille, c'est à-dire de la ville supérieure qui, avant 1257, avait
l'évêque pour seigneur, et de la ville de la prévôté et de l'œuvre,
qui était sous la seigneurie du chapitre de la Major. Il manque,
pour écrire cette histoire, encore trop de documents nécessai-
res, perdus ou enfouis dans des archives fermées aux investiga-
tions. L'ouvrage se présente donc sous la forme d'une succes-
sion de notes à l'adresse des historiens futurs. De ces documents,
les uns sont simplement analysés, les autres donnés in extenso,
et l'auteur indique tout d'abord, pour faciliter l'intelligence de
ces documents, l'origine des deux villes. 11 s'attache surtout à
mettre en lumière ce qui concerne les villes épiscopale et de la
prévôté, la ville vicomtale étant relativement mieux connue,
grâce aux statuts, publiés et commentés plusieurs fois. C'est donc
une courte histoire des villes hautes avant 1257, puis l'histoire
de l'achat de la seigneurie, à cette date, par les citoyens.
Vient ensuite une topographie, aussi détaillée que le permet-
tent les documents, des villes hautes à partir de 1257. Il y a là
une étude très serrée et extrêmement consciencieuse, et l'auteur
a très heureusement utilisé les actes notariés de la fin du xiii° siè-
cle et du début du xivp pour rectifier les assertions des îiutf urs
de la Statistique des Bouches- du- Rhône, souvent foit arbitraires.
M. M. a pu rectifier, grâce atix mômes documents, l'origine de
plusieurs noms de rues et corriger sur ce point l'œuvre d'Augus-
tin Falire. Quel dommage qu'il n'ait pas ajouté à son ouvrage
une carte ofi toutes ces indications auraient figuré! La topogra-
phie de Marseille au moyen âge est à la fois des plus importan-
tes et des plus obscures encore.
L'auteur étudie ensuite l'administration de la justice, puis la
constitution des municipalités des villes hautes, et enfin ce qu'il
appelle les faits économiques. Il y a là une foule de détails nou-
veaux et curieux sur le prix des immeubles et des marchandises,
l'intérêt de l'argent, etc.
Une biographie des conseillers des deux villes forme la seconde
partie de l'ouvrage. J'aurais préféré qu'ils fussent rangés par
ordre chronologique et non par ordre alphabétique, quitte à allon-
ger la liste alphabétique de la table des matières.
142 ANNALES DU MIDI,
Quelques pièces justificatives terminent l'ouvrage, entre autres
le serment des consuls de la ville supérieure et un extrait de la
convention passée entre l'évêque et le comte.
Sous sa forme modeste, l'ouvrage de M. M., archiviste de la
ville, qui connaît admirablement ses archives, est destiné à ren-
dre les plus grands services : tout historien de Marseille au
moyen âge y trouvera des renseignements d'une véritable valeur
scientifique. M. Clerc.
Faumès (B.). Le Collège 7-oyal et les ot'igines du Lycée de Cahors,
1763-1815. Cahors, Girraa, 1907; in-IG de 26.3 pages et 2 plans. —
L'auteur, professeur d'histoire au lycée Gambetta fCahors), est
doué d'esprit scientifique. Il a consulté pour écrire sa monogra-
phie tous les documents qu'il a pu se procurer et les cite dans de
nombreuses notes. La correspondance des recteurs, les rensei-
gnements confidentiels sont mis à contribution. Il a même
recueilli les souvenirs et impressions d'anciens élèves de l'école
centrale ou du lycée. Aussi, son livre est-il nourri de faits. La
narration est intéressante.
Le collège date du milieu du xvi^ siècle. Il est né avec les guer-
res religieuses. Les Jésuites y enseignent de 1G05 à 1763. Ils
l'accroissent et lui donnent une véritable splendeur. Après la
dissolution de leur ordre, ils y sont remplacés par les Doctrinai-
res. Ceux-ci le tenaient encore lorsque la Révolution vint le
détruire L'auteur retrace cette dernière période, depuis 1763, et
il mène son récit jusqu'en 1815, alors que le lycée a succédé à
l'institution révolutionnaire, l'école centrale. Les bâtiments,
centre d'un véritable quartier des études au \vi*' siècle, sont
demeurés à peu près les mêmes. Nous pouvons suivre leur his-
toire. I/établissement devient collège royal en 1765. Les autori-
tés locales le favorisent. Dès cette époque, elles s'efTorcent de ne
pas laisser absorber complètement par Toulouse les élèves de la
région. Notices sur les professeurs. Les programmes assez larges
et la discipline assez douce des Doctrinaires annoncent les temps
modernes. La Révolution apporta le trouble dans les idées, d;ins
la discipline, dans lu vie des professeurs^ dans le budget de la
maison, dont elle amena la ruine.
L'auteur glisse sur l'école centrale, dont l'histoire a été écrite.
11 se contente d'ajouter quelques précisions à l'ouvrage de Bau-
del, non sans insister pourtant sur les causes d'insuccès qui
LIVRES ANNONCÉS SOMMAIREMENT. 143
la firent échouer, telles que les troubles de l'époque, la vie des
professeurs un peu tropmê'ée à la politique, l'absence déclasses
graduées, chaque professeur étant maître de son programme
sans souci de cohésion avec ceux de ses collègues.
La création de l'Université impériale fit de Cahors le chef lieu
d'une académie, qui comprenait le Lot, le Lot-et-Garonne et le
Gers, et le siège d'un lycée. M. P. retrace les débuts de ce lycée,
la restauration des classes, les programmes. Il ajoute d'abondan-
tes notices sur les professeurs, et promet d'étendre bientôt son
travail à la période contemporaine.
En somme, bon ouvrage, sérieusement documenté et très
vivant. Il est à désirer que de pareilles monographies soient
consacrées à tout établissement notable et ancien d'enseigne-
ment secondaire. M. Décans.
RiBiER (D'' Ij. de). La Chronique de Mauriac par Monlforl, suivie
de documents inédits sur la ville et le monastère. Paris. Mauriac,
1905; in-8» de '260 pages, avec planches. — La Chronique de Mont-
forô a été composée vers le milieu du xvie siècle, par le prêtre
P. de Montfort, curé de Moussanges. M. de Ribier la publie d'après
une copie faite en 1785 par l'abbé Lavergne, prêtre de Mauriac,
et d'après un extrait copié par Dulaure et conservé à la Biblio-
thèque de Clermont, sous le n^ 656.
Cette chronique rapporte les légendes relatives à la fondation
de l'abbaye de Mauriac par sainte Clotilde, femme de Clovis, re-
late quelques faits historiques, signale les pestes et les famines
qui affligèrent Mauriac, et raconte avec grands détails la fête
donnée dans la ville au mois d'avril 1559 pour célébrer la con-
clusion de la paix de Câteau-Cambrésis.
Au texte de la chronique fait suite un volumineux appendice
(pp. 91-260) renfermant un résumé de l'histoire du monastère,
une liste des doyens et diverses pièces parmi lesquelles nous cite-
rons l'état général du revenu des offices claustraux (p. 155);
l'état général des revenus et charges du monastère en 1642
(p. 160); le dénombrement des propriétés, cens et rentes du mo-
nastère en 1669 (p. 168); l'histoire de l'introduction de la Congré-
gation de Saint-Maur, ordre de Saint-Benoît, au monastère de
Saint-Pierre de Mauriac (p. 175) ; la vente comme biens nationaux
des propriétés du monastère (p. 238), qui produisirent une somme
totale de 77,200 francs.
144 ANNALES DU MIDI.
M. (le R. s'est principalement servi des travaux de Dulaure,
du Dictionnaire du Cantalde Delalo, des documents conservés
auï archives du Cantal et dans les archives de sa famille. II est
regrettable qu'il n'ait pas placé en tête de son livre une étude
critique de ses sources, qui aurait certainement ajouté k la valeur
de cette intéressante collection. Dbsdevises du Dezert.
Sahuc (J.). m ''moire géographique et historique sur le diocèse de
Saint- Pons au XV iw siècle. Montpellior, impr. Ricard, 1906; in 8°
de 73 pages. — Les éléments de ce mémoire ont été puisés aux
Archives de l'Hérault et à colles de la Haute-Garonne, y compris
la série B (Archives du Parlement de Toulouse). Si utile qu'il
puisse être, il nous serait difficile de l'analyser, car il se compose
d'une série d'énuraérations rangées sous les rubriques suivan-
tes : Orographie et forets du diocèse; cours d'eau; voies de
communication — cette partie offre beaucoup d'intérêt; — mi-
nes de charbon, assez rares et mal pourvues; institutions judi-
ciaires, d'autant plus compliquées que les appels ressortissaient
aux deux sénéchaussées de Carcassonne et de Béziers, chacune
ayant son ressort dans 1(5 diocèse, tandis que la villa de Saint-
Pons et l'évêque relevaient à leur choix de l'une ou de l'autre;
administration des eaux el forêts; organisation ecclésiastique
par menses, prieurés-cures et rectories sous l'ancien régime, par
cantons en 4801; domaine royal, seigneuries, à commencer par
la seigneurie épiscopale. toutes étudiées dans leur histoire, dans
leurs raodificaiions successives du moyen âge au xviii» siècle;
enfin, communautés au nombre de quarante-quatre, avec indica-
tion de la population, des noms, tènements et des monuments
d'intérêt archéologique. En somme, travail des plus méritoires,
P. DOQNON.
Teilhard de Chardin (E,). Comptes de voyage d'habitants de
Montferrand à Arras en 1479. Paris, 1906; in-S' de 48 pages (E\tr.
de la Bibl. Ec. Chartes, t. LXVII). — En juin 1479, deux ans après
qu'il eut acquis Arras, Louis XI, trouvant trop « autrichois » les
sentiments des gens do la ville, résolut d'en bannir la popula-
tion ot d'y établir de « bons et loyaux sujets ». A cotte fin, les
principales villes du royaume l'.nr- i mises à contribution, dont
quatre de la Basse-Auvergne; Clerraont, Montferrand, Saint
Pourçain et Cussot durent fournir des « ménagers », gens do
LIVRES ANNONCES SOMMAIREMENT. 145
métier, et les trois premières, avec Moulins, un « facteur » ou
négociant. Elles avançaient les frais du voyage; de leur côté,
les corps de métier faisaient chacun une « bourse », c'est-à-dire
réunissaient des fonds destinés à être remis aux émigrants, lors-
que ceux-ci seraient parvenus à destination. — Le voyage, qui
dura du 9 juillet au 22 août 1479, présente des particularités
intéressantes, que M. T. de Ch. a bien su mettre en lumière,
mais que nous ne pouvons énumérer. Sur dix colons partis de
Montferrand, cinq paraissent être restés ensuite à Arras, au lieu
de retourner dans leur pays. En 1482, en 1484, les bannis d'Arras
ayant été autorisés à rentrer chez eux, d'autres encore regagnè-
rent l'Auvergne, sauf trois, peut-être, qui durent, en ce cas,
devenir « Autrichiens » dès le mois de mai 1493. — Quant au
« facteur», on ne voit pas s'il s'est dérangé, quoique les 1,200 écus
qui devaient lui être alloués eussent été réunis, et non sans
peine. — M. T. de Ch. publie avec beaucoup de soin les comptes,
relatifs à cette affaire, des consuls de Montferrand, comptes
commencés le 22 juin 1479 et clos le 22 novembre suivant.
P. DOGNON.
Thiollibr (N.). La porte romane en bois sculpté de Véglise de
Blesle {Haute-Loire). Caen, Delesques, 1905, in-8« de 8 pages,
2 planches (Extrait du Bulletin monumental, année 1903). —
M. ThioUier rapproche cette porte de celles de la cathédrale du
Puy, des églises de Charaalières-sur-Loire et de La Voulte-Chillac,
et les date du milieu du mi« siècle. D. d. D.
Uren'a y Smenjaud(R. de). La Legislaciôn gôtico-hispana [Leges
antiquiores : liber judiciorum) : esludio critico. Madrid, Morerio
1905; in-8'' de 583 pages et 3 planches. — Cet excellent livre est
le fruit du cours professé en 1903, à l'Université de Madrid, par
M. de U. y S. sur l'édition des Leges Visigotho?'um, publiée en
1902 par Zeumer dans les Monumenla Germaniœ. Il se compose
d'une série d'études critiques sur les sources et les textes de la
législation visigothique Le premier chapitre est une bibliogra-
phie très complète du sujei £-1 xix? siècle. Le second chapitre est
consacré aux éditions des textes, d'abord de ceux qui sont anté.
rieurs un Liber judiciorum de Receswinth, c'est-à dire : des frag-
ments de la Lex antiqua an ms 12!6ld i^nvï^AQi' E lictum régis An
manuscritde Holkham, dos fragments nouveaux, dits de l'Edit d'Eu-
ANNALES DU MIDI. — XIX 10
146 ANNALES DU MIDI.
rie. tirés du manuscrit de la Vallicelliana, du Bréviaire d'Alaric
et de la Lex Theiidi régis, de 54H, qui provient du palimpseste de
Léon. L'auteur étudie ensuite les treize éditions de la Lex Yisigo
thorum. C'est naturellement la dernière qu'il examine et critique
de préférence. Il signale (p. 106 8) un certain nombre d'inexacti-
tudes dans les tables de concordance dressées par Zeumer. Il cons-
tate que ce savant n'a pas donné assez d'importance aux manus-
crits espagnols et a négligé de les collationner lui même; il y
aurait trouvé en particulier deux fragments inédits de la Vulgate
{Appendice A, 1-2) et il aurait pu y ajouter aussi un fragment
extrait d'un manuscrit bilingue latin-galicien, déjà édité dans
les Fueros municipales de Santiago (Appendice D). Il regrette, et
ce nous semble avec raison, que Zeumer ait exclu de ses Addita-
menia plusieurs morceaux, tels que le Tilulus primus de electione
principum, \e placilum do Chintila et d'autres fragments admis
dans l'édition de l'Académie d'Espagne ip. 102, 104, 166, 522-523),
ainsi que les quatre morceaux du manuscrit de la Vallicelliana
qui paraissent bien être du droit visigothique et non du droit
lombard. Il rejette également avec raison les doutes élevés contre
l'authenticité de la loi 6, 5, 21 et l'attribue plutôt à Egica qu'à
Waraba. Il donne une explication qui paraît vraisemblable d'un
texte des Addilamenla resté jusqu'ici une énigme : baldrès fariunt
a?'gencotabili. En vieux castillan, bald?-ès ou baldès signifie cuir
fin, peau à gants; il s'agirait donc de peaux équivalentes à de
l'argent comptant.
Le troisième chapitre étudie les phases et l'évolution de la
législation visigothique. D'après le texte de Sidoine Apollinaire
et contre celui d'Isidore de Séville qui fait d'Euric le premier
législateur, M. D. U. admet d'abord l'existence d'une législation
de Théodoric et attribue à un édit de ce prince les fragments du
manuscrit de Holkham qui n'appaitiendraient par conséquent ni
aux Ostiogoths ni à Euric. Pour la législation d'Euric, l'auteur
accepte la vieille théorie des Bénédictins, reprise par Hinojosa,
Cardenas, Brunner, Zeumer, et croit qu'on peut la reconstituer
en partie avec le palimpseste de Paris et la Loi des Bavarois ; il
rejette donc l'opinion deGaudenzi qui voit dans le palimpseste de
Paris des débris du Code de Léovigild. Il fait ensuite d'excellen-
tes observations sur la lex roniana Yisigothorum. Pour \'inte7'-
pretatio en particulier, il accepte et confirme la théorie de Fit-
ting et la nôtre sur l'origine prévisigothique. Il attribue ensuite
LIVRES ANNONCES SOMMAIREMENT. 147
une très grande importance à la revision de Léovigild, qu'il
essaie de reconstitAier (p. 3ol-370). D'après lui, c'est sous Léovi-
gild que la loi de personnelle est devenue territoriale, et il ne
faut pas attribuer, comme on le fait généralement, cette grande
transformation à la loi si obscure de Receswinth (2, 1, 10). C'est
plutôt à la revision de Léovigild qu'au Gode d'Euric qu'appartien-
nent les quatre fragments du manuscrit de la Vallicelliana. Un
de ces fragments est relatif aux énigmatiques jubilii : l'auteur
rejette l'explication qui en fait de.'< lubilii. Ubellarii (emphytéotes
lombards) et les assimile blux Juberii, Juberi, espèces de colons
déjà indiqués par Du Cange pour l'Aragon, et dont la condition
est décrite dans une foule de fueros postérieurs sous les noms de
juberos, juveros, yuveros. Cette hypothèse satisfera-t elle les lin-
guistes? L'auteur étudie finalement l'évolution juridique depuis
Recared jusqu'à Egica, la formation et les enrichissements de la
Vulgate. Il accepte la théorie de Zeumer, la seule défendable
aujourd'hui, qui attribue le liber judiciorum à Receswinth et non
à Chindaswinth, mais il admet une revision du Code d'Ervig par
Egica.
Cette analyse sommaire montre l'importance du travail de
M. D. U. Sa discussion précise et vigoureuse fera accepter une
bonne partie de ses conclusions.
On ne lit pas sans une sympathique émotion ses plaintes sur
l'indifférence du gouvernement espagnol à l'égard du travail
scientiâque, sur la détresse des Universités d'Espagne, dépour-
vues de fonds, de livres, d'outillage! Les professeurs ne peuvent
guère compter que sur leurs ressources personnelles. On ne sau-
rait trop louer le mérite et l'abnégation des savants qui, dans
ces conditions, produisent et font imprimer des œuvres de
valeur. Ch. Lécrivain.
"Wendel (H.). Die Entwichelung der. Nachtonvokale ans dem
laleinischen ins allprovenzalische. Halle, 1906; in-S" de vi-122 p.
(diss. de Halle). — Le sujet est bien divisé et toutes les parties
en sont traitées avec un soin égal. Cette constatation pourrait
bien impliquer une critique, car certains chapitres pouvaient être
traités plus sommairement et d'autres méritaient mieux. L'au-
teur considère trop l'ancien provençal comme un bloc; il ne
tient pas assez de compte des dialectes, et quand il en parle,
c'est d'une façon vague ou superficielle. L'existence de formes
148 ANNALES DU MIDI.
comme crèder (p. 29) à" côté de creire n'est pas seulement « vrai-
semblable »; elle est rendue certaine par la persistance de ces
formes en Gascogne, où elles sont même les seules usitées. A
propos des mots présentant un r après la voyelle atone finale,
comme azer (p. 32), casser (p. 33), fraisser (p. 34), etc., M. W.
s'obstine à supposer des formes latines tout à fait impossibles,
comme asirum, cassarum, fraxirum. Ce qu'il y a de plus singu-
lier, c'est qu'il a entrevu lui-même ailleurs (p. 68) la bonne expli-
cation, qu'il faut chercher dans une substitution de suffixes'.
C'est aussi une idée bien singulière que de reconstituer, pour
expliquer les formes escandre (p. 29), ord7'e (p. 30), des types
latins scandarum, ordirem\ l'explication, d'ordre purement pho-
nétique, est très simple. Je ne crois pas k l'existence des pré-
tendus adjectifs féminins cobeza <^ciipidam, regeza <^rigidam
(p. 56, 59), etc. Ce doivent être des formes de substantifs abs-
traits par cobezeza, t'egezeza"^. D'une façon générale, M. W. ne
distingue pas assez nettement les mots savants des mots popu-
laires et il est trop enclin à remplacer les explications par des
formules algébriques qui sont loin d'en tenir lieu. Pourquoi, par
exemple (cf. p. 73) de clericum, inedicum, missaticum a-t-on
çlergue (non cierge), metge (non metgue), messatge {non messatgue-,
car je ne crois pas à l'existence de cette dernière forme, admise
par M. Wendelj? Malgré quelques imperfections, le travail de
M. W. est très recomraandable et éclaircit sur bien des points
une question difficile. A. Jbanroy.
1. Ces formes, an reste, ne sont pas purement graphiques, comme on
serait tenté de le croire; ce qui le prouve, c'est la persistance dans les
dialectes modernes de formes comme asirou.
2. Quand M. W. cite des formes rares, il devrait bien donner ses réfé-
rences. Veire < vetereni (p. oO) doit être un lapsus. De même (p. 69),
dimerc rattaché à domiricmn [dieni] pour dominicum. — Perla (p. 1.3)
dérive certainement à& pirula, non de pernula, qui ne donnerait pas de
sens.
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ïï" 49].
•• Le Gérant,
i\-l".i). l'iWVAT.
loiilouse, Imp. noui,ADoi;iiK-PRlVAT, rue S'-Udinc, 39. — 5140
RECHERCHES
LÉGENDES DU CYCLE DE GUILLAUME D'ORANGE
II. — LA VIA T0L03ANA.
Les relations des chansons de geste avec le sanctuaire de
Saint-Guilhem-du-Désert ne sont explicables, semble-t-il, que
par cette remarque : Saint-Guiliiem-du-Désert était une étape
du pèlerinage de Saint-Jacques de Compostelle.
C'en est assez pour que nous soyons curieux de regarder
aux autres étapes. Bertrand de Bar-sur-Aube dit qu'il a reçu
les données de son roman de Girarl de Viane d'un gaillart
pèlerin, qui revenait de Saint-Jacques de Galice et de Saint-
Pierre de Rome :
A un juedi, cant dou mostierissi,
Ot escouté un gaillart pallerin
Qui ot saint Jaique aoré et servi
Et par saint Piere de Rome reverti.
Cil li conta ce que il sot de fl,
Les aventures que a repaire oï
Et les grans poines que dans Girars soufri,
Ains qu'il eûst Vianet
Les pèlerins entendaient-ils donc parler sur leur route des
héros de chansons de geste?
« Troi principal sièges », dit le Pseudo-Turpin^, « sont
devant tous les autres sièges ou monde : Roume, Compostelle
1. Ed. Tarbé, p. 3.
2. Ed. Castets (1883), p. 37. Je cite ici d'après la vieille traduction pu-
ANNALES DU MIDI. — XIX 11
154 JOSEPH BEDIER.
et Ephese, si conme nostre sire establi devant tous les apost-
les saint Pierre, saint Jacque et saint Jehan, a qui il révéla
ses secrés, si corn les ewangiles inoustrent Aussi sont ces
trois sièges par ces trois devant les autres sièges en révé-
rence : Roume, pour ce que mon?igueur saint Pierre, prin-
ches (.les apostles, i presclia et arousa de son saint sanc la
terre de Roume; Composlelle, pour ce que saint Jacque, qui
h\ entre les autres aposlles de grignour dignité, la saiutefla de
sa sainte sépulture; encore i fait Dieux aperz miracles pour
lui; Ephese, pour ce que monsieur saint Jehan l'esclaira
premier et prescha son ewangile In principio eral Verbum
et fu illuec sa sépulture. »
Il est faux, comme chacun sait, que saint Jacques, apôtre,
fils de Zébédée, frère de saint Jean TEvangéliste, soit jamais
venu en Espagne, de son vivant, pour l'évangéliser, ou, après
sa mort, pour la sanctifier; mais, vers l'an 830, des gens
d'Amaea, au diocèse d'Iria Flavia, en Galice, découvrirent
sous des broussailles, dans un bois, un tombeau de marbre
blanc, qui était celui d"un riche Romain. Ils dirent, on ne sait
pourquoi, que c'était la tombe de saint Jacques, et, par la
suite, des pèlerins sans nombre s'acheminèrent de toutes
parts vers le sépulcre de ce Romain inconnu*. La vogue de
ce pèlerinage, déjà prospère au x^ siècle, s'accrut brusque-
ment et singulièrement dans le premier tiers du xii" siècle,
par l'action d'un homme énergique et ambitieux, Diego Gel-
mirez. évoque, puis archevêque de Compostelle^. Ce n'est
pas le lieu de décrire ses efiorts et ceux de ses successeurs, ni
d'expliquer quelles habiles opérations de propagande et d'or-
ganisation représentent le Guide des pèlerins, le Pseudo-
Turpin et toutes les pièces, en général d'origine française,
bliée par Tlieodor Aiirurlier, Der Psendo'Titrpin in altfranzusischer
'jjbersetzunri {Pror/ramm des K. Maonnuliaiis-Gyninasiums), Munich.
1876, p. 4!).
1. Sur la logonde de Saint Jacques en Oalice, voyez la belle (Hiule de
M»'' Duchesnc, Annalps dit Midi, lOJO, p. 145.
2. Voyez YJIistoria Compostellana (qui va jusqu'en 1139), au t. XX de
VEspafia sagrada de Florès. Cf. V. Friedcl, Etudes Compostellancs,
dans lofi 0<m Movseiana, vol. 1 (1-ivorpool, litOD).
LEGENDES DU CYCLE DE GUILLAUME D'ORANGE. 155
qui furent rassemblées, vers 1145, dans le Codex Calixti-
nus^. Qu'il suffise de rappeler ces quelques indices de leur
succès^ : le fait que la vieille route romaine de Pampelune à
Compostelle garde encore par endroits le nom de camino
frances ; — la création, en 1161, de l'ordre religieux de
saint Jacques-de-l'Epée , dont la devise était Rubet ensis
sanguine Arahum. et qui avait pour office, comme en Orient
l'ordre de saint Jean, de défendre à main armée les pèlerins; —
la multitude des confréries de saint Jacques fondées en France;
— le nombre vraiment incroyable des hospitia, auberges ou
asiles de nuit, que la charité privée avait élevés dans les vil-
lages, à la tête des ponts, dans les bois déserts, pour servir de
refuges aux pieux voyageurs. Quelle devait être leur affluence
aux principales étapes, là où tout était organisé, autour
des grands sanctuaires, pour leur faire accueil et les retenir!
Le Guide des pèlerins décrit quatre routes qui, traversant
la France et les Pyrénées, se réunissaient en une seule à
Puente la Reina, près de Pampelune. Je m'en tiens ici à celle
qui passait par le sanctuaire de saint Guillaume, et que le
Guide appelle la via Aegidiana ou Tolosana. Le Guide ne
nous indique que ces points du parcours : Nîmes, Saint-Gilles,
Saint- Guilhem-du-Déseri, Toulouse; mais les conditions
géographiques dans les régions qui nous intéressent sont
telles que les principales voies de communication sont restées
sensiblement les mêmes depuis l'époque romaine jusqu'à nos
jours. Que l'on regarde la Table de Peutinger, l'Itinéraire de
l'Hiérosolomytain dressé en 333 3, qu, au tome XII du Corpus^
la carte, dressée par Kiepert, des voies de la Gaule narbon-
1. J'y viendrai procliainement, dans une étude sur la légende de
Roland.
2. Voyez le P. P'idel Fita et D. Aureliano Fernândez Guerra, Recuer-
dos de U7i viaje à Santiago (1889); — Camille Daux, Le Pèlerinage à
Compostelle et la co7ifrérie des pèlerins de Ms' Saùit Jacques à Mois-
sac (1898); — H. Bordier, La co)ifrérie de saint Jacques et ses archives
{Mémoires de la Société de l'histoire de Fra7ice, t. I, 1875, et t. II,
1876), etc.
3. Ernest Desjardins et Aug. Longnon, Géographie de la Gaule ro-
mainct t. IV.
156 JOSEPH BÉDIER.
naise; si on les compare avec des cartes de la France
actuelle, on constatera que les routes nationales, les lignes
de chemins de fer, et pour une certaine partie du trajet, le
canal du Midi suivent en général la même ligne que les voies
romaines, lesquelles, à leur tour, suivaient sans doute des
tracés préhistoriques. Il y a eu certes des variations de l'épo-
que romaine au xiii® siècle; mais des érudits ingénieux les
ont déterminées^; et d'ailleurs nous n'aurons à l'ordinaire à
considérer que les principales stations, qui n'ont jamais
dû varier.
Des pèlerins venant du nord de la France, s'ils ont des rai-
sons de ne passer ni par la vallée du Rhône ni par la route de
Bordeaux, empruntent nécessairement la grande voie romaine
qui allait de l'ancienne Gergovie à Nîmes par Brioude et par
Alais, et qui prenait au moyen âge, dans la partie méridio-
nale de son parcours, le nom inexpliqué de Regordane,
aujourd'hui cami regourdan.
De Nîmes, si ces pèlerins vont à Saint-Gilles de Provence,
comme leur Guide le conseille, ils vont à Arles. Là ils pren-
nent la voie Domitienne qui, partant d'Arles, traverse Nîmes,
Montpellier, Béziers, Narhonne.
A Narhonne, ils prennent la route que suivait en sens
inverse, dès 833, le chrétien qui nous a laissé son itinéraire
de Bordeaux à Jérusalem, et c'est la route si souvent qualifiée
de ces noms : chemin roumieu^ caminus pey^egrinus , cami-
nus romevus sancli Jacobi. Elle les conduit à Toulouse par
Lézignan et Carcassonne.
De Toulouse, la grande voie de pénétration, si l'on veut
traverser la partie centrale des Pyrénées, est la vallée de la
Garonne, soit qu'on veuille gagner le port aujourd'hui pres-
1. Voyez pour la région do l'Auvergne et de la Provence : G. Charvet,
Les voies vicinales gallo-romaines chez les Volkes-Arécomiques
{Comptes rendus de la Société scientifique d' Alais), 1873, p. 81; — pour
la région de Toulouse el d'Auch : Eugène Dufourcet, Les voies romai-
nes et les chemiyis de saint Jacques dans l'ancienne Novempopulanio
{Congrès archéologique de France, 1888, p. 256); — pour la région
au-delà de Toulouse : Lavergne, Les chemins de saint Jacques en
Gascogne (Bévue de Gascogne, 18U7 et 1898).
LEGENDES DU CYCLE DE GUILLAUME D'ORANGE. 157
que abandonné de Ténarèse, soit plutôt que l'on aille jusqu'à
Dax pour se diriger sur le port d'Aspe et Roncevaux. En tout
cas, on remontait la vallée de la Garonne par l'ancienne voie
romaine où l'Itinéraire Antonin marque, entre autres stations,
celles de Calagorgis ou Calagurîs et à' Aquae Siccae.
Cette route nécessaire une fols déterminée, interrogeons
les chansons de geste du cycle de Guillaume.
1. Regordane.
Il est remarquable que cette route, Guillaume Fierebraco
lui-même se charge de nous la décrire, en bon géographe,
dans le Charroi de Nîmes. C'est quand il s'en va, partant de
Paris, conquérir sur les Sarrasins son flef aventureux :
783 Vet s'en Guillelmes o sa conpaigne bêle.
A Deu comande France et [Ais] la Chapele,
Paris et Chartres et tote l'altre terre.
Ses chevaliers viennent un soir lui demander : « Quelle route
suivrons-nous? » Il répond^ :
824 « Tôt le cemin de saint Gille tenôs.
Tôt droit a Bride [Brioude) nos en convient aler
Au bon cors saint, si l'alons aourer;
Nos iron la et a la mère Dé {au Puy) :
De noz avoirs i devons présenter,
Si prierons por la crestienté. »
830 Et il responnent : « Si con vos conmaudez. »
Lors chevauchierent et rengié et serré,
Si ont les vaus et les tertres passez.
1. Je communique ici un texte établi d'après tous les manuscrits;
j'adopte pour désigner ces manuscrits les mêmes sigles que M. P. Meyer
dans son édition partielle du Charroi {Recueil d'anciens textes fran-
çais, has-latins et provençaux, 2° partie, p. 237) et je me conforme au
classement établi par M. P. Meyer. Je ne note que les quelques variantes
qui ont un intérêt géographique. — 824 manque efi AB.
158 JOSEPH BÉDIER.
Par le conseil que lor dona Guillelraes,
Ont trespassé et Berri et Auvergne.
833 Clermont lessierent et Monfert-ant a destre;
La cit lessierent et les riches herberges :
Ceus de la vile ne vorrent il mal fere.
La nuit i jurent, au matin s'en tornerent :
Cueillent les très, les paveillons doblerent
840 Et les aucubes sor les somiers troserent.
Par mi forez et par bois chevauchierent,
Par Ricordane outre s'en trespasserent;
Desi au Puy onques ne s'aresterent.
Li quens Guillelmes vet au mostier orer;
843 Trois mars d'argent a mis desus l'autel
Et quatre pailes et trois tapiz roez;
Granz est l'offrende que li prince ont doné;
Puis ne devant n'i ot onques sa per.
Del mostier ist Guillelmes au cort nés.
830 Au matinet en sont ensamble aie
En Ricordane tôt le chemin ferré.
Forz est la terre, molt les a agrevé;
Soventes fois la maldient de Deu,
Mes toz lor gistes nés orent pas conté.
835 Dusc' a Aresle ne se sont aresté :
Iluec se sont une nuit ostelô.
Au matinet est Guillelmes levez;
Ou voit ses homes, ses a aresonez :
« Baron », dist-il, « envers moi entendez.
860 Vez ci les marches de la gent criminel ;
D'or en avant ne savroiz tant aler
Que truissiez home qui de mère soit nez
Que tuit ne soient Sarrazin et Escler.
Prenez les armes, sor les destriers montez.
835 A et montèrent, G Clermont lessierent, un lonc castcl a destre; A
Mont Ferrant une nuit se herbergent. A matinet aquellirent leur erre;
De si c'au Pui ne finent ne ne cessent. — 837-44 mcniqiient en C.
850-7 'manquent en AB et ne sont pas appuyés par D, qui place aussi
au Puy la scène où le héros dit : Vez ci les marches Sur le parti
que j'ai pris d'adopter les vers donnés par C seul où Alais est 'men-
tionné, voyez ci-après. — 850 Le ms. a Dus calareste.
LÉGENDES DU CYCLE DE GUII-LAUME D'ORANGE. 159
803 Alez en fuerre, franc chevalier menbré.
Se Deus vous fet mes liien, si le prenez;
Toz li païs vous soit abandonez! »
Et cil responent : « Si coni vos conmandez! »
Un peu plus loin (v. 875), ils rencontrenl le vilain venant
de Saint-Gilles (v. 877) et de Nîmes (v. S06), qui leur suggère
le stratagème du charroi. Pour préparer leurs chars, ils re-
broussent chemin :
!)u6 Li cnens Guillelmes rtst retorner ses homes
Par Ricordane quatorze Hues longues.
Ils reprennent ensuite leur marche en avant :
I03i Sor la chaucie passent Gardone au gué
Et d'altre part herborgent en un pré.
1048 Delez Gardon, contreval le rivage,
Iluec lessierent deus mile homes a armes...
1056 Ainz ne finerent, si vinrent a Nocene,
A Lavardi, ou la pierre fu trete
Dont ItS toreles de Nimes furent fêtes...
Enfin, ils voient Nîmes et y pénètrent.
L'autre rédaction du Charroi, celle du ms. 1448 de la Bi-
bliothèque nationale (Z»), après avoir fourni, de façon moins
précise, à peu près les mêmes indications', en donne de nou-
velles. Guillaume et ses compagnons, ayant rebroussé chemin
vers Ricordane pour y préparer leur stratagème, se remet-
tent à la voie vers Nîmes :
974 Par Yillé noble an sont outre passé ;
A La Charmaite passent Guardons au gué;
Tandent i loges et pavillons et très.
1. F" 9G r» b et suivants :
S32 Et dist Geraumes : u Ou volés vos aler?
— Tout droit a A'i>nf'.<!. la mirable cité,
De si c'aii Piii, ou est la mère Dé.
842 En lor voie entrent, si priseni a aler,
De si c'a Brides ne se sont aresté.
848 An lor voie antrent, ne s'i s'ont aresté.
De si c'ait Put ou est la mère Dé.
937 Par lou consail que Geraumes lor done,
Li cuens Guillelmes fait retorner ses homes
En Rivordaiiifi quatorze lues longes.
160 JOSEPH BÉDIER,
Puis :
1013 Tant chevalchierent qu'il vinrent a Bremarle,
Une cité qui siet desor une aive
Et a dis' lues près de Ninmes la large;
Et en celle aive prenoient il la piere
Dont les grans tors de Nimes furent faites...
Je ne sais ce que désignent Villenoble et la Charmaite^.
Mais les vers 1033, 1048, 975, indiquent le passage du Gardon
à Ners. au point que traversent la route nationale n° 106 et la
voie ferrée. Areste (v. 855) est Alais; Nocene (v. 1056) doit
sans doute être lu Nocere et doit désigner Nozière. Quant à
Bremarle [y. 1043; et à LavarcU (v. 1057), ce sont sans doute
des noms altérés; mais la carrière désignée semble être celle
de Barutel, à deux lieues de Nîmes, d'où les Romains tirèrent
la pierre des monuments de Nîmes 3.
Si l'on relève la série de ces données, on voit que la route
est ainsi décrite : 1 Paris, — 2 Clermont-Ferrand , —
3 Brioude, — 4 Le Pny, — 5 Regordane S — 6 Alais, — 7 Le
Gardon, — 8 Nozère, — 9 Nîmes, — 10 Saint-Gilles.
Puisque les poêles du moyen âge ne disposaient ni de
cartes ni de Guides, il faut que l'auteur premier de ce
récit ait lui-même suivi cette route par lui décrite sans une
erreur ou qu'il ait pris des notes sous la dictée de quelqu'un
qui l'avait suivie.
Mais, dira-l-on, le nom d'Alais^ ne se trouve que dans le ma-
nuscrit de Boulogne [C) : a-t-on le droit de mettre ainsi bout
à bout des données dispersées dans des manuscrits de familles
1. Lire, sans doute, cleits.
2. Voyez le Dictionnaire des Postes et la carte de l'état-major.
3. Je dois à M. ¥. Lot l'identification à' Areste; à M. E. Bondiirand
celle de Nocetze et la remarque sur Barutel.
4. Kicordime, Ricordene est mentionné dans un autre poème de notre
cycle, les Nnrbomiais (éd. Suchior, v. l/ôO, v. 5-008). Sur cette forêt, sise
entre Portes et Gcnolhac, et dont il est question dans divers documents
du XI" au XIV' siècle, voy. E. Bondurand, dans la Revue du Midi, 1900,
p. 929; cf. Annales du Midi, 1901, p. 240.
5. Remarquer le calembour : Dusc'a Aresle ne se sont aresté : plaisan-
terie de voyageur.
LÉGENDES DU CYCLE DE GUILLAUME D'ORANGE. 161
différentes? — On pourrait, ea effet, et par de bonnes raisons,
contester ce droit à un éditeur du Charroi de Nîmes; mais
je ne tiens pas à l'opinion que ces noms devaient, se trouver
tous dans le texte original du Charroi. De deux choses
l'une : ou bien ils y étaient tous, et, ne les retrouvant plus
que dispersés dans les diverses familles de manuscrits, nous
constatons par là l'indifférence des remanieurs et des scribes
à l'égard de la Via Aegidiana, ce qui nous autorise à suppo-
ser que le poème original devait être bien plus riche encore
en données topographiques; ou bien, au contraire, c'est un
remanieur qui a ajouté à l'itinéraire primitif le nom d'Alais ;
mais, puisqu'il a su mettre cette ville à sa vraie place, nous
sommes tenus de supposer que lui aussi, comme le premier
auteur du Charroi, il avait parcouru cette route; car je ne
crois pas faire injure à mon lecteur si je lui demande : à moins
qu'il ne soit géographe de métier ou qu'il ait visité lui-même
la région, saurait-il, sans le secours d'aucun livre, ajouter de
mémoire à l'itinéraire de nos poètes, entre le Puy et Alais,
ou entre Alais et Nîmes, une seule station à la place qui
convient?
Ainsi, de même que le premier auteur du Montage Guil-
laume avait de ses yeux vu Gellone. de même le premier au-
teur du Charroi de Nîmes avait de ses yeux vu la voie
romaine de Gergovie à Nîmes. Mais s'il l'a exactement décrite,
ce n'est point par goiit de la précision géographique et comme
étant l'itinéraire que doit suivre normalement son héros : en
effet, Guillaume ne devrait pas normalement passer par Le Puy ;
y passant, il allonge sa route. Brioude, Le Puy, ce sont des
stations de pèlerins, et, si Guillaume s'y arrête, c'est en
pèlerin. Il le marque au début de son discours :
Tôt le chemin de saint Gille tenez,
et ce vers fait écho à un autre passage du Charroi (v. 549 ss.)
où il apparaît bien que le poète conçoit son héros comme un
pèlerin armé. « Pourquoi, demande le roi à Guillaume, me
demandez-vous ce fief étrange, la terre des Sarrasins, que
162 JOSEPH BÉDIEK.
VOUS voulez conquérir? » Il répond : « C'est un vœu que j'ai
fait à Dieu et à saint Gilles :
559 « Ne savez pas por coi vos vuei laissier?
Ce fu au tens a feste saint Michiol ;
Fui a Saint Gille, reving par Montpellier.
Herberja moi uns cortois clievalier...
« Là je vis les Sarrasins ravager le pays :
581 « Tote la terre vi plaine d'aversiers.
Viles ardoir et violer mostiers,
Chapeles fondre et auteus peçoier,
Mameles tortre as courtoises moilliers.
Dedenz mon cuer m'en prist molt granz pitiez;
Molt tendrement plorai des elz del chief.
La plevi ge le glorieus del ciel
Et a saint Gile, dont venoie proier,
Qu'en celé terre ge lor iroie aidier
A tant de gent com porroie baillier. »
Ainsi, c'est la destinée même de Guillaume qui est déter-
minée par un vœu de pèlerin, et ce vœu domine tous les poè-
mes qui décrivent ses guerres en terre sarrasine.
Revenons, après Guillaume, vers quelques-unes des villes
où il a séjourné.
2. Paris et la Tombe Isoré.
C'est de Paris qu'il est parti. Après bien des années écoulées,
un bel épisode du Montage Guillaume l'y ramène.
Le roi Isoré de Conimbré a mis le siège devant Paris ; c'est
un géant monstrueux qui commande une immense armée de
Saisnes et d'Esclavons. Le roi se défend à grand'peine : il n'a
plus Guillaume d'Orange pour l'aider. Mais, au fond de sa re-
traite lointaine (Saint-Guilhem-du-Désert), le vieux moine a
appris quel danger menace le roi. Il endosse son haubert, re-
prend son destrier et son épée, et, seul, à l'insu de tous, se
met en route vers Paris. Il y arrive un soir, par la route
d'Orléans : il veut entrer; mais il est trop tard; le guetteur
LEGENDES DU CYCLE DE GUILLAUME D'ORANGE. 163
refusti de lui ouvrir la porte et se conlente de lui indiquer pour
la nuit un refuge voisin :
Ici d'encoste, delôs cest mur plenier,
A un fossé qui est et granz et vies...
Là, près de ce fossé « viel et antif». habite un pauvre
homme, nommé Bernard, qui accueillera le voyageur. Guil-
laume frappe à cette porte : elle est trop basse pour lui ; mais,
par un miracle de Dieu, la voûte s'élève, le sol s'abaisse, et la
chaumière est transformée en une salle spacieuse. Guillaume
envoie son hôte Bernard aux provisions, et, comme le guet-
teur connaît ce pauvre homme, il le laisse entrer :
Bernars s'en vait la dedens en la oit ;
Vers Petit Pont atorne son chemin.
Ayant acheté des vivres, il revient auprès de Guillaume, et
tous deux devisent auprès du foyer. Bernard lui apprend que,
tous les matins, à l'aube, le géant Isoré s'avance, armé, sur
son destrier, jusqu'à la porte de la ville et qu'il provoque un
champion français en combat singulier; jusqu'ici personne n'a
osé répondre à son défl. — « Demain, dit Guillaume, il trouvera
un adversaire :
« Bernars, dist il, tôt ce laissiés ester;
Mais, par la foi que doi saint Honoré •,
Par tel manière le voudroio mater
Qu'en mon habit puisse encor retorner.
Esveilljés moi, quant le païen oés... »
Il s'endort donc paisiblement auprès du feu. Au matin, Isoré
vient heurter à la porte de la ville, lance son défi accoutumé.
1. Guillaume jure ici par saint Honoré, c'est-à-dire par saint Honorât
des Aliscamps, dont je parlerai tout à l'heure. On peut noter, en passant,
qu'il invoque assez fréquemment saint Jacques de Galice quand il est en
péril {Charroi, v. 1328; Prise d'Orange, \. 852 et v. 1557). Quand il se
liance à Orable, il prend saint Jacques pour l'un des garants de son ser-
ment (Prise d'Orange, v. 1382) :
« Ge vos plevis sor Deu et sor saint Jaque
Et sor l'apostre que l'en requiert en l'arche. »
164 JOSEPH BÉDIER.
Guillaume, réveillé parsonhôte, s'arme, rejoint le païen, le tue,
lui tranche la tête. Il charge Bernard de la porter au roi ; si le
roi insiste pour apprendre le nom du vainqueur, le messager
nommera Guillaume. Bernard va à la cour, portant dans un
sac la tête coupée. Déjà un imposteur avait présenté au ro^
Louis une autre tête de Sarrasin et prétendait avoir occis le
roi Isoré. Bernard montre le trophée et nomme le vain-
queur. Le roi envoie chercher Guillaume; mais il n'est plus
dans la maison de Bernard du Fossé; il a disparu comme il
était venu ; il est déjà bien loin sur la route qui le ramènera à
sa solitude*.
Cet épisode a été étudié très heureusement par M. G. Schlà-
ger'^ et par M. Ferdinand Lol^, et je n'ai qu'à extraire de
leurs excellents mémoires ces quelques remarques.
L'épisode d'Isoré est une légende topographique ''. On mon-
trait au xii^ siècle, on montrait encore au xiv^ la maison de
Bernard du Fossé et la tombe d'Isoré.
Un texte de Raoul de Prestes (1271-5)5 décrit l'emplacement
« de la maison Bernard des fossés ou Guillaume d'Orange se
logea quant il desconfiit Isoré » ; et il la place « au lieu que
l'on dit a l'arche Saint-Merry, ou il appert encore le costé
d'une porte». Ce devait être vers le bas de la rue Saint-Jacques,
puisque Bernard, allant aux provisions, entre dans Paris par
le Petit Pont; le fossé « viel et antif » où il loge doit être une
entrée des catacombes.
Quant à la Tombe Isoré, bien des textes nous disent qu'on
l'a montrée pendant tout le moyen âge. La version en prose
1. Résumé d'après la seconde rédaction du Montage ; le fragment que
nous avons de la première s'interrompt comme l'auteur commençait à
narrer cet épisode.
2. Au tome CXVIII, p. 1 ss., de VArchiv f'ùr dus Studium do- neue-
reii Sprachen und Litteraturen. «
3. Aux tomes XIX (1890), p. 377-93 et XXVI (1897). p. 481-491, de la
Romania.
4. Cet Isoré reparaît ailleurs, notamment dans La Chevalerie Ogier,
et il se peut que son iiistoirc retrace certains souvenirs du siège de Paris
par les Allemands en 978.
5. Cite d'abord par Paulin Paris (Histoire littéraire de la France,
t. XXIII, p. 527).
LÉGENDES DU CYCLE DE GUILLAUME D'ORANGE. 165
du Montage Guillaume marque que le combat se livra « en
un lieu qu'on ditNostre-Dame-des-Champs ». Quand les assié-
gés reconnurent le cadavre du géant, ils le mesurèrent et
trouvèrent que «sans la teste pouoit bien avoir quinze pies
de longueur; si puet l'on encore veoir le lieu ou Guillaume
le laissa mort; car ou propre lieu y ordonna le roi et fist faire
une tombe ou une enseigne, par quoy on l'a toujours sceù de-
puis et congneû, set en et congnoist l'en encore, et en sera
perpétue mémoire. » De même, dans le Roman du roi F loir e
et de la belle Jehanne'^, l'héroïne « issi une matinée hors de
Paris et s'en aloit le chemin d'Orléans et tant que ele vint a
la Tombe Isoy^ê ».
C'est aujourd'hui la rue de la Tombe-Issoire^. A l'aide de
divers textes, M. Schlilger et M. Lot sont parvenus à déter-
miner l'emplacement du monument, qui était peut-être un.
dolmen, peut-être un tombeau romain de grandeur inusitée :
Guillaume a combattu le géant Isoré « à l'intersection de
l'avenue de Montsouris, de la rue de la Tombe-Issoire et de
la rue Dareau. Le Fief des Tombes (c'est ainsi que d'anciens
textes appellent le terrain où l'on voyait le monument) est en-
core représenté en partie par les maisons portant les numéros
55 à 61 de la rue de la Tombe-Issoire et 18 à 24 de l'avenue de
Montsouris ».
Or, si l'on jette les yeux sur un plan de Paris, on voit que
de la Tour-Saint-Jacques aux fortifications, la rue de la Cité,
le Petit-Pont, la rue du Petit-Pont, la rue Saint-Jacques, la
rue du Faubourg-Saint-Jacques et la rue de la Tombe-Issoire
forment une ligne tlroite qui se prolonge, au delà des fortifica-
tions, par une route appelée aujourd'hui : ancienne route
d'Orléans^. C'est l'ancienne voie romaine qui menait de Lu-
1. Ed. Moland et d'Hcricault, dans les Nouvelles frcmçoises en prose
du XIII" siècle, p. 111.
2. La forme ancienne est bien isoré, comme le montre, entre autres
textes, ce passage des Otia imperialia de Gervais de Tilbury (vers 1212) :
« Vidimus sepiilcrum Isoreti, in siiburbio parisiensi viginti pedes
in longum habens, pixieter cervicem et caput, quem sanctus Guilhel-
miis peremit. »
3. L'avenue d'Orléans actuelle et la porte d'Orléans actuelle représentent
166 JOSEPH BÉDIER.
tèce à Orléans '. Dès le douzième siècle, il y avait, sur le par-
cours (le la rue Saint-Jacques actuelle-, un hôpital pour les
pèlerins : celui même à la place duquel les dominicains éta-
blirent un couvent, d'où ils reçurent le nom, célèbre par la
suite, de « Jacobins »^.
Comment s'expliquer les diverses concordances que je viens
de marquer, si l'on n'admet pas que l'épisode d'Isoré fut com-
posé d'abord pour les pèlerins assemblés dans cet ancien hos-
pice? Sur le point de parcourir en sens inverse la môme roule
que le moine Guillaume avait suivie au sortir de sa retraite,
ils vénéraient la maison miraculeuse de Bernard du Fossé et le
lieu où le saint avait combattu le roi païen Isoré.
3. Brioude.
Dans le Charroi de Nbnes, ainsi qu'on l'a vu, le pèlerin
armé qu'est Guillaume Fierebrace s'arrête sur la via Aegi-
diana aux deux mêmes sanctuaires où s'arrêtaient en effet les
pieux voyageurs du moyen âge, à Brioude et au Piiy.
Du Puy, je ne dirai rien, car nos poèmes ne nous offrent,
que je sache, nul autre indice d'une dévotion particulière à
Notre-Dame-du-Puy. Con)ment pourtant ne pas rappeler au
passage que d'anciennes confréries de jongleurs se sont appe-
lées des puis : le jnii d'Arras, le ^Jia" de Rouen; et qu'on y
reconnaît à l'ordinaire le nom même du Puy-en-Velav? Les
une déviation moderne provoquée, je pense, par la construcUon des forti-
fications.
1. On voit dans le square du ÎNIusée de Cluny (n° -100 du Catalogue)
des blocs de grès qui sont des fragments de la chaussée romaine décou-
verts rue Saint-Jacques. — On y voit aussi (n°' 242-G du Catalogue) cinq
statues d'apôtres (dont l'une est celle de saint Jacques) qui proviennent
de l'église Saint-Jacques-l'Hospital, où elles avaient été établies en 1318,
et dont la tour Saint-Jacques est le seul reste; mais ces statues sont
d'une époque plus récente que celle où nous nous tenons.
2. Entre la rue Gujas et le n» il de la rue Soufflot.
:3. Voy. dans IJu ('ange (sous Jacohitae) un texte de Mathieu de Paris
qui décrit cet liospice alors délabré : « Hospitium paene dilapsum et
dirutuni in quo soleba)U ex longi)irjitis partibus venientes causa pere-
grinalionis versus S. Jacobum in Ilispania dioerterc peregrini, et ibi-
dem pe)' dics aliquot exhibere. »
LÉGENDES DU CYCLE DE GUILLAUME D'ORANGE. 167
puis du nord de la France, les chambres de rhétorique, les
divers palinods, etc., semblent s'être formés sur le modèle
d'une confrérie fondée au Puy-Notre-Dame-en-Velay *. Mais
cette confrérie à son tour, comment at-elle pu. établie au fond
de l'Auvergne, imposer son nom à des associations lointaines ?
N'y a-t-il pas là des indices que des jongleurs venus des di-
verses régions de la France occupaient la via Aegidiana et
récréaient, aux abords de ses divers sanctuaires, la clientèle
toujours renouvelée des pèlerins?
Qiumt à Brioude, Guillaume dit à ses compagnons :
Tôt droit a Bride nos en convient aler
Au bon cors saint, si l'alons aourer...
Quel est ce « bon cors saint? » Guillaume n'a pas besoin de
le nommer; ses compagnons et les anciens auditeurs du Char-
roi de Nîmes comprenaient : c'est saint Julien, ce légion-
naire qui s'enfuit en 304 de sa garnison de Vienne pour échap-
per à la persécution de Dioclétien, se réfugia dans un bourg
des environs de Brioude, y fut décapité et devint bientôt un
thaumaturge très populaire. Dès le v« siècle, ou le vi" au plus
lard, une basilique fut élevée sous son vocable à Brioude, et
Grégoire de Tours, qui aimait à visiter son tombeau, a écrit un
livre à sa louange*. On y lit qu'à l'époque de sa fête (le
28 aoiit) les hôtelleries et les maisons de Brioude ne suffisaient
plus à héberger les pèlerins, et qu'il leur fallait camper hors
la ville, sous des tentes. La basilique de Saint-Julien fut brû-
lée en 730 par les Sarrasins et relevée seulement un siècle
plus tard, comme le montre un diplôme de Louis le Pieux. En
825, révêque Stable en fil la dédicace, et c'est alors que Bé-
rengier, comte de Toulouse, y fonda une collégiale, qui peu à
peu devint l'une des plus illustres de France. Pour le spirituel,
les chanoines de Brioude ne dépendaient que de Rome; pour
L Voyez, sur l'origine du nom de put, appliqué à ces confréries, le
livre de M. H. Guy, Adan de le Haie, Paris, 189H, p. xxxiv ss.
1. Fortunat appelle Grégoire de Tours alumtius Julicuii.
2. Voir, sur le culte de saint Julien, la bibliographie rassemblée dans
la BibliognqjJtUc hagiographioa latina, Bruxelles, 189S, pp. 672-3.
168 JOSEPH BÉDIER.
le temporel, ils étaient les hauts justiciers de la ville de
Brioude, du territoire de quatre abbayes et de seize paroisses
environnantes'.
Ces prérogatives et ces richesses, c'est saint Julien qui les
leur procurait. Un jour vint pourtant où le culte antique de
leur patron ne suffit plus à leur zèle ; ils y ajoutèrent le culte
de saint Guillaume de Gellone,
C'est ce que nous apprennent à la fois les chansons de geste
et des textes d'origine ecclésiastique. A^'oici d'abord les témoi-
gnages des chansons de geste.
Dans le Moniage Guillaume'^, le héros se retire du siècle
après la mort de Guibour :
70 Son bon destrier a molt tost atorné,
Chainte a l'espee au senestre cosîé,
Sa bone large n'i a pas oublié;
Toutes ses armes en a o lui porté.
De la vlle^ ist, n'i a plus demeuré;
Aine n'en mena ne compaignon ne per.
Tout droit a. Bride a son cemin torné,
Vint à la vile, si conmence a errer,
Entre el moustier saint Julien le ber,
Descent a pié, si encline l'autel,
S'oroison i a faite.
El moustier entre Guillaumes Fierebrace,
Lieve sa main, si saine son visage.
II s'agenoille, si encline l'image :
« Sainz Juliens, jou sui en vostre garde.
Jou lais por Deu mes castiaus et mes marches
Et mes cbités et tout mon iritaige.
Sainz Juliens, jo vos conmant ma targe :
Par tel couvent le met en vostre garde,
1. Sur ce collège, voir le Spicilège de d'Achery, t. XII, p. 104 et la
Gallia christiana, t. II, col. 468-9. Cf. B. Attaix, De nohili collegio Bri-
vatensi, Tolosae, 1882 (thèse de doctorat de la Faculté des lettres de
Clermont) et S.-M. Mosnicr, Les saiiits d'Auvergne, 'Pmvis, 1819, t. II,
pj). 207, 224, etc.
2. Première rédaction.
«3. Niincs.
LÉGENDES DU CYCLE DE GUILLAUME d'ORANGE. 169
S'en a mestier Loeys le fil Charle
Et mon flllieul qui tient mon iritage
Contre païens, la pute gent savage,
Reprendrai jou, si vos rendrai trouage,
Trois besans d'or; au noel et a paske
Les vos rendrai a trestout mon eage. »
Li quens l'a prise pai- la guige de paile,
Portée l'a desour l'autel de marbre.
Le poète ajoute :
Encor le voient et li fol et si sage,
Tôt chil qui vont a Saint Gille en volage,
Et le tinel dant Rainoart i'aufage,
Dont il ocist maint Sarrazin salvage.
Donc, s'il faut en croire ce texte, on voj'ait à Brioude, au-,
près de reçu de Guillaume, la massue monstrueuse de Rai-
noart ou plutôt la moitié du tinel, car Rainoart l'avait brisé à
force de frapper sur les païens :
La [à Bridé) lessa il la moitié du tinel :
Li pèlerin qui par la ont passé
Encore le voient par dejoste l'autel.
L'un des manuscrits A'Aliscans (celui de l'Arsenal) parle
de la même relique :
7822 Assés l'orrés cha avant au chanter
Com Rainoarz se fist puis corouner
Au mouniage ou il vaut converser ;
Che fu a Bride ou sen fust flst porter.
Qui la iroit bien le porroit irover.
Encore i vont li pèlerin garder
Qui en Galisce vont l'apostle aourer.
C'est à Brioude, en effet, que, selon le Montage Rainoart,
le bon géant se fait moine. Un jour, au cours de ses multiples
aventures, il est emporté vers la haute mer sur une barque
qu'il ne sait gouverner; il invoque en son péril saint Julien,
qui vient à son secours ; une autre fois encore, saint Julien,
ANNALES DU MIDI. — XIX 12
ITO JOSEPH BÉUIF.R.
assisté ici de trois autres saints, vient le réconforter sr.r la
mer pendant une tenipêle et conduit sa nef au port'.
En outre, au témoignage du poète de la Prise d'Orange,
les pèlerins de Saint-Gilles voyaient aussi à Brioude l'écu de
Bertran \e palazin :
Icil le sevent qui en vont a Saint-Gille,
Qui les enseignes on ont veû a Bride,
L'escu Guillelmeet la targe florie
Et la Bertran son nevou, le nohile 2.
Ces deux écus et le tinel de Rainoart, si l'on montrai!, en
efïet, à Brioude tous ces trophées, c'est donc que les cha-
noines de Saint-Julien avaient encombré leur sanctuaire d'un
bric-à-brac d'ex-voto épiques.
Nous ne savons si l'on a vraiment vénéré Rainoart à
Brioude, mais le fait est probable pour Bertrand, certain pour
Guillaume.
Pour Bertrand, il suffit de rappeler que les moines de Gel-
lone ont introduit le nom de ce personnage fictif dans la charte
de donation qu'ils attribuent à Guillaume : el nepote meo
Berlranno.
Quant à Guillaunie, la Vita sancti Wilhelmi (chapitre 20)
raconte la même scène que le Montage : comment le héros,
venu à Saint-Julien de Brioude, s"agenouille devant l'autel, ?e
dépouille de toutes ses armes et dit au saint : « Novi, sancte
Juliane..., guam armis slrenuus fueris in seculo ; ideo
coram al tari iito arma haec derelinquo . . . tibique ea
commendo .. *
« Sainz Juliens, je vos cornant ma targe... » dit-il dans le
Moniage eu termes semblables. Et la Vita ajoute : ex quibus
[armis] clypeus in templo Jiodieque conservatur.
Ces faits sont curiei'.x, car le culte de saint Guillaume de
Gellone n'a jamais pris que peu d'extension. Je ne le rencon-
tre guère que dans les diocèses voisins do Gellone, à Mont-
1. Lipko, p. 7:2; cf. .1. llmiebcry, Etudes sur lu geste Rainoart, p. ï)i)
et p. 05.
2. Prise d'Oratiffe. an dùbiil. <lu poème.
LEGENDES DU CYCLE DE GUILLAUME ORANGE. 171
pellier, Elne, Nîmes, Uzès, Béziers. Il est d'autant plus étrange
de constater que saint Guillaume figurait au martyrologe de
Brioude : « sancii Wilhelmi depositio, disent les Bollandis-
tes, in Brivatensimartyrologio memoratur "^ . >
Quel peut être le point de départ de ces relations entre le
saint de Gellone et l'église collégiale de Brioude
La visite du vrai Guillaume à l'église Saint-Julien, — est-Il
besoin de le dire? — est une fable. Il n'y aurait pas grande
témérité à l'affirmer sans preuves; mais on en a une preuve :
Guillaume est mort dans les premières années du ix^ siècle, e\
à cette époque l'église de Saint-Julien, détruite en 730 par les
Sarrasins, n'avait pas encore été reconstruite^.
Sur quoi l'on s'est mis en quête d'un autre Guillaume, qui,
au défaut de Guillaume de Gellone, aurait pu faire présent
d'un bouclier à l'église de Brioude. Pour bien faire, on aurait
dû s'eff'orcer en même temps de découvrir un Bertrand et un
Raiuoart auvergnats qui eussent été aussi en relations avec
cette église. Les chercheurs d'identifications historiques au-
ront à cœur sans doute d'aller jusqu'au bout de leur lâche : je
puis les y aider en leur rappelant que le nom de Bertrand a
été souvent porté dans la maison comtale de Velay et de Gé-
vaudan.
Quoi qu'il en soit, on s'en est tenu jusqu'ici à Guillaume. On
a cherché, on a donc trouvé un prototype du héros épique :
c'est Guillaume I le Pieux, comte d'Auvergne et duc d'Aqui-
taine, mort le 6 juillet 918. L'histoire ignore, on ne saurait s'en
étonner, s'il a jamais offert un bouclier à saint Julien; mais
il fut l'un des abbés laïques de cette collégiale. Dès lors, les
critiques ont admis communément que ce comte d'Auvergne
1. AA. SS., t. VI de mai, p. 800. Les Bollandistes ajoutent que sa fête
est célébrée duplici ritu à Lodève et à Béziers. Saint Guillaume figure
aussi, le 28 mai, dans un calendrier du Bréviaire d'Elne daté de 1327
(Bibl. nat., nouv. acquis, lat., ms. 838, f" 8t> r»). Dans les calendriers du
XV' et du XVI' siècle publiés par Misset-Weale, Analecta liturgica flnsu-
lis et Brugis, 1889), je ne le rencontre que trois fois : Kal. Uceciense
{li'èh), Brixinense (1493), Bicterreyise (l.'iSl).
2. Voy. la Gallia christiana, t. II, col. 470; cf. Révillout, p. 55;
G. Paris, dans la Romania, t. VI, p. 471; Cloetta, Archio de Herrig,
t. XGIII, p. 420, etc.
172 JOSEPH BEDIER.
fui l'un des Guillaume qui « se confondirent » avec Guillaume
de Gellone pour former la figure du Guillaume de l'épopée, et
je reconnais volontiers que, des onze ou douze personnages qui
prétendent à cet honneur, c'est celui-ci qui fait valoir les titres
les plus sérieux.
Ces litres, G. Paris les résume ainsi* : « Il est sûr qu'à
l'église Saint-Julien de Brioude on montrait l'écu d'un comte
Guillaume; et il n'est pas moins assuré que ce Guillaume
n'était ni Guillaume d'Orange, ni Guillaume de Gellone, mais
bien Guillaume I dit le Pieux, qui s'occupa beaucoup de
l'église de Saint-Julien de Brioude, la restaura, la dota ma-
gnifiquement et voulut y être enterré. Il est probable que, dès
le xi^ siècle, à Brioude même, on ne distinguait plus bien
entre les deux Guillaume, et que l'attribution identique de la
chanson du Montage et de la Vita a pour sources les asser-
tions des chanoines qui montraient ce trophée aux pèlerins. »
Pourtant, Léon Gautier^ ayant parlé avec quelque tiédeur
de ce prototype du Guillaume épique, M. Antoine Thomas'
est venu à sa rescousse. Il a fait entre Guillaume le Pieux
et Guillaume Fierebrace un rapprochement très ingénieux.
Nous possédons « quelques petites pièces en vers latins du ix«
et du x« siècles en l'honneur des différentes fêtes de l'année,
qui toutes se terminent par une invitation à boire », telle que
celle-ci : Sumile nunc leti preseniis pocula musti. M. A.
Thomas a montré qu'elles ont été composées par des chanoi-
nes de Brioude et que le comte-abbé Guillaume I est nommé
dans l'une d'elles. « Ces vers, écrit-il, nous révèlent de la
façon la plus authentique que la vie qu'on menait à Brioude
sous l'administration du comte Guillaume le Pieux n'avait
rien d'ascétique, et c'est peut-être de là, et non pas de Gel-
lone, que viennent les récits du Montage Guillaume. Il ne
sera donc plus aussi facile que le croit encore M. Léon Gautier
de débouler Guillaume le Pieux de la part légitime qui lui re-
vient dans la formation de la légende de Guillaume d'Orange. »
1. Romcmia, t. VI, p. 471.
2. Epopées françaises, t. IV, p. 98.
3. Romania, t. XIV, p. 579.
LÉGENDES DU CYCLE DE GUILLAUME d'ORANGE. 173
L'analogie est pourtant vague et fugitive. Ces vers des
chanoines de Brioude nous révèlent que leur vie n'avait rien
d'ascétique; mais le Montage Guillaume ne parle ni en bien
ni en mal des chanoines de Brioude; il ne connaît que les
moines d'Aniane, auxquels il fait mener une vie fort régu-
lière. Ces vers nous révèlent, en outre, que Guillaume
le Pieux aimait les vers latins et peut-être le bon vin, et qu'il
tolérait qu'on le nommât dans une innocente chanson à boire;
mais le Montage Guillaume ne rapporte rien de tel de Guil-
laume Fierebrace : il dit seulement que son appétit formida-
ble épouvantait les moines d'Aniane; les vers composés à
Brioude n'indiquent pas que Guillaume le Pieux ait été gros
mangeur.
Ils n'indiquent pas davantage qu'il ait été un géant. Or, la
Vita témoigne que l'écu conservé dans l'église de Brioude
était d'une grandeur surprenante'. Il y a donc indication (les
géants étant rares par définition) que cet écu avait été choisi
exprès ou fabriqué exprès pour être montré aux pèlerins
comme étant le bouclier du héros gigantesque des chansons
de geste.
Il reste donc simplement que, dans la liste des abbés de
Saint-Julien de Brioude, on trouve un comte-abbé nommé
Guillaume. Le fait n'a rien de surprenant, vu la fréquence du
nom de Guillaume. Que ce personnage ait pu donner son bou-
clier à l'église et qu'il ait pu être un géant, je le veux bien,
n'ayant cure de le débouter de sa prétention d'avoir pris
part à la formation de la légende de Guillaume d'Orange. On
ne suppose pas, en effet, que ce Guillaume le Pieux ait été le
héros de « chants lyrico-épiques » qui se seraient par la suite
« amalgamés » avec ceux qui célébraient d'autres Guillaumes.
Il ne s'agit pas ici de la confusion de deux héros, mais de la
confusion, faite par quelque sacristain, du donateur d'un cer-
tain bouclier avec saint Guillaume de Gellone. Réduite à ces
termes, il ne coûte rien d'accepter cette identification, invrai-
1. Ex quibus clypeus in teniplo hodieque conservattir, qui et ipse
de Wilheltno quis et cujus modi fuerit satis testificatur .
174 JOSEPH BÉDIER.
semblable, mais sans intérêt. Que le bouclier de Gellone ait
appartenu à Guillaume le Pieux ou à tout autre personnage,
ou qu'il ait été commandé par nos chanoines à un fabricant du
voisinage, il n'importe guère. Ce qui importe et ce qui est sûr.
c'est qu'on l'a attribué de bonne heure à saint Guillaume de
Gellone, et que cette confusion (si confusion il y eut) a été
exploitée : exploitée par les chanoines de Brioude qui ont intro-
duit saint Guillaume de Gellone dans leur martyrologe; par les
moines de Gellone, qui ont inséré l'anecdote de Brioude dans la
Vîla; par les jongleurs, qui ont localisé à Brioude une scène
du Montage Guillaume et plusieurs scènes du Montage Rai-
noart. Je ne vois, de ces relations entre deux églises si dis-
tantes, entre deux saints si étrangers l'un u l'autre, entre ces
poèmes de Jongleurs et ces sanctuaires si éloignés de la
France du nord, qu'une explication imaginable : ces sanc-
tuaires se trouvent sur une même route, où religieux et jon-
gleurs s'appliquaient à édifier et à réci'éer les mêmes pèlerins.
Rappelons en passant que saint Julien devint l'un des pa-
trons des jongleurs (cf. l'église Saint-Julien-des-Ménétriers).
Pourquoi? sinon par la même raison qui a imposé le nom de
puis, en souvenir du Puy-Notre-Dame, aux confréries poé-
tiques du nord de la France : parce que des jongleurs nom-
breux hantaient la voie de Gergovie à Nîmes.
4. Nîmes.
A l'issue de cette voie, Guillaume parvient à Nîmes et la
conquiert. C'est la chanson du Charroi de Nîmes. Le Guide
des pèlerins fait ;illusion, comme on a vu, à cette fabuleuse
conquête, et il est facile de relever à Nîmes les traces d'un
culte ancien de saint Guillaume. On y célébrait encore au
xviii» siècle, peut-être y célèbre-t-on encore son office. C "était
un semi duplex., c'est â-d ire une fête assez solennelle'. Un
1. PropriiDii insirpiis ecclesiae cathedralis et diœcesis Nemausensis,
jiissii... D. Cctroli Pritdentii de Becdelièvre, episcopi Nernause>isis...
editnm. Neinausi, 1757. On y trouve un office de saint Guillaume, très
beau, mais malliourpusement moderne, fondé qu'il est sur les A)inales
LÉGENDRS DU CYCLE DE GUILLAUME d'ORANGE. 175
brëviairo à l'usage du diocèse de Nîmes, qui date du xv* siè-
cle, indique celte fête au calendrier He 28 ma;)^ En outre, la
[)lus ancienne église qui, à tna connaissance, ait elé mise
(après l'église do Gelione) sous l'invocation de saint Guil-
laume, a été fondée, en 1050, à Nîmes. Elle s'appelait Saint-
Guilliem-de-Vignole ^.
5. Arles.
Si corne ad Arli, ove il Rodano stagna,
Si com' a Pola presse del Quarnaro,
Cho Italia chiude e i suoi termini bagnn,
Faiino i sepolcri tutto il loco varo,
Cosi...
(Dante, Inf., IX. 112)3.
La nécropole gallo-romaine des Aliscamps d'Arles n'est
plus, comme au temps de Dante, bosselée de sépulcres*. Les
sai'cophages qui n'ont pas elé anciennement détruits ont été
dispersés dans les musées de Marseille, de Lyon, d'Arles, de
Paris\ et sur la plaine trop nivelée on ne voit plus aujourd'hui
que quelques restes de l'abbaye de Saint-Césaire, la chapelle
des Porcellets (xiv^ siècle), celle de la Genouillade, et la véné-
rable abbaye de Saint-Honorat.
Le Guide de Saint-Jacques ne manque pas de diriger les
Saiictorum ord. Uenedictini. C'est malheureusement le seul Propre des
saints du diocèse de Nîmes que j'aie trouvé à la Bibliotlièque nationale.
1. Bibl. nat., vélins, 1611b, t. I.
2. Voy. la charte de l'ondation de cette église dans Ménard, Histoire
de Nismes, t. I, p. 164, et Preuves, p. 21. Elle était située hors la ville, à
deux ou trois kilomètres, non loin de la route d'Arles, sur l'emplacement
actuel de la maison de campagne du lycée, à l'endroit qui s'appelle main-
tenant le Mas-do-Ville, jadis Foissac.
3. Voy. Carlo Cipolla, Sulla descrizione dantesca délie tombe di
Arles (Giornale storico délia letteratura italiana, t. XXIII).
4. Sur le cimetière d'Aliscamps, voy. surtout Bouche, Histoire de Pro-
vence, 1864, t. I, p. 314, t. II, p. 142."
5. Sur les spoliations successives qui ont distribué aux quatre coins de
la France les tombeaux des Aliscamps, voy. Millin, Voyage dans les dé-
partements du midi de la France, t. III, 1808, p. ôlô.
176 JOSEPH BÉDIER.
pèlerins vers le Campo santo de la Provence ; Inde visitan-
dum, est, juxia Ay^elatetn urbem, cimiterium, defuncto-
rum loco qui dicitur Aîliscampis ',.. II dit qu'il faut y prier
et y laisser des aumônes; que le cimetière s'étond sur un mille
en long et en large; que c'est le lieu du monde où l'on voit le
plus de sarcophages de marbre et que ces sarcophages portent
des inscriptions indéchiffrables; que sept églises sont con-
struites dans ce champ et que celui qui fait dire une messe
dans l'une d'elles aura pour avocats au jugement dernier
trois des saints qui y sont ensevelis. C'est tout. C'est une sim-
ple description topographique avec indication des avantages
spirituels que les pèlerins y pourront gagner. On s'étonne
d'abord que le Guide ne fasse nulle mention des légendes
attachées à ce lieu. Ce n'est pas que l'auteur les ait ignorées :
les deux plus illustres d'entre elles sont racontées tout au long
dans le Pseudo-Turpin, et l'on a maintes indications que le
Pseudo-Turjnn et le Guide sont solidaires et faits pour le
même public^; l'auteur du Guide aura voulu éviter une répé-
tition oiseuse.
Les légendes purement ecclésiastiques des Aliscamps d'Arles
sont insignes entre les légendes. Elles sont groupées dans une
lettre-circulaire que l'archevêque d'Arles, Michel de Mouriez
(1202-1217), quêtant pour la restauration de l'église Saint-Ho-
1. Ed. Fita, p. 21. Voici la suite du texte : « ... qui dicitur Aîliscam-
pis, precihus, scilicet psalmis et eleemosynis, ut mos est pro defunc-
tis exorare; cujus longitudo et latitudo uno milliario constat. Tôt et
ta7ita vasa marmorea, super terram sita, in nullo ciniiterio nnsquani
possiiit inveniri excepta in illo. Sunt etiatn diversis operibus et litte-
ris latinis insculpta et dictatu inintelligibili, antiqua; quanto magis
longe jierspexeris, tanto magis longe sarcophagos videbis. In eo cimi-
terio septem ecclesiae habentur... » Suit le détail des grâces que l'on y
obtient.
2. Voici l'une de ces indications. Dans la lettre dont nous allons par-
ler, l'archevêque d'Arles, JNlichel de Mouriez, décrivant le cimetière,
écrit : « Cujus cimiterii lo?igiludo et latitudo, sicut in Gestis Caroli
legitur, uno milliario constat. » C'est une phrase transcrite du Guide
(voyez la note précédente). Michel de Mouriez dit qu'il la transcrit des
Gesta Caroli, c'est-à-dire du Psendo-Turpiti : preuve que les deux ouvra-
ges étaient réunis dans le manuscrit dont il se servait, comme ils le sont
dans le manuscrit do la bibliothèque du chapitre de Compostelle, et qu'on
les confondait aisément.
LÉGENDES DU CYCLE DE GUILLAUME D'ORANGE. 177
norat des Aliscamps, adressa à la chrétienté', et qu'il suffit
de résumer ici : « Aux Aliscamps d'Arles 2 repose le corps de
saint Honorât; dans son église sont vénérés les restes du très
éloquent Hiiaire, de plusieurs bienheureux pontifes d'Arles...,
pour ne rien dire des corps de saint Genès. martyr, de sainte
Dorothée, vierge et martyre, et d'un grand nombre d'autres.
Cette terre est parée de tant de fleurs et de tant de pierres
précieuses que l'on a peine à concevoir qu'elle en ait tant pro-
duit, si bien qu'on peut dire justement : Ceux-là sont une
semence que le Seigneur a bénie... Or, le cimetière des
Aliscamps a été consacré par sept disciples des apôtres : Tro-
phime, qui fut choisi comme évèque d'Arles et sacré par les
saints Pierre et Paul ; Paul de Narbonne, Maximin d'Aix,
Saturnin de Toulouse, Front de Périgueux, Martial de Limo-
ges, Eutrope de Saintes, et autres. Avertis par un oracle,
divin, ils se rendirent à Arles, et ils le bénirent en présence
de Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui leur apparut sous sa forme
corporelle^... A l'église Saint-Honorat est annexée une cha-
pelle que le bienheureux Trophime, prédécesseur de Denis de
Paris, cousin de saint Paul, d'Stienue et de Gamaliel, fonda,
éleva, embellit et aima de son vivant, en l'honneur de la mère
de Dieu. Là, à l'endroit où s'étaient posés les pieds de Jésus-
Christ, il fit un autel de pierre, en présence de saints nom-
breux, et le consacra avec les sept évêques, disciples de
Jésus-Christ. Il recommanda qu'on l'y enterrât, parce que la
droite de Dieu y avait fait un miracle et parce que la splen-
deur de sa majesté y avait brillé. Il y fut enseveli quelques
années plus tard ; parfois, on y entend chanter les Anges '*... »
Ainsi, Arles, évangélisée d'abord par Trophime, disciple de
1. Gallia christiana novissima, par le chanoine J,-H. Albanès et le
chanoine Ul. Chevalier. Arles, 1900, col. 310-12.
2. In campis qui vulgariter dicuntiir Alisii; plus loin, Aliscampi.
3. Cette légende est décrite avec plus de détails dans le poème proven-
çal sur saint Trophime (voy. Fritz Gœbel, Untersuchimgen ûber die
altproveiizalische Trophimus-Legende , dissertation de doctorat de
Marbourg, 1896) ; elle est racontée aussi par Philippe Mousket (II, 790)
par Bernard Gui (Chabaneau, Le Roman d'Arles, 1889, p. 80), etc.
4. Il ajoute le miracle du Ehône, qui retient, ari-êtées aux Aliscamps,
les barques qui portent des corps au cimetière.
178 JOSEPH BÉDIEll.
saint Paul, se glorifiait d'avoir été la source d'où le christia-
nisme s'était répandu dans les Gaules, et le cimelièi'e des
Aliscamps, Jésus-Christ lui-même s'y était agenouillé. Ces
hautes légendes auraient dû suffire aux pèlerins, semble-t-il.
Il est remarquable qu'elles n'ont pas suffi, et qu'à ces tradi-
tions chrétiennes se sont mêlées des fictions de chansons de
gesle.
Ces fictions épiques, en voici l'analyse : les textes que j'ai
à citer sont tous connus, mais il sera commode de les trouver
groupés selon l'ordre chronologique.
a) Vers 1140. Pseudo-Turpin'^ :
« Adont avoit deus ciraelieros de ^rant dignité : li une estoit
a Arles en Alescans et l'autre vers Bourdiaus, que nostre Sire
beneï par les mains de set evesques... » Revenant de Roncevaux,
Charlemagne fit enterrer Roland à Blaye, Olivier à Belin ; au
cimetière de Saint-Seurin, à Bordeaux, Guaitier de Bordeaux,
Engelier, duc d'Aquitaine... et cinq mille des morts de la ba-
taille. « Après chou, jou ïurpins archevesques et Charles nous
départîmes de Blaves a toute nosire ost et veniraes a Arles par
Gascongne et par Toulouse. Illuec trouvâmes les Bourguegnons
qui de nous estoient départi en Ostreval (in Hosta valle], si
estoient venut atout leur mors [et leur navrez] qu'il aportoient
en lis et en chareltes pour iaus enterrer en Alescans dont Arle
est près. En celle cimentiere furent par nos mains entierré
Estous [li cuens de Langres], et Salomon, et Sanses, le duc de
Bourgongne et Ernaus de Biaulande et Aubris le Bourgueignon,
Guinars, Estourmis, Hâtes, [et Tieris], Yvorins, Berars de Nubles
et Berengiers et Naimes le duc de Baiviere et bien dis mil d'au-
tres. » Pour le repos de leurs âmes, Charlemagne donna de
grandes sommes d'or et d'argent aux pauvres d'Arles. De là,
ajoute Turpin. tourmenté par mes blessures, j'allai me reposer
à Vienne.
C'est une étrange fiction en api)arence que celle qui fait
porter à Arles les morts de Roncevaux. Elle ne s'explique
que si l'on se rappelle toujours (|ue le Pseudo-Turinn n'est
1. Ed. Castets, cliap. xxviii et xxiv. — .lo cite d'après la Iradnrtion
publiée par Tlieodor Aurucher, Municli, 187(), pp. (i4 ss.
LÉGENDES DU CYCLE DE GUILLAUME D'ORANGE. 179
qu'un écrit de propagande en faveur du pèlerinage de Saint-
Jacques et un vade mecum du pèlerin. Pour qu'il offrît de
l'intérêt aux voyageurs qui suivaient la route de Toulouse,
aussi bien qu'à ceux qui passaient par Blaye et Bordeaux,
l'auteur a disliibué sur les deux, voies et parlagé équitable-
ment entre elles les corps des héros de Roncevaux.
ô) Vers 1140». La Kaiserchronih (v. 14885-14908) « :
« L'empereur Charles investit une place forte, nommée Arles.
Il y resta, en vt'rité, plus de sept ans. Les assiégés n'en avaient
cure, car un canal souterrain leur apportait du vin en abondance
et des vivres. Mais Charles le détourna par grande adresse.
Ne pouvant tenir plus longtemps, les assiégés ouvrirent la
porte. Grande bataille, morts innombrables. « Nul ne pouvait
distinguer les cadavres des chrétiens de ceux des païens; mais
par l'aide de Dieu, l'empereur y parvint : il trouva tous les chré-
tiens mis à part dans des cercueils bien ornés. C'est un miracle
qui mérite d'être à jamais raconté, m
On retrouve dans le Roman d'Arles^ l'histoire de ce canal
souterrain que Charlemagne, assiégeant la ville occupée par
les Sarrasins, détourne. C'est, sans doute, cet aqueluc romain
qui, partant des paluds de Saint-Remy et de Mollèges, suivait
les contreforts de la Cran, passait sous le sol au midi de la
chapelle Saint-Pierre des Aliscamps et pénétrait, toujours sou-
terrain, dans Arles '. Voilà donc, parvenue dès la première
moitié du xii<' siècle au fond de l'Allemagne, nne légende
lopogi'aphique et de forme épique, qui est certainement d'ori-
gine artésienne.
1. L'auteur, un clerc de Ratisbonne. et qui n'est autre, sans doute, que
ce « PfatTe Conrad » à qui nous devons le Rolandslied , est mort en
1150-L II a commencé son œuvre en 1135.
8. Mon. Germ. historica, Deutsche Chroniken I, Abtheilung I. Die
Kaiserchronih, hgg. von Edward Scliroder, 18.^2. Cf. G. Paris, Histoire
poétique de Charlemagne, p. 258.
3. Ed. Chabaneau, p. 35, lignes 783 ss.
4. Voy. Estrangin, Descriptio7i de la ville d'Arles, Aix et Arles, 1845,
p. 46. et surtout Deloche, Saint-Remy de Provence au moyen âge {Mé-
moires de l'Académie des Inscriptions, t. XXXIV, 1" partie, 1892,
pp. 53 ss.).
180 JOSEPH BÉDIER.
c) Vers 1150-1170. Le Covenant Vivien, Aliscans, etc. —
Jusqu'ici, il n'a pas été question des héros narbonnais; désor-
mais, à côté de récits qui répéteront l'histoire des morts de
Roncevaux ou le miracle des cercueils, ils apparaîtront dans
nos te.xtes.
Le plus ancien roman du cycle narbonnais, la Chanson de
Guillaume, ignore, comme on sait, les Aliscamps d'Arles.
Selon ce poème, la bataille où périt Vivien a lieu à Lar-
champ, endroit mystérieux, que l'auteur semble ' mettre quel-
que part en Espagne. C'est en Espagne aussi, à l'Archant,
que se livre la bataille, selon Foucon de Candie; en Espa-
gne pareillement, selon les Slorie Nerbonesi. Dans le Cove-
nant Vivien et dans Aliscans, l'emplacement désigné est
Aliscans, Aliscans sur mer, et encore Larchant ou l'Ar-
chant, ou les Archanz, et la géographie y est si vague qu'on
ne sait pas au juste en quelle région l'on se trouve trans-
porté : Orange, à vrai dire, est dans le voisinage; mais jamais
Arles n'est nommé, ni le Rhône ^. Pourtant, si même la loca-
lisation la plus ancienne était, comme je le crois volontiers, en
Espagne, il est évident qu'elle a été transférée de bonne heure
aux abords du Rhône; les auteurs du Covenant et (ÏAliscatis,
ces poèmes remaniés, ont beau, par ignorance ou par indiffé-
rence, ne nous donner que les indications géographiques les
plus incertaines et les plus contradictoires, le seul fait qu'ils
emploient le nom d'Aliscans suppose que de leur temps,
donc en 1150 au plus tard, s'était déjà produite la localisation
de la légende aux Aliscamps d'Arles^. En outre, quelques
1. Sa géographie est d'ailleurs, à l'ordinaire, absurde.
2. Pour tout l'exposé de cette question malaisée, voy. l'important tra-
vail de M. Raymond Weeks, Études si(7- Aliscans [Romania, t. XXXIV,
1905, pp. 237, ss.).
3. Sans quoi, si le premier poète qui a employé ce nom avait entendu
désigner un autre Alisccunps qii' Aliscamps près Arles, ou que c'eût été
pour lui un nom de fantaisie, il serait miraculeux que ce nom sans signi-
fication, arbitraire ou de fantaisie, se fût trouvé par hasard être précisé-
ment le même que portait la vieille nécropole gallo-romaine, si propice à
abriter lu légende d'une grande bataille et à accueillir les martyrs de ce
désastre. J'ai bien conscience que j'exprime ici une vérité trop vraie. II
faut pourtant qu'elle se soit obscurcie dans quelques esprits, puisque
LÉGENDES DU CYCLE DE GUILLAUME D'ORANGE. 181
passages des chansons de geste ajoutent des indications plus
précises. Le Covenani Vivien s'exprime en ces termes :
1757 Ainz puis cel jor que Jhesu Crist fu nez
Ne fu tel chaples ne tel mortalitez
Comme le jor en Alesehamps sor mer.
Del sanc des cors fu toz vermeuz li prez.
Encor le voient II pèlerin assez
Qui a Saint Jaque' ont le chemin torné.
Dans Aliscans. Guillaume, après avoir vengé Vivien, re-
trouve son corps « sor l'estaac », près de l'arbre où il est
mort :
7367 Li quens l'a fait en deus escuz serrer,
Et desoz l'arbre bêlement enterrer.
Mais le manuscrit de Berne ajoute :
A un evesque fist la messe canter;
Desus le cors flst un mostier fonder :
Saint Onouré en fu li mestre auter.
Et ces vers à'Aimeri de Narbonne indiquent la connais-
sance d'une sépulture de Vivien, vénérée au temps du poète :
4-o43 En Alesclians Guillelmes renfoï :
Encore i gist il ores.
Ces indications sont-elles des interpolations récentes ? ou
au contraire, sont- elles les derniers vestiges de traits locaux
jadis plus nombreux, qui ont été effacés dans les remanie-
ments, lorsque nos chansons eurent vagabondé par toutes les
provinces? En l'état de nos connaissances, nous n'avons nul
moyen de choisir entre l'une et l'autre opinion. Mais il n'im-
plusieurs critiques s'acharnent à démontrer que les poètes du Covenant,
d'Aliscans, etc., quand ils parlent de la bataille d' Aliscans, n'entendent
pas sous ce nom les Aliscamps d'Arles. Et il est vrai que ces poètes ne
semblent pas bien savoir ce que c'est, ni où c'est; il n'en reste pas moins
que leurs modèles le savaient.
1. A Saiiit-Gille dans le ms. de Londres et le ma. 24369 de la Biblio-
thèque nationale (Weeks, art. cité, p. 258). C'est la même route, comme
nous savons.
i82 JOSEPH BÉDIER.
porte pas ici de choisir. Ce qui est sûr, en toute h3pothèse,
c'est que, primilifs ou non, ces traits locaux se lisent dans
des chansons de geste de la seconde moitié du xit» siècle et du
début du xiîi«'.
d) Vers l!90. Gui de Bazoche. — En deux passages, Gui
de Bazoche, parlant des Aliscainps d'Arles, les appelle « qui
sunt et dicuniur aridi campi » ou « campi ayndi a slerili-
late, vel Elieii, dicti^ ». C'est une élymologie (V Ar champ et
elle prouve que Gui de Bazoche connaissait la nécropole d'Ar-
les sous le double nom (V Ar champ et (VAlhcamps.
e) Premières années du xiii« siècle. Michel de Mouriez . —
Dans la lettre citée ci-dessus, où il quête pour la restauration
de l'église Saint-Honorat des Aliscamps, l'archevêque Michel
de Mouriez écrit : « Celte église a un cimetière spacieux,
dans le sein duquel reposent, en nombre infini, les corps de
ceux qui, sous saint Charlemague, sous saint Guillaume et
sous Vivien, son neveu, ayant soutenu leurcombil triomphal,
ont gagné, [lour avoir versé leur sang, la couronne des mar-
tyrs =^.
f) Vers 1210. Le WillehaUn de Wolfram d'Eschonbach. —
Wolfram, qui semble n'avoir eu d'autre modèle que la chanson
à.''Aliscans, telle que nous l'avons, y ajoute pourlant certains
traits qui supposent une autre origine-'; a l'en croire, aussitôt
après la défaite et la fuite de Guillauuie, tous les corps des
chrétiens morts furent déposés dans des cercueils qui n'étaient
pas faits de la main des hommes; ils furent bénis par les anges
et enterrés dans le cimetière d'Aliscans. « L'enchanteur Jésus,
dit un Sarrasin (^57, 15) a taillé ces tombeaux », et c'est dans
cette plaine semée de sépulcres miraculeux que Guillaume
1. Voyez l'iniHcation de cos textes dans l'article de M. Wceks, pp. !?63-4,
et SCS excellentes remarques à leur éyard.
2. « Q)à sub beato Karolo et beato WiUelnio et Visinuo, nepote élus,
triwmphali apone peracto , proprio sunt sanyuine laureati. » Voy.
(art. cité pp. 'itiO 2G2) le commentaire de M. Wceks, qui a eu le mérite de
signaler, le premier je crois, la lettre de Michel de Mouriez aux critiques
littéraires.
a Ed. Karl Lacliiiiann, 2'>".t, ."> ; :j57, l.j ; i:y.),20, etc.
LÉGENDES DU CYCLE DE GUILLAUME D'oRANGE. 183
livre la bataille où il venge Vivien. Ces fictions qui ne se
trouvent pas dans Aliscans, si on les compare aux divers
témoignages ici groupés, par exemple à la lettre de Michel
de Mouriez, on voit que Wolfram d'Eschenbach. directement
ou indirectement, les tenait de pèlerins de Saint-Gilles.
g) Entre 1211 et 1214. Les Otia imperialia de Gervais tle
Tilbury'. — En un passage où il décrit le cimetière d'Arles
et les légendes ecclésiastiques ^ qui y sont attachées, Gervais
de Tilbury dit que d'innombrables héros sont enterrés là, et
parmi eux ces deux héros uarbonnais, Vivien et le comte Ber-
trand 3.
h) Vers 1230. L'Histoire des Arabes de Rodrigue Ximeaes,
archevêque de Tolède ^ — Il dit qu'Abderramen a remporté
une grande victoire devant Arles, que le Rhône a caché les
corps des chrétiens, que la terre les a reçus par miracle, et
qu'on voit encore leurs tombeaux dans le cimetière d'Arles.
Ici, comme il a fait ailleurs pour les chansons de Roland ei
de Mainet, ce clerc espagnol, élevé aux écoles de Paris, a
combiné les récits des chroniques latines et les récits des
chansons de geste.
i) Première moitié du xiii» siècle. Vie de saint Honorât-'.
1. Scriptores rerum Brunsvicensium, éd. Leibuitz, t. I, p. 990.
2. La consécration par les sept évèques, l'apparition de Jésus-Christ,
le miracle du Rliône.
.3. Ad coemeterium Campi Elisii deferehantiir, nbi Vivianus (éd. Jo-
vianus) et cornes Bertramus et Aistulphus et innunieri proceres re-
quiescunt.
4. Schott, Hispania illustrata, t. II (1603), p. 170. « Ahderramen...
Rhodanum etiam dissulcavit ; veriim cion Arelatuni in multitudine
exercitus ohsedisset, inferioi'es fortunae Galli sunt iyiventi; ... quo-
rum cadavera Rodanus occultavit et terra suscipiens revelavit; sed et
eortim tumuli adhuc hodie in Arelatensi coemeterio ostenduntur.
5. Publiée par M. P. Meyer, Romania, VIII (1879), p. 481-508. Cette
vie a été mise en vers provençaux par Ramon Féraut, iiioino du monas-
tère de Lérins et prieur de la Roque-Estéron, en l'an 1300. Son élégant
poème a été publié par A.-L. Sardou. La Vida de sant Honorât, Nice,
1873 [Publications de la Société des scieiices et arts des Alpes-Mari-
times). Voyez, pour tous renseignements bibliographiques sur saint Ho-
norât et sur sa légende, la Bibliotheca hagioçiraphica latina des Bollan-
distes, t. I (189->), p.-ôO'i, et la Gallia christiana novissima p. p. Albanès
et Ul. Chevalier, Valence, 190: ), col. 25-29.
184 JOSEPH BÈDIER.
Celte Vie est l'œuvre des moines de l'abbaye de Lériûs, dont
Honorât fut le fondateur. Nous connaissons la vie authentique
de ce saint par son oraison funèbre que prononça, au jour
anniversaire de sa mort, son disciple et successeur, Hilaire'.
Ce que nous savons de lui, c'est que, né en Gaule et païen de
naissance, il se convertit au christianisme avec son frère
Vonanlius; qu'il mena d'abord la vie érémitique sur une hau-
teur de TEstérel, qu'il fonda, vers l'an 406 ou 410, un monas-
tère dans la plus petite des îles de Lërins, qu'il devint arche-
vêque d'Arles en 420 et qu'il mourut à Arles en 429. Il fut
enseveli aux Aliscamps d'Arles, dans une église qui fut mise
sous son vocable, et son corps ne fut transféré à Lérins qu'à
la fin du xiv^ siècle (1394).
Au xiii'' siècle, les moines de Lérins substituèrent à ces
actes authentiques un singulier roman, « farci de chansons de
geste de la seconde époque- ». Hardiment, ils rajeunirent leur
saint de trois siècles et demi, et le présentèrent comme un
contemporain de Charlemagne, Hongrois de naissance, fils du
roi païen Andrioc et d'une Sarrasine d'Espagne, sœur des
rois de chansons de geste' Marsile et Agolant. Ce Hongrois,
s'étant converti au christianisme, s'était établi avec quelques
compagnons dans un ermitage, à Largentière (entre Barcelon-
nette et Coni). Un jour, saint Jacques lui apparaît et lui
ordonne d'aller visiter son tombeau. A Compostelle, l'apôtre
lui apprend que Pépin et son fils Charles ont été vaincus par
le roi Agolant. Charles est prisonnier des païens à Tolède; il
convient qu'Honorât le délivre. Honorât, déguisé eu Sarrasin,
va donc à Tolède, où la fille du roi est possédée du démon. Il
la guérit par une aspersion d'eau bénite; eu récompense, il
obtient la liberté de Charlemagne. De ce jour, Charlemagne
et Honorât ne cersent de se combkr de bienfaits réciproques.
Charlemagne et ses pairs combattent par l'épée, en Provence
et en Catalogne; de loin. Honorât combat pour eux par ses
prières el ses exorcismes ; et c'est lui qui, par sa puissance de
1. Acta SS. liolland., t. Il de jiuivier (1(3 janvier), p. o7\).
2. P. Meycr, Romania, t. V (187G), p. 5U3.
LÉGENDES DU CYCLE DE GUILLAUME d'ORANGE. 185
thaumaturge, détruit les armées des païens et renverse leurs
murailles. Eu échange, Charlemagne enrichira le monastère
de Lérins.
En ces folles histoires, Vivien (Vezianus) est introduit de
la façon que voici. Un jour, comme Charlemagne traversait les
Alpes pour recevoir à Rome la couronne impériale, il s'arrêta
au col de Largentière et y visita l'ermite Honorât. « Un des
guerriers de son armée, nommé Vezian, ne pouvant supporter
plus avant les fatigues du voyage, et gravement malade, resta
dans l'ermitage {apud Argen), sous la garde d'Honorat, et
tous deux se lièrent d'une amitié si tendre que Charles, reve-
nant peu après d'Italie, eut peine à séparer Vezian de la com-
pagnie du saint homme. Charlemagne marchait alors contre
les Sarrasins, et commença alors par mettre le siège devant
Arles. Là, Vezian fut tué en trahison^ avec ses compagnons
par le prince païen de la Trape^. »
Charlemagne venge sa mort, et le niais récit se prolonge
par des fictions d'une égale niaiserie 3. Honorât, après avoir
fondé l'abbaye de Lérins, est devenu archevêque d'Arles :
il vit donc près du tombeau de son ami Vezian. Honorât
meurt à son tour : les moines de sou abbaye viennent cher-
cher son corps à Arles pour le transporter dans l'île de
Lérins. Mais, comme ils passaient par Aliscamps, près du
tombeau de Vezian (Juœta tumulum Veziani) , tous les
1. Le traducteur provençal, Raymond Féraut, précise (éd. Sardou, p 45)
en disant que ce fut en Aliscamps.
2. C'est l'île Sainte-Marguerite.
3. Honorât, venu à Arles, y combat l'hérésie sous la forme d'un nègre
gigantesque {Aethiopiis mira magnitudiiie), qui occupe le château de
la Trouille. L'ayant vaincu, tous, dit Ramon Féraut, vont célébrer cette
victoire sur le tombeau de Vezian aux Aliscamps (éd. Sardou, p. 76).
E van s'en tul ain luy E sant Honorai dis :
Als vases d'Aliscamps; « L'arma de Vesian,
Aqui si fey l'acamps. Lo fizell crestian.
Sus lo vas Vesian E li compaynon sieu
A fach mètre de plan Que moriron per Dieu
Autar e corporals, Aian vida eterna
Vestirs sacerdotals, E pausa sempiterna ! »
E a messa cantada, Tut li mort mantenen
Sancta e benaurada. Cridan : « Amen! Ament
Gant li messa fenis,
ANNALES DU MIDI. — XIX 13
186 JOSEPH BÉDIER. '
morts, compagnons de Veziao. se dressèrent dans leurs sépul-
cres et crièrent à la fois : « 11 n'est pas juste que vous nous
enleviez notre saint patron. » Les moines s'enfuirent, puis
revinrent; la merveille se produisit une seconde fois. Alors,
ils laissèrent là le corps de saint Honorât et construisirent, sur
le tombeau même de Vezian, une église où on le déposa et où
il fit d'innombrables miracles.
M. A. Jeanroy a cru pouvoir reconnaître dans celte Vie de
saint Honorât « une version toute locale d'une légende évi-
demment locale elle-même, qui pourrait bien être toute
proche de la forme primitive' ». Primitivement, comme dans
la Vie de saint Honorât, Vivien n'avait rien à faire avec les
Narbonnais; il était un compagnon de Charlemagne, le héros
d'un siège d'Arles que conduisait Charlemagne. Sa légende
tendait à se mêler à celle de Guillaume d'Orange; mais elle
n'y parvint pas d'emblée, et c'est seulement sur le tard que
cette petite geste provinciale fut absorbée dans le cycle de
Guillaume.
Le lecteur trouvera dans l'étude de M. Jeanroy un ingé-
nieux faisceau d'arguments à l'appui de cette théorie. Je doute
pourtant que la Vie de saint Honorât fournisse de quoi la
fonder. La préoccupation principale des moines de Lérins est
de montrer que Charlemagne, par amitié pour Honorât, a été
un protecteur de leur maison. Tous les personnages qu'ils
mettront en scène vivront donc, coûte que coûte, au temps
de Charlemagne et d'Honorat. D'autre part, les moines ont à
expliquer comment et pourquoi le corps de leur fondateur est
resté enseveli aux Aliscaraps d'Arles, au lieu d'être transféré
à Lérins. C'est, disent-ils, qu'Honorât a été retenu aux Alis-
camps par l'amitié posthume de ce héros, nommé Vezian, tué
jadis par les Sarrasins, et qui, de notoriété publique, est
enterré aux Aliscamps, dans l'église qui a pris depuis le nom
1. Notes sur Vivie», dans la liomafiia, t. XXVJ llH'.H), p. ;2i)I.
2. Voyez surtout (pp. l'J5-G) ce que M. Jeanroy dit du Mont Argejit
(Largontière) confondu avec un village voisin d'Arles, rioinmé MoJit d'Ar-
gent : de là, selon lui, le Monte Aryento des Xei'ljune.fi d Wirclta.nt des
chansons de geste.
LÉGENDES DU CYCLE DE GUILLAUME d'ORANGE. 187
de Saint-Honorat. Us n'ont donc eu d'autre effort à faire que
d'imaginer l'historiette de la maladie de ce Vezian, se prenant
de grande amitié à Largentière pour l'ermite Honorât. Comme
Honorât était un compagnon de Charlemagne, naturellement
ils feignirent que Vezian en était un autre. Il se peut que c'ait
été là la tradition primitive; mais la preuve n'en saurait être
tirée de cette Vie, à moins qu'on veuille admettre que saint
Honorât ait, en effet, à une époque ancienne, passé pour un
contemporainde Charlemagne. En résumé, la forme que prend
dans notre récit l'histoire de Vivien s'explique tout entière
par le contexte et par la nécessité où étaient les moines de
Lérins de la raconter ainsi. Leur factum est donc inhabile à
nous apprendre si primitivement la légende de Vivien a été
ou non indépendante de celle de Guillaume'. Ce texte nous
sert seulement pour attester qu'au xiii« siècle on voyait dans,
l'église Saint-Honorat des Aliscans un tumulus Veziani. H
confirme donc simplement les témoignages plus anciens, mais
moins explicites ou moins autorisés, du Covenant Vivien,
à' Aliscans (variante du v. 7368), d'Aymeri de Narhonne, de
Michel de Mouriez, de Wolfram d'Eschenbach, de Gervais de
Tilbury.
/) Treizième siècle. Vie de saint Porchaire. — C'est un,
autre document émané de l'abbaye de Lérins. « Vivien vit non
plus sous Charlemagne, mais sous Louis; il fait partie (avec
les comtes Rainouart, Guichart et Bertrand, Eruaut de Gi-
ronde, Naime de Bavière, Guillaume d'Orange et Aymeri de
Narbonne) d'une grande expédition dirigée par le roi contre
les Sarrasins qui ont envahi la Provence; il meurt dans une
défaite qui est infligée aux chrétiens à Aliscans et qui a pour
conséquence la conquête de la Provence par les Sarrasins 2 ».
1. Je ne crois pas qu'on veuille m'opposer cette objection : si les moi-
nes de Lérins avaient su que Vivien des Aliscamps passait pour le neveu
de Guillaume d'Orange, ils n'auraient pas osé faire de lui un contemporain
de Charlemagne. — Ils ont bien osé, et sans le moindre scrupule, trans-
former en un contemporain de Charlemagne cet Honorât qui passait, ils
le savaient bien, pour avoir vécu trois ou quatre siècles plus tôt.
2. A. Jeanroy, art. cité, p. 178. Voir (Romania, VIII, 504) ce passage
dans la traduction catalane, et (éd. Sai'dou, p. 192) dans la traduction.
188 JOSEPH BÈDIER.
Cette seconde version n'a, il va sans dire, non plus que la
première, aucune valeur traditionnelle : elle ne nous intéresse
qu'en ce qu'elle place, elle aussi, aux Aliscamps d'Arles, la
légende d'une grande bataille épique et le sépulcre de Vivien
(lo vas de Vezian. »
En résumé, ces textes disent que, dès le milieu du xu» siècle
au plus tard , les gens qui fréquentaient le cimetière des Alis-
camps avaient peuplé les vieux sépulcres gallo-romains de héros
fabuleux des temps carolingiens, et ces héros étaient soit les
martyrs de Roncevaux, soit les combattants d'une grande
bataille légendaire livrée aux Sarrasins en ces lieux mêmes-
Cette bataille, que ce soit Charlemagne qui la soutienne, ou le
roi Louis, ou Guillaume d'Orange, nos textes s'accordent ' à
y faire périr un même personnage : Vivien, Vivian ou Vezian.
Nos textes nous enseignent en outre que les moines de l'ab-
baye de Saint-Victor de Marseille, qui possédaient l'église Saint-
Honorat des Aliscamps^, y gardaient le tombeau de ce Vivien.
Qu'était-il à l'origine? le héros tout local d'une petite geste
arlésienne, isolée et indépendante, annexée sur le tard à la
geste narbonnaise? I^lusieurs critiques le croient. Un jon-
gleur français, passant par Arles en pèlerin, comme tant
d'autres, aura vu son tombeau, recueilli sa légende qui vé-
gétait obscurément sur place; il l'aura transportée au Nord
de la France et lui aura fait un sort. Simple cas fortuit,
comme on voit, et si ce jongleur n'avait point passé par Arles,
nous ne posséderions pas de poèmes français relatifs à Vivien.
Je ferai seulement remarquer qu'on nous demande, par ail-
leurs et de môme, de croire au passage, non moins fortuit, d'un
1. Soûle la Kaiseroliroiiik fait excei)lion.
"2. Voyez [Gallia christ, novisairna, col. 10) la lettre analysée ci-dessus
de l'archevêque d'Arles Michel de Mouriez : il dit que ses prédécesseurs
ont attribué cette église ( ut sancti sanctis obvenirent) aux moines de Saint-
Victor. Sur un dillerend des moines de Saint-Victor avec les chanoines
d'Arles (en 1141) au sujet de la propriété de cette église et de plusieurs
autres, voy. ibidem, col. 210. 11 ré.sulte du jugement (défavorable aux
moines) qui est transcrit à cette page, qu'ils occupaient Saint-llonorat
d'Arles depuis l'an 1070.
LÉGENDES DU CYCLE DE GUILLAUME D'ORANGE. 189
autre jongleur à Gellone, d'un autre jongleur à Brioude, etc.,
et ce sont bien des cas fortuits.
D'autre part, je ne crois pas que les textes autorisent cette
théorie. Ils indiquent plutôt, à mon sens, que Vivien fut de
tout temps pour les poètes le neveu de Guillaume d'Orange et
le petit-flls d'Aymeri de Narbonne^ Il n'y a nulle raison de
croire qu'il soit à Arles un héros autochtone. La bataille où il
périt, les poètes semblent l'avoir placée d'abord à Larchamp,
c'est-à-dire en Espagne, ou ailleurs 2, non pas à Arles. Supposé
même que cette opinion soit erronée et qu'elle ait été placée
d'emblée aux Aliscamps d'Arles par l'imagination du premier
poète, ce jeu d'imagination, provoqué par la célébrité de la
nécropole, a pu se produire dans une province quelconque de
la France. D'aucune façon, il n'est nécessaire, ni probable que
Vivien ait été à l'origine, plutôt que Bertran le palazin ou
Ernaut de Beaulande, un personnage d'invention arlésienne.
Si on l'admet, il devient malaisé d'expliquer par les procé-
dés employés jusqu'ici le rattachement de sa légende à Arles,
les rapports que nous constatons entre nos chansons de geste
et le sépulcre de l'église Saint-Honorat. La théorie de l'acci-
dent, du cas fortuit n'y suffit pas. Elle veut, en effet, que nous
nous représentions ainsi les choses : 1° un poète de la France
du Nord fait mourir Vivien aux Aliscamps d'Arles; 20 un
moine de Saint-Honorat des Aliscamps a par hasard connais-
sance de ce poème de la France du Nord et en fait part aux
autres moines du prieuré; sur quoi les moines décident (on ne
sait pourquoi) de faire à ce Vivien une place dans leur sanc-
1. Sauf la Vie de saint Honorât, qui manque d'autox'ité en l'espèce,
tous les textes parlant de Vivien parlent en même temps de Guillaume
d'Orange ou de quelque autre héros narbonnais. Dira-t-on qu'avant le
passage à Arles du jongleur français que l'on suppose, la légende toute
locale de Vivien, où il était donné comme un contemporain de Cliarlema-
gne, « s'était déjà mêlée aux récits sur Guillaume? » C'est alors suppo-
ser, à Arles même, tout un travail poétique, des échanges accomplis sur
place entre des poètes du nord de la France et des poètes ou des moines
artésiens, et cette vue ne pourrait que flatter notre thèse favorite.
2. A Larchamp (Mayenne) , suivant une hypothèse récente de M. Her-
mann Suchier [Zeitschrift fïir romanische Philologie , t. XXIX, 1905,
p. 640-682).
190 JOSEPH BÉDIER.
tuaire ; 3» un jongleur du Nord de la France, venu là en pèle-
rin, constate que les moines de Saint-Honorat vénèrent en
effet le sépulcre de Vivien, et de retour dans la France du
Nord, il insère ce renseignement dans un manuscrit d'Alis-
cans (Saint Onnouré en fu li mesire auter). Et si l'on dit
que cette mention de « Saint Onnouré » est isolée et peut être
récente, il y a mieux : la plupart de nos chansons de geste
nomment leur héros Vivian (rimant en a), ce qui suppose
une influence méridionale; il faudrait donc nous représenter,
en outre, un jongleur-pèlerin qui aura cru bon, à son retour
d'Arles, de substituer, dans les chansons de geste de la France
du Nord, le Vivian méridional au Vivien français et qui
aura réussi à convaincre ses confrères de l'utilité de cette mo-
dification. Chacun de ces accidents est bizarre par lui-même;
leur groupement en série est chose plus bizarre encore.
Qu'est-ce à dire, sinon qu'il faut nous représenter autre chose
que ce mouvement de navette de jongleurs isolés entre Arles
et la France du Nord ; il faut considérer ces moines de Saint-
Honorat et ces jongleurs français, non pas comme séparés par
les monts, les vaux, les fleuves et les forêts, mais comme voi-
sinant normalement et comme liés par des rapports plus cons-
tants. Le double nom du héros, Vivien et Vivian, est le sym-
bole du travail à la fois monastique et jongleresque qui s'est
accompli aux Aliscamps d'Arles, du jour où un poète d'imagi-
nation forte et grande y eut localisé l'ancienne bataille de
Larchamp.
Qu'une légende épique provoquée par les ruines de l'aque-
duc romain d'Arles trouve asile, dès 1140.. dans ]a. Kaiser-
chronik, — que le Pseudo-Turpin enserre les morts de
Roncevaux dans les tombes romaines des Aliscamps, — que
les chansons de geste y transfèrent le champ de bataille de
Larchamp, — que les moines de Saint-Honorat se décident
à mettre le corps chimérique du Vivien des jongleurs auprès
des saints les plus vénérés de leur église, aux côtés de
saint Honorât et do saint Trophime*, à deux pas de la pierre
1. Le corps de saint Trophimc, qui avait jusque-là reposé dans leur
LÉGENDES DU CYCLE DE GUILLAUME D'ORANGE. 191
où Jésus-Christ s'était agenouillé, tous ces faits sont soli-
daires. Ce n'est pas pour l'édiflcalion des bonnes gens d'Arles
que ces légendes ont été combinées : elles n'ont pas été seu-
lement recueillies par des pèlerins, elles ont été composées
pour des pèlerins.
6. Saint-Gilles.
C'est saint Gilles \ on se le rappelle, que Guillaume a pris à
témoin de son serment de chasser l'3s Sarrasins hors de la terre
de Provence-. Dans le romance espagnol de Benalmeuique^,
dérive probablement d'une chanson de gesie française, c'est
« al puerto de sant Gil » que le comte Aymeri de Narbonne est
fait prisonnier par les païens; alors s'engage entre lui et la
comtesse le dialogue héroïque où il lui défend de donner pour
sa rançon même un maravédi; c'est à la grâce de saint Gilles
qu'elle le confie :
« Adios, adios, la condesa,
Que ya me raandan ir de aqui.
— Vayûdes con Dios, el conde,
Y con la gracia de sant Gii :
Dios os le eche en suerie
A ese Roldan paladin. »
Dans Foucon de Candie^, c'est saint Gilles de Provence
que la sœur de Vivien requiert d'offrir à Dieu l'âme du héros :
« Vivien frère, raar fu vostre jovente!
Ja mais n'iert om de graignor esciante;
La vostre mort me fait auques dolente.
église, n'a été transféré que le 29 décembre 1152 à l'intérieur de la ville
d'Arles, dans l'église édifiée sous son vocable (voy. la Gallia christiana
novissima, col. 221).
1. Sur sa légende, voj'. l'introduction de G. Paris à son édition (en col"
laboration avec le D'' Eos) de la Vie de saint Gilles de Guillaume de Ber-
neville (1881); sur l'importance du pèlerinage, voy. Pio Rajna, Giornale
storico délia letteratura italiana, t. VI (1885), p. 116.
2. Dans le Charroi de Nîmes.
3. Publié par M. J. Couraye du Parc, p. xx de son édition de Lu mort
Aymeri.
4. Ed. Tarbé, p. 7.
i92 JOSEPH BÉDIER.
Saint Giles, sire, qu'on requiert en Provence,
L'ame de lui nostre Seignor présente,
Que ja ne soit en péril n'en tormente ! »
Rappelons en passant que ce saint a baptisé de son nom
une des petites gestes de l'épopée carolingienne : la geste de
saint Gilles.
7. Saint-Guilhem- du- Désert.
Igilur, dit le Guide des Pèlerins, ab hîs qui per viam
Tolosanani ad sanctum Jacobum iendunt, beaii confesso-
ris Guilhelmi corpus est visUandum. Revenant vers ces
lieux, nous saluons à nouveau la tombe vénérable et nous
nous acheminons vers d'autres étapes : la route nécessaire,
traversant Béziers, nous conduit à Narbonne,
8. Narbonne et 9. Anseune.
Narbonne est la ville d'Aymeri.
Il faut d'abord remarquer avec L. Demaison l'exactitude
des descriptions qu'on en trouve dans les chansons de geste :
l'auteur (ÏAymcri de Narbonne mentionne à deux reprises ^
la Porte Aiguière {Porta Aquaria), qui était sur la voie
Domitienne ; il dépeint bien le port de la cité :
182 D'une part est la grève de la mer ;
D'autre part Aude, qui molt puet raviner,
Qui lor amoine qanqu'il sevent penser;
A granz dromonz que la font arriver
Font marcheant les granz avoirs porter^.
Narbonne est aussi la ville de ce saint Paul, l'un des sept
1. Aymeri de Narbonne, v. 502 et v. 3683 ; cf. Demaison. t. I, p. clxiv,
etKempe, Die Ortsnamen des Pliilometia, p. 50.
2. L'Aude ne passe plus à Narbonne, mais elle y a passé jusqu'en lo-^O,
date où le grand barrage de Sallùles-sur-Aude a été emporté. Narbonne
ne communique plus avec la mer que par le canal de la Roubine ; mais
l'un des bras de l'Aude, rendu navigable par les Romains, formait un
port, dont on pouvait encore dire au xiii" siècle qu'il amenait dans la
ville les « granz dromonz ». Voyez Demaison, t. I, p. clxiii, et Leuthéric,
Les Villes mortes du golfe da Lion, 1871».
LÉGENDES DU CYCLE DE GUILLAUME D'ORANGE. 193
premiers évêques des Gaules qui, en présence de Jésus-Christ,
avaient consacré le cimetière des Aliscaraps :
Surget et Paulo speciosa Narbo,
dit une hymne de Prudence. Les chansons de geste connais-
sent son sanctuaire, « une ancienne collégiale située autrefois
en dehors de Narbonne et renfermée depuis dans son en-
ceinte». Dans Aymeri de Narbonne, dès que Charlemagne
a pris Narbonne et qu'il a fait enlever des « sinagogues » les
idoles de Mahomet, son premier soin est d'édifier cette église :
1228 Un biau mostier font fere et conpaser
Et les autieus beneïr et sacrer,
Puis i ont fet establir et poser
Un arcevesque, sans plus de demorer,
Por Damedeu servir et ennorer;
Si i flst Charles offrir et presanter
Le chief saint Pol, ce dit en sanz fausser,
Qu'il fist d'Espengne avec lui aporter.
Louis Demaison^ a montré qu'un ancien nécrologe et un
bréviaire de l'église de Narbonne s'accordent avec la chanson
de geste pour attribuer à Charlemagne cette fondation et
la translation des reliques de saint Paul, — et que ce sont
d'ailleurs des légendes. C'est à l'église Saint-Pol que les héros
des Narbonnais vont à maintes reprises faire leurs orai-
sons-; c'est là, dans la Mort Aymeri, que le vieux comte
est enterré par ses fils :
4044 Dedens Nerbone a grant procession
Portent la bière a saint Pol le baron.
Comment des poètes du nord de la France pouvaient-ils
connaître ce saint, ce sanctuaire, ces légendes? A-t-on réelle-
ment montré dans cette église la tombe de l'Aymeri légen-
daire? Presque tous les titres anciens de Saint-Paul de Nar-
bonne ont malheureusement péri.
Narbonne est encore la ville des Aymerides. C'est de là
1 En so'n édition d' Aymeri de Narbonne, I, cliv-clx.
2. Les Narbonnais, vv. 276, 4574, 7739, 7895,
194 JOSEPH BEDIER.
qu'est sorti tout le fier lignage. Or, comme l'a depuis long-
temps remarqué M. P. Meyer\ l'un des Aymerides, Garin
d'Anseûne, tire son nom d'une localité voisine de Narbonne.
Mais il y a mieux. Amseduna était le nom, maintenant dis-
paru depuis des siècles, d'une terre limitée par les bourgs
actuels de Pouzols et de Sainte-Vallière (canton de Ginestas,
Aude), et sise par conséquent à une vingtaine de kilomètres
au nord-est de Narbonne, à 10 kilomètres au nord de Lézi-
gnan. Nous le savons — et c'est ici le fait curieux — par une
charte de l'an 958-, où l'archevêque de Narbonne Aymeri
(927-977) fait don de son alleu tV Amseduna à la chanoinie de
Saint-Paul de Narbonne, qui posséda en effet ces biens jus-
qu'à la Révolution. Voilà donc que les auteurs de chansons de
geste nous conduisent à nouveau, non seulement à Narbonne,
mais dans l'église Saint-Paul de Narbonne. Que l'on veuille
bien songer à l'insignifiance du lieu dit Amseduna et que
peut-être, dès la fin du xi^ siècle, ce nom, déjà tombé en
désuétude, ne subsistait plus que dans les documents de cette
église. Fîit-il encore vivant au temps de nos jongleurs du xi»
et du xiie siècle, qui pouvait le connaître et l'employer à plus
de 10 lieues de distance de cette bourgade? Comment des
poètes du nord de la France ont-ils pu le connaître? et, s'ils
ne l'ont pas appris des chanoines de la collégiale de Saint-
Paul, par quelle rencontre miraculeuse, ayant choisi cette
église pour y placer la sépulture du légendaire Aymeri, ont-ils
par surcroît baptisé l'un de ses fils du nom d'une terre obscure
qui se trouve par hasard être précisément un fief de cette
même église?
1. Romania, t. IV (1875), p. 191.
2. Publiée dans la Gallia christianu , t. VI, Instrumenta ecclesiae
Narbonensis, n» xviii; cl. t. VI, col. 28. C'est M. l'abbé Sabarlhès {Etude
sur l'abbaye de Saint-Paul de Narbonne, Narbonne, 189;5, pp. 173-1) qui
a déterminé, grâce aux confronts désignés dans l'acte de donation (Pou-
zols, Sainte- Valliére, La Caunette , etc.), l'emplacement à'Amsedana.
C'est M. Hermann Suchier {Romania, t. XXX II, 1903, p. 370) qui a le
premier tiré parti de cette détermination géographique. (Voy. aussi Max
Kempe, Die Orts?iamen des Pliilometia, pp. 23-4).
LEGENDES DU CYCLE DE GUILLAUME D'ORANGE. 195
10. Termes.
Au sortir de Narbonne, la via Tolosana, c'est la route
romaine qui remonte la vallée de l'Aude, et qui, n'ayant subi
depuis deux mille ans que des rectifications insignifiantes,
concorde à peu près avec la route nationale n^ 113.
Quand on avance vers Lézignan, l'horizon est bientôt borné
au sud par la chaîne des Corbières. Si l'on regarde vers ces
montagnes, on voit au loin un rocher isolé. Il s'élève à
400 mètres au-dessus de la plaine environnante et la domine
toute. A son faîte, un château fort, fondé dès le x^ siècle, et
qui soutint pendant la guerre des Albigeois un siège illustre.
C'est Termes-en-Termenès '. Un des personnages du Pseudo-
Turpin"^ s'appelle Gualterius de Termis. Gautier de Ter-,
mes, appelé aussi Gautier le Tolosan, cousin de Guillaume
d'Orange, figure souvent dans les chansons du cycle narbon-
nais '. Guillaume rappelle à Vivien mourant le jour de joie où
il l'arma chevalier :
Jo t'adubbal a mun paleis, a Termes*...
C'est peut-être Termes-en-Termenès^.
11. Lézignan.
A deux ou trois kilomètres avant Lézignan, la route tra
verse l'Orbieu. C'est dans ces parages que, en l'an 776, Guil-
laume de Toulouse avait combattu les Sarrasins. Les pèlerins
du xii^ siècle foulaient ici, sans doute à leur insu, la même
chaussée romaine que le sang de saint Guillaume et de ses
compagnons avait arrosée.
A une vingtaine de kilomètres de la route en remontant la
1. Voy. A. Molinier, Géographie du Languedoc. M. Anglade, qui est
de Lézignan, veut bien m'écrire que Termes est visible de la route.
2. Ed. Castets, chap. xi.
3. Voyez E. Langlois, Table des noms propres, etc.
4. Cfumson de Guillaume, v. 2002. Cf. Aliscans, etc.
5. Identification proposée par M. Max Lipke dans sa dissertation sur
le Moniage Rainoart, p. 80.
196 JOSEPH BÉDIER.
vallée de l'Orbieu, s'élevait l'antique et riche abbaye de
La Grasse. C'est de là qu'est sorti, vers 1170 au plus tard ^ ce
singulier écrit, les Gesla Caroli Magni ad Carcassonam et
Narbonam"^, pendant du Pseudo-Turpin, où Charlemagne,
escorté des douze pairs, combat les Sarrasins de la région.
Averti par des signes prodigieux, il fonde une abbaye dans la
vallée de l'Orbieu : vallée si pauvre qu'elle s'était appelée jus-
que-là Vallis macra; enrichie de ses dons, elle mérita
depuis lors de s'appeler Vallis crassa, La Grasse. L'abbaye
nouvelle devient le quartier-général de Charlemagne, et le
pieux narrateur mêle, avec une verve d'invention bien méri-
dionale, des récits de miracles et des récits de chansons de
geste. Or, on y voit^ Aymeri de Narbonne faire donation à
l'abbaye de riches terres : m presentia Karoli dédit mo-
nasterio et abbati Borrianam que Jiodie Lizinianum voca-
iur, et ces mots, l'auteur les emprunte à un diplôme, daté
de 806, où Charlemagne donne au monastère de La Grasse
va'llem Borrianam quae tune Lizinianus aiW^Uata, in comi-
iaiu Narbonensi ' . D'autre part, plusieurs chansons de geste
connaissent une terre de Buriene^, possédée parles Sarra-
sins, et cette ien^e de Buriene est, dans le Covenant Vi-
vien'', la résidence du roi païen Borrel, illustre dans les
poèmes du cycle narbonnais. Dès le temps de Charlemagne,
Lézignan ne s'appelait plus dans l'usage que Lézignan. Si l'on
admet que la terre de Buriene est la vallis Borriana,
comme ce nom ne peut provenir que du document de 806 con-
servé à La Grasse ', on surprend ici des jongleurs en train de
se renseigner auprès des moines de La Grasse.
1. Voyez une curieuse étude de M. Israël Levi dans la Revue des études
juives, t. XL VI 11 (1904), p. 2U-24.
2. Ed. F. Ed. Schneegans, 1898 {Romanische Bibliothek, n" 15).
3. P. 198.
4. Voy. Ed. Scheneegans, Die Quellen des sogenaunten Pseudo-Philo-
mena, Strasbourg, 1891, p. 19.
5. Voyez Max Lipke, ouvr. cité, p. 61.
6. V. 182.
7. A moins qu'on ne suppose que des « cantilènes » du viii° siècle
l'aient transmis aux jongleurs du xw.
LÉGENDES DU CYCLE DE GUILLAUME D'ORANGE. 197
Si l'on rejette celte identification de Buriene a. Borriana',
il reste que les Gesta Caroli introduisent parmi les compa-
gnons de Charlemagne cinq des héros de la geste narbonnaise :
Aymeri de Narbonne, père de Guillaume, Ernaut de Beau-
lande, son grand-père, Girart de Viane, Renier de Losane,
Milon de Fouille, ses oncles-. La Grasse n'est pas sur la route
de nos pèlerins : mais Lézignan, dépendance du monastère de
La Grasse, était une de leurs étapes. Il reste que les moines
de La Grasse, pour glorifier leur sanctuaire, recourent aux
mêmes procédés que les moines de Saint-Guilhem et les moi-
nes de Lérins.
12. Martres- Tolosanes.
Je ne retrouve aucune de nos légendes à Carcassonne •'' ni a
Toulouse, et Martres-Tolosanes sera notre dernière étape.
Martres-Tolosane'', qui fut à l'époque romaine une ville
d'importance ^ et qui n'est plus qu'une bourgade, a pour
patron un saint, inconnu des grands calendriers, saint Vidian.
Chaque année, une fête villageoise commémore son martyre,
car on raconte qu'il fut tué là, au temps jadis, par les Sarra-
sins, sous un arbre, près d'une fontaine. Le bourg et son saint
seraient aujourd'hui sans gloire si, en 1885, M. Antoine ïho-
1. Proposée d'abord par M. H. Suchier, Les Narbonnais, t. I, p. lxxx.
Cf. Kempe, Die Ortsnamen des Philomena, p. 27. Entre autres doutes,
il convient de marquer que A. Duchesne, copiant l'acte de 806, hésite
entre les deux lectures Borianam et Boriacam (Bibl. nat., collection
Duchesne, t. 72, f° 91).
2. Ed. Schneegans, p. 150 et Table des noms propres.
3. Je rappelle en passant cette légende carolingienne : « Charlemagne
tint plus de sept ans, à ce qu'on dit, Carcassonne assiégée, sans pouvoir
la conquérir ni hiver, ni été. Les tours s'inclinèrent quand il s'en fut
allé, de façon qu'ensuite il la prit quand il fut retourné. Si la geste ne
ment, ce fut vérité, car autrement il ne l'aurait pas prise. » {Chanson
des Albigeois, édition et traduction P. Meyer, strophe XXIV).
•1. Arrondissement de Muret, canton de Gazères.
5. C'est la ville du monde (après Rome) où l'on a retrouvé le plus de
bustes romains. Voyez Léon Joulin, Les établissements gallo-romains
de la plaine de Martres-Tolosane (Comptes rendus de l'Académie des
Inscriptions, 189'J, pp. 596-601).
1Ô8 JOSEf>H BÉDIER.
mas n'avait assisté à cette fête patronale et n'y avait trouvé
l'occasion d'une savante et ingénieuse étude*.
Tous les ans donc, le dimanche de la Trinité, les jeunes
gens du bourg se costument les uns en Sarrasins : turban blanc
et rouge à ganses d'argent, plastron vert orné d'un croissant
rouge, ceinture de soie écarlate et pantalon bleu à bouffantes ;
les autres, les chevaliers chrétiens, portent la cuirasse et le
casque chargé d'une croix d'argent sur le timbre. Tous sont
armés de lances et chaque camp a son étendard : c'est, pour
les chrétiens, une bannière bleue ornée de l'image de saint
Vidian, pour les Maures un drapeau mi -parti de vert et
d'orangé avec des croissants argentés. Ils assistent tous à la
grand'messe, chrétiens et mécréants, fort dévotement, puis ils
escortent le clergé qui, chantant l'hymne de saint Vidian,
porte son buste en bois doré. La procession s'achemine vers la
fontaine miraculeuse où il mourut. « Pendant cette marche
solennelle, les bonnes âmes voient perler des gouttes de sueur
sur le buste doré du martyr. Parvenu sous les ombrages de la
source, le célébrant y lave l'image du chevalier en mémoire
de ses blessures, et les deux armées se déploient face à face
dans un champ dont on a loué la récolte pour l'année. Aussitôt
commencent des évolutions guerrières : les flammes rouges,
noires, blanches et bleues flottent au vent, les cuirasses etin-
cellent, les vestes orange, les turbans rouges resplendissent
dans la verdure, et les chevaux de ferme, affranchis pour un
jour de leurs serviles corvées, représentent du mieux qu'ils
peuvent les fines montures des infidèles et les destriers des
paladins... 2 »
Ce tournoi rustique, qui se termine, comme il sied, par la
capture du drapeau des Maures, est un souvenir, le dernier
sans doute qui survive dans les traditions populaires, de nos
héros narbonnais, car la légende de saint Vidian n'est autre
que celle de Vivien.
1. Mvie)i d'Aliscans et la Uhjende de sai?it VidicDi dans les Ktndes
romanes dédiées à G. Paris, ISyi, p. r^l-l;J'». (Cf. G. Paris dans la
Roma)iia, t, XXII, 18Sio, pp. 142-5.)
2. D'après une description de J\I. Ernest Koscliach {Foix et Commin-
ges, 18G.i), citée par M. A. Thomas.
LÉGENDES DU CYCLE DE GUILLAUME d'ORANGE. 199
Pour la résumer ea quelques mois, d'après l'office du saint,
le père de Vidian est prisonnier des Sarrasins dans une ville
de Galice, qui s'appelait jadis Lucerna (c'est la Luiserne
sor mer des chansons de geste) '. Pour sa rançon, les Sarra-
sins exigent qu'il leur livre Vidian. L'enfant est livré, mais il
n'est pas mis à mort; il est vendu à une marchande, qui
l'élève comme son fils adoptif. Venu à l'âge d'homme, il dé-
barque à Lucerna et la détruit. — Plus tard, les Sarrasins
ayant envahi le midi de la France, Vidian leur livre bataille
et les poursuit jusqu'à un endroit qui dicilur Al Campestres,
in epîscopaius qui dicilw hodie Convenarum " (et cet al
Campestres semble modelé sur Larchant ou les Archanz).
Mais, blessé, Vidian descend de cheval à Martres, près d'une
fontaine, pour étancher le sang qui coule de sa plaie. Il y est
immolé par les Sarrasins. Les pierres qui entourent cette fon-
taine sont encore rouges aujourd'hui, par un miracle de
Dieu.
On a reconnu les données de deux chansons de geste : les
Enfances Vivien et Aliscans.
L'important est de déterminer vers quelle époque on a extrait
de ces chansons de geste un office de saint. M. Antoine
Thomas n'avait trouvé la vie de saint Vidian racontée que
sous deux formes récentes : celle d'un récit édifiant dans
une plaquette datée de 1769 et sous la forme d'un office dans
un Propre des saints du diocèse de Rieux publié en 1764, et
il admettait, sans se l'expliquer, « que c'est sans doute aux
environs de 1764 qu'on a imaginé d'adapter au patron de
Martres-Tolosane, qui n'avait pour ainsi dire point d'his-
toire, l'histoire légendaire des exploits de Vivien, neveu de
Guillaume d'Orange ». Mais M. Louis Saltel^ a retrouvé de-
1. La version en prose des Enfances Vivien (éd. Wahlund, p. 271)
place, elle aussi, entre autres textes, Luiserne en Galice : « Le grant che-
min de saint Jacques chevauchent les granz ostz de France et tant vont
que il voient Luiserne a senestre main ».
2. Comminges.
3. Saint Vidian de Marlres-Tolosanes et la légende de Vivien dans
les chansons de geste dans le Bulletin de littérature ecclésiastique
publié par l'Institut catholique de Toulouse, Paris, lUOâ, pp. 37-56.
200 JOSEPH BÉDI12R.
puis, dans les portefeuilles des Bénédiclins conservés aujour-
d'hui à la Bibliothèque nationale, un texte plus ancien de
l'offlce de notre saint. Celte copie date de 1635. et M. Saltet
montre, par plusieurs remarques excellentes, que le manu-
scrit sur lequel elle a été pri^e devait remonter au xv« siècle.
L'original lui-même pouvait être d'une plus haute époque.
J'ajoute que cet office ne devait pas être le plus ancien : dans
la plaquette de 1769, la mère de Vidian est appelée Siace, et
c'est VUislace de la chanson de geste. Ce trait manque au
texte copié en 1635, et pourtant il va de soi qu'il devait se
trouver dans la forme primitive de l'office. D'autre part, une
charte mise en lumière par M. Ant. Thomas', et « qui doit être
des premières années du xii® siècle », montre que dès cette
époque on gardait dans l'église de Martres-Tolosanes, alors
sous le vocable de Notre-Dame, le corps de saint Vidian 2. Il
me semble donc probable que le Vivien épique a commence
d'être honoré à Martres dans le même temps où d'autres sanc-
tuaires se mirent à vénérer d'autres héros uarbonnais. Comme
sept villes se disputaient l'honneur d'avoir donné le jour à
Homère, deux églises, Saint-Honorat des Aliscamps et Notre-
Dame de Martres se seront disputé les reliques de Vivien.
Or, Martres-Tolosane se trouve en plein sur la voie ro-
maine qui suit la vallée de la Garonne^ et qui conduisait de
Toulouse vers Dax les pèlerins de Saint-Jacques.
CONCLUSION.
Je n'ai admis dans cette série que les rapprochements re-
cueillis à même la route, sans me permettre de m'écarter de
la voie suivie par les pèlerins, fîit-ce d'une lieue à gauche ou
1. P. 134.
2. La forme populaire de son nom est ici, comme à Arles, Vezian, Ve-
zian (cf. Thomas, pp. I80 et 131).
3. Voyez E. Desjardins et Aug. Loiignon, Oéognqjliie de la Gaule ro-
maine, t. IV, p. 07, et lu carte de l'état-major au ^-J^oô (Saint-Gaudens,
N.-E.).
LÉGENDES DU CYCLE DE GUILLAUME D'ORANGE. 201
à droite. Peut-être eût -il été légitime d'être moins rigoureux.
Certes, les pèlerins de Saint-Jacques avaient un trop long
voyage à faire pour se permettre d'autres détours que ceux
que le Guide prévoit. Mais certains n'allaient pas plus loin
que Notre-Dame-du-Puy, certains s'arrêtaient à Saint-Gilles.
D'autre part, si les pèlerins suivaient nécessairement la voie
!a plus courte, les jongleurs, qui les attendaient autour des
principaux sanctuaires, plus ou moins nomades, plus ou
moins acclimatés dans telle ou telle région, pouvaient « rayon-
ner », exploiter à l'occasion d'autres tronçons de routes. Par
exemple, on pourrait admettre que des jongleurs campés à
Narbonne auraient exploité la partie de la voie Domitienne
qui, partant de Narbonne, traverse les Pyrénées au col du
Pertiius, entre en Catalogne pour aller à Gérone et Barcelone.
On obtiendrait ainsi quelques rapports de plus entre nos poè-
mes et les voies romaines. On s'expliquerait mieux que l'un
des fils d'Aymeri de Narbonne soit appelé Ernaut do Gironde,
c'est-à-dire de Gérone, et que l'église de Gérone ait possédé un
office de saint Charlemagne fondé sur des chansons de geste
françaises.
Mais je veux m'en tenir à ce qui est assuré, au fait que, si
nous restons sur la grande route de Saint-Jacques et sur la
chaussée même, sans nous eu écarter jamais, nous y trouvons
localisées un nombre respectable de chansons d'un même cycle,
et que, dans trois grands sanctuaires au moins, les chanoines
de Saint-Julien de Brioude, les moines de Saint-Honorat des
Aliscamps, et ceux de Saint-Guilhem-du-Désert ont collaboré
avec les jongleurs pour exalter la gloire des héros narbonnais.
Je ne crois pas avoir forcé les faits que j'ai groupés. Ce qui
m'en donne la confiance, c'est que, pour la plupart, ils ont
été établis par d'autres que moi. Avant moi, M. P. Meyer a
remarqué que Garin d'Anseûne tire son nom d'une localité
voisine de Narbonne; avant moi, M. H. Suchier a identifié la
terre de Buriene avec Lézignan; avant moi, M. L. Saltet a
remarqué que Martres- Tolosanes se trouve sur l'une des
routes qui menaient à Saint-Jacques; avant moi, M. A. Jean-
roy et M. Ph.-A. Becker ont dit que certaines relations de
ANNALES DU MIDI. — XIX 14
202 JOSEPH BÉDIER.
nos poèmes avec Brioude et Gellone devaient provenir du pas-
sage par ces lieux d'un jongleur-pèlerin; avant moi, M. Fer-
dinand Lot a noté que la Tombe Isoré se trouve sur le chemin
de Saint- Jacques, etc.
Pour moi, je me suis borné à repérer sur la carte les indi-
cations géographiques fournies par nos chansons et remar-
quées par mes devanciers; et, a^'ant marqué ces points, à les
relier par une ligne continue : cette ligne continue s'est trou-
vée reproduire le système des voies de communication que le
Guide de Saint-Jacques de Galice appelle la via Tolosana.
Ayant tracé cette ligne, toute mon originalité (ou peut-être
toute ma chimère) se réduit à dire : ce qui a établi ces con-
cordances entre nos poèmes et cette voie de pèlerinage, ce
n'est pas l'accident, le simple hasard, ^qui aura mené par là
un ou deux, jongleurs vagabonds du nord de la France; ce ne
sont pas des récits de pèlerins isolés qui ont enrichi de quel-
ques épisodes accessoires, de quelques motifs d'ornement des
épopées qui s'étaient formées ailleurs et autrement; ces rela-
tions sont plus intimes et plus profondes.
Sans doute, on peut trouver trop restreint le nombre des
rapprochements que j'ai proposés entre nos légendes et cette
voie de pèlerinage. Mais il ne faut pas oublier que les chansons
du cycle narbonnais, en l'état où nous les avons, sont des
remaniements de romans déjà remaniés ; qu'elles ont beau-
coup erré à travers les provinces de la France, en Picardie,
en Champagne, voire en Angleterre, bien loin des routes de
Saint-Jacques ; que Guillaume d'Orange a été célébré dans
tous les châteaux et dans toutes les foires :
Tel cent en chantent par les amples régnez* !
il ne faut pas oublier que ces chansons ont été appropriées
aux publics les plus divers, et que, par suite, les traces de
leur destination primitive ne peuvent subsister dans ces re-
1. Moniage GiiUlaitme, cite par C. Ilofniaiin, Ucber ein Fragment
des Guillaume d'Orange, p. 50.
LÉGENDES DU CYCLE DE GUILLAUME d'ORANGE. 203
nouvellements qu'à l'état de survivances presque incompri-
ses. Par exemple, si quelque chose est certain, c'est que le
sanctuaire de Saint-Julien de Brioude a contribué à la propa-
gation de nos légendes, à telles enseignes que saint Guillaume
de Gellone est entré dans le martyrologe de cette église; pour-
tant, chez les remanieurs, qui avaient perdu tout contact avec
la voie Regordane, Brioude n'est-il pas devenu un port de
mer, où aborde une flotte sarrasine? Le nom vénérable
d'Aniane n'a-t-il pas failli disparaître tout à fait de nos poè-
mes rajeunis, altéré qu'il fut de maintes façons, jusqu'à devenir
Gênes-sur- mer? Par ces indices, on peut juger combien de rap-
ports anciens entre la via Tolosana et nos chansons de geste
ont pu être effacés d'un trait de plume par des remanieurs qui
n'en comprenaient plus l'intérêt. Ce qui doit surprendre, en
vérité, ce n'est pas dans ces renouvellements la rareté des
souvenirs de la via Tolosana, c'en est plutôt la fréquence.
Tels qu'ils sont, ces rapprochements dissolvent, semble-t-il,
plus d'un mystère. Jusqu'ici, comment pouvait-on expliquer
que deux de nos chansons de geste fussent exploitées dans
une bourgade de l'arrondissement de Muret, à Martres-
Tolosanes? et que d'autres fussent localisées en Auvergne,
à Brioude? Pour Brioude, on en proposait une explication
hypothétique; pour Martres -Tolosanes, on ne l'expliquait
pas; c'était l'inexplicable. Pour nous, il nous suffit de remar-
quer que cette bourgade et cette ville sont situées sur un
même ruban de route, et que cette route, entre Brioude et
Martres, les chansons de geste du cycle narbonnais la jalon-
nent comme des bornes milliaires.
Cette route, des troupes considérables de pèlerins la battaient
au xi« et au xii^ siècles : c'est l'époque des premières croisades,
et ils sont remplis de l'esprit de ces temps aventureux. Dans
toutes les villes du Midi qu'ils traversent, on leur montre des
ruines faites, leur dit-on, par les Sarrasins. La terre d'Espa-
gne vers laquelle ils s'acheminent est encore en grande partie
occupée par les Musulmans. Sur leur route se dresse un sanc-
tuaire, Gellone, où repose le corps de Guillaume, jadis ennemi
glorieux de ces Musulmans. Ne serait-ce pas là, de l'excitation
204 JOSEPH BÉDIER.
religieuse et guerrière de ces pèlerins, de l'esprit des croisa-
des, des offices liturgiques où l'on célébrait la gloire du saint
athlète de Dieu, des prières sur son tombeau, que serait née
la légende de Guillaume? Ces fictions embryonnaires, les moi-
nes de diverses églises intéressées à retenir les pèlerins et à
les édifier, les jongleurs nomades sûrs de trouver aux abords
de ces églises le public forain et souvent renouvelé qui les
faisait vivre, les ont développées.
Entre les faits dont cette explication rendrait compte, on
peut signaler en passant ceux que Fauriel avait jadis recueil-
lis et qui ont soutenu un temps sa théorie de l'origine proven-
çale de l'épopée. Cette théorie est à peu près abandonnée de
tous aujourd'hui, et à bon droit; pourtant, quand on a accu-
mulé contre elle les arguments qui la dissolvent^ il subsiste
en sa faveur un résidu de faits. Par exemple, s'il n'a jamais
existé une épopée provençale, pourquoi les paysages des chan-
sons de geste françaises sont-ils parsemés d'oliviers? Ce n'est
qu'une formule épique, sans doute, et nos chansons font croî-
tre des oliviers à Laon et à Paris; mais d'où vient cette for-
mule, s'il n'a jamais existé d'épopée provençale ? et encore,
d'où viennent ces formes provençales, Naimeri. Naimer.
Vivian? et, si l'épopée provençale est un mythe d'érudits,
pourquoi l'épopée française s'est-elle passionnée pour le sort
de villes méridionales, de la Provence, de la Septimanie et du
Languedoc? Noire explication répond à ces questions, sans
que j'aie même besoin d'exprimer la .réponse qu'elle leur fait.
Cette explication ne peut prendre corps, je le sais, qu'à une
condition : c'est qu'il soit établi, comme l'a excellemment sou-
tenu M. Ph.-Aug. Becker contre tous ses devanciers, que nous
n'avons nulle raison de croire à l'existence de « cantilènes »
ou de « récits épiques », directement issus des événements, et
qui auraient célébré Guillaume de Toulouse au viii" ou au
ix« siècle, de son vivant même ou à une époque voisine de sa
mort. Il convient, en outre, de montrer que la figure du Guil-
laume épique ne se compose pas de traits empruntés à douze
personnages historiques du nom de Guillaume, ni à cinq, ni à
deux, mais au seul Guillaume de Toulouse et de Gellone. C'est
LÉGENDES DU CYCLE DE GUILLAUME d'ORANGE. 205
cette double thèse que je m'efforcerai bientôt de sou tenir ^
D'autre part, il y a, semble-t-il, un moyen siir de vérifier si
rétude qui précède a quelque portée, ou si ces concordances
entre certaines légendes de l'épopée carolingienne et une cer-
taine voie de pèlerinage ne sont que des faits curieux, mais
fortuits et négligeables. Fortuits et négligeables, ils resteront
confinés sur cette route, seuls de leur ordre. Mais d'autres
routes conduisaient au moyen âge d'autres pèlerins vers d'au-
tres sanctuaires : vers Aix-la-Chapelle, Cologne et Dortmund ;
vers Saint-Jacques de Galice par Blaye, Bordeaux et Ronce-
vaux; — vers Saint-Pierre de Rome et les ports d'embarque-
ment pour le Saint-Sépulcre; — des fêtes religieuses et des
foires attiraient des pèlerins et des marchands vers les ab-
bayes de Vézelay, de Saint-Denis, de Meaux, de Saint-Riquler,
de Fécamp, etc. Il faudra regarder sur ces routes, aux abords
de ces monastères.
Joseph DÉDIER.
1. Ea un voUime sur la légende de Guillaume d'Orange que publiera
ette année même la librairie Honoré Champion.
JjTJS
CONVULSIONNAIRES DE PIGNANS'
Pigaans, aujourd'hui village du Var, sans importance, a eu
son temps de célébrité au xyiii» siècle. Centre du jansénisme
en Provence, cette modeste localité fut pendant plusieurs
années un sujet d'inquiétude pour l'Église et pour- le gouver-
nement d'alors. Son nom se trouve souvent cité dans la cor-
respondance de gouverneurs, d'intendants, de magistrats et
d'évêques; les ministres eux-mêmes s'en émeuvent; le car-
dinal de Fleury écrit plusieurs lettres sur les affaires reli-
gieuses de Pignans,
En 1736, un événement extraordinaire vint attirer l'atten-
tion de tous sur la petite ville hérétique. Plusieurs mémoires
de témoins oculaires racontent avec abondance de détails le
fait dont voici le récit exact.
Le 16 aoiÀt 1736, — un rapport donne à tort la date du
16 septembre, — à huit heures du soir, arrivent deux gen-
tilshommes dans une chaise de poste à deux roues, dont le
caisson porte par derrière des armes à deux trèfles d'or sup-
portés par des perroquets et que surmonte une couronne de
comte. Un autre gentilhomme et deux valets accompagnent
la voiture à cheval.
1. J3'après un dossier des Archives des Bouches-du-Rhônc, série C
(Intendance de Provence), n» 2296.
Nous devons des remerciements au savant archiviste départemental
adjoint des Bouches-du-Rhône, M. J. Fournier, qui a signalé à notre
attention cet intéressant dossier.
LES CONVULSIONNAIRES DE PIGNANS. 207
Uq assez grand nombre de Pignanais et de gens des locali-
tés voisines escortent ces étrangers avec beaucoup d'empres-
sement et de respect. La plupart sont allés à leur rencontre à
quelques kilomètres. Certains les suivent depuis Cuers, Bri-
gnoles et même Toulon. La population est d'autant plus
intriguée par l'arrivée de ces nouveaux venus qu'un plus
grand mystère les entoure. A peine entrés dans la ville, ils
s'enferment dans la maison d'un sieur Boyer, dont portes et
fenêtres restent closes. Seul l'hôte du logis Lecoq, le père
Lanton, y pénètre, chargé de mets succulents.
La curiosité mise en éveil trouve un aliment, dès le lende-
main, dans les bruits que colportent les voisins de l'habita-
tion suspecte.
Des assemblées religieuses, disent-ils, se tienneat plusieurs
f(\is par jour chez les Boyer, et on y pousse, par intervalle,
des cris sauvages dont ils sont épouvantés.
M. du Puget de La Rivière, en magistrat avisé, fait une
enquête personnelle dont il communique aussitôt les résultats
au premier intendant, M. de La Tour : « Le 20 courant,
écrit-il, on vint me dire sur les deux heures de l'après-midi
que l'assemblée était convoquée et qu'on allait y faire les
mêmes prédications et cérémonies que les jours précédents.
Voici ce que j'entendis Sv^ passer dans la salle basse de la
maison Boyer qui donne sur le jardin et dont toutes les issues
étaient hermétiquement closes. J'ouïs faire la lecture de
l'Ecriture sainte par versets et fort posément. Puis après, ce
furent des hurlements et des cris effroyables, tels que ceux de
quelqu'un qu'on assassine.
Le même homme qui poussait ces beuglements criait par
intervalles à gorge déployée, d'un ton lugubre : « Frappez,
frappez, grand Dieu, venez, la mesure est pleine, allons, sor-
tons. » Ces mots étaient accompagnés de tant de soupirs, de
gémissements et de grincements de dents que de ma vie je
n'ai rien entendu de semblable.
La lecture recommença, suivie bientôt d'un grand silence
qu'interrompit un bruit pareil à celui que ferait la chute d'un
homme en tombant sur le plancher de 4 à 5 pieds de hauteur.
208 G. ARNAUD D'AGNEL.
Puis, nouvelle reprise de la lecture et nouvelle vocifération.
La voix devenait si aiguë, si déchirante, qu'il était impossible
de ne pas y voir la manifestation d'une douleur réelle. »
M. du Puget de La Rivière attendait, anxieux, le dénoue-
ment d'une scène si curieuse, quaud il fut surpris à son poste
d'observation par l'un des sectateurs les plus ardents, le sieur
Brun. Les membres de la réunion, aussitôt avertis, placèrent
près de la cachette où le magistrat se tenait blotti une femme
qui fit un tel vacarme, en battant des pierres dans un mor-
tier, qu'il ne put plus rien entendre.
Du 17 au 22 août des scènes semblables à celle qui vient
d'être décrite se renouvellent au moins deux ou trois fois par
jour. Elles duraient en moyenne deux heures et avaient lieu
le plus souvent l'après-midi, de deux à huit heures, et le soir,
de huit à dix heures.
Non contents de ces excentricités à huis clos, les mysté-
rieux étrangers se livrèrent en public à toutes sortes d'extra-
vagances. Ils sortaient en courant, les yeux hagards, à tra-
vers la campagne et en se tenant plusieurs par la main :
c'étaient de démoniaques farandoles! Ces énergumènes arrê-
taient les passants pour leur reprocher durement l'immoralité
de leur conduite. Ils les menaçaient de la colère du ciel. Plus
les gens étaient timides et naïfs, plus ils étaient jugés sévè-
rement et impitoyablement condamnés.
D'autres fois, on vit ces mêmes personnages et leur cor-
tège d'admirateurs se rendre d'une allure désordonnée dans
un lieu désert, rocailleux et couvert de buissons, où le chef de
la bande se roula furieusement sur les ronces et les pierres en
criant à tue tête : « C'est ainsi, Seigneur, que vous ferez
marcher mes enfants au milieu des épines et à travers les
glaives de leurs ennemis! »
Un matin, ces forcenés et leur suite habituelle firent sou-
dainement irruption dans le couvent des Observantins. Après
avoir dilïamé les religieuses avec véhémence dans les cou-
loirs du monastère, ils continuèrent leurs discours échevelés
jusque dans la chapelle. L'un d'eux s'assit dans un confession-
nal, et déclama longuement contre les confesseurs et les abus
LES CONVULSIONNAIRES DE PIGNANS. 209
(lu sacrement de pénitence. Etant ensuite monté sur l'autel,
il condamna hautement l'usage indigne et criminel que les
prêtres et les fidèles font de l'eucharistie.
Ces actes de fanatisme causèrent dans le pays une frayeur
superstitieuse. Les cerveaux s'échauffèrent, et ce furent, dans
ce milieu méridional, des discussions sans fin. La police put
craindre des échauff"ourées sanglantes.
Pour éteindre ce foyer d'infection, cet incendie de pesti-
lence, selon les termes du temps, la magistrature, alarmée,
jeta en prison les principaux fauteurs du désordre. Malheu-
reusement, quand ces mesures furent prises, les étrangers
avaient disparu, et malgré les perquisitions et les démarches,
il fut impossible de les retrouver.
Les seuls renseignements obtenus furent leur passage à Bel-
gencier et à Saint-Maximin, et leur visite probable à la
Sainte-Baume.
Tel est dans ses grandes lignes et dans ses détails caracté-
ristiques le point de départ de la fameuse affaire des convul-
sionnaires de Pignans.
Cette affaire doit être étudiée dans son origine et ses con-
séquences pour qu'on puisse en saisir la signification et la
portée.
Diverses questions se posent d'elles-mêmes au sujet de ces
gentilshommes mystérieux : leur nom, leur qualité, le but de
leur séjour en Provence, la préparation de leur voyage... Les
réponses, on les trouve dans le volumineux dossier de cette
affaire conservé aux archives départementales des Bouches-
du-Rhône.
En étudiant cette paperasse judiciaire, on constate de quelle
patience et de quelle habileté les juges firent preuve au cours
d'une instruction si laborieuse. Que d'interrogatoires furent
nécessaires pour amener les inculpés à sortir de leur silence
obstiné! La genèse de l'affaire est dans les agissements de
messire Boyer, du chapitre de Pignans.
Ce prêtre, convaincu de jansénisme, avait été enfermé à
Vincennes. A peine sorti de prison, il se lança de nouveau,
avec plus d'ardeur encore, dans les querelles religieuses qui
210 G. ARNAUD D'AGNEL.
passionnaient son époque. C'était le moment où la renommée
de Vaillant était portée à son comble par l'emprisonnement
de ce fou à la Bastille.
En rapports étroits avec les sectateurs de ce prophète ima-
ginaire, le chanoine Boyer conçut le dessein de le faire con-
naître dans son pays natal, où le jansénisme comptait de
chauds défenseurs.
Quelques disciples de Vaillant, célèbres par leur esprit de
prosélytisme, furent invités à faire une tournée en Provence :
ils tireraient les disciples endormis de leur engourdissement
et feraient de nouvelles recrues. Ces missionnaires d'un nou-
veau genre devaient faire à Pignans , dans la maison de
Boyer, un séjour plus ou moins long, suivant les circons-
tances. On tiendrait dans cet asile sûr des réunions fréquentes,
où seraient convoqués les principaux jansénistes de la
région.
Plusieurs prêtres influents et des laïques entrèrent dans le
complot : le chanoine Garnier, de Brignoles, l'abbé d'Arnaud,
d'Aix, le sieur Masseilhon, riche magasinier de Toulon-sur-
Mer, pour ne citer que les plus connus.
On se souvient de l'arrivée des convulsionnaires à Pignans,
de rémotion qu'ils y causèrent et de leurs excentricités.
Il est intéressant de donner sur ces personnages le plus de
renseignements possibles.
Questionné judiciairement à leur sujet, le sieur Masseilhon
répète toujours les mêmes affirmations : l'un des voyageurs
est le sieur de l'Epine, âgé de vingt-cinq ans, connu dans la
secte sous le surnom de frère Amable. Il s'habille de drap
rouge des pieds à la tête. Prophète inspiré de l'Esprit-Saint,
il lit les divines Ecritures et les commente. C'est au cours de
ses convulsions surnaturelles qu'il rend des oracles. Un autre
s'appelle Legrand ; le troisième est M. de Moutfort. Ils ont
avec eux un enfant de huit à dix ans du nom de Benjamin.
Le sieur de Boyer, interroge à son tour, rectifia ces alléga-
tions mensongères et incomplètes. Le soi-disant sieur de
L'Epine n'est autre, avôua-t-il, que Golignon, avocat au Con-
seil du roi et intendant des affaires du cardinal de Polignac.
LES CONVULSIONNAIRES DE PIQNANS. 211
Ce gentilhomme a dépensé 30,000 francs en faveur de l'œuvre
des vaillantistfts. Sa femme est la sœur Manon, une des prin-
cipales convulsionnaires de la secte. Le prétendu Legrand
s'appelle en réalité Baron. C'est le neveu d'un procureur de
Paris de même nom qui a été miraculeusement guéri de la
lèpre par l'intercession d'Élie en la personne de Vaillant. Il
est marié à la sœur Martine, autre fameuse convulsion-
naire.
Quant à l'enfant, il est fréquemment agité de convulsions
muettes. Les deux valets vêtus de brun, à grands chapeaux
garnis d'argent, ne sont domestiques qu'en apparence. Ils
mangent à la même table que leurs maîtres et leur parlent en
toute liberté.
Le bon chanoine Boyer précise le rôle des convulsionnaires
et fournit quelques indications supplémentaires sur leur
séjour à Pignans.
Aussi W de Belsunce se déclare satisfait dans une lettre
qu'il adresse à M. de La Tour :j
A Marseille, le 10 avril 1737.
En exécution de vos ordres, j'envoyais hier un de mes grands-
vicaires au fort Saint- Jean visiter M. Boyer. Après cinq heures
d'instructions, de petites disputes et de conversations, le prison-
nier reconnut qu'il était en tout dans l'illusion. Il fit et signa et,
à ce qui paraît, par conviction, la plus ample profession de foi
Il le lit de la meilleure grâce du monde, sans se plaindre en au-
cune façon de sa détention et sans faire la moindre mention de
sa liberté.
Ce soir, le même grand-vicaire ira voir M. Masseilhon à la
citadelle de Saint-Nicolas. Je souhaite qu'il y trouve autant de
docilité et de satisfaction. J'ai cru, Monsieur, qu'il convenait de
garder à mon greffe l'original de la profession de foi de
M. Boyer, afin qu'elle existe en lieu sûr et puisse, en cas d'exa-
men, fermer la bouche à nos calomniateurs; j'ai cru que vous le
trouveriez bon et qu'une copie en bonne forme, que j'ai l'hon-
neur de vous envoyer, suffirait pour vous prouver la conversion
entière de cet homme qui avait été si indignement séduit.
Si vous en pensez autrement et que vous vouliez avoir l'origi-
212 G. ARNAUD D'aGNEL.
nal de cette espèce d'abjuration, j'aurai l'iionneur de vous l'en-
voyer sur-le-champ.
J'ai l'honneur, etc.
P. S. — M. Boyer prépare à présent sa confession.
L'illustre évêque est, par contre, très mécontent de l'igno-
rance volontaire de M. Masseilhon. Le 19 janvier, il s'en
était plaint à M. de La Tour :
Marseille, le 19 janvier 1737.
M. Billon vous aura rendu compte, Monsieur, de ce qui regarde
la déclaration que M. Masseilhon offre de donner. Un de mes
grands-vicaires que je lui ai envoyé et qui a demeuré avec lui
près de trois heures de suite, l'a trouvé dans le plus déplorable
entêtement. 11 est dans toutes les erreurs du temps, il rejette la
constitution, il divinise les convulsions et les miracles de Paris.
Tout ce qu'il offre de déclarer, c'est qu'il a cru que Vaillant
était le prophète Élie et qu'il reconnaît à présent qu'il s'est
trompé en ce point, ce qu'il n'avoua jamais sur les autres arti-
cles essentiels.
Le moyen de se contenter d'une telle déclaration? Ce serait
autoriser une révolte contre l'Eglise qui intéresse l'État comme
la Religion.
Il paraît que ces prisonniers ont des relations secrètes et que
le parti les exhorte à abandonner Vaillant, mais à tenir ferme
sur tout le reste.
Il a ses desseins et on ne peut trop se précautionner contre
ses artifices.
J'ai l'honneur, etc.
Le 24 avril suivant rien n'est changé dans la conduite du
prisonnier, et le prélat renouvelle ses plaintes à l'Intendant.
Marseille, le 24 avril 1737.
Le sieur Masseilhon avait demandé le curé de Saint-Ferréol et
je le lui avais envoyé avec joie, mais mes espérances ont été
nulles et les efforts du curé inutiles. Il a trouvé le prisonnier
aussi entêté que jamais et m'a rapporté que c'est un véritable
fou qui ne raisonne point.
LES CONVULSIONNAIRES DE PIGNANS. 213
Il croit faire beaucoup que de reconnaître que Vaillant n'est
point Elle et que le monde n'a pas fini dans le mois passé ainsi
qu'il l'avait prédit. II en demeure là, et je crois que, demeurant
ainsi encore quelque temps dans l'endroit où il est, il pourra de-
venir plus sage.
Pour M. Boyer, il donne tout lieu de regarder comme très sin-
cère sa conversion, qui consterne sa propre famille, ainsi qu'on
me le mande de Pignans.
J'ai l'honneur d'être...
Le 26 février, l'infortuné M. Masseilhon avait cependant
adressé à M^r de Belsunce une requête conçue en termes d'une
naïveté amusante: « Les visions auxquelles je m'étais livré sur
la venue d'Élie et sur les miracles annoncés «par les convul-
sionnaires comme fondement de leur mission méritaient plu-
tôt les petites maisons, et je remercie votre bonté paternelle
de m'avoir mis en la prison honeste où je suis détenu. »
Parmi les détails fournis par le chanoine Boyer, certains ne
manquent pas de saveur.
Le 22 aoijt, le Frère Amable, en proie à une violente con-
vulsion, se rendit chez le curé de Pignans. Il lui reprocha le
peu de soin qu'il prenait de ses ouailles. Le prophète lui dit
qu'il avait déjà fait des miracles de punition, mais qu'il en
ferait encore à son égard.
Deux incidents curieux semblent témoigner d'une intrigue
romanesque dont la sœur cadette du chanoine, jeune fille de
dix-huit ans, fut le sujet, sinon la victime. Le convulsion-
naire prédit à plusieurs reprises que Dieu réservait à cette en-
fant privilégiée une grâce de choix; qu'elle était appelée à
Paris et que ses yeux éblouis auraient le bonheur sans égal
d'y voir le Pacifique dans sa prison. En termes clairs et pré-
cis, M"« Boyer devait quitter la Provence avec lui et gagner
la capitale pour y être présentée à Vaillant.
Ce projet ne dut pas sourire à cette jeune et jolie personne,
puisque le Frère Amable se répand contre elle en invectives
amères, 11 la poursuit de ses menaces et passe même des pa-
roles aux gestes. Au cours d'une assemblée religieuse, il lui
arrache des mains un éventail qu'il brandit furieusement, en
214 G. ARNAUD D'AGNEL.
courant autour d'une table; puis, le fanatique le lui jette tout
à coup en pleine poitrine, à l'estomac, comme on disait alors,
en criant : «Frappez, Seigneur, frappez ce cœur endurci qui
n'a pas encore pensé à vous. »
Peut-être ne serait-il pas très édifiant de rechercher le
sens exact donné à cette apostrophe par M. de Colignon.
Ce jeune homme, d'une vertu plus que douteuse, se consola
de son échec en emportant, sans doute à titre de souvenirs de
l'objet de son zèle, deux robes en satin et en toile de Flandre
brodée, ainsi que de superbes coiffes en dentelles.
Il est juste de dire que, par délicatesse ou pour tout autre
motif, le convulsionnaire prit les vêtements sans les deman-
der. La sœur du chanoine ne s'aperçut de la disparition de
son vestiaire qu'après le départ des hôtes paternels. L'enlève-
ment possible de sa personne la préoccupait-il au point de la
rendre insouciante de ses robes et de ses parures?
Le prisonnier du fort Saint-Jean fait aussi d'intéressantes
révélations sur les Vaillantistes, leurs œuvres, leur doctrine.
Ces sectaires vivent en commun dans différents quartiers
de Paris. Ils sont au nombre de plus de huit cents. Le Frère
Amable possède une maison où il loge et nourrit quinze per-
sonnes, hommes et femmes.
Tous regardent Vaillant comme le prophète Élie, d'où leur
nom d'Éliséens. Ils prêchent la conversion prochaine des Juifs
à la foi véritable et la condamnation des Gentils, c'est-à-dire
des catholiques qui se refusent à reconnaître Vaillant et le
persécutent dans ses adeptes. Ce prophète est détenu à la Bas-
tille, et le concierge de cette prison lui obéit en tout, sans
espoir de récompense et même contre son intérêt. Les prédé-
cesseurs du concierge actuel ont aussi fait preuve de docilité
aveugle envers ce saint personnage.
Quant aux convulsionnaires de Pignans, s'ils sont venus
faire du prosélytisme en Provence, c'est par la volonté de
leur chef, sur son ordre exprès.
Ils s'étaient rendus à Metz et avaient donné aux nombreux
juifs de cette ville de grandes sommes d'argent et des vestes
en drap d'or. Ce dernier présent était une protestation contre
LES CONVULSIONN AIRES DE PIGNANS. 215
le vêtement ignominieux dont les Israélites étaient souvent
affublés au moyen âge. C'était aussi un souvenir du mant eau
qu'abandonna le prophète Élie entre les mains de son disciple
Elisée, lors de son ascension dans les airs sur un char de feu.
Les sectateurs de Vaillant se rattachaient étroitement aux
jansénistes. Comme eux, ils condamnaient la réception fré-
quente des sacrements de pénitence et d'eucharistie, la mo
raie facile des Jésuites, leur casuistique pernicieuse.
En dehors des convulsions, ils aff"ectaient en public une
attitude austère, une conduite irréprochable. Leur démarche
était lente et leurs regards baissés; la vue d'une femme leur
faisait peur.
Cette modestie exagérée, loin de nuire à leur cause, la ser-
vait merveilleusement. Beaucoup de dévotes se laissaient
prendre à cet extérieur si religieux. Une fois convaincues de
la sainteté des convulsionnaires, ces femmes considéraient
comme inspirées de Dieu leurs extravagances les plus ridi-
cules et même leur dévergondage de paroles et de gestes.
D'ailleurs les vaillantistes, en gagnant des prêtres à leur
parti, trouvaient en eux de puissants auxiliaires : un direc-
teur de conscience en renom entraînait toujours dans son
erreur plusieurs de ses pénitentes.
Ainsi, parmi les assidus aux assemblées de Pignans se trou-
vent la sœur Tronq, de l'hôpital, la veuve de l'apothicaire
Pellegrin, deux vieilles filles, les demoiselles Martine, coutu-
rières. Toutes s'en étaient remises au chanoine Boyer du soin
de leur âme et partageaient sa folie.
L'influence des convulsionnaires en Provence fut-elle éten-
due et profonde? Des lettres de M. de Puget de La Rivière se-
raient de nature à le faire croire. Dans un mémoire du
17 septembre 1736, adressé à M. Billon, il écrit : « Pignans,
lieu des plus considérables de la Basse-Provence, a le malheur
d'être gouverné depuis plus de vingt ans par une cabale de
gens qui masquent leur nom de jansénistes sous celui de dé-
vots. On prêche publiquement les propositions condamnées,
on lit les livres du parti. Il n'est question que des miracles du
prétendu saint Paris; on donne asile aux prêtres chassés des
216 G. ARNALD D'AGNEL.
autres diocèses. Enfin, des assemblées s'y tiennent où rien
n'est respecté, ni qualité, ni mérite, ni dignité. L'on suit les
traces des premiers calvinistes et Ton ose soutenir que Pi-
gnans est dans le parti janséniste ce que la ville de Genève
est dans celui de Calvin. »
Le magistrat, après avoir raconté en détail l'arrivée des
convulsiounaires dans la ville et les principaux événements
de leur séjour, conclut ainsi son rapport : « Ici, tout le monde
crie au miracle. Personne ne peut se persuader qu'un exté-
rieur réformé, des habits simples, la vue baissée, des règles
sévères, comme de fuir les dames et les plaisirs, d'aimer la
retraite, la prière et les afflictions corporelles, personne,
dis-je, ne peut croire que tout cela ne puisse servir à ces no-
vateurs qu'à se tromper eux-mêmes et à tromper les autres »
Le môme magistrat sollicite l'emprisonnement de nom-
breuses personnalités du pays plus ou moins mêlées à l'aiïaire
des convulsiounaires. Ces arrestations, aflîrme-t-ii, sont indis-
pensables pour rétablir l'ordre. A l'entendre, jamais péril
plus sérieux pour la sécurité de l'Église et de l'État.
A lire les divers écrits de M. du Piiget de La Rivière, on se
rend tout de suite compte de son parti pris de grossir l'af-
faire, afin de se donner un plus beau rôle. Il profite aussi de
cette excellente occasion pour satisfaire ses petites rancunes,
en faisant incarcérer ses ennemis personnels.
Par malheur, M""" de Belsunce entrait de bonne foi dans ses
vues, tant ce prélat redoutait d'être suspect de jansénisme.
L'inculpation d'hérésie était alors l'expédient en usage pour
se débarrasser de ses rivaux. Celte crainte très naturelle,
révêque l'exprime dans une de ses lettres à M. de La Tour,
celle du 10 avril 1737 : « J'ai cru, Monsieur, qu'il convenait
de garder à mon grefïé l'original de la profession de foi du
sieur Boyer, afin qu'elle existe en lieu sûr et puisse, en cas
d'examen, fermer la bouche à mes calomniateurs. »
Le chanoine Garnier écrit de sa prison au cardinal de Fleury
pour se plaindre des calomnies du sieur de Pugetde La Rivière.
qui joue le triple personnage de délateur, déjuge et de témoin.
Le i)Ouvoir civil et l'autorité ecclésiastique adoptèrent
LES CONVULSIONNAIRES DE PIGNAN8. 217
d'abord les exagérations pessimistes de leur correspondant.
Le chancelier d'Aguesseau, saisi du procès, pensa un instant
établir une commission extraordinaire afin de l'instruire,
mais il y renonça sur le conseil du cardinal de Fleury.
Les inculpés dans l'affaire de Pignans furent durement
traités. L'un d'eux en gémit : « Je suis enfermé malade dans
une prison depuis quatre mois et je suis privé de toutes sortes
de consolations, même de celles qui ne se refusent pas aux
plus grands criminels. Je n'ai pas la liberté d'entendre la
messe et de participer aux saints mystères. »
L'honnête M. Masseilhon, malgré son entière bonne foi, ne
peut pas obtenir grâce. En dépit des instances de sa famille,
on ne trouve d'autre remède que la prison à la folie dont ses
juges eux-mêmes le reconnaissent atteint.
M. du Puget de La Rivière manqua, s'il faut l'en croire,
de payer de sa vie son zèle ambitieux. Il écrit, le 3 novem-
bre 1736 : « Je ne saurais vous dépeindre tous les mouvements
de sédition qui eurent lieu après le départ de M. Fanton. On
criait publiquement par pelotons devant ma porte qu'il fallait
briller ma maison et se défaire de ma personne à coups de
fusil, parce que j'ai fait enlever tous les saints personnages
qui faisaient le bonheur de ce pays. »
Le 11 octobre, le même magistrat avait dépeint les convul-
sionnaires comme ennemis du pouvoir royal. « Ces fanatiques
ont été un peu ébranlés, mais ils ne sont pas abattus. J'ose
vous assurer avec fondement qu'ils se seraient révoltés s'ils
eussent été assez puissants pour se défendre ; ils suivent pas à
pas les premiers calvinistes et traitent le prince et ses minis-
tres de persécuteurs.
« Ils menacent publiquement ceux qui ont assez de har-
diesse pour vous donner des avis. »
Malgré cette correspondance alarmante, le fameux Frère
Amable et ses étranges compagnons ne causèrent dans le
pays qu'un trouble passager.
Le subdélégué de l'intendance à Cotignac, M. Pothonier, et
plusieurs de ses collègues de Provence, ne croient pas qu'ils
aient fait beaucoup de prosélytes.
ANNALES DU MIDI. — XIX 15
218 G. ARNAUD d'AGNEL.
Si le vaillanlisme n'eut guère, à Figûaas, qu'un succès de
curiosité, il n'en fut pas de même du jansénisme.
A ce point de vue, les attestations de M. du Puget de La Ri-
vière sont exactes. La petite ville du Var est bien le centre
provençal de la nouvelle hérésie. Les chefs du parti s'y trou-
vent; la plupart appartiennent au chapitre de son église. Par
mesure de prudence et pour donner à leur secte un renom de
piété, ils se sont rendus maîlres de la chapelle de Notre-Dame-
des-Anges et de ses dépendances. Après en avoir expulsé les
prêtres desservants, ils y ont installé à demeure deux de
leurs adeptes les plus sûrs, un ermite et un vieux garçon. Ce
dernier sonne la cloche et, sentinelle attentive, annonce l'ap-
proche de tout cavalier.
Les jansénistes ne pouvaient pas choisir d'endroit plus favo-
rable à leurs réunions secrètes que ce lieu de pèlerinage bâti
en plein désert, sur une haute colline, à une lieue dePignans.
Cachés dans cette solitude, ils y faisaient de longues retraites.
L'assemblée tenue au commencement d'octobre 1736 dura
sept jours. Chacun y avait apporté des provisions de bouche.
M. du Puget de La Rivière incrimine le sieur Audibert pour y
avoir porté quatre pigeons et une douzaine de becfigues.
Une preuve de l'importance du mouvement janséniste à
Pignans est la mission qu'y fit prêcher l'évêque de Fréjus sur
le désir exprimé par le cardinal de Fleury. Ce prince de
l'Église avait écrit à M. de La Tour qu'il fallait organiser une
mission et jeter les yeux sur des gens sages et capables d'effa-
cer de l'esprit des habitants, et surtout de leurs cœurs, l'im-
pression funeste que laisse toujours la nouveauté de la doc-
trine et le merveilleux des prodiges.
Les missionnaires furent choisis parmi les plus édifiants et
les plus terribles. L'illustre Bridaine y prêcha avec sa fougue
habituelle. Malgré leur zèle apostolique et leur éloquence, ces
missionnaires ne parvinrent pas, semble-t-il, à vaincre l'en-
têtement de leurs auditeurs.
Dans une lettre du 14 juin 1737, le sieur Grasson, curé-
sacristain de la paroisse, tourne Bridaine en ridicule : « Voici
la mission de Pignans finie sans qu'on y trouve l'ombre de
LES CONVULSIONNAIRES DÉ PIGNANS. 2l9
vaillantisme; j'avais eu soia de l'étouflfer dans sa naissance.
Les missionnaires ont tourné toutes leurs forces contre le jan-
sénisme, mais ils ne l'y ont pas trouvé. Ainsi, ils n'ont com-
battu qu'un fantôme et qu'une chimère.
« Le fameux M. Bridaine a eu le courage, moi présent, de
prêcher aux femmes qu'elles n'avaient plus la foi de leurs
pères, qu'elles y avaient renoncé depuis environ dix ans, et si
on lui eiit demandé en quoi, il eût été dans l'embarras de ré-
pondre, car depuis plus de quarante ans que je gouverne cette
église je n'ai rien recommandé avec autant d'insistance que
la soumission à l'Eglise et à ses décisions. »
Ces lignes, pleines d'indignation ironique, le curé les écrit
pour se justifier du reproche de jansénisme; mais, loin de le
justifier, elles l'accusent. On y sent trop bien la joie qu'éprouve
un pasteur hérétique à voir ses fidèles maintenir obstinément
les erreurs doctrinales qu'il leur a enseignées. En dépit des
prédications et des remontrances épiscopales, en dépit même
des rigueurs exercées contre ses prêtres et ses bourgeois,
Pignans demeura jusqu'à la Révolution la citadelle du jansé-
nisme en Provence.
11 est intéressant pour l'histoire religieuse en province au
xviii^ siècle de constater au sud de la France la répercussion
lointaine des scènes extraordinaires dont Paris était alors
le théâtre. On est frappé du retentissement qu'eurent dans
tout le pays les événements du cimetière de Saint-Médard.
N'est-il pas curieux d'apprendre que les Pignanais avaient
tous dans leurs maisons l'image de saint Paris, et son oraison
dans leurs livres de prières?
Cette étude donne quelque idée de la force et de la cohésion
du parti janséniste en Provence. Il y formait une sorte de
société secrète très bien organisée. Les magistrats se plai-
gnent sans cesse que les novateurs ont des « mouches » dans
les bureaux do l'intendance, dans toutes les administrations
publiques et jusqu'en plein Parlement; aussi sont-ils souvent
instruits à l'avance des mesures prises contre eux.
On y apprend encore que, pour donner une nouvelle impul-
sion à l'hérésie déjà vieillie, ses fauteurs eurent recours,
220 G. ARNAUD D'aGNEL.
entre autres expédients, aux prétendus miracles des convul-
sionnaires. Ces crises d'hj^slérie, plus rares et surtout moins
connues qu'elles ne le sont de nos jours, étaient alors une
nouveauté,, une attraction de premier ordre pour des gens de
la campagne.
Les jansénistes purent croire un instant avoir réussi dans
le choix de ce moyen de propagande, tant les tètes provençales
prirent feu, tant on se passionna sur les bords de l'Arc et de
'Argens pour ou contre les convulsionnaires. Mais les cam-
pagnards revinrent bientôt de leur illusion; après quelques
heures de fièvre et de délire, en hommes méfiants et prati-
ques, ils avaient démasqué les faux prophètes. Autour des
tables de l'auberge du Coq on parlait encore de Frère Amable,
mais pour en rire. On se passait de main en main ses discours
burlesques, dont il avait distribué de nombreuses copies, et
d'aimables farceurs les annotaient de gaietés gauloises.
D'ailleurs, M. de L'Epine et ses suivants étaient de vrais
sauvages, d'autant moins susceptibles de se faire comprendre
et suivre qu'ils ne parlaient pas le provençal.
En résumé, l'une des suites les plus fâcheuses du séjour des
convulsionnaires à Pignans fut le retard apporté au mariage
des sœurs du chanoine Boyer. Quand ces demoiselles, reve-
nues de leurs terribles émotions et de leur surprise, se déci-
dèrent à sortir de leur jardin, de jeunes filles elles étaient
devenues vieilles, et de jolies laides, tant et si bien que le
Frère Amable lui-même ne les aurait pas reconnues.
G. Arnaud d'Agnel.
MELANGES ET DOGUiMENTS
ALEGRET, JONGLEUR GASCON DU XII« SIECLE.
Alegret était un contemporain et probablement aussi un
compatriote de Marcabru qui, dans la pièce Bel m'es quan la
rana chanta, s'adresse à lui en ces termes :
Alegretz, folls, en quai guiza
Cujas far d'avol valen
Ni de gonella camisa?
« Alegret, fou que tu es, comment songes-tu à faire d'un vau-
« rien un homme de valeur et d'une robe une chemise ? »
La pièce de Marcabru paraît être une réponse à celle d'Ale-
gret : Ara pareisson ll'aubre sec, publiée plus loin.
Mais quel est le personnage sur lequel nos deux trouba-
dours différent complètement d'opinion? Quel est le « sei-
gneur » à qui appartient l'Occident (v. 35) et qui (strophe vu)
reçoit les éloges hyperboliques d'Alegret?
Le maître de l'Occident ne peut être à cette époque que
Alphonse VIII, roi de Castille, de Léon et de Galice, qui prit
le titre d'empereur en 1135 et mourut en 1157. C'est à ce
prince, en effet, que s'adresse Marcabru dans quatre de
ses pièces, très vraisemblablement composées en Espagne,
222 ANNALES DU MIDI.
d'après M. P. Meyer^ et « postérieures de bien peu d'années,
selon toute apparence, à 1137 », Al x>rim comens de l'iver-
nail — Pax in nomine Lomini — Emperaîre per mi me-
seis — Emperaire per vostre pretz -.
Mais si les trois premiers « vers » sont ceux d'un « sou-
doyer », d'un troubadour inspiré par l'ardeur de sa foi contre
les Sarrasins, le quatrième est animé d'un esprit bien diffé-
rent ; c'est l'œuvre d'un quémandeur peu satisfait des libéra-
lités de l'empereur et qui a recours même à l'impératrice
pour qu'elle intercède auprès de son mari. Cette poésie, dont
le ton est amer, révèle une déception profonde qui devait se
manifester encore dans Bel m'es quan la rana chanta et
dans Pos Viverns d'ogan es anatz.
Les deux pièces Bel m.' es quan la rana chanta de Marca-
bru et Ara pareisson IV aubre sec développent le thème
habituel sur la décadence de Jeunesse, de Prix, de Prouesse,
sur l'avarice des grands, sur les maris libertins. Nos deux
troubadours ou jongleurs, d'accord sur tous ces points, s'ex-
priment avec une vivacité et une crudité égales. Ils ne diffè-
rent que sur un seul personnage.
Alegret n'en connaît qu'un qui soit sans tache : c'est l'em-
pereur d'Occident.
Marcabru ne voit pas un seul puissant qui aime les festins
et la danse, et la strophe vu d'Alegret est évidemment visée
par les vers : Non sia lauzenja p^airt — Cell qui sa
m,asnad'afama. « On ne doit pas accorder de plates louanges
à celui qui affame les gens de sa maison. » Marcabru termine
par l'apostrophe citée au début de ces lignes.
Alegret se trouve, par conséquent, placé au milieu du
xiie siècle. C'est très certainement à lui que s'adresse Bernart
de Ventadour dans la pièce : Amors e qîteus es vejaire, et
si notre conjecture est fondée, il en ressort qu'Alegret, à qui
Bernart de Ventadour fait jouer le rôle de messager, était un
jongleur.
1. Romania, VI, 124-5.
2. Cette pièce a été éditée pour la première fois par M. Otto Klein, Die
Dichtïmgen des Munchs von Mo7itaudon, p. 98. Marburg, 1885.
MÉLANGES ET DOCUMENTS. 223
Ma chanson apren à dire,
Alegret, a'N Dalferan ;
Porta la n'a mon Tristan
Que sab ben gabar e rire^.
« Alegret, apprends à dire ma chanson à sire Dalferan, porte-la
« ensuite à mon Tristan qui sait bien plaisanter et rire. »
L'œuvre d'Alegret qui nous est parvenue se compose :
1<» d'un fragment de vingt-deux vers d'une épître amoureuse
que contient le seul manuscrit N' et qui a été publié par
M. SucLier-; 2° d'une chanson d'amour; 3» d'un sirventés.
Barbieri^ cite les deux premiers vers du sirventés et de la
chanson d'amour.
Le sirventés a bien l'allure des poésies morales de l'époque.
D'après ce qui nous reste d'Alegret, on peut dire qu'il n'était
pas dépourvu de talent et qu'il avait mis à profit les leçons
des bons troubadours qu'il avait fréquentés.
Pour que nos lecteurs aient sous les yeux tout ce qui nous
reste d'Alegret, nous reproduisons le fragment de l'épître
d'amour qui lui est attribuée par le manuscrit N (fol. 25) et
dont nous empruntons le texte à M. Suchier. Nous le plaçons
à la fin de l'article.
Df Dejeanne.
Bartsch, Grtindr., 17,1. — Ms. C, fol. 355 v. Rubr. : Alegret. — Imprimé
Malin, Gedichte, 18; Raynouard, Choix, V, 17 (st. ii, iv, vi) ; Hist
lût., XX, 566 (strophes ii et iv avec traduction).
r
[Ais]si cum selh [q]u'es vencutz e sobratz
M'a[v]en a far [tôt] son [cojman
D'a[m]or que no'y [g] art pro ni [d]an
Ni ren atz
1. Raynouard, Choix,lll, ^1 ; Mahn, Werhe, 1,37,
2. Deyikmœler, p. 308; cf. notes, p. 552.
3. Origine delta poesia rimata, p. 130; cf. G. Bertoni, Giovanni Maria
Barbieri e gli studi romanzi nel secolo XVI (Modena, 1905), p. 40.
2r4 ANNALES DU MIDI.
Volu[n]tatz l'es que deziran m aucia,
E plaz me molt pus aitan l'abelhis
E qu'en perdes li sia francx e fis,
8 E ja per lieys qu'ieu am amatz non sia.
II
Tôt so m'es bo, Amors, pus a vos platz
Que [vos] m'auciatz desiran,
E si'us fora plus benestan
12 Que lieys que-m defen sas beutatz
Vos tornessetz e major cortezia,
Quar no fai gran[s] esfors, so vos plevis,
Qui so conquer que vencut[s] no conquis,
16 Mas esfors fai quils pus fortz vens e lia.
III
Ges no suy fortz ves lieys cuy me suy datz,
E si n'agra yeu ben talan,
Sivals que li fos fortz d'aitan,
20 Que l[i] disses ben apensatz
Si cum yeu l'am finamen ses bauzia
Et cum li suy francx e leyals e fis,
Et fora ricx s'aitan me cossentis
24 Lo ben qu'iel vuelh no"ra tengues a follia.
IV
De sol aitan mi tengr'ieu per paguatz
Que-1 vengues, mas jontas, denan.
El mostres, de ginolhs ploran.
28 Cum [ieu] suy sieus endomenjatz.
Mas ardimen non ai que ieu lo-y dia
Ni l'esgart dreyt. ans lenc mos huelhs aclis,
Tal paor ai qu'ilh aitan nom sufris
32 E que-m tolgues (la) su'avinen paria.
Per qu'ieu. dona, vuelh mais suffrir em patz
Lo mal qu[e] ieu trac e l'afan,
Que d'autra re [no] vos deman
36 Don perdes [lo] vostre solatz.
MÉLANGES ET DOCUMENTS. 225
Pauc n'ai de be e meyns cre qu'en auria;
Qu'era-m fai tan de gaug un [s] vostre ris
Que si'm davon Tors, Angieus e Paris,
40 Ni re[sl ses vos tan de gaug no-m faria.
VI
Bona dona, vostres suy on quem sia,
Et on que m'an ades vos suy aclis,
Et s'avia trastot lo mon conquis,
En tôt volgra aguessetz senhoria.
Formule rythmique (Maus, n" 577) : 10 a, 8 b, 8 b, 8 a, 10 c, 10 d,
10 d, 10 c, 3 strophes unisonantes et une tornade de 4 vers. Dans la pre-
mière strophe , quelques lettres ont été enlevées par l'ablation d'une
vignette.
TRADUCTION.
I. Comme à celui qui est vaincu et maîtrisé, il m'advient
d'exécuter tous les ordres d'amour, sans regarder à mon profit,
ni à mon dara, ni à rien
puisque sa volonté (d'amour) est de me tuer par les désirs, j'y
consens très volontiers; cela lui étant si agréable, je veux bien,
en pure perte, être franc et fidèle, et n'être pas aimé par celle
que j'aime.
II. Tout cela m'est bon, amour, puisqu'il vous plaît ainsi de
me faire mourir de désir, mais il vous siérait mieux de rendre
plus courtoise celle qui m'interdit ses beautés, car il ne fait pas
grand exploit, je vous l'assure, celui qui conquiert ce que n'a
pu conquérir un vaincu; mais celui-là se montre vaillant, qui
l'emporte sur les plus forts et les enchaîne.
III. Non, je ne suis pas fort envers celle à qui je me suis donné,
et certes, j'aurais bien le désir d'être du moins assez courageux
pour lui dire, après mûre réflexion, combien je l'aime purement,
sans tromperie, et combien je lui suis franc, loyal et fidèle, et
combien je serais riche, si elle me payait de retour ou, du moins ,
ne regardait pas comme folie le bien que je lui veux.
226 ANNALES DU MIDI.
IV. Je me tiendrais, du moins, pour satisfait, si je pouvais
seulement venir, les mains jointes, devant elle, et lui montrer, à
genoux et en pleurant, combien je lui appartiens tout entier;
mais je n'ai pas la hardiesse de le lui dire, ni de la regarder
en face; je tiens devant elle mes yeux baissés, tant j'ai peur
qu'elle ne puisse me souffrir (cette audace) et ne m'enlève sa
gracieuse compagnie.
V. C'est pourquoi, dame, je préfère souffrir, en paix, le mal et
l'angoisse que je supporte que de vous demander autre chose, et
de m'exposer à perdre vos joyeux entretiens ; j'ai peu de bonheur
et je crois que j'en aurais encore moins; toujours, un de vos
sourires me cause autant de joie que si l'on me donnait Tours,
Angers et Paris, et, sans vous, rien ne pourrait me causer une si
grande joie.
VI. Bonne dame, je suis vôtre où que je sois, je vous suis dé-
voué, en quelque lieu que je puisse aller; et si j'avais conquis
l'univers entier, je voudrais que partout vous eussiez sei-
gneurie.
Grundr.n,2. — Uss.C fol. 356 r», Mfol. 117 r°. — Imprimé : M. G. 853 (C)
et Parn. occit., p. 354 (CM); Barbieri, Origine, etc (les deux premiers
vers); Raynouard, V, 17 (2 str. et envoi); Hist. liit., XX, 568 (str. I
et II, avec traduction). Dans C manquent str. 1, 5, 6. — Orthographe
d'après M.
I
Ara pareisson ll'aubre sec
E brunisson li elemen,
E val li clardatz del temps geo,
E vei la bruma qi fuma.
Don desconortz ven pel mon a las gentz,
E sobretot al[s] ausells que son mec
7 Per lo freg temps qi si lur es prezentz.
Strophe 1 7na7ique dans C.
6 mec, seul exemple de ce mot, probablement d'origine gasconne. Il
signifie actuellement « bègue ». Cf. Lespy et Levy.
MÉLANGES ET DOCUMENTS. 227
II
A per poc qe totz vius non sec
D'un gran mal qim fer malamen,
Qan mi soven de l'avol gen
Cui mal' escassedatz bruma.
Mas qe m'en val precs ni castiamenlz?
Q'anc albres secs flor ni frugz non redec,
14 Ni malvatz hora non poc esser valentz.
III
Joven vei fais e flac e sec,
C'a pauc de cobeitat no fen.
Qi pros fon, ara s'en repen
Ez es ben d'avol escuma,
Q'anc proesa d'ung dia no fon senz,
E se"l bos fatz a la fin non parce,
21 Tôt qant ha fag le seinher(s) es nientz.
IV
Larguetatz si planh d'un mal sec,
Q'a penas au ni ve ni sen,
Ez es tan cregutz soptamen
Q'ades la pel' e la pluma.
Escassedatz, una vertutz tenenz,
Qe creis aitan entre- Ils plus ries e crée,
28 Q'uns per oc dir non aus'obrir las denz.
8 C A p. p. yen totz nô sec; — 9 C D. g. m. quem f. en la den; — 10 C
Qiian mi membra dun a/ — 11 C qui escassedatz afuma, M C. m. esca-
seditz bruma..., — 12 C No y ual p. n. casUamens; — 13 C Ane albre sec
f. n. f. nô r.. M Q. a. s. frut ni flor nô r.; — 14 C N. maluays h. no p. e.
valens, valentz] M iausentz;
15 C Lo uent uey mort e f. e s.; — 16 C Qua p. d. cobeytat n. f.; no]
M nom ; — 17 C Selh qui fon pros essen r.; — 18 C Beys dauoleza e.; —
19 C Proeza dueg iorns no fon sens, M Q. p. un d. n. f. s.; — 20 C E sil
bon fag a 1. f. nom p.; — 21 C Tôt quant a f. 1. senher e. niens.
22 M Li gentz se p. d. gran m. s.; — 23 M uei ; — 24 C Greu mal
na mas piéger naten — 25 ikf Qames lo p. e 1. p.; — 26 C E. u. uertut
temens, M E. u. vertitz tenenz; — 27 C Q. creys. et entrels plus ricx
crée; — 28 C Qus p. o. d. n. auz o. 1. denz.; obrir] JV/aibrir.
V. 21. On remarquera que dans M l'article est au nom masc. le (cf. 42,
49), au nom. fém. li (3).
228 ANNALES DU Mll'l
Aqill son dinz e defor sec
Escas de fag e lare de ven,
E pagan home de nien,
Qes aitals es lur costuma,
Ez enuios volpilz e recrezentz,
Q'entre mil un no'n vei ses qalqe dec,
33 Mas lo senhor de cui es Occidentz.
VI
Q'el non ha cors ges flac ni sec
Con an pel mon poestatz cen,
Q'en lui s'apila e s'apen
Proesa, sivals ab pluma,
Per tal vola sos pretz entre-ls valentz
Sobre trastotz, e[t| aug o dir a qec
42 Q'ell es le miells dels reis plus conoissentz.
VII
Pe'lls maritz drutz vei tornat sec
Donnei qar l'uns l'autre consen.
Qrll sien con laiss'e l'autrui pren
El fron n'en sors un' estruma
Que Il(i) er jase, mentre viva, parventz,
E coven se q'ab Tenap ab qe(ll) bec
49 Sai le cogos. beva lai le sufrenz.
Str. V et VI manquent dans C. — 35 lo] lo.
■ 40 Manque à cette place dans M, rétabli au bas.
43 Pels drutz maritz u. t. s.; — 44 C louens quar luns lautre cofon;
— 45 C Quil s. c. layssa e l'aiitruy p.; — 46 C E. f. lin nais una escuma;
— 47 C quel sera mais totz iorns paruens, — 48 C E tanh si be quel enap
ab que bec; — 49 C Lay lo c. ben assay lo sufrens, M Fai le c. beua
1. 1. s.;
V. 49 vers altéré, mais la pensée est souvent exprimée. Cf. Bernart
de Venzac : Belha m'es la flors d'nguilen, vers 25-36, dans R. Zenker,
Die Lieder Peires vo>i Auverf/7ie. p. 141 : Maritz que inarit fai sufren
Dell tastnr d'atretal sabor. — Cliez Alegret, cogos a le sens de « coucou,
mari trompeur »; il a bu ici cbez le trompé, et celui-ci (le trompé) doit
aller boire là, c. a. d. chez le coucou ou trompeur.
MÉLANGES ET DOCUMENTS. 229
VIII
Hueymais fenirai mon vers sec,
E parra pecx al non saben
Si no-i dobla [l'Jentendemen,
Q'ieu sui cell que-Is mots escuma
E sai triar los auls dels avinentz ;
E si fols ditz qu'aissi esser non dec,
36 Traga"s enan, qu'Alegreftz] n'es guirens.
IX
Si negus es del vers contradizens,
Fassa's enan, q'eu dirai per quera lec
59 Metr'en est vers dos motz ab divers sens.
Formule i-ythmique (Maus, n» 6130) 8 a 8 b 8 b 7 c 10 d 10 a 10 d (8 cou-
plets unissonants une tornade de 3 vers).
TRADUCTION
I
Maintenant les arbres paraissent secs, les éléments se rem-
brunissent, la clarté de la gente saison s'en va et je vois la
brume fumeuse; de là vient, de par le monde, du découragement
aux êtres vivants et surtout aux oiseaux muets, engourdis par le
temps froid qui vient ainsi les surprendre.
II
Et peu s'en faut que, tout vivant, je ne me dessèche par suite
d'un grand mal qui me frappe cruellement, quand il me souvient
de l'ignoble gent qu'une détestable lésinerie rembrunit. Mais que
peuvent me valoir prières et remontrances? Jamais arbre sec ne
produisit fleur ni fruit, jamais mauvais homme n'a pu être
vaillant.
50 M Av {., mon] C le — ôl M pecx] fais; — 52 C s. non d.; —5-1
M auls] fais; — 55 C E si foldatz. M E sil fais ditz; — 50 C qualegret
n. g., M qalegres n. g.
57, 58, 59 M Si deguns es del uers contradizentz — Not failhira uers de
dir per quem lec — De metrentu très motz de diuers sens.
230 ANNALES DD MiDl.
III
Je vois jeunesse fausse, flasque et sèche; peu s'en faut qu'elle
n'éclate de convoitise; qui fut preux autrefois, maintenant s'en
repent et est bien de méchante écume, car jamais prouesse d'un
seul jour ne fut sens, et si la bonne action ne s'est montrée à la
fin, tout ce qu'a fait le sire (seigneur) ne vaut rien.
IV
Largesse se plaint d'un mal sec, car à peine elle entend, voit
et sent; ce mal s'est accru si insidieusement que présentement il
lui enlève la peau et les plumes; c'est la lésinerie, force tenace
qui grandit tellement et a grandi parmi les plus riches qu'un
seul d'entre eux, pour dire oui, n'ose ouvrir les dents.
V
Ceux-ci sont secs, dedans et dehors; chiches d'actes et prodi-
gues de vent. Et ils paient avec rien, car telle est leur coutume ;
ils sont fastidieux, lâches et dégénérés; sur mille, je n'en vois
pas un seul sans quelque tare, si ce n'est le Seigneur à qui appar-
tient l'Occident (l'Empereur d'Occident).
VI
Car lui n'a pas le cœur flasque ni sec. tel que l'ont, de par le
monde, cent souverains; en lui s'appuie et s'attache Prouesse;
du moins avec des ailes s'envole son mérite parmi les vaillants
au-dessus de tous les autres, et j'entends dire à chacun qu'il est
le meilleur des rois les plus renommés.
VII.
Par les maris amants, je vois galanterie devenir sèche, car ils
sont complaisants entre eux; celui qui laisse sa femme pour
prendre celle d'autrui voit sortir sur son front une bosse qui lui
sera désormais apparente tant qu'il vivra, et il convient bien
que dans le hanap où ici a bu le mari trompeur, [chez celui-ci]
là aille boire le mari trompé.
VIII
Désormais je finirai mon vers sec, et il paraîtra sot à celui qui
ne sait pas, s'il ne prête une double attention, car je suis celui
MÉLANGES ET DOCUMENTS. 231
qui écume les mots et sais trier les termes impropres des ex-
pressions choisies, et si un fou dit qu'il n'a pas dû en être ainsi,
qu'il se mette en avant, car Alegret s'en porte garant.
IX
Si quelqu'un vient contredire ce vers, je ne te ferai pas défaut,
ô vers, et je dirai pourquoi il m'a été permis de mettre en toi trois
mots ayant des sens différents. (M).
Si quelqu'un vient contredire ce vers, qu'il se mette en avant
et je lui dirai pourquoi il m'a été permis de mettre en ce vers
deux mots ayant [chacun] des sens différents. (C).
Dompna, c'aves la segnoria
De joven e de cortesia
E de totas finas valors,
Onrada sobre las raeillors,
o Fons de totas flnas beutatz,
Cui Dieus a totz buns aips donatz
Per Dieu e per franca merce.
Sens cui hom non pot valer re,
E pueis per cortesi 'après,
40 E per amer que tan m'es près
Del cor, que-m fai languir soven,
E pueis, bella dompna, eissamen,
Per tôt zo c'az amor ataing.
Car neguns bens no vos sofraing,
15 Vos prec, que zo qu'eu vos vueil dir
Deignes escoutar e auzir.
E s'al re mos dires no'm val,
Al mentz no m'o tengues per mal,
Que tant es granz vostra valenza
ÎO E vostra beutatz, c'ades genza,
Qu'eu non cre que si 'homs viventz
(Tant es granz mos fols ardimentz).*
2 e [ms. ne — 14 no vos] nis, nous.
238 ANNALES DU MIDI.
II
SUR DEUX PASSAGES DU MOINE DE MONTAUDON
ET DE TORCAFOL.
Le poiul de départ des préseatos recherches se trouve dans
quelques allusions de pièces provençales, dont le trait com-
mun paraît être d'accorder des droits au trône de France,,
vers la fin du xii"" siècle, à des personnages qui n'ont jamais
pu avoir de pareils droits.
Dans sa pièce bien connue contenant un dialogue avec le
senhor dieu (305, 12), le moine de Montaudon fait l'allusion
suivante au baron Randou, dont nous nous sommes occupés
ici-même (Annales, XIX , p. 40) : En Randos eut es Pmns
(v. 14). Cette pièce est de 1193/4 {l. c , p. 49). Il faut en rap-
procher deux autres allusions, tirées du conflit poétique entre
Garin d'Apchier et Torcafol (L c p. 50); la première se
trouve dans un passage de 443, 1, où Torcafol dit à Garin
d'Apchier : Tart serez mais reis de Fransa (v. 40); l'autre
allusion (443, 2) se borne à indiquer avec moins de précision
la « ruche » de son adversaire : C'a pauc apchiers nous fo
Franssa (v. 12), mais elle n'en est pas moins intéressante,
car cette information y est présentée non comme sûre, mais
comme un bruit à peine digne de foi. Ce conflit poétique est
aussi antérieur à la fin du xii« siècle (/. c, p. 52 ss.)'.
1. Voy. l'allusion de Montaudon dans Appel, CJirest.', n. 93, p. 1:>2, et
Crescini, Manitaletto', n. 24, p. 258 :
Seii/ier, estai ai acli.t me fan lor amor eslran/ta :
en claitslra un an o dos En Ratidos oui es Paris
per qu'ai perdut los baros : no-rn fo anc fais ni gignos
sol quar vos am e-us servis el e ?;iOS' cors crei que'n planha.
Evidemment, En Randos oui es Paris n'est pas clair (le ms. N,
f° 284 d, que j'ai eu l'occasion d'examiner, a la même leçon pour le v. 14
{E7i Ra>idons cui es j)aris), et pour le v. 16 [Ele mos cors cre quen
jtlaigna, comme IK et comme dans Appel, Chrest.). On lit même dans
Selbach (SlreUgedicht, % 32, p. 39) : « Il se plaint d'avoir perdu la grâce
des barons, à l'exception du seigneur Randon (Philippe-Auguste) », et de
MÉLANGES ET DOCUMENTS. 233
Si nous rapprochons toutes ces allusions, c'est parce que
nous avons vu (/. c) que Randon, protecteur des troubadours,
et Garin d'Apchier, troubadour lui-même, étaient issus de la
même tamille. Dans ces conditions, il paraît sûr que nous
avons affaire à une légende ou une tradition de famille pro-
clamant l'origine royale de cette maison.
Mais de quel genre peut bien avoir été celte légende? Sur
quoi s'est-on appuyé pour affirmer la descendance royale
d'une famille des barons méridionaux?
Certains indices nous permettent de rattacher cette légende
et ces allusions au grand trésor des chansons de geste.
Retenons de l'ensemble de nos informations sur la maison
Randon-Apchier, réunies dans l'article cité, deux faits qui
demandent une explication. Le premier est celui de l'origine
royale, dont on parle vers la fin du xii^ siècle. Le second est un
surnom que l'on trouve, non sans surprise, dans cette famille,
celui de « Mesquin » : il apparaît pour la première fois avec
Guignes Mesquin, successeur de Randon, « cui es Paris »,
seigneur indépendant en 1207, mort vers 1242-3, et né, par
conséquent, dans le dernier quart du xii^ siècle {l. c , p. 46);
il apparaît pour la seconde fois avec Guignes Mesquin, neveu
du précédent, attesté entre 1229 et 1269-78 (cf. /. c, p. 45-6),
même Crescini (Mamialetùo^, p. 537) se deoiande si Randon n'est pas le
roi de France. Cela est naturellement impossible. M. Appel dit (p. 344) :
c< Paris, Parizot, ïarn-et-Garonno? », ce qui est aussi improbable. —
Voici dans le conflit poétique Garin d'Apchier-Torcafol les deux passages
qu'il convient de rapprocher de celui-ci. Tovcafol dit à Garin (443, 1,
■vv. 37-40) : Viellz e pus blancs d'un colom Be'tis menon de toni en
tom E no sahetz qui ni corn : Tart serez mais i-eis de Fransa. Il est
vrai que esser feis de Fransa paraît avoir été une locution pour dire
« être heui-eux », comme par exemple dans ce passage (239, 1 ; Suchier,
Benkmœler, 333, str. III, vv. 19-24) : ... C'assatz m'a mais drutz de
son benvoler Quant de sidonz pot vezer la semblansa, Lo dous esgar
la simpla contenansa, Denant la gent ab lei solaz aver, E son gent
cors esgardar e vezer : la en cellat non sia rets de Fra?isa. Mais l'en-
droit cité, relatif à Garin d'Apchier, n'a pas l'air d'avoir ce sens. D'au-
tant plus qu'il y a encore cette autre allusion dans 443, 2 (Witthoeft,
op. cit., 57, et Appel, Prov. i?iéd., 305-7, str. II, vv. 12-16), où Torcafol
dit à Garin : ... C'a pauc apchiers no-us fo Franssa Oti parloti aissi
cum porcs ruz; Primiers comtes la novella, Ses colp enchauzaz e
vencuz, E fo ben messagiers crezuts.
ANNALES DU MIDI. — XIX 16
234 ANNALES DU MIDI.
ce qui prouve qu'il s'agit biea d'un surnom, noa pas indivi-
duel, mais attaché à une tradition de famille; et l'on sera
d'accord pour reconnaître qu'un mot dépréciatif comme
« mesquin » n'a pu être officiellement adopté que par suite de
raisons toutes spéciales'.
Or, dans le nombre des légendes remontant aux chansons
de geste, il y en a une qui est susceptible d'expliquer à la fois
ces deux faits obscurs.
On sait que parmi les remaniements italiens des chansons
de geste françaises, de la fin du xiv» et du commencement
du XV® siècle, dont l'auteur est Andréa de' Magnabotti da
Barberino di Val d'Eisa, il y a un roman en prose qui, d'après
le nom de son héros, porte le titre de Guerino MescMno- .
1. Il est vrai que tneschin (ou ses dérivés) apparaît ailleurs en qualité
de surnom. On trouve dans un document tourangeau de 1247 la mention
d'un Mathaei le Meschin dois Tiiro)iensls, celle d'un Stephanus Mes-
chineau et d'un Nicolaus defiaictus le Meschin {Rec. des hist. des
Gaules et de la Fr., t. XXIV : Etiquetes adm. du régne de saint Louis,
p. p. L. Delisle; Paris, 1904, partie II, pp. 105, 128, 192). Ajoutons le
nom du poète Jean Mescliinot (né probablement à Nantes). Mais il s'agit
ici d'un surnom appliqué à des non-nobles, et le cas est tout différent.
2. Ce roman, transformé en livre populaire, jouit aujourd'hui encore
d'une vogue extraordinaire. En revanche, il a été, do tous les textes ita-
liens dérivés des chansons de geste, le moins étudié par la critique
savante; la question la plus importante, celle de ses relations avec l'en-
semble des gestes , n'a pas même été abordée. (Aucune mention dans
G. Paris, Histoire poétique; le titre seul dans L. Gautier, Les époi:>ées
françaises, II, p. 315, et l'ien dans sa Bibliographie des chans. de
geste, 1897; rien dans Ph. A. Becker, Der sudfr. Sagenkreis, Halle.
1898, où les autres remaniements d'Andréa sont énumérés, p. 10;
M. H. Hawickhorst, dans son travail Ueber die Géographie bel A. de'
Magnabotti, publ. dans Romanische Forschungen, XIII, 689-784, a dû
renoncer (p. 701) à un examen approfondi de Guerino MescJiifio, parce
qu'il n'avait à sa disposition que des éditions modernes, mais ce travail
apporte néanmoins un certain nombre d'identifications géographiques
concernant ce roman, pp. 721-2, 784. — Quelques précieuses informations
sur les mss. et les éditions se trouvent dans les Ricerche i)ito)'no
ai Reali di Francia, de M. P. Rajna (Bologne, 1877, pp. 314-316), et dans
R. Renier, Discesa di Ugo d'Alvernia ail' inferno (pp. xcvi-civ et
cf. cv-cxL et CLiv-CLxn). M. Renier a connu sept mss. de Guerino et
il n'en compte pas moins de dix-sept éditions antérieures à 1555. — La
Bibliothèque nationale de Paris possède l'édition princeps, que M. Renier
n'avait pu voir (Padoue, 1473, par Bartholomeus de Valdezochio ;
Rés. Y' 198), la troisième (Venise, 1477, par Gorardus de Flandria;
Rés. Y' 199), celles de 1483 (Rés. Y» 338), de 1520 (Rés. Y' 777), de 1525
MÉLANGES ET DOCUMENTS. 235
Dans ce roman, nous rencontrons d'abord le surnom de
Mesquin, et il faut remarquer que ce surnom y est particu-
lièrement mis en relief, car le héros est très souvent appelé
tout simplement Meschino^. Nous y voyons aussi ce héros
entrer dans l'ensemble de la généalogie légendaire de la
grande maison royale française : un passage de Ouerino Mes-
chino et un autre des Storie Nerbonesi l'attestent explicite-
ment 2. Voici quels seraient les degrés de cette généalogie :
(Rés. Y' 1014); la traduction française de 1530 y est conservée en plu-
sieurs exemplaires (Rés. Y* 778, 779, 855, 856). Les premières éditions
sont, comme l'a vérifié M. Renier, conformes aux manuscrits.
1. Voici, d'après le roman, l'histoire de ce surnom et son origine (éd. 1»
et 3«, chap. iv, sur le mariage et la vie conjugale de Milone et Finixia) :
« FA secondo mexe corne plaque a dio le ingravido de tino filio mas-
chio e parturito lo batixo e fece li ponere nome Guerino che fue el
nome de laiio de Millone... ». Le chap. vi est consacré à l'enlèvement
de l'enfant et sa vente à une famille où la maîtresse de la maison était
d'abord mal disposée contre lui : « Ma quanto sape la uerita da fami-
gli como li era tocato in parte no?i sene chura & fecelo batizzare cre-
dendolo chel non fusse batizato perche lo iera ciisi belo & tanto
pouero uenduto in fasse per schiauo gli puose nome el Meschino <?
fue cusi chiamato... » Ce passage nous donne le vrai sens du surnom,
qui est « pauvre, malheureux », et rectifie une autre interprétation des
éditions postérieures : « Detto il Meschino noji tanto per le avventure
délia sua giovinezza, quanto per aver uno de' suoi maggiori avuto lo
stesso sopranome » (voy., par ex., éd. de Milan, 1811, riveduta et illus-
trata con note da Giuseppe Berta, cap. i), où l'on a, sans doute, mal
compris le premier passage que nous avons cité et ajouté « Mesquin »
au nom de « Garin », prédécesseur de notre héros, qui ne fut cependant
autre que celui de Monglane.
2, Guerino Meschirio, éd. 1" et 3«, cap. i « Corne la sciata di Borgo-
gna funo segnori de Puglia et del Principato di Taranto et de cui
naque il Meschi7io » ; « ... duca di borgogna che era inemico di Carlo
& auea nome Girardo di fiandra con cuatro fioli & dui nepoti... El
terzo — [après Raineri et Arnaldo] — ebe nome Guizardo. El quarto
Milon. Questi dui fece Carlo caualieri in aspramonte... Carlo fu tor-
nato in francia S- li hebe molta guerra con Girardo duca di borgo-
gna... & da puo la morte di Girardo Guizardo et Milon con lui pas-
sarono i>i puglia. Ouegii de lo regno li receuete & incoronono Gui-
zardo & fato re de puglia. Et Melon fu fato principo de taranto e de
questo Milon naque el franco Meschino al cui honore e fato questo
libro ». — Les Storie Nerbonesi (éd. I. G. Isola, t. I-II, Bol., 1877-82)
contiennent (cf. l'indication de M. Hawickhorst, l. c, p. 700) dans le
livre III, ch. xxii (t. I, p. 3.57), l'ensemble de la généalogie des lieali di
Francia, à laquelle Guerino detto il Mischino se rattache de même par
Milon et par Girart, appelé ici : Guerardo da Fratta (= Fraite).
M. R. Rajna (o. c, pp. 32G-7) dit : « I nostri romanzi in prosa (d'An-
236 ANNALES DU MIDI.
Milone, père de Guerino; Gerardo di Fiaadra, diica di Borgo-
gna, son grand-père (= Girart de Viane-de Roussillon-de
Fralte^); et plus haut, Garin de Mouglane. C'est donc par le
cycle méridional, mais plus spécialement par la ligne de
Girart de Viane, qu'il entre dans la geste ro3^ale.
On sait que la généalogie d'Andréa correspond dans ses
grandes lignes à celle des dernières chansons de geste fran-
çaises où nous trouvons la légende de Girart de Viane déjà
rattachée à celle de la geste de Garin de Monglane et celle-ci
elle-même reliée à la geste royale des Carolingiens (rien ne
prouve que tous ces rattachements soient postérieurs à la fin
du xu'' siècle ').
Il n'y a aucune raison pour faire à Guerino Meschino une
situation à part et le croire non pas tiré des chansons de
geste françaises, mais inventé par Andréa, On peut du moins
considérer comme sûr que le personnage de Guerin Mesquin et
sa descendance royale remontent à une chanson de geste fran-
çaise dont la version originale est perdue.
Et maintenant, rapprochons le roman do Guerin Mesquin
de ce qui nous a frappé dans les traditions de la famille de
Randon. La coïncidence de ces deux faits, un surnom carac-
téristique et la prétention à une descendance royale, dans la
tradition de famille (où ils surprennent) et dans le roman (où
ils s'expliquent) ne permet pas de négliger ce rapprochement.
Nous croyons qu'un poète ou un jongleur, peut-être le pre-
mier auteur du roman de Guerin Mesquin, a établi, au profit
de ses protecteurs, un lien entre le héros du roman et la
famille de Randon, ce qui ne devait pas présenter de grandes
(Irea)... sono strettamente coUegati..., piu ditTicile è trovare un luogo con-
venevole per il Meschino che si rappicca ail' Aspramo}ite, ma narra
fatti assai posteriori ».
1. Cf. Suchier, Les chansons de Guillauvie d'Orange dans liomania,
XXXII, p. 361 : « Fiandra », dans Guerino Meschi7w, est évidemment
une altération de « Fratta », nom que ce personnage porte constamment
dans les romans d'Andréa (cf. n. précéd.).
2. G. Paris {Ilist. poét. de Charlem., p. 80), avait indiqué, en passant,
le commencement du xiir siècle; mais voy. aussi La lit. fr. au )n.-â.,
% 22 (3« éd., p. 4^), oc les débuts de la période cyclique sont datés de la
lin du xii" siècle.
MÉLANGES ET DOCUMENTS. 237
difficultés, puisque la légende française (provençale) s'occu-
pait, comme nous le savons par un passage d'Andréa (cité par
M. Renier, p. cm), non seulement de Guerin, mais encore de
ses flls^ Cette soudure peut bien remonter au dernier quart
du xiie siècle, et il parait tout naturel de supposer que c'est
bientôt après sa naissance, quand elle avait toute son actua-
lité, qu'elle suscita, d'une part, l'apparition du surnom et,
d'autre part, les allusions que nous [avons relevées dans la
poésie provençale 2.
S, Stronski.
1. Nous avons vu que c'est par la ligne des princes de Vienne que Gue-
rino se rattache à la généalogie royale. Il faut donc supposer que les
Eandon-Apchier se croyaient issus de la famille des comtes de Vienne.
M. Suchier, dans ses recherches sur le nom de Monglane, avait eu l'occa-
sion de nous apprendre que la famille des Glane de Suisse descendait ou
prétendait descendre de la première race des comtes de Vienne (Rom.,
XXXII, 350). On peut supposer la même chose pour les Eandon-Apchier.
Nous y sommes invités par les noms qu'ils portent : d'une part, dès que
nous les voyons apparaître dans l'histoire, au début du xii» siècle, le nom
de Garin est chez eux traditionnel et c'est aussi le nom du héros poéti-
que, accommodé peut-être à celui de la famille; d'autre part, le nom de
Guignes apparaît pour la première fois à la même époque que le surnom
et les allusions, et c'est le nom traditionnel des comtes de Viennois (Gui-
gues, I, v. a. 889 — Guigues, XI, a. 1237). La question de rapports entre
les noms légendaires et réels n'est pas illusoire : il suffit de rappeler le
nom de Tiburge (Guibourc), femme de Guillaume d'Orange poétique, et
le fait que c'est bien le nom des femmes de la famille d'Orange, à partir
de Tiburge I" (1115-1150) jusqu'à Tiburgo III (1182), par laquelle ce nom
passa dans la maison des Baux.
2. Si les allusions : cui es Paris et : tart serez 'inais reis de Fransa
avaient leur source dans la poésie, elles pouvaient en même temps s'ap-
puyer vaguement, pour les contemporains, sur l'histoire réelle des races
successives des rois de France. La disparition obscure des derniers Caro-
lingiens donna lieu à bien de rêveries généalogiques, et cela jusqu'au
xviip siècle. Au xi«, la question était encore toute chaude ; le Recueil des
historiens de la France, XI, p. 170, contient un fragment : Ex genealo-
gia l'egmn Francie, dont « l'auteur est un partisan attardé de la dynas-
tie carolingienne » (Molinier, Sources de l'histoire de France, II, p. 1,
n» 952). Cela prouve du moins que les allusions provençales de la fin du
xii« siècle, si elles n'étaient pas de la plus fraîche actualité, évoquaient
du moins des souvenirs encore vivants.
238 ANNALES DU MIDI.
III
LE MANUSCRIT PROVENÇAL D ET SON HISTOIRE.
L'histoire du célèbre manuscrit provençal de la bibliothèque
d'Esté, à Modène, connu sous le sigle i)\ est encore presque
toute à faire; le peu qui en est connu jusqu'ici, bien loin de
répondre à la vérité, entrave le développement ultérieur des
études sur cette matière. En effet, il s'est formé peu à peu, au
sujet de ce manuscrit, une tradition, ou plutôt une légende,
qui, au lieu de reposer sur des arguments solides, est fondée
sur des données tout à fait fausses. Depuis que le comte Gio-
vanni Galvani a prétendu que Ferrarin de Ferrare^ avait fait
copier à la cour d'Esté les poésies des troubadours contenues
dans ce manuscrit, et que C. Cavedoni y a découvert un cer-
tain nombre d'allusions aux princesses d'Esté % la croyance
que le manuscrit a été écrit chez les marquis d'Esté, et à leur
gloire, s'est propagée et est devenue de nos jours une quasi-
certitude. Il est vrai que M. Rajna a fait observer qu'aucun
catalogue des livres de la cour d'Esté, se rapportant à une
époque reculée, ne renferme d'indications^sur le manuscrit en
question^; mais en dépit de cela, la légende a continué à
passer pour une vérité historique.
1. Désigné par la lettre B par M. P. Meyer, Les derniers troubadours
de Prov., p. 11, ce ms. est connu généralement sous la lettre D. Voy.
Mussafia, Del codice este?ise di rime provenzali , Vienne, 1867 (Mém.
de l'Acad. de Vienne, cl. Phil. histor., vol. LV), p. 356; Bartsch, Grund,
riss der provenz. Literatur, 1872, introd., et G. Grôber, Die Lieder-
sammhmgen der Trotibadours, dans Komanische Stiidien, II, 337.
2. Ferrarin, non pas Ferrari, est bien le nom de ce poète. Voir mon
compte rendu dans le Giornale storico délia letteratura italia7ia, XLII,
378.
3. Ricerche storiche intorno ai trovatori provenzali accolti e ono-
rati nella Carte dei Marchesi d'Esté nel sec. XIII, Modena, 1844»
p. 20.
4. Remania, II, p. 49, et mon livre : La Biblioteca estense e la col-
tiira ferrarese ai tempi del Duca Ercole /, Torino, 1903, 78.
MELANGES ET DOCUMENTS. 239
Galvani avait écrit : « Splende fra gl' illustri Estensi Azzo VII
« di specialissitno lume, perché non solo accolse nella sua
« corte i trovatori occitanici, ma vi tenne onorato un maestro
« Ferrari de Ferrara che dottissimo in quella lingua genlile,
« quasi campione nella corte di Este, tenzonava con loro e ne
« sponeva le difficoltà e gli arlifici, e cura va finalmente che
« su belle membrane se ne conservassero le rime e se ne
« venisse compilando cosi quel manuscritto che, arrivato sino
« a noi , è di présente una délie gemme più rare délia R. Es-
« tense Biblioteca. » Tout ce qui précède a été affirmé par
Galvani dans la dédicace de son ouvrage Fiore di storia let-
teraria e cavalleresca délia Occiiania ' au duc François IV,
et il faut enfin reconnaître que le savant érudit modénais,
adressant au duc des paroles aussi flatteuses, créait à sa façon
l'histoire de ce manuscrit, auquel, du reste, il porta tant d'in-
térêt et de sollicitude. D'ailleurs, Cavedoni a ajouté une
donnée chronologique à la légende déjà propagée, en écrivant,
d'après Vincwit fameux, que la première partie du manuscrit
avait été compilée en 1254. Il est donc naturel que M. P. Meyer,
en cherchant à assigner à ce manuscrit la place qu'il mérite
parmi les autres manuscrits'provençaux, ait tenu à en mettre
en lumière l'ancienneté : « Il a, dit-il, l'avantage de l'ancien-
« neté, car plus des deux tiers de ce volume ont été écrits
« en 1254, et je ne crois pas qu'aucun des chansonniers pro-
« vençaux puisse être rapporté à une date antérieure 2. »
Il est également compréhensible que peu à peu on ait fini par
croire que vers le milieu du xiii® siècle l'amour de la lyrique
provençale à la cour d'Esté était arrivée à un degré tel qu'on
y éprouvât le besoin de recueillir en une vaste anthologie les
meilleurs modèles de la poésie des troubadours.
Or, les quelques considérations bibliographiques et paléo-
graphiques que nous ferons suivre et les observations que
nous avons eu l'occasion de faire, le manuscrit sous les yeux,
mettront enfin à néant une erreur qni menace de produire
1. Milan, 1845, I, p. 3.
2. Revue critique, II, 2 (1867), p. 90.
240 ANNALES DU MIDI.
des conséquences fâcheuses pour les éludes sur l'expansion
de la lyrique provençale en Italie au xiii" siècle.
Aucune raison ne nous autorise à attribuer une origine
« estense » au manuscrit d'Kste. Les allusions aux marquis et
aux princesses d'Esté, il est vrai, y sont nombreuses; mais
elles se trouvent toutes, ou presque toutes, dans d'autres
manuscrits provençaux écrits au delà des Alpes. De même
que le célèbre lUanh sur la mort de Azzo VII (1212), publié
par Galvani et Cavedoni {Grundriss, no 10, 30), la pièce d'Ai-
meric de Peguilhan, Per solatz d'autrui (10, 40), renfer-
mant les vers :
Bels Peragon, cum hom plus soven ve
Na Biatriz d'Et, plus li vol de be.
est contenue dans plusieurs manuscrits [ABCGIKMNPQ
R U c], et il en de même pour les autres pièces de ce trouba-
dour : Ades vol de Vaondansa (10, 2), A Iressim iwen (10, 12),
Long amen m'a (10, 33), Manias velz (10, 31), En amor
trop (10, 21), etc.^
D'autre part, Ferrarin de Ferrare a bien vécu à la cour
d'Esté; mais c'est une pure invention qu'il fit copier sur
« belle membrane » les poésies des troubadours. Nous ne
trouvons rien de pareil dans l'unique source sûre que l'on ait,
c'est-à-dire la courte biographie placée en tête du florilège
dans la dernière partie de notre manuscrit. Dans cette bio-
graphie, il est dit seulement (f. 243'') : « Quan venia que li
« marches feanon festa e cort e li guillar li vinian che s'enten-
« dean de la lenga proensal, anavan tuit ab lui e clamavan
« lor mastre e s'alcus li'n venia che s'entendes miel che i
« altri e che fes questios de son trobar o d'autrui, e maistre
« Ferari li respondea ades. » Viennent ensuite quelques
détails sur ses compositions et ses amours et rien de plus.
A l'origine « estense » du manuscrit d'Esté s'opposent plu-
I. Ces poésies sont classées clans le travail de M. N. Zingarolli, Intorno
a due trovatori in Italia, Fironzc, 1S99, p. 27.
MELANGES ET DOCUMENTS. 241
sienrs raisons. Entre autre, Vincipil bien connu ne permet
point d'affirmer que la première partie ait été écrite en 1254
à la cour d'Esté, attendu que cet încipU peut tout aussi bien
provenir d'un original perdu ou égaré. Le manuscrit d'Esté,
selon la juste remarque de Mussafia, peut se diviser en plu-
sieurs parties très distinctes par l'écriture :
1. Ff. 1-151. Première série de poésies.
2. Ff. 153-211. Seconde série de poésies, tirée du livre d'« Al-
berico ».
3. Ff. 213-216. Tesaur de Peire de Corbian.
4. BT. 218-230. Poésies françaises.
5. Ff. 232-243 Recueil de sirventés de Peire Cardenal.
6. Ff. 243''-260. Biographie et anthologie de Ferrarin de
Ferrare.
On trouve en tête du manuscrit un index des trois premiè-
res parties, ce qui permet de le diviser en deux grandes sec-
tions principales (Ff. 1-230 et 232-260). La division de Mussafia
a été acceptée par M. Grober, qui est arrivé à la conclusion,
en ce qui concerne la constitution du manuscrit, que pour la
première de ces deux grandes sections, aussi bien que pour
la seconde, le chansonnier, a été puisé à différentes sources
qui correspondaient aux divisions principales. De là résulte
donc la nécessité de maintenir une séparation entre les diver-
ses parties du manuscrit; et il se peut que la première série
de poésies ne soit qu'une copie d'un manuscrit perdu écrit
en 1254. En outre, aucune raison ne porte à croire que le
manuscrit ait été exécuté à la cour d'Esté. Au contraire, il y
en a plusieurs, qui font songer à la Vénétie, en général, ou
encore à la marche de Tréviso, qui ont été au moyen âge, sur-
tout au xiiie siècle, de véritables foyers de poésie. Au bas du
folio 216'*, on lit le nom, déjà relevé par Mussafia, de Petrus
DE Cenet., qui était magisler et qui vivait, à en juger par
récriture de cette note, à la fin du xiv* siècle ; ce nom se
répète au f. 260*^, à la dernière page du manuscrit, ce qui
montre évidemment que les deux parties principales du grand
242 ANNALES DU MIDI
recueil étaient possédées en ce temps- là par un certain
Petrus, qui était de Ceneda près de Trévise'.
Mais un fait tout à fait nouveau mérite d'être mis ici en
lumière. A la fin du xv« siècle, cotre manuscrit n'était pas à
Ferrare, mais à Venise, dans la bibliothèque de Giovanni
Malipiero, où il portait le n" 14. La preuve en est fournie par
la signature « Zuan Malipiero cataneus », qui se lit au verso
du dernier feuillet de garde du manuscrit, fait qui, malgré
son importance, a passé inaperçu jusqu'ici.
Zuan Malipiero est bien connu. Il était fils d'un certain
« Paolo » et avait épousé la sœur du célèbre Marino Sanuto^.
Il avait aussi une bibliothèque très riche , dont quelques
volumes purent bien passer à Sanuto avant et après sa mort
(t 1536) ^
Or, comme on sait que quelques livres de Sanuto furent
empruntés par le cardinal P. Berabo. on peut supposer que
notre manuscrit a été porté à Ferrare vers 1502 par le même
Bembo, qui se plut, à la cour d'Esté, à comparer le manus-
crit B avec /iT*. Il est sûr que le manuscrit B faisait déjà
partie de la bibliothèque des ducs d'Esté dans la seconde moi-
tié du XVI® siècle, puisque G. M. Barbieri a pu écrire dans son
Origine délia poesia rimata les lignes qui suivent : « Mi
« ricorda di avère già veduto in un gran libro provenzale
1. Non seulement possédées, mais encore corrigées : f. 2a, 1. 2 de sur
ligne; 3d, no, id.; 18b un mot ajouté : oscura; f. 2Ib : e uos ren m07i
cors de bon cor et marmor, etc.
2. / Diarii di Maritio Sanuto, prefaz. di G. Berchet; Venezia, 1903,
pp. 13 et 38. — Zuan Malipiero se trouve, pour une raison ou pour une
autre, plusieurs fois mentionné dans les Diarii : VII, 577 (1508) ; XVII,
283 (1513); XXIII, 531 (27 janvier 1517); XXIX, 220 (1520); XXXI. 498
(1521), etc. On lit dans son testament (1533) : & Voio et ordeno che tutti li
« altri miei libri a stampa è nel studio grando da basso et quelli a penna
« ch' è in li mei armeri di la mia caméra che sono in numéro più de
« 6500; quai mi ha costà assà danari et é cose bollissime et rare e molti
« di Ihoro che non si trova, di li qnali ho uno inventario con il precio di
« quello mi costorono... et prego essi signori Procuratori overo Gastaldi
« non butino via diti libri. » (Diarii, p. 101.)
3. Sanuto a dressé un index des i-omans chevaleresques. (Crescini,
Giorn. stor. délia letterat. ital., V, 181-5.)
4. Bertoni, Studi roma7izi, I, p. 1. On peut aussi conjecturer que le
ms. est parvenu à la cour après la mort de Bembo.
MELANGES ET DOCUMENTS. 243
« 50 canzoni con questo titolo sopra Istae sunt cantiones
« francigenae W L, il quai libro di présente si trova nella
« libreria ducale di Ferrara^ » Ce grand livre est justement
notre manuscrit D.
Giulio Bertoni.
1. Voir mon livre : G. M. Barbieri e gli stiidi romanzi nel sec. XVI;
Modena, 1905, p. 50.
COMPTES RENDUS CRITIQUES
Henri Moris. Cartulaire de l'abbaye de Lérins (deuxième
partie). Paris, Champion, 1905; in-4o de cx:-296 pages.
Le savant archiviste des Alpes-Maritimes a terminé, en 1905,
la publication du Cartulaire de Lérins dont il avait donné,
en 1883^, la première partie, en collaboration avec Edouard
Blanc, à cette époque bibliothécaire deNice. Entre temps, M. Mo-
ris avait classé et et inventorié les papiers de Lérins^. Sans mé-
connaître l'importance de ces divers travaux, il faut convenir
que le dernier ouvrage offre un intérêt supérieur. Le paléogra-
phe consciencieux s'y retrouve, avec toute sa compétence, dans
la lecture des chartes et les soins minutieux qu'il apporte à leur
publication, scrupuleusement exacte. Mais à côté de cet excel-
lent metteur en œuvre de documents, il y a l'historien de valeur.
Nourri de son sujet depuis tantôt quinze ans, il en connaît assez
toutes les parties pour le présenter sous son jour véritable et en
faire ressortir les côtés originaux. D'autre part, l'érudition géné-
rale de l'auteur le met à même de traiter toutes les questions
connexes.
Quiconque écrit sur les moines sait combien de problèmes sou-
lève ce genre de travaux. Les institutions monastiques n'ont-
elles pas joué un rôle prépondérant au moyen âge tant au point
de vue intellectuel et civil qu'artistique et religieux? L'Eglise,
1. Paris, Champion, in-l» do XLViii-lTiJ pages; fac-similé en héliogravure.
2. Inventaire de la série II des archives des Alpes-Maritimes, Nice,
Ventre, n"' 1 à 1109 ; pages v à xv, 1 à 171.
COMPTES RENDUS CRITIQUES. 245
les seigneurs et le roi s'en sont servi tour à tour pour défendre
et accroître leur influence. Aussi rien de plus difficile que de faire
revivre une abbaye durant les longs siècles de son existence.
M. M. l'a fait dans l'introduction magistrale de la seconde partie
du Carlulfiire. Ce n'est là évidemment qu'une ébauche, mais
d'un heureux augure pour l'histoire de Lérins. L'auteur, en com-
prenant toute la portée, la prépare et la mûrit. Il en indique
aujourd'hui le plan, sans le tracer d'une manière définitive.
L'introduction d'aiileurs, et c'est un mérite à nos yeux, se
dégage entièrement du Cartulaire, le reflète, en est une vivante
image. Sans doute, cet abrégé historique n'a pas et ne peut pas
avoir la vie qu'aura l'étude définitive dont il n'est que le fron-
tispice. On ne peut pourtant y reprendre la froideur de style, la
sèche concision de la plupart des publications de cette nature.
Par son antiquité, sa situation topographique et le lustre de
plusieurs de ses membres, le monastère de Saint Honorât est un
des plus intéressants à connaître. Que de données inédites, de
révélations peut-être sur la Provence et les Etats italiens nous
apportera l'histoire de Lérins ! Cette abbaye est, après Saint-
Victor de Marseille, une des plus importantes du Midi. Ses pos-
sessions, comme celles du puissant monastère bénédictin, se sont
étendues en Italie et jusqu'en Espagne. Elle a compté, parmi ses
abbés et ses moines, des saints, les Honorât, les Hilaire et les
Maxime; des martyrs, Aygulphe et Porcaire ; des orateurs,
Valérien et Césaire; des écrivains, Euclier et Salvien. Ces gran-
des figures s'effacent devant celle du controversiste Vincent de
Lérins, dont le Commonitorium pro catholicœ fidei antiquilate
vient d'être rajeuni par l'actualité que lui donnent de récentes
théories exégétiques.
M. M. embrasse tout le passé du monastère. Le prenant au
lointain de sa fondation, il en suit un à un les agrandissements
et les vicissitudes jusqu'à sa sécularisation par Pie VI, le
10 août 1787 (bulle Ex injunclo). Il initie le lecteur au fonctionne-
ment de l'abbaye par l'examen détaillé des statuts. Il donne la
chronologie des abbés du ix» siècle à la Révolution'. La liste
publiée dans la Gallia christiana s'arrêtait en .1681 et demandait
une revision complète.
L'auteur a dressé aussi la liste des archevêques d'Embrun et
1. Pa^es 2U1 à 293,
246 ANNALES DU MIDI.
des évêques de Digne, Fréjus, Glandèves, Grasse, Riez, Senez et
Vence i, d'après le Trésor de chronologie de Mas-Latrie, les Ar-
chevêques et évêques de France du P. Armand Jean, S. J., et la
Hierarchia du P. Conrad Eubel.
A citer encore l'index chronologique des chartes 2, une table
des Incipil^, l'index général^ (noms de personnes et de lieux) et
un index géographique ^ Félicitons l'archiviste distingué des
Alpes-Maritimes d'avoir fait une large part à la géographie de
l'abbaye en illustrant son Cartulaire d'une carte des possessions
territoriales du monastère de Lérins. Cette carte permet de
mieux juger de l'ensemble des'possessions, de l'importance du
domaine des moines de saint Honorât.
Une autre preuve du rôle considérable de Lérins au moyen
âge, argument développé comme il convient par M. M., ce sont
les exemptions et privilèges accordés à l'abbaye par l'autorité
ecclésiastique et le pouvoir séculier. Papes, rois de France, hauts
et puissants seigneurs se montrent envers elle prodigues à l'envi .
Les donations affluent, surtout lors du réveil religieux du xi" siè-
cle, après les terribles émotions de l'année fatidique. Au lende-
main de l'an mil, Lérins s'enrichit tout à coup d'une centaine de
dépendances réparties entre quatre-vingt localités de France,
d'Italie et d'Espagne.
Si l'on pousse davantage l'analyse, plusieurs points historiques
sont à signaler. Un des plus intéressants est le. rattachement
momentané du monastère à Saint-Maur, sous l'action combinée
de Richelieux et du célèbre Godeau.
Le côté archéologique et artistique " de l'œuvre n'a pas été
négligé. Si le lecteur suit les moines à travers les phases de la
vie monastique, du haut moyen âge à la fin des temps moder-
nes, il s'instruit par surcroît des transformations par lesquelles
ont passé les bâtiments de l'abbaye, du roman au gothique, du
gothique aux remaniements contemporains.
Le style de M. M. ne manque ni de relief, ni de couleur. Les
1 . Pages 283 à 289.
2. Pages 217 à 225.
;3. Pages 279 à 282.
4. Pages 227 à 253.
5. Pages 255 à 278.
6. Nous avons publié dans le liulletùi archéologiquei 1907, une étude
sur une châsse en bois peint du xv siècle, de l'abbaye de Lérins, con-
servée dans l'église de Grasse.
COMPTES RENDUS CRITIQUES. 247
lignes, d'un tracé si pittoresque, de la Côte d'azur, l'intensité de
ses bleus, la luxuriance de sa flore et, par-dessus tout, la lumi-
nosité toute grecque de son atmosphère ont bien inspiré l'au-
teur. Derrière le paléographe et l'historien apparaît parfois le
poète; mais toujours discret, à rencontre des gens de son
espèce, celui-ci demeure à l'arrière-plan. 11 se contente d'égayer
çà et là d'une image les beautés sévères de l'histoire ou de l'éco-
nomie politique, à l'exemple de ces peintres ornemanistes des
temples de l'Hellade, dont les couleurs sobrement disposées prê-
taient un charme de vie à des formes architecturales harmo-
nieuses sans doute, mais un peu nues et un peu sèches.
G. Arnaud d'Agnel.
Pierre Champion. Cronique Martiniane. Edition criti-
que d'une interpolation originale pour le règne de
Charles VII restituée à Jean Le Clerc. Paris, ChamploQ,
1907; ia-8° de lxxix-127 pages.
Le second volume de la Cronique Martiniane, publiée au début
du xvie siècle à Paris par Ant. Verard, contient, du fol. 274 au
fol, 307, un texte qui vient d'être édité à nouveau, avec une anno-
tation très complète, par M. P. Champion, et accompagné d'une
introduction qui fait ressortir pour la première fois le caractère
et la valeur du document. Celui-ci est intéressant à plus d'un
titre pour l'histoire du midi de la France. Je crois donc utile de
signaler ici le mémoire et la publication de M. P. C. Je laisse de
côté les autres morceaux dont se compose la compilation qui
forme la deuxième partie de la Cronique Martiniane, morceaux
sur lesquels on trouvera d'ailleurs des renseignements abondants
et précis, et toutes les indications bibliographiques désirables
dans l'introduction très documentée de M. C. Celui auquel est
consacrée la présente publication se présente sous la forme d'une
interpolation des chroniques de Monstrelet et d'Alain Chartier.
Or, M. C. paraît avoir démontré que cette interpolation doit être
attribuée au môme auteur que celle d'un des mss. de la Chroni-
que Scandaleuse, étudiée par J. Quicherat et M. B. de Mandrot,
c'est-à-dire à un certain Jean le Clerc, attaché au service de la
maison d'Antoine de Chabannes, puis secrétaire du roi, mort
en 1510. Et, en effet, l'interpoiateur del^onstrelet, Chartier, dont
l'œuvre a été insérée dans la Martiniane, emprunte les rensei-
248 ANNALES DU MIDI.
gnements originaux qu'il fournit', soit à des pièces offlcieiies
conservées dans las archives de la maison de Chabannes^, soit
aux souvenirs personnels d'un des représentants de cette maison,
Antoine, le redoutable chef dEcorcheurs, comte de Dammartin,
depuis 1439. Indépendamment de son origine limousine, Antoine,
au cours de sa vie mouvementée, a joué un certain rôle dans
l'histoire du Midi, puisqu'à deux reprises, en 14oo sous Char-
les VII, et en 1469 sous Louis XI, il reçut du roi mission de s'em-
parer des terres du comte d'Armagnac. En outre, il fut chargé
par Charles VII de surveiller dans son apanage le dauphin Louis,
et la partie de Cronique Marliniane ^whWée par M. C. apporte sur
cette période de la vie de Louis XI un certain nombre de détails
nouveaux. I\!ais surtout on y trouvera d'abondants renseigne-
ments sur l'existence des chefs de compagnie, les deux Chaban-
nes, Antoine et Jacques, et leurs compagnons La Hire et Xain-
trailles, et tant d'autres « qui vivaient sur le pays le plus gra-
cieusement qu'ils pouvaient^ ». Ces hommes ont une menta-
lité spéciale, qui n'exclut pas un certain loyalisme, — comme le
prouve l'exemple d'Antoine de Chabannes répondant à Louis XI :
« Les miens ont servy le feu roy vostre père, que Dieu pardoint,
en ses grandes affaires..., c'est à savoir feu mon père en la ba-
taille d'Azineourt, mon frère Estienne a Crewanz, et mon frère
dernier en Guyenne, et de œoy, sire, depuis que j'ay pu monter
à cheval, j'ay servi le roy vostre père et vous le mieux que j'ay
peu » *, — mais qui leur fait regarder la guerre surtout comme
une industrie dans laquelle il est louable de s'enrichir. « Si j'ay
mangié à ma jeunesse des choses aigres et amères, je espère en
mangier quelque jour de plus doulces ))5, disait le même capi-
taine. Un peu de pittoresque ne dépare pas les travaux d'érudi-
tion, quand le sujet le comporte, et ces remarques sur le carac-
tère des personnages, faites dans son introduction par M. C,
ne nuisent en rien à la netteté de son argumentation ni à l'abon-
dance de son information. R. Poupardin.
1. M. C. n'a reproduit dans son édition que les parties originales, se
bornant à renvoyer au texte de Monstrelet pour les passages purement
et simplement empruntés à ce dernier.
2. En généi-al transcrites avec soin, comme on peut en juger d'après
cei'taines d'entre elles dont les originaux se sont conservés par ailleurs.
3. Champion, p. 17.
4. Ibid., p. XXXI \', n"2. '
5. Ibid., p. 21.
COMPTES RENDUS CRITIQUES. 249
Lieutenants Dessat et de I'Estoile. Origines des armées
révolutionnaires et impériales (1789-1815) d'après
les archives départementales de l'Ariège. Préface
d'Emile Darnaud. Paris, iinpr. Denis, 1906; iu-12 de xii-188
pages, avec carte.
On peut distinguer deux parties dans ce travail. La première
donne, au point de vue ariégeois, un résumé sommaire de l'orga-
nisation des volontaires et des campagnes contre l'Espagne
pendant la Révolution, d'après des documents ou brochures déjà
connus, mais qui étaient dispersés, tandis qu'ils se trouvent ici
groupés pour former un tout.
La seconde, de beaucoup la plus intéressante, faite d'après les
documents d'archives, est relative à l'exécution de la conscription
de Jourdan, sous le Directoire, aux levées faites dans l'Ariège,
sous l'Empire. Les chiffres exacts donnés pour chaque cons-
cription permettent de constater d'une façon frappante l'énorme
consommation d'hommes faite par Napoléon qui épuisa complè-
tement le pays. L'Ariège fournit 1â,000 hommes dont 6.000 furent
tués. Ces chiffres sont considérables, étant donnée la superficie
et la population du département.
Les derniers chapitres concernent l'organisation soit de corps
spéciaux, — vélites de la garde (1803-1814), gendarmes d'ordon-
nance (1806-4807), pupilles de la garde (orphelins des hôpitaux
enrégimentés à 16 ans, 1811-1814), flanqueurs de la garde (en-
fants de fonctionnaires subalternes. 18M-1815), cavaliers offerts
par le département (1813), gardes d'honneur (1806), compagnie
de réserve (1804). — soit de corps locaux comme les miquelets ou
bataillon de chasseurs de montagne (1808-1814), qui s'illustra
dans la guerre d'Espagne, mais qui, dès sa formation, sur 1139
soldats avait été réduit bientôt à 400 par suite de désertions. Ce
sont là des institutions peu connues, et le travail de MM. D. et
de l'E. est très instructif à cet égard" malgré une certaine inex-
périence de la méthode historique : références mal indiquées ou
absentes, pièces justificatives déjà publiées ou parfois peu en
rapport avec le sujet, carte assez confuse et assez inexacte.
Il y a malheureusement dans cet ouvrage un défaut très regret-
table. Comme le fait présager la préface, intitulée » Vive
l'Armée! », pleine de sentiments fort respectables mais qui n'ont
rien à faire dans un travail scientifique, ce livre a été écrit pour
ANNALES DU MIDI. — XIX 17
250 ANNALES DU MIDI.
faire une apologie du i>oldat ariégeois. Aussi les auteurs n'ont-ils
traité que fort rapidement tout ce qui eût pu rabaisser leurs
héros, et notamment la grosse question des déserteurs et réfrac-
taires à laquelle il ne font que de très brèves allusions, dont on
doit d'ailleurs leur savoir gré, d'autant qu'elles sont suffisantes
pour indiquer l'étendue du mal. La correspondance échangée à ce
sujet entre les autorités et conservée aux archives départemen-
tales de l'Ariè^e est considérable. C'est ainsi que des préoccu-
pations étrangères à la science historique ont amené les auteurs
à négliger tout un côté de la réalité. Si les soldats ariégeois ont
donné de beaux exemples de courage et d'iiéroïsrae, — et MM. D.
et de l'E. en citent des traits qui montrent bien l'enthousiasme
patriotique des volontaires, — il y a eu aussi dans ce pays de
montagnes un nombre particulièrement considérable de réfrac-
taires et de déserteurs, favorisés par la nature du terrain et le
voisinage de la frontière. MM. D. et de TE. citent bien quelques
chiffres, en ce qui concerne la période impériale, mais il aurait
fallu insister davantage, rechercher si ces désertions ont été
plus fréquentes sous la Révolution ou sous l'Empire, donner les
chift'res pour chaque levée.
La question reste donc à peu près entière, et on pourra, en
l'étudiant, en tirer des conclusions du plus haut intérêt sur
l'exaspération produite dans les populations par les campagnes
napoléoniennes et les levées incessantes d'hommes. L' « épopée
impériale » a son revers de la médaille. Les auteurs ont dû
avouer eux-mêmes que les municipalités étaient complices des
rebelles. Ils auraient pu citer aussi l'incendie de la préfecture
de Foix. de 1803, dû, paraît-il, à des réfractaires qui voulaient
faire disparaître les registre de l'état civil et les listes de la
conscription. Enfin, c'est aussi, dit-on, sous le premier Empire
qu'une bande de réfractaires réfugiée dans la grotte de Lombrive.
près Ussat, extermina presque tout un régiment envoyé contre
elle, à mesure que, un à un, les soldats franchissaient en ram-
pant un étroit passage de la caverne. Il y a là matière à d'inté-
ressants travaux relatifs à l'état social sous le premier Empire.
Tel qu'il est, et malgré cette lacune, ce livre mérite do fixer
l'attention pour les faits locaux qu'il révèle et les institulions
militaires peu connues qu'il étudie. Kr. Gal.^bert.
REVUE DES PÉRIODIQUES
PÉRIODIQUES FRANÇAIS MERIDIONAUX
Alpes (Hautes-).
Annales des Alpes, t. IX, 1905.
p. 5-15 et 58-67. Abbé Guillaume. Le pape Pie VI à BriaiK'on, mai-
juin 1799. [Lettres, la plupart inédites, des commissaires envoyés à.
Briançon par l'administration centrale des Hautes- Alpes afin d'approvi-
sionner l'armée : il s'agissait de repousser l'invasion des Austro-Russes,
vainqueurs des Français en Italie. Elles donnent de nombreux détails
sur les charges imposées à la population, et quelques-uns sur le séjour
du pape à Briançon où le Directoire le retenait prisonnier. Les Direc-
teurs voulaient faire partir Pie VI pour Valence; les commissaires, de
leur côté, jugeaient qu'il était hors d'état de supporter les fatigues du
voyage.] — P. 15-8 et 75-82. F.-N. Nicollet. Renseignements et docu-
ments tirés des Archives de la cathédrale de Gap et de la métropole
d'Embrun au xvii" siècle. [Ces fonds ayant disparu, M. N. a essayé de
grouper quelques renseignements et documents qui leur furent emprun-
tés avant qu'ils n'eussent été détruits : ainsi sur la maison de Laidet;
texte et tx'aduction de pièces trouvées à la bibliothèque Méjanes, d'Aix.]
— P. 19-31. P. G. Situation financière de l'ancien diocèse de Gap à la
veille de la Révolution. [Biens du clergé et ses dettes. Cet article sem-
ble extrait de l'Inventaire des archives départementales.] — P. 32-8,
67-75 et 107-19. L. B. Le conventionnel Borel et sa famille. [Suite et fin.
Cf. A/inales du Midi, t. XVIII, p. 102. Discours, actes, etc., de 1795,
relatifs au Piémont en particulier. Ce grandiloquent et sincère représen-
tant du peuple eut six enfants, dont un, Hyacinthe, fut officier dans la
garde impériale. Lettres par lui écrites d'Espagne. 1810-1812.] —
P. 48-52. Variétés. [Lettre du curé de Gap, accusé de vol, 1794 ; vin des
troupes, même année.] — P. 88-7. Clercs tonsurés par Gabriel de Cler-
mont, évêque de Gap, le 19 décembre 1557. [Liste en latin de cent neuf
252 ANNALES DU MIDI.
clercs. L'évêqne se fit protestant cinq ans plus tard.] — P. 94-10(1. Va-
riétés. [Un voyage de Gap à Grenoble par les montagnes en l^ûH; le
pillage de Gap en 169-2 par les Piémontais.] — P. 101-7, 174-9, 201-7 et
265 70. P".-N. NicoLLET. La conimanderie de Saint-Jean de Jérusalem de
Gap et les membres qui en dépendaient au xvii" siècle. [Documents
tirés d'un ms. de la bibliothèque Méjanes; M. N. les éclaire de notes
excellentes provenant soit d'un autre ms. de la même bibliothèc^ue, soit
des archives du Vatican. Enumération des terres et revenus que possé-
dait la commanderie. Elle était grevée de lourdes charges, et son revenu
net en 1758 n'allait qu'à 4,500 livres.] — P. 119-30, 166-73, 218-26 et
271-7. Abbé P. Guillaume. Livre de raison de Martin de La Villette,
seigneur majeur des Crottes, coseigneur du mandement de Savines.etc,
1500-1525. [Texte complet de ce livre, qui fut écrit au jour le jour, en
langue vulgaire de l'Embrunais, avec addition de quelques actes rédi-
gés en latin par des notaires. La fortune du sieur de La Villette, assez
considérable, consistait en terres et bestiaux. Le livre nous renseigne
donc sur la culture des champs, prés, vignes, le louage des domesti-
ques, sur les mesures et les monnaies en usage. Les documents patois
sont très rares en Embrunais, circonstance qui augmente l'intérêt de
celui-ci.] — P. 130-7, 153-65, 208-18 et 249-64. P. Guill.vume. La défense
des Alpes en juillet-décembre 1799. [Lettres, proclamations, etc. L'ar-
mée des Alpes, commandée par Championnet, était alors désorganisée,
faute de ressources. Les administrateurs du département font des efforts
héroïques pour aiiler à son ravitaillement en vivres et en munitimis.
CL plus haut l'article intitulé Pie VI à Bfiançon, dont celui-ci est la
suite.] — P. 152. Variétés. [Gratification extraordinaire à Mourin, tam-
bour de la garde impériale, 1808.] — P. 180-3. P. G. Inventaire des
meubles, bibliothèque et archives de Pierre-Annet de l'érouse, évèque
de Gap (1754-1763). [Simple analyse.] — P. 194-200. Variétés. [Le bac de
Thèze sur la Durance, 1724, 1718-1726; les fondations de La Salette en
17.59.] — P. 227-9. Les écartons du Briançonnais et les dettes de la com-
munauté de Névache en 1753. [Mémoire pour cette communauté, l'une
des dix-neuf du liriançonnais, alors réparties en deux « écartons » ou
groupes contribuables. Ayant été pillée et incendiée plusieurs fois par
les ennemis, elle devait à son écarton 46,281 livres en capital et inté-
rêts.] — P. 235-48. Variétés. [Inventaire du mobilier d'un vicaire de Val-
louise en 1714 ; le diocèse de Gap en 1764 ; réforme du calendrier grégo-
rien à Gap en décembre 1582; la misère et l'instruction dans le canton
de r.\rgontière en 1817; invitation adressée à Gap d'assister à la réu-
nion de Vizille, 18 juillet 1788 : pourquoi la ville n'y fut pas représen-
PÉRIODIQUES MÉRIDIONAUX. 253
tée.] — P. 277-82. V. Lieutaud. « Mise de pocession de lii prévôté de
Chardavon, diocèse de Gap, pour M" de Goinbert. » [1761. Gombert, à
cette date, succède au prévôt P. de Lieutaud, et en 1766 il est remplacé
lui-même par l'abbé II. Ricaudy. Ces deux titulaires, l'un et l'antre de
Sisteron, furent les derniers.] P. D.
Alpes-Maritimes.
Annales de la Société des letù^es, sciences et arts des
Alpes-Mariti7nes, t. XIX, 1905'.
P. 1-76. G. Doublet. Gattières, une enclave italienne sur la rive française
du Var. [Histoire de ce village qui i-eleva de la mitre de Vence, même
quand il appartint, non à la Provence, mais à la Savoie, et qui, situé
sur la rive droite du Var, était chez nous un poste avancé de l'état voi-
sin : le i-écit s'arrête à 1672 et doit être continué dans le t. XX.] —
P. 77-89. D'' GuEBHARD. Note sur un trésor de deniers romains trouvé
en 1901 aux environs de Nice. [Dont quelques-uns ont été donnés par
l'auteur au musée de Neuchâtel en Suisse : deux planches offrent l'image
des plus intéressants.] — P.91-120.P.Goby. Sur quelques meules à grains
et un moulin ancien ressemblant auTrapetuni, découverts dans l'arron-
dissement de Grasse (deux planches). — P. 121-232. Abbé Rance-Bour-
REY. Pie VII dans lecomté de Nice en 1809 et 1814. [Une planche repré-
sente, d'après une gravure du début du xix= s., la place où sont la croix
de marbre commémorative de l'entrevue de 1538 et la colonne qui rap-
pelle les deux séjours du pape.] — P. 233-53. E. Ra.ynaud. Statuts de la
vill« de Nice au xiii" s. [D'après un manuscrit de la Bibliothèque mu-
nicipale de Nice.] — P. 255-62. Jaubert. La Napoule et ses pêcheries
au xvii« s. [Une planche reproduit une carte de cette époque.] —
P. 263-71. F. Mader. La disparition du palmier nain, autrefois sau-
vage, dans les Alpes-Maritimes. [La question a un intérêt historique.]
— P. 273-90. Lieutenant-colonel de Ville d'Avray. Etude et plan des
Encourdoules. [Plateau qui domine Vallauris. L'auteur, qui a joint à
son article plusieurs dessins de sa plume, pense que les Oxybii ont
occupé ce point.] — P. 299-399. Moris. L'abbaye de Lérins, son his-
toire, ses possessions et ses mgnuments anciens. [On sait que l'auteur,
archiviste des Alpes-Maritimes, vient de publier le tome II du Cartu-
1. Le tome précédent (t. XVIII, 1903, cf. Annales, t. XVI, p. 251) se
termine par les rapports des présidents de la Société sur les travaux des
exercices 1900-1902, et par une note de M. G. Doublet sur les travaux de
François Brun, secrétaire perpétuel et doyen de la Société, mort en dé-
cembre 1899.
254 ANNALES DU MIDI.
laire de Lérins, auquel l'Académie des Inscriptions a accordé une
mention. Dans ce mémoire, qui suit de près l'introduction mise au
tome II, on trouvera en particulier trois planches intéressantes.]
G. D.
Ariège.
Bulletin périodique de la Société Ariégeoise des Sciences,
Lettres et Arts (Foix) et de la Société des Études du
Couserans (Saint-Girons), t. X, 1904-1906 (suite et fin).
p. 113-30. Fr. Galabkrt. Les archives révolutionnaires de l'Ariège. [Ro-
pi'oduction d'un article paru, en 1905, dans la Réoolution française.
Reconstitution du dépôt départemental détruit dans un incendie; énu-
mération des archives communales et autres où se trouvent des docu-
ments de l'époque révolutionnaire.] — P. 131-44, 177-200. F. Pasquier.
Coutumes municipales de Foix sous Gaston Phœbus, d'après le texte
roman de 1387, seconde édition. [Etude accompagnée du texte des cou-
tumes et d'autres pièces justificatives.] — P. 145-48. Abbé Ed. Lafuste.
Renseignements historiques tirés des archives paroissiales de Bélesta.
[Sur les guerres de religion.] — P. 149-G5, 201-16, 246-76. C. Barrière-
Flavy. Le capitaine .Jean Lecomte, gouverneur du château et de la ville
de Foix, 1584-1600. [Épisodes de la Ligue et des guerres de religion
dans le comté de Foix. Mémoire suivi de pièces justificatives, dont
quinze lettres de Henri IV, d'un inventaire du château de Foix
en 1600, etc. Ces documents sont tirés du chartrier de M. le comte de
Brettes-Thurin, au château de Jottes (Haute-Garonne).] — P. 165-72.
L. DE Bardies. Excursion de la Société des Études du Couserans à
Sentein-les-Bains (canton de Castillon, Ariège). [Description archéolo-
gique des monuments de la vallée du Lez : Luzenac, Castillon, Sen-
tein, etc.] — P. 219. G. Doublet. Réception de Froissard à Mazères
par Gaston Phœbus, d'après une miniature de l'époque. — P. 225-45.
G. Doublet. Histoire de la maison de Foix-Rabat. [XI^ partie, avec
avant-propos. Fac-similé d'autographes de membres de cette famille.]
— P. 277-95. F. Pasquier. La détresse de l'abbaye des Salenques au
comté de Foix en 1483. [Texte avec pièces justificatives.] — P. 296-8.
F. Pasquier. Déclaration faite, en 1627, par les villes de Pamiers,
Mazères, Saverdun et du Caria, de rester fidèles au roi. — P. 317-9 et 432
Découverte à Saint-Girons d'un autel funéraire de l'époque gallo-
romaine. — P. 320. Fiefs dans la Barguillère, près Foix, au xv siècle.
— P. 321-31). G. Doublet. La corne de serpent des comtes do Foix otles
papes Clément V et .Jean XXII. — P. 331-16. .J. Decap. L'instruction
publique à Mazères (comté de Foix) aux xvii= et xviii» siècles, d'après
PÉRIODIQUES MÉRIDIONAUX. 255
les registres des délibérations municipales. — P. 347-50. Fr. Galabert.
Le château de Pamiers au xv siècle. — P. 353-7. G. Doublet. Le tri-
bunal d'Inquisition à Pamiers. — P. 369-96. G. Doublet. Un ambassa-
deur ariégeois de Louis XIV auprès de Charles XII. [Il s'agit de
M. de Bonnac, qui représenta aussi la France en Espagne, en Turquie
et en Suisse.] — P. 397-400. Abbé Gau-Durban. Notice biographique de
M^'' Dominique de Lastuc, dernier évèque de Couserans, d'après des
archives de famille. — P. 401-16. E. Trutat. Le congrès international
d'archéologie et d'anthropologie préhistorique de Monaco (16-20 avril
1906). — P. 420-3. F. Pasquieu. Hommages des châteaux de Mirepoix
en 1152 et de Niort en 1158. [Avant-propos et textes.] — P. 423-7. Em.
Cartailhac. Découvertes préhistoriques dans une grotte de Niaux, près
Tarascon (Ariège). [Peintures sur plusieurs parois de la grotte représen-
tant des animaux; elles sont analogues à celles découvertes en Espa-
gne.] — P. 441-5. Table des matières du X» volume.
F. P.
Aveyron.
I. Mémoires de la Société des Lettres, Sciences et Arts de
V Aveyron, t. XVI, 1900-1905 ^
P. 1-23. M. CoNSTANS. Le Grand schisme d'Occident et sa répercussion
dans leEouergue. [Exposé clair et animé, d'après les travaux de M. Noël
Valois sur le Grand schisme, du rôle joué par Bernard VII d'Arma-
gnac, Jean Carrier, archidiaci-e de Saint-Antonin, prieur de Lédergues.
Procès de Jean Trahinier, dernier partisan du schisme, d'après le pro-
cès-verbal conservé à la bibliothèque Sainte-Geneviève. Cet important
document a été imprimé en appendice du tirage à part du présent
article. Rodez, Carrère [1905], p. 76-105; cf. Annales, t. XVII, p. 586-7.
Il serait à souhaiter que l'auteur pût reprendre et traiter plus complè-
tement, avec des documents nouveaux, cet intéressant sujet.] —
P. 24-34. Id. Notes sur les familles aveyronnaises Assézat et Delpech.
[D'après les archives notariales de Toulouse; détails sur la vie des trois
frères Noël, Bernard et Pierre Assézat, d'une famille originaire d'Espa-
lion ; alliés aux Delpech d'Alayrac (près Espalion), établis à Toulouse
où ils s'enrichissent en faisant le commerce de l'indigo. Pierre, mort
vers 1581, fut seigneur de Dunède, capitoul (1550), président de la
Bourse des marchands de Toulouse (1555), fit commencer la construc-
tion du magnifique hôtel qui porte son nom (1555). Le post-scriptum
annonce une publication étendue de Mb'' Douais sur les d'Assézat. Dans
1. Rodez, Carrère, 1906.
256 ANNALES DU MIDI.
les actes des xv^ et xvi'' siècles des divers fonds d'archives d'Espalion,
de Saint-Côme, les Assézat sont fréquemment nommés; v. aussi Arch.
dép.de la Haute-Garonne, fonds de Malte, Espalion, liasse I, n" 16,
1460, etc.] — P. 35-43. F. Mourlot. Victor Dubourg, publiciste, pri-
sonnier d'Etat, né à Espalion en 1715, mort dans la cage de fer au
Mont-Saint-Michel, le 26 aovit 1746. [Détruit quelques détails légen-
daires sur ce curieux personnage qui s'appelait de son vrai nom Pierre
de la Cassagne. Mêlé au monde littéraire et philosophique de la capi-
tale, il se lance dans l'opposition contre la cour. Il va remplir à Franc-
fort le rôle d'espion et de diffamateur politique pour le compte de
Marie-Thérèse. Ses Lettres chinoises, imprimées clandestinement, sont
la « Chronique scandaleuse » de l'Europe. Pour avoir rappelé les noms
d'Agrippine et de Locuste en parlant d'Elisabeth Farnèse, reine d'Es-
pagne, Dubourg fut arrêté et mis en « cage » au Mont-Saint-Michel
^1745) où il ne tarda pas à mourir au milieu de tortures physiques et
morales.] — P. 44-5S. L. Julhe. Notes sur quelques actes du Cartulaire
de l'abbaye de Conques qui font mention des localités situées dans le
Carladez et principalement dans la partie de cette province qu'on nom-
mait le Barrez. [Rectifie et complète un certain nombre d'identifications
de noms de lieux faites par E. Déjardins, éditeur du Cartulaire de Con-
ques.] — P. 59-68. Abbé F. Galabert. Transaction entre le monastère
de Saint-Antonin et le prieuré de Najac, le 21 mai 1428. [Tirée d'un
registre d'actes capitulaires ayant appartenu à la mairie de Saint-Anto-
nin. Texte roman précédé d'une introduction et d'une analyse. 22 arti-
cles. Concerne les services funèbres, l'entretien de l'église, la nomina-
tion des chapelains, les dimes... Quelques formes intéressantes : Sa)ich
Intoni qu'on peut rapprocher des formes sanch Entoni, smich Anto7ii;
revit ho reverdassi, art. [5] = anniversaire. Cf. Atïre, Dictionnaire
des Institutions, mœurs et coutumes du Rouergue, article Patois
A l'art. [14] crelhos corr. trellws. Faute de quelques virgules, le texte
est parfois un peu obscur.] — P. 69-157 et 405-51. Correspondance
inédite d'Amans-Alexis Monteil. [Introduction par M. Constans (cf., du
même. Documents inédits sur Monteil, Rodez, 1901). 1" série : 17 let-
tres, de l'an VI à 1844, écrites à divers personnages officiels. Plusieurs
nous montrent ce qu'avaient coûté à Monteil de travaux, de courses et
de recherches sa Description du département de l'Aveiron. D'autres
nous font connaître ses démarches pour obtenir sa nomination à la
chaire d'histoire et géographie do l'Ecole mililaire de Fontainebleau.
2e série : 7 letlres, écrites la plupart de Fontainebleau, prouvent que
Monteil était un professeur aidées originales (v.la lettre IV) et profon-
PERIODIQUES MÉRIDIONAUX. 257
dénient attaché à ses élèves. 3" série : 36 lettres, écrites presque toutes à
deux compatriotes, H. de Monseignat-Barriac et Vergues, nous révè-
lent l'homme, l'ami, le père de famille : travailleur obstiné, toujours
dans « sa forge » ou à la poursuite des parchemins et des manuscrits,
composant avec grand effort l'Histoire des Français des divers Etats,
dont le t. X parut en 1844. Il veut écrire l'histoire en historien-poète-
peintre (lettre I). A la suite, lettres à son fils. 1828-1833.] — P. 158-70.
P. HoRLUc. Notes de philologie rouergate de J.-P. Durand (de Gros).
[Compte rendu de la partie linguistique et des théories des Notes.
Cf. Annales,XllI, 216.] —P. 171-274. J. -F. A[rtières]. Notice historique
sur les hbertés, privilèges, coutumes et franchises de la ville de Millau
en Rouergue, suivie de nouveaux documents inédits concernant la ville
de Millau. [XXVI articles et un appendice. Exposé historique accom-
pagné de textes inédits sur N.-D. de Millau, la léproserie, le consulat
de Millau : institution du consulat, privilèges accordés par les comtes
de Barcelone et les rois d'Aragon ; coutumes, ordonnances consulaires,
justice, impôts, moulins, boucheries, privilège du sceau rigoureux,
poids public, crieurs publics, etc.; rapports de la commune de Millau
avec les rois de France. L'auteur a montré tous les aspects de l'an-
cienne vie communale.] — P. 273-372. Id. Nouveaux documents inédits
sur la ville de Millau. [Pièces sur les sonneurs de cloches (1281), sur
l'occupation anglaise (1369) : une lettre de Jean Chandos et deux du
prince de Galles, criées concernant les Anglais; lettre de Henri de
Navarre aux consuls de Millau (1587) ; nomination des députés du
tiers état (1789) ; doléances de la communauté de Millau (9 mars 1789) ;
ces documents, ajoutés à ceux que l'auteur a publiés au tome XV des
Mé->noires, forment une importante contribution à l'histoire de Millau.
Ces divers articles, toutefois, se suivent dans un certain désordre.] —
P. 318-9. M. CoNSTANS. Les comtes de Rouergue et de Toulouse sous
Charles le Chauve. [Succession des premiers comtes de Rouergue d'après
de Gaujal, Etudes historiques sur le Rouergue, t. I, p. 212, l'Histoire
de Languedoc, éd. Privât, t. Il, p. 370 et suiv., et le travail de
M. J. Calmette, Les coyntés et les comtes de Toulouse et de Rodez
sous Charles le Chauve, dans Annales, t. XVII, p. 5.] — P. 320-7.
U. Cabrol. Une enseigne du xvi» siècle à Villefranche-de- Rouergue.
[Enseigne d'un jeu de paume, avec planche, et un acte de 1607 relatif à
la construction d'une salle de jeu de paume.] — P. 328-34. E. Vigarié.
Le cimetière gallo-romain de Gaillac d'Aveyron. [Compte rendu de
fouilles faites en 1891-94 ; description de poteries, verreries, monnaies,
bois et métaux, accompagnée de deux planches reproduisant les pote-
258 ANNALES DU MIDI.
ries.] — P. 335-49. Ch. d'YzAu-VAiADY. Mémoire des frais de maladie et
sépulture de Gailhard d'Izai-n de Freissinet, seigneur de Padiès. mor-
tellement blessé à Castelnau-de-Montratier (Lot), le 3 mai 14S7. [Texte
roman, intéressant pour la langue et les détails, sur les frais de sépul-
ture [et les usages mortuaires : mais les fautes et les coquilles abon-
dent : « G. d'Y. de Freissinet {sic) fut tué à Castelnau-de-Montratier,
le 2 mai 1487 (p. 335); or, il fut blessé le 3 à Castelnau-de-Montratier
(p. 337) et mourut le 13 (p. 340) à Gahors. L'auteur a omis trois arti-
cles dans la traduction qui accompagne le texte. L'article 25 de la
p. 337 : Item lo dit jorn, en anan à Castelnou, heguens (corr. he-
guem?) a l'Ospitalet coustet la heguda... est traduit : Et ledit jour, en
allant à Castelnau, nous fûmes (pour nous bûmes) à l'Hospitalet et la
collation (?) coûta..., etc., etc.] — P. 350-62. J. Molinié. .Statuts et rè-
glements que les médecins, chirurgiens, apothicaires du ressort de tout
le marquisat de Sévérac doivent garder et observer. [Du 27 septembre
1694. Intéressant pour l'histoire de la médecine et de la pharmacie.
Quittance des revenus casuels perçus par la généralité de Montauban sur
la communauté des médecins de Sévérac-le-Chàteau pour l'office de
« médecin ordinaire » du roi.] — P. 432-60. A. Booillet. A propos d'un
fermoir eu émail champlevé. [Fermoir émaillé, de travail limousin,
trouvé à La Ramière (Lot), sur lequel est dessinée une jongleresse.
Planche en couleur.] — P. 461-8. L. Lempereur. Note sur l'architecte
Guillaume Lissorgues. [L'auteur élève des doutes sur quelques points
de la vie de ce personnage, « l'architecte présumé » des châteaux de
Graves, près Villefranche-de-Rouergue, et de Bournazel; il cite quelques
textes d'archives se rapportant audit G. Lissorgues et à son fils.] —
P. 469-78. Abbé F. Hermet. Le cartulaire de Gellone et le Rouergue.
[Renseignements sur le Rouergue contenus dans le cartulaire de Gel-
lone, édité par Maux, Cassan et Maynial, Montpellier, 1898.] — P. 477.
Note sur le Tauran. [Prieuré dans le diocèse de Vabres, situé près de
Tournemire et aujourd'hui disparu, d'après une prise de possession de
1421.]— P. 479-91. 1d. Saint-Martin-de-Pris et le village de la Ville.
[Intéressant mémoire sur l'endroit appelé : Lo bilo bieillo (xvi* s.),
mansus de la Villa (cartul. de Conques, 1100). L'auteur identifie aussi
les noms de lieux contenus dans lu première charte du cartulaire de
Conques (801). Note A, texte de 1422 concernant la paroisse de Saint-
Martin-de-Pris. Note B, sur la rocca Priscio, qui ne serait autre que
la grotte du Boundoulàou; elle servait de refuge en 801.] — P. 492-5.
11). Note sur Michel de Montant, prévôt du chapitre collégial de Bel-
mont, xvi' siècle. [A propos d'un écusson qui se trouve dans l'église de
PERIODIQUES MÉRIDIONAUX. 259
Belmont; quelques détails sur les armes des Monlaut, originaires de
l'Ariège, et sur le consulat de Belmont.] — P. 496-507. Id. L'ancien mo-
nastère de Lavernlie. Son existence, son emplacement. [Rectifie avec
beaucoup de science une erreur commise par Bosc qui avait placé
dans la vallée du Lot (m valle Olti) le monastère de La Vernlie, lequel
était en réalité in valle Oliti (rOulip),où est situé La Veriihe, chef-lieu
de commune du canton de Sévérac-le-Chàteau. En appendice, texte d'une
bulle du pape Sixte IV, 1472.J — P. 508-10. Id. Poteries gallo-i'omaines
trouvées à Saint-Georges de Luzenron. — P. 511-6. H.-I. Molinié. Rap-
port sur les fouilles exécutées au Puech de la Garde. [Avec carte et un
plan. L'étymologie Bucciniacum = Bouzinhac est bien hasardeuse. Ni
la phonétique ni l'histoire ne sauraient s'en accommoder.] — P. .517-21.
Id. Inscription lapidaire sur la voie romaine près de Canet-de-Salars
(Aveyron), avec carte et reproduction. — P. 522-33. Abbé Saquet.
Compte rendu des fouilles i^ratiquées dans quelques dolmens et tionuli
des bois de Marques, près Villefranche-de-Rouergue, avec une carte et
une planche. — P. 534-53. Vialettes. Plusieurs œuvres inédites du
P. Dumonteil, de la Compagnie de .lésus, professeur au collège de
Rodez. [Auteur d'une Histoire de sainte Radegonde, Rodez, 1627, et de
poésies en l'honneur de la sainte.] — P. .599-604. L. Masson. Annales du
Midi. [Dépouillement des articles se rapportant au Rouergue. Les dé-
pouillements de périodiques, joints à une liste des ouvrages concernant
le Rouergue, ne sauraient être trop encouragés. Mais ce travail, pour
avoir quelque utilité, doit comporter : 1° le titre exact des articles et
l'indication des pages; 2" une caractéristique de l'article : dire s'il
s'agit d'un article de fonds, ou d'un compte rendu, ou d'un commen-
taire de texte, etc.] L. R.
II. Résultat des conférences ecclésiastiques du diocèse
de Rodez. Histoire de VÉglise du Rouergue., t. II (suite),
19041.
p. 179-204. Pièces justificatives. [Réimpression soignée de dix-neuf pièces
justificatives, déjà parues en 1903, d'après les originaux ou des copies.
I : donation de la villa de Lioujas au monastère de Nonenqiie par Her-
mengarde, ex-comtesse de Rodez (1170). Le rédacteur a ajouté en note
quelques détails intéressants pour la généalogie des comtes de Rodez.
II et m : fondation de l'abbaye de Bonneval (1161); IV et V : dona-
tions faites en faveur du Temple par Raymond de.Luzencon (1140) et
1. Cf. Annales, t. XVII, p. 40.3.
260 ANNALES DU MIDI.
Raymond Bérenger, comte de Barcelone fSainte-Eulalie et la terre du
Larzach, 1159) ; VI et VII : donations en faveur de l'Hôpital Saint-
Jean de Jérusalem (1121, 1146-1166, église de Saint-ï'élix de Sorgues) ;
VIII : sentence arbitrale entre Hugues I", comte, et Pierre, évèque de
Rodez (1161); IX : bulle d'Alexandre III confirmant le commun de paix
(1161) ; X : fondation de l'abbaye de Bonnecombe (1163-1167) ; XI : dona-
tion faite à l'abbaye de Sylvanès (1139) ; XII et XIII : actes concernant
le chapitre de l'église cathédrale de Rodez (1174, démêlés avec les moi-
nes de Saint- Victor de Marseille; 1208, tailles et impositions);
XV : règlement sur la promotion des comtes de Rodez (1195) ; XVI et
XVIII : concession et confirmation de privilèges à la Cité de Rodez
(1218, 1244, texte roman); XVII : fondation d'un couvent de Cordeliers
à Rodez (1246); XIX : supplique du chapitre de Rodez au pape Gré-
goire IX au sujet de l'élection de B., archidiacre de Béziers, à l'évêché
de Rodez (1234).] — P. 203 [sic) -18. Episcopat de Vivian de Boyer
(1246-1274). [Fin de l'Inquisition en Rouergue. Mort de Raymond VII,
comte de Toulouse, à Millau (1249). Rectification d'une erreur de date
commise par l'historien Bosc au sujet de la peste de 1348. Démêlés
entre l'évêque et le comte de Rodez, Hugues IV, au sujet du droit de
leude (1253-1266). Mémoire adressé par Gui de Sévérac à Alphonse de
Poitiers contre l'évêque Vivian (1260). Testament de Hugues IV (1271).
Le rédacteur croit (p. 212) que les noms de lieux, VHerme, l'Her-
met, etc., indiquent qu'à l'origine ces localités furent habitées par des
ermites, tandis qu'en réalité ils se rapportent à la nature du terrain :
Vherme (du grec T)'pE[i.oç) indique une terre stérile ou non cultivée, ce que
les cadastres appellent maintenant l'infertile. Ermitage et ermite ne
sont que des dérivés. Principaux ermitages du Rouergue. Les Domini-
cains à Millau (1268 ou 1270). Réformes dans l'administration des biens
du chapitre, 1248-1274.] — P. 218-35. Raymond II de Calmont [d'Olt],
1274-1298. [S'occupa de la i-econstruction de la cathédrale de Rodez et en
posa la première pierre le 25 mai 1277. La fabrique capitulaire et le
chanoine ouvrier, Déodat de Prades, furent chargés de pourvoir aux
dépenses nouvelles. Nouveaux démêlés entre le comte Henri et l'évê-
que, lutte sanglante, sentence de Pierre Martini et de Garnier de Cor-
doue (ou de Cordes?), 1278. Conciles d'Aurilluc (1278), do Bourges
(1286). Les Dominicains s'établissent à Rodez (1283), les Clarisses à Mil-
lau (1291). Les chevaliers de Saint-.Tean tentent de s'emparer de l'hôpi-
tal d'Aubrac (1297) : la tentative se renouvela en 1317; cf. Bibl. nat.,
collection Doal, n" 135, f" 83-89. Fondations diverses, etc. Le rédacteur
mentionne en trois lignes les statuts synodaux établis par Raymond de
PERIODIQUES MERIDIONAUX. 2t51
('alniont. Il est t-trangr' qu'un tlociiment de cette importance, dont l'ori-
ginal existe anx arcliives départementales, n'ait pas été l'objet d'une
notice un peu étendue!) — P. !236-7. Bernard de Monestier, 1-298-1299.
[Rien d'intéressant. D'après un acte mentionné dans le pouillé de Jour-
dain (xviii» s.), un certain Julien aurait occupé le siège de Rodez en
1299.]— P. 237-8. Gaston de Corn (1300-1301). [Etablissement des Francis-
cains à Millau, des Carmes à Saint-Antonin.] — P. 238-44. Pièces justi-
ficatives. [I : règlement pour le chapitre de l'église cathédrale de Rodez,
1215 ; II, V, VI : documents concernant la reconstruction de la cathé-
drale, tirés de l'ouvrage de B. de Marlavagne, Histoire de la cathé-
drale de Rodez; III : lettres royaux au sujet des marchés de la place
du Bourg de Rodez (1293); IV : préambule du règlement de Raymond
de Calmont pour le chapitre de l'église cathédrale de Rodez, 1281.]
L. R.
Bouches-du-Rhône.
Séance publique de C Académie des Sciences, etc., d'Aix,
82e-85« séances. Néant. — 86« séance annuelle, 1906.
p. 7-33. Marquis G.\.ntelmi d'Ille. Provence etNaples. [Aperçus académi-
ques sur les relations de l'ancien comté de Provence, sous les Ange-
vins, et du royaume de Naples. Très vif sentiment de fraternité latine
généreusement exprimé. Aucune référence.] — Encartage : un panneau
du vestibule de la maison, à Aix-en-Provence, de M. P. Arbaud. [Repro-
duction photographique de trente-quatre pièces importantes de sculp-
ture et céramique provençales ayant figuré à l'exposition coloniale de
Marseille et appartenant au docte bibliophile; entre autres les médail-
lons du roi René ('par Pezetti), de Peiresc (par Gondran) et les armes
des Riquetti de Mirabeau.] L.-G. P.
Charente-Inférieure .
Revue de Saintonge et d'Aunis, t. XXVI, 1906.
p. 8-15. Glorieuse canonisation de notre Père Saint-Jean-de-Dieu. [Docu-
ment de 1701, p. p. M. DE RicHEMOND. Il intéresse l'hôpital militaire de
La Rochelle, fondé jadis par Aufrédi et, pour la partie consacrée aux
hommes, remis aux soins des frères de la Charité par déclaration
royale de 1628.] — P. 15-31, 174-89. D' Ch. Vigen. Etude sur la vie et
le secret de l'abbé Richard, hydrogéologue (1822-1882). [Autrement dit
tt sourcier » célèbre. La Saintonge, aux terrains calcaires, poreux, est le
pays des sourciers.] — P. 32-61, 116-26, 222-79. Ch. Dangibeaud. Sain-
tes ancienne. [Suite et fin de cet excellent travail, conçu par ordre alpha-
bétique. Croquis, documents inédits, renseignements de toutes sortes.]
262 ANNALES DU MIDI.
— P. 83-9. De Croze-Lemercier. Relation du passage de Napoléon I"
à Saintes. [En août 1808; rédigée en un style fort ridicule par le sieur
B. de Laval, ingénieur de la marine.] — P. 89-99. E. Guérin. Quatre
mariages saintais dotés par l'Etat en 1810. [En l'honneur du mariage de
Napoléon avec Marie-Louise.] — P. 99-116. P. Lemonnier. Le clergé de
la Charente-Inférieure pendant la Révolution. [Suite. Liste par doyen-
nés, avec dates et renseignements divers.] — P. 145-56 et 317. D'Olce.
Association de chevaliers de Saint-Louis créée à Saintes en 1816. [Liste
des souscripteurs.] — P. 159-74. P. Lemonnier. La propriété foncière
du clergé et la vente des biens ecclésiastiques dans la Charente-Infé-
rieure. Arrondissements de Saintes et de Marennes. [Les réguliers pos-
sèdent plus que les séculiers dans le premier, moins dans le second. Au
total le clergé possédait dans l'un 1,36 °/o, dans l'autre 1.68 "/„ des
biens-fonds. Sur une population de 100,000 habitants il y eut 600 acqué-
reurs : bourgeois et propriétaires, grands ou petits, fonctionnaires
départementaux, hommes politiques. Les revenus de ces biens s'élèvent
à plus du douille de la somme allouée au clergé par le budget de 1905.
Tableaux détaillés en appendice.] — P. 218-22. Passage de Napoléon 1°
à Pons, p. p. E. Maufras. [Extraits des délibérations du conseil muni-
cipal de Pons, des 29 et 31 juillet, des 2-4 août 1808.] — P. 307-9. J. Pel-
LissoN. Passage de la duchesse d'Angoulême dans la ("harente en 1815.
''Deux lettres, l'une du maire, l'autre du sous-préfet de Cognac, des
20 févr. et 4 mars 1815, à Aug. Martell, négociant, chargé de commander
les gardes d'honneur à cheval de l'arrondissement.] — P. 309-17. Id. La
misère à ïouzac en 1709. [Etat des pauvres de la paroisse à qui des
aumônes doivent être distribuées tous les deux jours (soixante-six noms),
et rôle des habitants qui doivent contribuer à la subsistance des pau-
vres, avec le montant de leur taxe par semaine (quarante-neuf noms) ;
19 mai 1709. Les documents de ce genre sont fort rares.] — P. 321-39,
391-403. T. La municipalité de Saint-Saturnin de Séchaud pendant la
période révolutionnaire. [Commune actuelle de Port-d'Envaux. Analyse
de trois registres de délibérations et d'autres documents, le tout classé
sous les rubriques suivantes : élections, dépenses communales, justice
de paix, garde nationale, recrutement, instruction publique, église,
fêtes, suspects. Plusieurs textes sont donnés in extenso. A suivre.] —
P. 348-73. Biographie du baron Eschasseriaux (1823-1906), et résumé
généalogique sur sa famille.— P. 377-86. P. Fj.eury. Passages à Marans de
L. A. R. le duc et la duchesse d'Angoulême en 1814 .et 1823. [Discours
emphatiques prononcés à ces occasions.] — P. 386-90. Ch. Dangibeaud.
Moule mérovingien en pierre trouvé à Saintes. [Trouvé au cours des
PÉRIODIQUES MÉRIDIONAUX. 263
fouilles actuelles, à l'extréuiité est des substructions des thermes, dans
un cinjetière très ancien. On y voit deux croix, deux ligures et deux
mots gravés à rebours, en caractères du yii" s., d'un côté BORSA, de
l'autre BONA (?).] P. D.
Gard.
Mémoires de l'Académie de Nimes, 7« série, t. XXVIII,
1905.
P. v-xxv. E. Reinaud. Henry Espérandieu et le palais de Longchamp.
[L'illustre architecte est né à Nimes en 1829. L'amour du soleil l'a l'otenu
dans le Midi, et c'est Marseille qui a bénéficié de ses œuvres. Qui ne
connaît l'admirable colonnade ionique du palais de Longchamp, se dé-
coupant sur le ciel bleu ? Les revendications de Bartholdi dans la con-
ception du monument ne sont pas fondées. Le tribunal civil de Mar-
seille, la cour d'Aix, le conseil do préfecture, le Conseil d'Etat, la Cour
de cassation, ont successivement débouté ce plaideur obstiné, à qui la
gloire de son Vercingétorix et de sa Liberté éclairant le monde ne
suffisait pas. Espérandieu fut un penseur en même temps qu'un artiste.
De là sa supériorité.] — P. 1-35. A. de Cazenove. L'entreprise d'Ai-
guesmortes. [Etude très précise sur la révolte de Bertichères, gouver-
neur d'Aiguesmortes, contre Henri IV, en 1597, 1598 et 1599.] — P. 37-42.
E. BoNDURAND. Scèue champêtre du xv^ siècle. [Il s'agit d'une rixe entre
paysans dans les montagnes de Saint-Martial.] — P. 43-6. J. Simon.
Déclaration patoise des biens et fortune de Gédéon Guillaumet, fabri-
cant de bas de Nimes sous la Régence. [Cette petite satire en vers fut
écrite en 1721 ou 1722 à l'occasion de l'impôt. Le poète se plaint que sa
maison soit fort hypothéquée : « Ai un oustaou pa mau plaça | mai dia-
blamen emperqueira ». Il a des billets de la banque de Law : « ... de
biés de nostre regen | n'ai per quinze milo non cen frau | que bailariei
per quinze fran ».] — Annexe (pagination séparée). P. 1-398. C. Nico-
las. Histoire des grands prieurs et du prieuré de Saint-Gilles, tome II.
[Cf. nos comptes rendus, Annales, t. XVIII, p. 431.] E. B.
Garonne (Haute-).
Mé?noires de l'Académie des Sciences^ hiscriptions et
Belles-Lettres de Toulouse, 10« série, t. VI, 1906.
p. 1-26. E. Lapierre. Histoire de l'Académie. [Suite et à suivre. De 1694,
date où l'Académie des Jeux Floraux obtient du roi, par lettres paten-
tes, « le droit exclusif de haute et basse justice sur les productions lit-
téraires », à 1746. Dans l'intervalle se fonde une Société des sciences
(1729), dont les registres sont analysés. Elle crée un Jardin des Plantes,
264 ANNALES DU MIDI
un Observatoire. Bonne bibliographie.] — P. 27-68. De Santi. La réac-
tion universitaire à Toulouse à l'époque de la Renaissance. Biaise
d'Auriol. [Le parti des humanistes : Boysson, du Pac, Dolet, etc., et
leurs adversaires : inquisiteurs, membres du Parlement, de l'Univer-
sité... Différends des étudiants avec l'autorité municipale. De là le pro-
cès fait aux novateurs, en Parlement (1532-1533), et de sanglantes ba-
garres entre le guet et la jeunesse des Ecoles (1534-1536). Biaise d'Auriol,
mince personnage, ne méritait pas un aussi long préambule. Ce mau-
vais plagiaire du poète Charles d'Orléans, professeur de droit canon,
chancelier de l'Université en 1533, figurait parmi les obscuri viri ou
« réactionnaires » du temps. Ce fut lui qui obtint de François I" entrant
à Toulouse, pour les professeurs de l'Université, sous certaines condi-
tions, les titres de comte et de chevalier.] — P. 137-41. E. Roschach. Les
quatre journées du prince Noir dans la viguerie de Toulouse. [Quel-
ques précisions.] — P. 159-76. F. Dumas. La réglementation industrielle
sous Colbert. [Efforts du ministi-e pour asservir les fabricants d'étoffes
à une fabrication très soignée, mais dispendieuse et peu appropriée aux
besoins des acheteurs. Colbert multiplie les règlements, crée des ins-
pecteurs des manufactures, des gardes-jurés. Comme de juste, il réussit
principalement à surexciter la fraude. Beaucoup de faits allégués sont
tirés des Archives méridionales.] — P. 224-51. DkSazars de Mont-
UAILHARD. Histoire de l'Académie des Sciences de Toulouse. [De l'ordre
d'idées d'où est sorti l'Institut de France — groupement de toutes les
connaissances humaines — naît aussi à Toulouse, en 1784, un Plan
abrégé d'un Musée, Musée devant réunir les quatre Académies de
cette ville. L'archevêque Loménie de Brienne réalise cette institution
et la pourvoit de professeurs. Mais L peine organisée et encore à l'état
embryonnaire, elle disparaît en 1790.] P. D.
Puy-de-Dôme.
Bulletin historique et scientifique de V Auvergne^ 1905.
p. 20-40. M. BouDET. Notes et documents concernant l'histoire d'Auver-
gne. Le domaine des dauphins de Viennois et des comtes de Forez en
Auvergne. [Appendice, suite. Les Latour du Dauphiné en Auvergne.
Etude généalogique.] — P. 48-88, 94-140, 143-76. F. Mège. Les popula-
tions de l'Auvergne au début de 1789. [Le tiers état. Voies par les-
quelles les idées nouvelles ont pénétré dans la bourgeoisie : associations
littéraires, journaux, franc-maçonnerie. Manifestations de l'esprit d'in-
dépendance et relâchement des mœurs religieuses. L'Assemblée provin-
ciale do 1787. Les ouvriers, les paysans : la plupart de ceux-ci ne savent
PERIODIQUES MERIDIONAUX. 265
ni lire ni écrire; •.<■ plusieurs » n'entendent pas le français. Mal nourris,
mauvais cultivateurs grâce à leur routine, ils ignorent tout autre souci
que celui du pain quotidien et de l'impôt. Cet excellent travail a été
malheureusement interrompu par le décès de l'auteur.] — P. 180-93.
A. Ojardias. Un diplomate riornois au xvii» siècle, Pierre Chanut.
[Suite de ce long travail, trop verbeux et d'une « orchestration » singu-
lière. La biographie de Chanut aurait gagné à être écrite plus simple-
ment.] — P. 194-208. Verxière. M. Francisque Mège. [Bio-bibliogra-
phie.J — P. 211-56. Les origines de la ville de Riom. [Avec une biblio-
graphie « critique ». Le travail lui-même est médiocrement critique.]
— P. 266-71. H. Salveton et A. Audollent. Découverte récente de
débris anciens à Longat, près de Saint-Germain-Lembron. [II devait y
avoir là des villas et un petit sanctuaire, dont le dieu accroupi subsiste.]
— P. 312-53. J. BoNNETON. Le connétable de Bourbon. [Cette « nouvelle
étude » n'est ni nouvelle ni bonne.] — P. 353-60. D"" Dourif. Un sceau
du XIV» siècle. [En bronze. Sceau de Jean Gutar, ijrévôt d'Avignon.
Guttarius = Goutte, nom fréquent aux environs de ïhiers; l'auteur le
rapproche de celui du pape Clément V, Bertrand de Gouth ou de Goth.]
P. D.
Pyrénées (Hautes-).
Bulletin de la Société Ramond, 2^ série, t. X, 1905.
P. 15-29. L. RiCAUD. Journal pour servir à l'histoire de la réclusion des
prêtres insermentés du diocèse de Tarbes. [Suite et fin des pièces justi-
ficatives, 1796; autres documents, tels que la liste des prêtres restés
fidèles ou convertis, une requête des prêtres enfermés à bord du Genty,
en rade de l'île d'Aix : sur 450, 200 étaient morts, les autres ne valaient
guère mieux; de 800 qui les avaient précédés, 533 avaient péri.] —
P. 30-54. F. Marsan. Deux oi'donnances de Me-- Gilbert de Choiseul du
Plessis-Praslin, évêque de Comminges, pour l'église Saint-Pierre de
Sarrancolin, 25 août 1655 et 24 juin 1664. [Ce monument est l'un des
principaux de la vallée d'Aure ; les deux ordonnances en question four-
nissent une description très exacte des services, cérémonies, etc., qui
s'y faisaient, et des renseignements sur la disposition intérieure de
l'édifice.] — P. 73-89. D"' Lafforgue. De quelques superstitions et usa-
ges populaii-es dans la région de Bagnères. |Et ailleurs.] — P. 102-12,
149-71. J. BciURDETTE. Notice des barons des Angles de Bigorre. [Dans
la haute vallée de l'Echez, qui est un affluent de gauche de l'Adour. La
baronnie comprenait dix-sept villages; prérogatives des barons; famil-
les qui l'ont possédée. Généalogie de la famille des Angles jusqu'en 1310.
Analyse de quelques pièces, dont la coutume des héritages et celle du
ANNALES DU MIDI. — XIX 18
266 ANNALES DU MIDI.
parcours réciproque, fort importantes, confirmées par le comte de
Bigorre en 1214. A suivre.] — P. 2U8-20. F. Marsan. Les traitants et le
pays des Quatre-Vallées. [Leurs tentatives contre les privilèges et
exemptions des habitants, notamment au xviii« siècle. Texte des doléan-
ces adressées, sous forme de harangues, par Dansin, syndic général, et
par le lieutenant de la judicature d'Aure à l'intendant d'Auch, Mégret
de Sérilly, qui visitait la vallée (mai 1740). Ils obtinrent gain de cause...
pour le moment.] P. D.
Tarn-et-Garonne.
I, Bulletin archéologique et historique de la Société
archéologique de Tarn-et-Garonne, t. XXXIII, 1905.
P. 19-42. D'' Belbèze. Le chirurgien Thomas Goulard de Saint-Nicolas-
de-la-Grave et ses descendants. [Professeur au Collège de médecine de
Montpellier, auteur de plusieurs ouvrages où il applique la méthode
expérimentale ; inventeur de remèdes encore en usage : extrait de sa- '
turne, eau blanche; précurseur de la chirurgie antiseptique contempo-
raine.] — P. 50-64, 138-62, 250-73, 362-77. Abbé F. Galabert. Les écoles
autrefois dans le pays du Tarn-et-Garonne. [A suivre. Ce n'est pas une
étude d'ensemble, mais une série de notes et analyses sans aucun lien
et d'intérêt très variable provenant de recherches considérables dans de
nombreux dépôts d'archives du département. Noms de régents et traces
d'écoles par ordre alphabétique des localités; renseignements utiles sur
l'instruction au xvi" siècle, les écoles protestantes, les écoles de filles.
Quelques notions très sommaires sur les matières enseignées, le choix
des nuxîtres, les locaux, etc. L'interprétation des documents est parfois
sujette à caution. Enfin, pourquoi ne pas mettre en notes les citations
latines et surtout les références qui, placées entre parenthèses dans le
texte même, ne servent qu'à l'encombrer?] — P. 65-94. Abbé Laffont.
Saint-Maurin (Lot-et-Garonne) pendant la période révolutionnaire. [11
s'agit presque exclusivement de l'histoire ecclésiastique de cette loca-
lité, vente de l'abbaye, prêtres constitutionnels, fermeture des églises,
fêtes civiques. Très sommaire et très partial.] — P. 95-9. .1. Fouroous.
Notice biographique sur M. J. Brissaud. — P. 125-37. 1d. Notice sur
les fresques de l'église de Rampoux, ai-r. de Gourdoil (Lot). [Intéres-
sante description, gravui-es; ces fresques sont du xv siècle probable-
ment.] — P. 163-9. D"" BoÉ. Les domaines de la commanderie de Lavil-
ledieu au xviii" siècle. [Résumé du procès-verbal d'arpentage de 1742 ;
plans.] — P. 182-4. Abbé de Reyniès. Procès-verbal du siège et des-
truction du château deReyniès et ses dépendances [en 1621-1622, d'après
une enquête de 1679.] — P. 185-7. De Rivières. Les clochettes de
PERIODIQUES MÉRIDIONAUX. 267
Johannes à Fine. — P. 20(J-1. Ressayée. Note sur une supplique de la
corporation des vidangeurs à Louis XVI. — P. 109-24 (en réalité 209-24).
Chanoine F. Pottier. Cloches du xiii« siècle. Moissac et Déganhazès.
[Description et reproduction.] — P. 125-49 (5;?5-^9). Ed. Forestié. La
charte des coutumes de Bioule-en-Quercy (1273). [Concédée par Ber-
trand de Cardaillac ; texte du document en langue vulgaire.] — P. 174-
81 (274-81). E. Depeyre. Bérengor Fernand (de Puylaroque). [Avocat
du xvi^ siècle.]: — P. 210-11 (310-11). E. Forestié. Note sur le comte
de Sainte-Foy. [Petit-fils de Louis XIV, exilé à Montauban, 178:").] —
P. 212-14 (312-14.) Id. Eloge du tabac en fumée. [Poésie du xvin= siècle. |
— P. 317-61. Chanoine Albe. La châtellenie de Caylus au xiv« siècle.
[Curieuse histoire, d'après des documents du Vatican et des Archives
nationales, de la résistance opposée par les consuls de Caylus à l'exé-
cution des lettres patentes par lesquelles Jean le Bon avait inféodé la
ciiàtellenie au vicomte de Turenne, neveu de Clément VI, avec 1000 li-
vres de revenus (1351) ; résumé des enquêtes, inventaires produits par
les consuls pour prouver que la châtellenie vaut plus de 1,000 livres;
ils estiment jusqu'aux charpentes et serrures du château.] — P. 378-80.
F. Pottier. Notre-Dame de Montserrat; gravure sur bois de l'époque
de Louis XIV. [Planche.] — P. 381-92. D"' BoÉ. Le livre de comptes con-
sulaires de la ville de Castelsarrasin au xiv siècle (1366-1307). [Intéres-
sants fragments en langue vulgaire relatifs surtout aux voyages des
consuls à Toulouse pour obtenir des diminutions d'impôts, le départ
de gens de guerre; ils font ressortir les conséquences de la guerre :
insécurité des routes, etc.] — P. 400-1. Abbé Buzenac. Extraits du
cahier des comptes du chapitre de Montpezat. [1493, 1553. Pillage du
trésor de l'église par Jean de Lettes, évêque de Montauban.] — P. 401-3.
Plan de l'oppidum de Montbartier. Fr. G.
IL Recueil de V Académie des Sciences, Belles-Lettres et
Arts de Tarn-et-Garonne., 2^ série, t. XXI, 1905.
P. 41-56. D. Benoit. Ribaute-Charon, Voltaire et Rousseau. [Relations
d'un négociant montalbanais avec Voltaire et Rousseau ; analyse et
extraits fort curieux et trop peu abondants de leur correspondance.
Rousseau refuse d'intervenir en faveur du pasteur Rochette et des fi-è-
res Grenier sous prétexte qu'ils se sont mis dans leur tort en ne se sou-
mettant pas aux lois qui les persécutent, et qu'il n'a d'ailleurs aucune
influence. Voltaire se montre à tout propos railleur impénitent, et son
impiété scandalise vivement l'auteur de cet article.] — P. 79-87. Dou-
MERGUE. Le XYi' siècle à table. [Tableau sommaire, sous forme de dis-
cours académitiue , des mœurs de l'époque d'après Montaigne -
268 ANNALES DU MIDI.
Erasme, etc.; règles de la civilité : rester couvert à table, ne prendre la
viande qu'avec trois doigts de la main droite, ne pas les lécher, les
essuyer à la nappe et non à la robe, etc.] Fr. G.
Var.
I. Biil(ei/n de r Académie da Var, LXXII« année, 11)04.
P. 1-163. K. Vidal. Archéologie du Var. Le canton du Beausset. [Revue
des curiosités et monuments (depuis l'âge de pierre jusqu'à nos jours)
que l'on rencontre au Beausset et dans les communes de ce canton : la
Cadière, le Castellet, Riboux, Signes, Saint-Cyr; dans celle-ci se trou-
vent la plage des Lèques et l'emplacement supposé de Tauroentum.] —
P. 169-203. J. Rivière. Etudes sur l'art français au xviii» siècle. [Courte
biographie de Nicolas Coustou (1658-1733), de Guillaume Coustou (1678-
1716) et du fils de ce dernier, Guillaume, le dernier Coustou (1716-1777).]
LXXIII« année, 1905.
p. 1-21. X... Découvertes archéologiques faites à Toulon en 1903, 1904
et 1905 pendant les grands travaux de l'assainissement. [Vestiges de
l'occupation romaine : tombeaux gallo-romains, fragments de murs,
débris de vases extrêmement nombreux. Une grande partie de ces dé-
bris transportés à la mairie ont disparu sans qu'on sache ce qu'ils sont
devenus. L'auteur s'excuse de n'avoir pas poussé plus loin les recher-
ches et ajoute : v- 11 ne dépendait pas de nous de les rendre fructueuses,
et il faut bien reconnaître que ni le hasard des fouilles, ni la buinn
volonté de la municipalité ne nous ont aidé. »] — P. 117-42. D. Jaubert.
La reine Jeanne. [Biographie plus romanesque qu'historique.] — P. 193-
2IIX. (". BoTTiN. Rapport sur la découverte de deux meules gallo-
romaines au sommet du rocher de l'Aigle (commune du Beausset). [Une
étude détaillée sur le même sujet fait suite au rapport.]
L.-V. B.
II. Bulletin de la Société d'études scientifiques et archéo-
loyiques de Draguignan, t. XXIV, 1902-lUOo.
Procès-verbaux. P. vni-xvit. E. Poupk. L'instruction publique à Riaus
(Var) sous l'ancien régime. [Avec la liste des maîtres de 1560 à 1790;
origine et traiteiuentjannuel.] — P. xx-xxiv. 0. Teissier. La crusca
jjrovenzale d'Antonio Bastero. Rome, 1724. —P. xxvi-xxxii. F. Mireur.
A propos des « Notes historiques sur Carces ». [Le mot dériverait du
celtique cair ou car =: pierre.] — P. xxxiv-xlv. Raynaud de Lyques.
L'enseignement primaire en Provence avant 1789; une école de village
à Méounes (Var). [Depuis 1530; gages, profession et obligations de l'ins-
tituteur.] — P. LVii-Lxvi. E. PoupÈ. L'instruction publique à Callas
PÉRIODIQDES NON MERIDIONAUX. 269
(Var) sons l'ancien réginio. [Liste des maîtres de 1541) à 1790.] —
— P. Lxvii-LXA'iii. J. Castinel. Une lettre de P. Antiboul, frère du con-
ventionnel. [Toulon, 6 août 1810. A réprimé le brigandage; demande
une place de juge instrncteiir à Toulon.] — P. lxxv-lxxvii. 0. Gexsol-
LEN. Simple remarque au sujet de Y Armoriai général de France de
d'Hozier. [Sur la façon de procéder des recenseurs chargés d'exécuter
l'édit de Louis XIV concernant les armoiries.]
Mémoires. P. 263-70. M. Chiris. Sur trois huttes préhistoriques. [Stations
du Seyran et des Tuilières près Draguignan, de La Sarrée, prés de
Grasse.] — P. 1271-87. F. Moulin. Le dépôt moustérien de la caverne de
Château-Double (Var). [Avec planche.] —P. 289-308. F. Mireur. Le
capitaine A. de Saint-Aubin, de Draguignan (1583-1643). [Identification
d'un personnage cité dans la Correspondance de Peiresc] — P. 309-
80. F. Mireur. Un ami et correspondant de Malherbe à Draguignan.
[L'ode à M. de la Garde était adressée non pas au frère cadet d'Arnaud
de Villeneuve, marquis des Arcs, mais à Esprit Fouque de Draguignan,
seigneur de la Garde : biographie de ce personnage (1565-1635).] —
P. 381-425. E. PoupÉ. Le 10» bataillon du Var, 1793, an \. [Levé le
8 janvier 1793, ce bataillon quitta Toulon le 18 et fut ensuite dirigé sur
la V^endée ; réduit par les désertions, ce qui en resta se distingua à
Thouars (5 mai 1793) ; désarmé à la fin du même mois, reconstitué en
juillet, il prit part à l'affaire de Quiberon et contribua finalement à for-
mer la 30' demi-brigade légère.] — P. 427-40. E. Poupé. Robespierre
jeune, Ricord et les fédéralistes varois. [Odyssée des deux convention-
nels envoyés à l'armée d'Italie et poursuivis par les fédéralistes varois,
août 1793.] L.-V. B.
PÉRIODIQUES FRANÇAIS NON MÉRIDIONAUX.
9. — L'Atni des monwnents et des arts, t. XVI, 1902.
p. 322. Nécessité du classement du château de Viverols, près d'Ambert
(Puy-de-Dôme). — P. 355-60. L'étude des monuments français et les
livrets des Compagnies de chemins de fer. [Montmajour, Les Baux,
Saint-Trophime, le Pont-du-Gard, etc.]
T. XVII, 1903; t. XVIII, 1904. Néant. — T. XIX. 1905.
P. 8-11. La fontaine de Nimes en 1744. [Plan et légende du plan.] —
P. 88-91. Peyre. Le Rhône, de la source à la mer. [Brochure illustiée,
éditée par la Compagnie P.-L.-M.] — P. 199-206. E. Rivière. L'histoire
du Péi-igord préhistorique au premier Congrès préhistorique de France.
Session de Périgueux.
270 ANNAI-ES DU MIDI.
T. XX, 1906.
p. 17. Le vandalisme à Paris. [Monument de Desaix, démoli par la ville
de Paris, ôté de la place Dauphine et donné à la ville de Riom.] —
P. 119-20. Constantin, de Jarnac, à Périgueux, 11G9. [Auteur du couron-
nement du tombeau de l'évêque Jean d'Asside, église Saint-Etienne.] —
P. 121 et 126. Signature de l'artiste Gauzfredus sur les portes sculptées
de la cathédrale du Puy (Haute-Loire). — P. 124-5. Audebert, de Saint-
Jean d'Angély, à Poussais (Vendée): Brunus, à Saint-Gilles (Gard), [l^es
deux artistes sont du xir' siècle.] P. D.
fO. — Annales de Saint-Louis-cles-Fï'ançais^ t. X, 1905-
1906.
P. 5-52. Abbé J.-M. Vidal. Le tribunal d'Inquisition de Pamiers. Pièces
annexées. I. Documents pontificaux. II. Documents d'Inquisition. [A
l'appui d'un travail paru au tome précédent. Cf. Annales du Midi,
t. XVIII, p. 265. Pièces fort intéressantes, surtout celles qui appar-
tiennent à la seconde série.] — P. 137-211. Abbé E. Albe. Prélats origi-
naires du Quercy. Diocèses de France. [Suite et fin. Provinces d'Auch,
Bourges, Bordeaux, Eeims, Embrun, Lyon, Narbonne, Paris, Reims,
Rouen, Sens, Toulouse, Tours, Besançon, Vienne. Bref appendice sur
les prélats quercynois hors de France et d'Italie. Rectifications et pré-
cisions utiles. Au xiv"! siècle, sous des pontifes originaires du Quercy,
des Quercynois ont peuplé l'Eglise : depuis lors, mutatis mutatidis,
les habitudes des hommes au pouvoir n'ont guère changé.] — P. 215-68,
;319-75, 419-70. Abbé A. Clergeac. Inventaire analytique et chronologi-
que de la série des archives du Vatican dite « Lettere di Vescovi ». [Ou
lettres d'évèques. Quelques-unes sont des documents de grande impor-
tance parmi beaucoup de menues l'equètes et de lettres de politesse.
M. l'abbé C. a analysé celles qui concernent la France, de la fin du
xvi° siècle à la fin du xviii^; parfois il les repi'oduit intégralement. Un
grand nombre intéressent le Midi : Etat do l'Eglise d'Elne (n" 3), de
Bordeaux (u" 4), lettres de C. de Bonzi, év. de Béziers, 15 déc. 1651
(n" 79), de l'évêque de Condom, Bossuet, 7 et 19 mars 1673 (n»» 469,
471), etc. Cette série se termine avec l'année 1677. A suivre.] P. D.
il. — Bulletin archéologique du Comité des travauœ his-
toriques et scientifiques, 1905.
P. 3-4. D'' Capitan. Rapport sur des dalles funéraires avec cupules, trou-
vées près de Collorgues (Gard). [Mémoire de M. Ulysse Dumas. Figu
res.] — P. 16-31. Capitaine AFolins. Notes arcliéologiques sur Narhimno.
[Découvei'.tes récentes : stèles, tombeaux, frn^nienls de statues, lampes.
PÉRIODIQUES NON MERIDIONAUX. 271
poteries samiennes avec marques, inscriptions, vases ornés.] — P. 32-4.
J. Déciielette. Marques de potiers à Narbonne. [Observations sur la
communication précédente. La plupart des marques de poteries appar-
tiennent à la fabrication ruthène, principalement à La Graufesenque,
commune de Millau (Aveyron), dont on retrouve les produits dans les
péninsules ibérique et italique, et même dans les stations romaines de
l'Afrique du Nord. Les marques qui ne se retrouvent pas chez les Ru-
thènes semblent être incomplètes ou d'une lecture erronée. Le commerce
s'en faisait surtout par mer et le port de Narbonne était certainement
un des principaux entrepôts de ce transit.] — P. 178-84. Oh. Portal.
Notes sur quelques fondeurs de cloches du xv« au xvii» siècle. [Simple
nomenclature sans indication de ce qui peut rester de leurs ouvi-ages.
Un nom du xv% deux du xvi% treize du xvii" et sept du xviii» siècle.
D'après les archives départementales du Tarn.] — P. 329-37. E. Bonnet,
Le sarcophage de saint Aphrodise à Béziers. [Sarcophage antique qui
passe pour avoir renfermé le corps de ce saint, martyr et premier évê-
que de Béziers. Ce monument de l'art ancien est renfermé dans une
armoire de style Louis XV. Etude descriptive.] — P. 338-45. Abbé Ar-
naud d'Agnel. Notes sur le trésor de la cathédrale de Marseille. [Une
boîte d'or, de facture primitive; un coffret d'ivoire du xiv« siècle, im-
porté de Constantinople ; un reliquaire en forme de tombeau, du
xw siècle, en argent doré, orné d'émaux, de ciselures et d'appliques. |
A. V.
12. — Bulletin monumental, 1905.
P. 104-7. H. Jadart. Une inscription dans l'église du Bar (Alpes-Mariti-
mes). [Inscription relative à deux chanoines de Reims, dont l'un, F. Gi-
raud, natif du Bar, enrichit d'un petit monument l'église de sa ville
d'origine, 1712.] — P. 108-13. N. Thiollier. La porte de Téglise de
Blesle (Haute-Loire). [Porte romane en bois sculpté. Il n'y en a que
cinq dans le département ; elles semblent l'œuvre d'un même artiste.]
— P. 253-321. L.-H. Labande. La cathédi'ale de Vaison. Etude histori-
que et archéologique. [Sur ce remarquable article, voir plus bas, p. 295.]
— P. 401-13. J. DE Saint- Venant. Le Gastelas de Belvezet (Gard). For-
teresse, décrite, qui a été bàlie par les seigneurs d'Uzès entre 1144
et 1207. J — P. 460-8. L. Germain de Maidy. L'inscription de la cathé-
di-ale de Vaison. Une autre interprétation. [Que celle de M. Labande.
Cette inscription de Ifi fin du xiv siècle, en vers latins, est un véritable
rébus, sans grand intérêt sinon pour dater le monument.]
1906.
P. lOii-lI. De Fayoixe. Les églises de Saint-Paulien et de Chamalièrcs
272 ANNALES DU MIDI.
sur-Loire avaient-elles un déambulatoire? [Conclut à la nécessité de
faire des fouilles afin de trancher la question.] — P. 112-28. R. P'age-
L'église de Saint-Junien (Haute-Vienne). [Elle est d'époques différentes,
ayant été construite en qnatre campagnes successives, du milieu du
xi*^ siècle au milieu du XIII^ Une chapelle latérale date du xv«.] P. D.
13. — Bulletin de numismatique, t. XI, 1904. Néant. —
T. XII, 1905.
P. 2-12. F. Pérot. Les monétaires mérovingiens restitués au Bourbon-
nais. [Les sous d'or permettent de reconstituer les limites des civitates,
c'est-à-dire des diocèses ; ils donnent des noms de chefs francs, de loca-
lités disparues, de grands officiers du royaume, etc. Un tiers de sou,
fautivement attribué à Gannat, appartient à Cannac (Aveyron). Nomen-
clature.] — P. 113. F. Pérot. Note sur un double tournois d'Orange.
[Trouvé récemment près de Moulins.] P. D.
14. — Revue des Questions historiques, t. XXXIII
(LXXVIP de la collection), 1905.
P. 185-90. J. GuiRAUD. Les idées morales chez les hétérodoxes latins au
début du xiii= siècle. [Titi-e d'un ouvrage de P. Alphandéry. Paris,
Leroux, 1903;'in-8'' de xxxiv-199 pages (16= vol., fascic. 1", de la Bibl.
Ec. Hautes Etudes, Sciences religieuses). La thèse de cet auteur est
qu'il faut chercher chez les hétérodoxes. Cathares, Vaudois, etc., l'ori-
gine de la vie morale qui a ranimé l'Eglise au xiii' siècle ; il les étudie.
M. G. conteste, rappelle l'œuvre apostolique de saint Bernard, les fon-
dations d'ordres religieux, tels que celui de Saint-Etienne d'Obazine en
Limousin, du Saint-Esprit à Montpellier, etc., l'immoralité des nobles
et bourgeois méridionaux qui firent la force du catharisme, et qui s'en
servaient comme d'une arme contre l'Eglise, ti"op riche ou trop puis-
sante à leur gré; il critique 'plus vivement encore l'étude du système
cathare, faite, dit-il, par M. A. « avec le désir de marquer la supériorité »
du catharisme sur l'Eglise.] — P. 428-82. L. Mirot. Le rétablissement
dos impositions et les émeutes urbaines en 1382. [A suivre.]
Tome XXXIV (LXXVIII'' de la collection), 1905.
P. 118-211. L. MiKOT. Le rétablissement des aides en 1382-l:î83. Les der-
nières oppositioiïs. La répression, [il est bon, pour juger que cet article
fait bien suite au précédent, de savoir qu'aides et impositions, dans la
langue du temps, c'est la même chose. Rien qui intéresse le Midi, sur
lequel pourtani il y iivait tant A dire.]
PÉRIODIQUES NON MERIDIONAUX. 273
Tome XXXV (LXXIX^ de la collection), 1906.
P. 57-107. J.-M. Vidal. Les derniers ministres de l'albigéisme en Langue-
doc ; leurs doctrines. [Très précis et plein d'intérêt. L'Eglise cathare,
traquée par l'Inquisition, expulsée du midi de la France, passée en Ita-
lie, semble renaître de 1295 à 1310 sous la conduite d'un notaire d'Ax,
Pierre Autier, dont M. V. retrace la terrible carrière de « parfait ». Telle
était la haine contre « les clercs et les Français » qu'il recruta de nom-
breux disciples ; il aurait même assisté à son lit de mort le comte de
Foix, Roger-Bernard III, en 1302. Livré par un traître, il périt sur le
bûcher, à Toulouse, en 1311. M. V. lui trouve environ un millier de
coreligionnaires, non sans ajouter que ce chiffre est « évidemment au
dessous de la vérité w : pauvres gens, grossiers, ignorants, sauf un
dixième environ de bourgeois et de petits nobles. « Cette abstention des
grands et des forts fit avorter la tentative. » Un autre parfait, nommé
Bélibaste, originaire du Capcir, se sauve en Catalogne, y fonde une
Eglise cathare. Il fut aussi brûlé en 1321, près de Carcassonne, grâce à
la trahison d'un véritable professionnel en cette matière, Arnaud Sicre,
d'Ax, que le tribunal d'Inquisition félicita solennellement; car, dit-il,
il n'est possible « de saisir ces fils des ténèbres... que s'ils sont trahis
par les leurs ou par des personnes sûres ayant pénétré dans leur inti-
mité ».] — P. 137-52. P. Lemonnier. La propriété foncière du clergé
et la vente des biens ecclésiastiques dans la Charente-Inférieure. [Ou
plutôt dans rAunis,qui équivaut à la cinquième partie du département.
L'Eglise n'y possédait guère que 2,65 °/o du sol en tout. Les immeu-
bles des villes ont été achetés par de petits commerçants, les terres des
campagnes par de gros propriétaires. Appendice indiquant la superficie
de la propriété foncière ecclésiastique dans 97 communes.] — P. 153-77.
.1. HuRABiELLE. Le général Barbanègre (1772-1830). [Né à Pontacq, Basses-
Pyrénées. Entre beaucoup d'actions glorieuses, son principal titre de
gloire est la fameuse défense d'Huningue, après Waterloo, du 25 juin
au 26 août 1815.] — P. 600-5. E.-M. Rivière. La lettre du Christ tombée
du ciel. [Relative à l'observation du dimanche. La Bibliothèque muni-
cipale de Toulouse, ms. 208, possède une copie de ce très ancien apo-
cryphe, copie du xiii' siècle, dont texte.]
Tome XXXVI (LXXX« de la collection), 1906.
P. 447-98. J.-J.-C. Tauzin. Le mariage de Marguerite de Valois. [Avec
Henri de Navarre. M. T. retrace les négociations compliquées dont
fut précédé cet événement bien connu. La reine-mère avait clierché à
marier Marguerite avec le roi d'Espagne, Philippe II, au lieu et place
274 ANNALES DU MIDI.
de sa sœur Elisabeth, décédée en 1568; puis avec le roi de Portugal.
C'est seulement après l'échec de cette entreprise matrimoniale soutenue
par Pie V, qu'elle inclina vers l'alliance protestante « pour le repos
du royaume ».] P. D.
15. — Revue de la Renaissance^ tome V, 1904.
p. 1-16, 49-62, 108-14, 178-90, 273-80. E. Parturier. Les sources du mys-
ticisme de Marguerite de Navarre, à propos d'un manuscrit inédit. [Il
s'agit du ms. 1723, ancien fonds français de la Bibliothèque nationale,
catalogué ainsi : Poésies de Marguerite de Navarre et de François I".
11 s'y trouve des poésies religieuses de Marguerite, dont la principale
est le Pater noster faict en translation et dialogue par la Royne de
Navarre. C'est un dialogue entre l'âme et Dieu. M. P. y recherche les
idées religieuses de Marguerite et croit y trouver une influence très
sensible des théologiens allemands mystiques et pantliéistes, Eckart,
Tauler et Suso. Marguerite ne serait donc point calviniste, mais plutôt
luthérienne, et son père spirituel serait Brissonnet, évêque de Meaux.
Texte de ses poésies.] — P. 63-71, 97-107. De Chabot. Une cour hugue-
note en Bas-Poitou : Catherine de Parthenay, duchesse de Rohan. [Il
s'agit de la cour des Rohan, dont le chef, Catherine de Parthenay, est
célèbre, et plus encore ses deux fils, Henri de Rohan, le grand général
protestant qui mena la campagne contre le cardinal de Richelieu, et
Benjamin de Rohan, duc de Soubise, qui fut assiégé par Louis XIII
dans Saint-Jean-d'Angély et qui guida vers La Rochelle l'expédition de
Buckingham. Elle-même, grande amie de Henri IV, mais qui ne lui
pardonna guère sa conversion, vint s'enfermer à La Rochelle avec sa
fille Anne pour soutenir la résistance de Guiton contre l'armée de
Richelieu. L'influence de cette famille sur le développement du protes-
tantisme dans la région fut considérable.] — P. 85-8. G. Bouguier. Ode
à l'imitation des vers latins de Jan Tagaut sur le trespas de l'illustre
prmcesse Marguerite, )-ey7ie de Navarre. (Extrait de son Tombeau).
[Bouguier est un poète angevin de l'époque de Ronsard.]
Tome VI, 1905.
P. 33-40, 91-103, 149-69. J. Langlais. L'éducation en France avant le
xvi" siècle. [Histoire très documentée du caractère général de l'éduca-
tion en France. Rien de particulier au Midi.] M. D.
16. — Société nationale des Antiquaires de France.
Bulletin, 1906.
p. 108-9. Esi'icRANDiEU. Communication concernant un bas-relief gallo-
roniain conservé chez M. Robertv, à La Véruup (coiuniunc de Cornil-
PERIODIQUES ETRANGERS. 275
Ion, Gard). [M. H. de Villefosse suppose que ce monument représente
une des aventures galantes de Jupiter : l'enlèvement de la nymphe
Thalia par ce dieu, qui a pris la forme d'un aigle.] — P. 134-6. M. Blan-
CHET. Renseignements relatifs au cliàteau de Gentilly, près Paris, pos-
sédé par les comtes de Savoie dès 130-4 et par eux vendu au duc de
Berry en 1400. Celui-ci y construisit le château connu appelé Bicêtre.
Le premier édifice avait été décoré par des artistes italiens. — P. 1.51-2.
M. Héron de Villefosse. Description d'une lame de poignard en
bronze trouvée à Cessenon, arrondissement de Saint-Pons (Hérault).
[Communication faite par M. Xavier Lebars, membre de la Société ar-
chéologique de Béziers.] — P. 194. M. Lafaye. Présentation, de la part
de M. Moulin, d'un fragment de sceau en bronze trouvé à Véchères
(Basses-Alpes). — P. 195-6. M. Lafaye. Présentation, de la part de
M. Grasset, d'objets en bronze de la bonne époque romaine. [Deux pa-
tères, aiguière, lampe, etc., découverts dans une sépulture à incinéra-
tion il y a une quarantaine d'années à Murviel (Hérault).] — P. 230-6.
Comte 0. Costa de Beauregard. Description de deux petits bronzes
de la bonne époque gallo-romaine trouvés à Saint-Jean-de-la-Porte (Sa-
voie). [Une tète de satyre et un buste de femme en forme de fléau de
balance. Planches.] — P. 295-9. Héron de Villefosse. Découverte à
Orange d'un fragment de sculpture représentant le portique d'un édi-
fice. — P. 304. A. Blanchet. Observations sur la restauration des
thermes romains de Royat (Puy-de-Dôme). — P. 314-9. M. Lafaye*
Description de la matrice du sceau de l'Université d'Aix au xvi" siècle
(planche). F. P.
PÉRIODIQUES ÉTRANGERS.
Allemagne.
l'y. — Hermès, Band XLI, 1906.
Heft. 1. A. Schulten. Le cadastre dans l'antiquité. [Cf. C. R. de l'Acad.
des Inscriptions, 1904, p. 497 sqq. Il s'agit d'un fragment, récemment
découvert, du cadastre d'Orange. On en possédait déjà qui contiennent la
description de fonds de terre ruraux ; celui-ci se rapporte à des fonds
de terre urbains. L'origine de ce travail est sans doute le recensement
de la Gaule Narbonnaise et le recueil de cartes cadastrales exécuté par
Balbus, sur l'ordre d'Auguste, de l'an 27 av. J.-C. Ces formœ ou cartes
cadastrales ont été ensuite réduites et reproduites par les agrimen-
sores.\ p. D.
276 ANNALES DU MIDI.
18. — Theologische Qum^talscJuHft , Jahrg. LXXXV,
1903.
Heft 4. C. Wawra. Une" lettre de l'évêque Cyprien de Toulon à l'évèque
Maxime de Genève. [Il se défend contre le reproche que lui faisait ce-
lui-ci d'être un monophysite et un théopaschite.] P. D.
Belgique.
19. — Bulletin de l'Académie royale d'archéologie de
Belgique^ 1906.
Fascic. 1. J.-B. Stockmans. Le « Correctie-Boek » de la ville de Lierre,
1401-1484. [Condamnations prononcées en vertu des lois et coutumes de
la ville. On y relève des faits curieux; ainsi les Belges étaient dès lors
grands pèlerins dans le Midi : à noter, durant cette période, 31 pèleri-
nages à Saint- Jacques de Compostelle, 27 à Rocamadour, sanctuaires
qui les attiraient presque autant que Rome (47 pèlerinages).]
P. D.
Italie.
20. — Archivio sto?Hco siciliano. Niiova série, anno
XXIX, 1905.
Fascic. 3-4. Salvatore Romano. Œuvres de bienfaisance de la comtesse
Adelasia. Ses restes mortels retrouvés à Caltanisetta. [Il s'agirait de la
fille de Raimond, comte de Toulouse et de Provence, et de Mathilde,
fille du comte Roger.] P. D.
21. — Atli e Memorie délia r. Deputazione di storia
patria per le provincie di Romagna. 3« sér., vol. XXIII,
1905.
Fascic. 1-3, janv.-juin. Lisetta Ciacco. Le cardinal-légat Bertrand du Pou-
get à Bologne, 1327-1334. [C'était un Français du Midi, né à Castelnau-
de-Montratier, en Quercy. Jean XXII, son compatriote, lui donna une
part fort importante à l'administration pontificale, notamment à l'ad-
ministration financière. Suite et fin aux fasc. 4-6, juill.-déc, concer-
nant les tractations politiques du cardinal, l'alliance avec Jean de
Luxembourg et le départ de Bologne, d'oîi le cardinal fut chassé. Un
grand nombre de faits ont été tirés des Archives do Bologne, dont
50 documents inédits publiés en appendice.]
Fasc. 4-6, juill.-déc. A. Sorbelli. Le traité de saint Vincent Ferrier sur
le grand schisme d'Occident. [Sources auxquelles Ferrier a puisé. Edi-
tion, en cent pages, du De moderno Ecclesie schismate tractatKS.
PERIODIQUES ETRANGERS. 277
Texte espagnol des réponses faites aux ambassadeurs du roi de Cas-
tille sur l'élection des deux papes, par le cardinal Pierre de Luna'.J
P. D.
28. — La Culturel, an no XXIV, 1905.
N° 5. J. KoHLERi Handelsvertraege zwischen Genua und Narbone in 12.
u. 13 Jahrh. [Commentaire des traités de commerce conclus entre les
deux villes.] P. D.
S3. — Rivista cVItalia, anno IX, 1906.
Fascic. 4. F. Lo Parco. Pétrarque dans le Casentino et la reconnaissance
de « Daedalus ». [A propos de quelques vers de l'églogue IV de Pétrar-
que. Le poète a passé dans le Casentino en 1326 ; « Daedalus » ne se-
rait autre que Dante.]
Fascic. 5. G. Bandini. Caroline Murât à Rome en 1830. P. D.
24. — Studi storici, vol. XIV, 1905.
Fascic. 1. G. Brizzalora. Cola di Rienzo et Pétrarque. [Fin au fasc. 3.
Quoi qu'en dise Filippini, le poète a compté sur le tribun pour rame-
ner le pape à Rome. Il continua de le soutenir, même après que Cola
eut essayé de rétablir l'empire, — un empire démocratique et tout ita-
lien.] P. D.
1. M. S. a donné un tirage à part de cet important travail : Il tratto di
S. Vinceiizo Février intorno al grande scisma d'Occidente. Bologne,
Zanichelli, 1906; in-S» de 159 p.
NÉCROLOGIE
Nous avons le vif regret d'annoncer la mort prématurée de l'un
de nos collaborateurs, M. Maurice Lanore, né à Libourne le
11 octobre 1871, décédé à Pau le 25 février 1907.
Souffrant dès le bas âge et fréquemment empêché par la ma-
ladie, il n'avait pu mener jusqu'au complet développement les
dons variés et élevés qui le distinguaient. Dans cet ancien élève
de l'Ecole des Hautes Etudes et de l'Ecole des Chartes, devenu
archiviste, il y avait eu un mathématicien, un poète, un mu-
sicien qui volontiers se montraient encore. Ses goûts d'artiste
expliquent sans doute pourquoi, parmi les travaux de sa profes-
sion, l'archéologie eut tout de suite ses préférences.
11 avait conquis, en 181)9, le diplôme d'archiviste-paléographe
par une thèse très a]>préciée sur les premières cathédrales de
Chartres (?-1194)i. Plus tard il étudiait la tapisserie de Bayeux^.
Mais, par situation, il devait être ramené bien vite à l'étude des
monuments de notre Midi, qui d'ailleurs était sa région d'origine.
Il fut, en elïet, nommé arcliiviste départemental d'abord à Tarbes
(janvier 1901), puis à Pau (janvier 1905). En 1904 il donne un bon
travail sur la Sénéchaussée de Bigorre^; en 1904 et 1905 une
remarquable Notice historique et archéologique sur l'église
N.-D. de Lescar*. Il préparait pour le Bulletin de la Société des
Sciences, etc., de Paît un travail sur Navarrenx, clief-lieu du
département des Basses-Pyrénées {1790), quand la mort brus-
1. II en a tiré pour la lievue de l'Art chrétien, 5'= sér., t. X et XI,
1899, 1900, un article intitulé : La recotistructio?i de la façade de la
cathédrale de Chartres au XII' siècle.
2. Bibl. Ec. Chartes, t. LXIV, 1903.
3. Invent, somrn. Arch. départ. Hautes-Pyrénées . Introduction, de
XXXII pages.
4. In-8° de 110 pages, extr. de la Revue du Béarn. T.es AtDuiIes en ont
rendu compte, t. XVlll, p. 42(5.
NECROLOGIE. 279
quement est venue le frapper. On verra ci-après, dans notre
chronique, la part pr(''|)ondérante qu'il avait prise à la récente fon-
dation d'un nouveau i)ériodique, la Revue des Hautes-Pyrénées .
M. Zenon Toumieux, ancien notaire, décédé à Royère (Creuse)
le 31 octobre 1906, dans sa soixante-quinzième année, s'était fait
connaître en 1886 parla publication d'une excellente monographie
de sa commune natale : Royère {Jadis, aujourd'hui), volume in-12
de 280 pages, édité à Limoges chez Ducourtieux. Depuis lors, il
s'était occupé presque exclusivement de débrouiller la généalogie
des anciennes familles de sa région à l'aide des documents qu'il
trouvait sous sa main soit dans les études de notaires, soit dans
les chartriers privés, et il l'avait fait avec une judicieuse critique.
Sous ce titre général : De quelques seigneuries de la Marche, du
Limousin et des enclaves poitevines, il avait publié, de 1893 à
1903, une série de neuf monographies dont nous avons signalé les
deux premières au moment de leur apparition (voyez Annales du
Midi, VI, 252). Les 3% 4e, 6e et 9« sont extraites des Mémoires de
la Société des sciences de la Creuse (voy. Annales du Midi, IX,
245; XI, 520; XIII, 556; XV, 389}; les 5e et 8e sont extraites du
Bulletin de la Société arch. et hist. du Limousin (voy. Annales
du Midi, XIII, 258; XV, 558); la 7e a été imprimée aux frais de
l'auteur : Villemonteix et Monlsergue ; — Les barons de Châtelus
(Bourganeuf, impr. Ch. Rebiére, 1901). Il avait publié récemment
des généalogies des familles Esmoingt de Lavanblanche et de Faye
que nous avons signalées {Annales du Midi, XVIII, 401 et 406).
A. T.
CHRONIQUE
Les fouilles ont été reprises à Sainte-Colombe, près Vienne
(Isère), sur l'emplacement connu sous le nom de « Palais-du-
Miroir ».
On avait déjà retiré de ce terrain des richesses archéologiques
importantes et toute une série de statues. La plus belle et la plus
connue est la Vénus accroupie, découverte avant 1828 et déposée
au musée du Louvre.
Au mois d'octobre dernier, on a pu retrouver le pied gauche de
cette statue, que M. Héron de Villefosse a présenté à l'Académie
des Inscriptions et Belles-Lettres.
On y a découvert en outre : une statue de femme drapée et
paraissant représenter la déesse Vienna, protectrice de la ville;
— une tête de satyre remarquable et agrémentée d'ornements de
métal dont on voit encore les traces; — une autre statue de satyre
ayant dû servir à une fontaine, etc.
La Société de l'histoire de la Révolution française s'est réunie à
la Sorbonne, le 11 mars dernier, sous la présidence de M. J. Gla-
retie, de l'Académie française.
Parmi les lectures qui ont été faites à cette séance, citons celle
de M. Maurice Faure, sénateur, sur la fédération d'Etoile. On sait
qu'après les journées des 5 et 6 octobre, Mounier, inquiet de la
tournure que prenaient les événements, quitta l'Assemblée natio-
nale pour aller soulever contre elle, en Dauphiné, l'opposition des
Etats de ce ])ays. Instruit de cette tentative, le naturaliste Faujas
de Saint-Fond, avec un ancien officier, Ducluseau de Ghabreuil,
de la Voulte (Ardèche), organisa à Etoile (Drôme), au bord du
Rhône, une fédération des gardes nationales de la Drôme et de
CHRONIQUE. 281
l'Ardèche. Les délégués des gardes nationales des deux départe-
ments signèrent le serment: « Vivre libre ou mourir! » Ils envoyè-
rent une adresse à l'Assemblée constituante. Leur exemple fut
suivi dans les autres départements, et ainsi se trouva enrayé le
mouvement de protestation provinciale. On peut regarder la fédé-
ration nationale de 1790 comme le couronnement de cette œuvre
de défense révolutionnaii-e.
La Revue des Hautes-Pyrénées , qui paraît tous les mois à Tar-
tes depuis janvier 1906, a été fondée par feu M. Lanore, qui
venait à ce moment de quitter les archives des Hautes-Pyrénées
pour celles des Basses-Pyrénées, et par ses successeurs à Tarbes,
M Delmas, ensuite M. Balencie.
Voici comment elle a défini son programme :
« Vulgariser l'histoire, lointaine ou toute proche, de notre petite
patrie; en recueillir les us et coutumes, les légendes et les chan-
sons; en étudier les monuments célèbres; signaler ceux, non moins
intéressants, que les touristes et parfois même des Bigourdans
ignorent ; publier les principaux documents sur la Bigorre, les
Quatre-Vallées et le Nébouzan, conservés dans les archives publi-
ques et privées du département ou d'ailleurs ; rééditei' les publica-
tions oubliées ou rarissimes; analyser les ouvrages nouveaux
relatifs au pays, ainsi que les études éparses dans les journaux et
les revues; présenter tout cela dans une publication vivante, ou-
verte à tous, de contenu varié et pourvue d'illustrations, quand il
sera nécessaire. » Elle entend poursuivre ses études jusqu'à l'his-
toire des temps modernes, et chaque numéro contient une chroni-
que relatant jour par jour en quelques lignes les principaux évé-
nements du mois écoulé concernant les Hautes-Pyrénées.
L'apparition de cette Revue a comblé une lacune. Si en effet
chaque département est représenté, en général, par un Bulletin de
Société savante, il est difficile d'en dire autant pour les Hautes-
Pyrénées. Il existe bien une Société académique ; mais son Bulle-
tin, qui contient des travaux sérieux, ne paraît qu'à longs inter-
valles, très irréguliers, et n'est pas assez répandu. La Revue des
Hautes-Pyrénées, entre autres mérites, a celui de paraître très
exactement.
Le premier volume, dont on verra ailleurs le dépouillement, à
côté de très nombreux travaux de détail, d'un intérêt purement
A.NNALES DU MIDI. — XIX 19
282 ANNALES DU MIDI.
local et dont le défaut est peut-être de manquer parfois de mise en
œuvre, contient aussi cjuelcjues études importantes. Signalons
notamment les articles de AI. Abadie sur les Minimes de Tour-
nay, couvent du diocèse de Tarbes, de M. Ricaud sur les Sus-
pects du département des Ha '((es-Pyrénées, sur les Reclus des
Hautes-Pyrénées; une série de notes et documents de M. Lanore
et de divers collaborateurs sur les vieilles cloches, de M. Lanore
sur l'Art dans la région higourdane; une très intéressante biogra-
phie de l'érudit Larcher par M. Rosapelly, l'étude historique de
M. Balencie sur les projets de transpyrénéen par Gavarnie et la
vallée d'Aure.
Chronique du Roussillon.
Des publications qui sont d'excellents instruments de travail en
archéologie et en histoire, mais peu d'ouvrages sur des sujets
locaux, peu ou pas de fouilles, seulement quelques recherches sans
grande importance, voilà, me semble-t-il, ce qui caractérise la
période écoulée depuis la dernière chronique de M. Vidal sur le
Roussillon*.
Non que le public se désintéresse complètement de ce qui touche
à la province : s'il y a peu d'érudits qui consentent à compulser
les archives ou à interroger les vieux monuments, il ne manque
pas de gens que ne laisse point indifférents ce qui se publie sur
leur pays. Je n'en veux pour preuve que ra}»pai'ltion d'une nou-
velle revue locale, la Revue catalane'^, destinée à remplacer la
Revue d'iùstoire et d'archéologie, qin a cessé de paraître. Celte
dernière revue mensuelle, fondée en 1899 par MM. Masnou,
Palustre, Torreilles et Vidal, a vécu six ans; elle a pul)!ié des
travau.\ très variés et qui méritent qu'on s'y arrête. Sans doute,
au point de vue archéologique, elle a fort peu donné : quehjues
éludes sur des reconstructions d'églises, deux ou trois articles ou
mieux des notes de M. Brutails qui, loin du pays, n'a pu conti-
nuer l'œuvre commencée dans ses Notes sur fart religieux en
Roussillon; et cependant la province est riche en monuments de
la période romane, en monuments des xvire et xviiie siècles aussi ;
malheureusement, r<Hude en est actuellement délaissée.
1. Annale.^, t. XVI. p. 1:50.
2. lievue Catala?ie, OTiianc dehi Hocu)tc d'ùtudes catalanes, imp. Cornet,
Perpignan.
CHRONIQUE. 283
Mais, dans le domaine de l'histoire, la Revue d'histoire et d'ar-
chéologie a publié de nombreux articles, de valeur inégale, il est
vrai, intéressants toutefois â divers titres. Nous regrettons seule-
ment que les érudits aient fait porter leurs recherches presque
exclusivement sur l'époque moderne. Et pourtant nos archives
sont x'iches en documents médiévaux; le fonds des notaires est
d'une abondance peu commune et remonte très haut dans les siè-
cles passés. Il y a là une vraie mine, dans laquelle avait lar-
gement puisé M. Brutails pour son Elude sur les populations
rurales du Roicssillon au xirie siècle.
Mais l'exemple donné par M. Brutails n'a pas été suivi. Il nous
faut signaler toutefois une contribution importante apportée à
l'histoire du pays, à l'aide des Archives du Vatican, |)ar M. G.
Mollat : Jean XXII et la succession de Sanche, roi de Majorque
(1324-1326) et les Comptes de Jean de Rivesaltes, collecteur
apostolique dans le diocèse d'Elne [1393-1405).
M. Freixe adonné une série d'articles sur le haut moyen âge et
l'antiquité romaine, mais à propos d'un point très particulier, le
tracé de la voie romaine en Roussillon. Il n'a fait que confirmer,
en l'étayant de preuves nouvelles et, semble-l-il, décisives, la thèse
communément adoptée par les historiens qui font passer cette
voie par le Perthus.
Parmi les très nombreux et très intéressants travaux que la
Revue a publiés concernant l'époque moderne, je n'en vois guère
que deux qui aient une portée générale et puissent se rattacher
directement à l'histoire politique et religieuse de la France : ce
sont les articles sur V Annexion du Roussillon à la France de
M. le chanoine Torreiiles* et ses études sur ie gallicanisme et
l'ultramontanisme en Roussillon soies l'Ancien Régime. M. le
chanoine Torreilles, dont les nombreux ouvrages relatifs au Rous-
sillon ont été si remarqués, a réuni sur la « francisation » de
cette province force documents qui lui serviront en vue d'un pro-
chain travail.
Les regrets qu'a laissés la disparition de la Revue d'archéologie
et d'histoire s'expliquent donc fort bien. La nouvelle publication
mensuelle qui lui succède, la Revue catalane, n'en est encore
qu'à son second numéro. Elle s'occupe un peu de tout, d'histoire
locale, de linguistique, de poésie, etc.; nous ne doutons point
1. Voir les très nombreux et remarquables ouvrages de M. le chanoine
Ph. Tori-eilles, dans la Bibliographie roussillonnaise, citée plus loin.
284 ANNALES DU MIDI
({u'elle ne puisse rendre d'appréciables services. Mais nous ne
sommes point sans appréhensions non plus sur sa vitalité : pour-
quoi s'obstiner, dans les provinces où bien peu de personnes sont
disposées à faire œuvre d'érudits, à puldier des revues men-
suelles? Xc risque-t-on pas ainsi de se trouver vite à court d'arti-
cles réellement intéressants, et l'expérience ne prouve-t-elle pas
que le mieux serait de s'en tenir à une revue trimestrielle?
L'archéologie locale, ai-je dit, est délaissée. Le travail de M. Bru-
tails, qui vient de paraître, lui rendra-t-il quelque vie ? La Société
française d'archéologie ayant tenu son congrès de 1906 à Car-
cassonne, a publié à cette occasion un excellent guide ^ à l'usage
des congressistes, qui ont fait des excursions dans l'Aude et les
Pyrénées-Orientales. La partie qui concerne le Roussillon est due
à M. Brutails; c'est dire avec quelle compétence elle a été traitée.
M. Brutails, qui fut archiviste des Pyrénées-Orientales avant de
l'être de la Gironde, a publié sur le Roussillon des travaux archéo-
logiques et historiques remarquables 2. Nous retrouvons dans
ses nouveaux aperçus archéologiques sur les monuments de notre
province les qualités dont il a toujours fait preuve : documenta-
tion sévère, science archéologique très sûre, souci de la vérité qui
lui fait repousser toute conjecture ne reposant pas sur l'ensemble
des faits dont il faut tenir compte. Aux yeux de M. Brutails, Far-
chêologie n'est point une science qui se suffise à elle-même; elle
doit sans cesse avoir recours ù l'histoire, et il croit, à juste litre,
qu'un monument ne peut être daté que d'après des données histo-
riques. On sait les opinions de l'auteur sur la persistance des foi*-
mes architecturales à travers les Ages : en Roussillon, jtlus qu'ail-
leurs, sa thèse est sans cesse confirmée par les faits, caries formes
architecturales y sont, plus qu'ailleurs, tardives et persistantes.
Comment en eût-il été autrement dans une province reculée,
réunie seulement en 1659 à la couronne de France, et où ne pou-
vait en conséquence se manifester un mouvement artistique que
longtemps après son apparition dans le nord ou le centre de notre
pays? Fidèle à sa méthode, qui ne lui permet de rien tranclier sans
renseignements suffisants, M. Brutails indique, dans son nouveau
1. Société française d'archéologie. — Guide du Congrès de Carcas-
so»ne en 1906, par MM. J. de Lahondès, L. Serbat, , P. Thiers et Aug.
Brutails. Caen, iiiip. H. Delesques, 1906; iii-ltî de 157 pages.
2. Voir une Hsle dos ouvrages archéologiques de M. Brutail.s sur le
]îoussill(iii dans le Guide du Congrès de Carcassoxue. p. l"i<i.
CHRONIQUE. 285
travail, nombre de problèmes susceptibles d'attirer l'attention des'
érudits. Chemin faisant, il combat quelques-unes des assertions
émises par M. Albert Mayeux sur l'ancienne église de Saint-Jean-
le-Vieux à Perpignan *. De nombreux trayaux ont été lus au con-
grès de Garcassotine, bien des problèmes ont été discutés; on en
trouvera le compte rendu dans le prochain Bulletin de la Société
qui a organisé ce congrès.
La Société archéologique de Tarn-et-Garonne a fait, du 18 au
25avril 1904, une excursion en Roussillon et en Catalogne. A l'is-
sue d'un banquet qui eut lieu le 20 avril, M. Palustre, archiviste
départemental, donna aux membres de cette Société lecture d'une
notice 2 résumant les traits les plus caractéristiques des monu-
ments de Perpignan. C'est un excellent résumé, succinct et subs-
tantiel, de ce qu'il faut savoir lorsqu'on visite la capitale du Rous-
sillon.
ÎVI. le D"" Albert Donnezan, qui est un passionné pour l'ar-
chéologie et les sciences en même temps qu'un collectionneur émé-
rite, et qui a déjà publié des travaux remarqués, nous donne ses
Notes sur le Châleaa royal de Perpignan 3, description et recons-
titution intéressante de l'ancien château des rois de Majorque.
M. le D"" Donnezan a pu descendre dans le puits de Sainte-
Florentine, proche de la cour du donjon, profond de 40 mètres. Ce
puits donne accès à des souterrains que l'auteur a parcourus dans
toutes leurs parties accessibles, et qui, d'après lui, étaient d'un
précieux secours pour échapper à l'ennemi et même reprendre
l'ofl'ensive.
L'histoire attire les érudits plus que l'archéologie. Signalons de
suite une excellente publication et qui vient à son heure pour faci-
liter les recherches historiques sur la province : c'est la Bibliogra-
phie roussillonnaise qui se trouve dans le Bulletin de la Société
des Pyrénées-Orientales, 1906, p. 1 à 558. C'est une œuvre consi-
dérable et qui comble une grave lacune. Les lecteurs de cette
Revue savent déjà qu'elle est due à M. Vidal, auteur de tant d'in-
téressants travaux sur le Roussillon, et à M. .1. Ciilmette, le dis-
1. Albort, Mayeux. Sai)it-Jean-le-Vieux de Perpignan. (Extrait des
Mémoires de la Société des antiquaires de France, 1005.)
2. Perpignan et ses monuments , dans le Huit, de la Soc. des Pyré-
nées-Orientales, 190.5, pp. 169 et suiv.
3. Notes sur le château royal de Perpignan et le puifs de Sai?ite-
PloreiUine, ibid., pp. 153 et suiv.
286 ANNALES DU MIDI.
tingué professeur à la Faculté des Lettres de Dijon, qu'attirent
toujours les études sur la Catalogne *. Ces deux érudits, qui ont
eux-mêmes enrichi la bibliographie roussillonnaise de nombreux
ouvrages, étaient mieux qualifiés que personne pour mener à bien
une tâche qui demandait une connaissance spéciale de tout ce qui
a été publié sur la province.
Un autre précieux instrument de travail sera l'Inventaire som-
maire de la série H (clergé régulier), qui se poursuit aux archives
départementales. M. Vidal a déjà annoncé la pub ication de l'In-
ventaire sommaire de la série G (clergé séculiei'), auquel sont
joints une introduction et un index dus à M, Palustre, archiviste
départemental. Lorsque sera complété l'inventaire de la série H,
la tâche se trouvera grandement facilitée à qui voudra entrepren-
dre une étude sur la vie religieuse d'autrefois.
Parmi les ouvrages historiques qui viennent de paraître sur des
sujets locaux, citons d'abord le Conseil Souverain de Roussillon ,
par M. Paul Galibert, docteur en droit. Nous ne reprocherons pas
à l'auteur de n'avoir pas épuisé le sujet; lui-même avoue modes-
tement qu'il n'a fait qu'un « essai », et qu'il sent mieux que per-
sonne les lacunes et les imperfections de son œuvre. M. Galibert
déclare également qu'il a voulu s'en tenir au fonctionnement du
Conseil souverain, sous le règne de Louis XIV, car mieux vaut,
dit-il, i( étudier une institution à ses débuts et dans son plein
épanouissement, que sur son déclin, quand ses caractères primi-
tifs se sont altérés «. Peut-être. Ce n'est pas sûr en ce qui concerne
le Conseil de Roussillon. Mais il est clair que le livre ainsi restreint
ne correspond plus au titre très général que lui a donné M. Galibert.
Dans les limites qu'il s'est imposées — sans doute pour s'en tenir
aux proportions ordinaires d'une thèse de doctorat en droit, —
l'auteur a su rendre très intéressante une étude qui risquait fort
d'être aride : étude bien composée, facile à suivre dans ses dévelop-
pements et d'une très belle tenue littéraire. Avec raison, M. Gali-
bert a oublié qu'il est avocat, pour faire, de préférence, œuvre
d'historien. S'il a négligé volontairement la jurisprudence politi-
que et administrative, sur laquelle il eût été merveilleusement ren-
1. Cf.. Annales, t. XVIII, p. 4:21; XIX, p. 116. — V. dans la Biblio-
graphie roussillonnaise les nombreux ouvrages do MM. P. Vidal et
J. Calniette.
2. P. Galibert, Le Conseil Souverain de Roussillon. Perpignan, inip.
de l'Indépendant, iyU4; in-12 de 144 pages.
CHRONIQUE. 287
seigné par le Fonds du Conseil souverain des archives des Pyré-
nées-Orientales, il s'est attaché à mettre en lumière le rôle du Con-
seil dans la province nouvellement réunie à la France. « Francisa-
tion », « gallicanisation « du Roussillon, voilà les deux points de
l'œuvre de ce Conseil qui ont surtout attiré l'attention de l'auteur.
La vie des magistrats, celle des auxiliaires de la justice, avocats
et procureurs, leur situation sociale et matérielle, leurs petites que-
relles de préséance, tout ce qui, en un mot, touche aux mœurs de
l'époque, forme dans son livre un chapitre plein d'intérêt, de cou-
leur locale. Dois-je reprocher à M. Galibert de n'avoir pas, en
passant établi de comparaison entre le Conseil souverain de Rous-
sillon et ceux d'Artois, d'Alsace, de Corse, et aussi avec les Parle-
ments ? Ainsi comprise, l'œuvre eût été trop étendue au gré de
l'auteur, mais il eût sans doute évité d'émettre cette assertion que,
si les « magistrats du Conseil souverain n'eurent pas la propriété
de leurs charges», c'est «une exception peut-être unique dans l'his-
toire de notre ancien droit ». Ce « peut-être » corrige heureusement
l'affirmation : pour les magistrats des Conseils souverains la véna-
lité des offices, en eft'et, n'existait pas. Le fait s'explique aisément.
Dans les pays de nouvelle conquête, la royauté s'est gardée d'intro-
duire la vénalité qui hi gênait, qui faisait des magistrats autre
chose que des fonctionnaires placés dans la main du roi, sujets à
chaque instant à la révocation; qui favorisait enfin leurs velléités
d'autorité politique. En Roussillon, l'opposition du Conseil eût pu
se produire en faveur du particularisme local; elle eût compromis
la politique d'assimilation que suivit naturellement le gouverne-
ment français.
Fuis-je encore me permettre de faire remarquer à l'auteur que
l'explication qu'il donne de « l'opinion » très haute que le ('atalan
eut toujours de son pays et de lui-même », de son amour pour l'in-
dépendance, n'est point inattaquable : excellence du climat,
richesse du sol, beauté des sites, fréquentes invasions venant
surexciter le patriotisme local? Car une foule d'autres paj's ont
déployé la même ardeur à conserver les libertés locales : la plu-
part des provinces d'Espagne avaient leurs « fueros », qu'elles
défendaient jalousement ; les Pays-Bas jouissaient de nombreux
privilèges, etc. Mais M. Galibert a si bien chanté l'amour du sol
natal, d'un style si pittoresque, si heureusement coloré, où trans-
parait si gentiment l'âme catalane, que c'eût été dommage qu'i
n'eût point écrit ce couplet.
288 ANNALES DU MIDI.
M. l'abbé Giralt, curé de Fuilla, continue sa série de monogra-
phies sur le Confient, d'après des papiers de famille. Il a donné
d'cins le Bull, de la Soc. des Pyi énées-Orienlales, 1905, p. 185 à
311, une Notice historique de la vicomte d'Evol, des communes
d'Evol et d'Oletle. Citons encore sa Monographie des deux
paroisses rurales, Passa et Yillemolaque, imp. Payret, 1904,
42 pages. D'une lecture toujours intéressante, écrites dans un style
sobre et clair, celui qui convient à de pareils sujets, ces monogra-
phies ne laissent point d'avoir une valeur pour un futur travail
d'ensemble sur la province : elles mettent en lumière, par l'accu-
mulation même des détails, la vie locale d'autrefois, si précieuse
pour la compréhension de l'histoire : renseignements sur les
mœurs, sur les biens communaux, les biens ecclésiastiques, les
propriétés privées, marchés, ventes, trafic, etc.
On en peut dire autant du travail de M. l'abbé Jean Sarréte,
curé de Palan (Cerdagne) : la Paroisse d' Hioc (Gerdagne française),
dans le même Bulletin, p. 31o à 340. Il retrace l'origine de cette
paroisse dont le nom parait pour la première fois en 839, et nous
fait connaître les rapports existant entre l'évêque, le curé et les
fidèles sous l'ancien régime.
M. l'abbé ,1. Gibrat est un chercheur infatigable qui a déjà
publié de nombreuses monographies locales. Il vient de faire
paraître des Recherches historiques sur Pierre Pont, abbé d'Ar-
les. Notes sur quelques forges du Haut-Vallespir et Glanures
sur les localités du Haut- Vallespir, ïmp. L. Roque, Céret, 190G,
in-16 de 103 pages, travail intéressant, un peu touffu toutefois.
L'auteur eût mieux fait d'intituler la première partie de son
ouvrage « La fortune d'un abbé au xviie siècle », car ce n'est
guère de la vie ecclésiastique de Pierre Pont qu'il est question,
mais bien presque uniquement de la gestion de ses biens.
Nous devons à M. le chanoine François Font une Histoire de
l'abbaye royale de Saint-Martin du Canigou, Perpignan, imp,
Latrobe, 1903, in-16 de 225 pages. On y trouve d'utiles renseigne-
ments sur l'ancienne abbaye bénédictine de Saint-Martin du Cani-
gou, fondée en 1001 par Guifred, comte de Cerdagne, consacrée à
deux reprises en 1009 et 1026, détruite en partie par un tremble-
ment de terre en 1428 et réparée dans les années suivantes. Aban-
donné quelque temps avant la Révolution, le monastère tomba en
ruines; il vient d'être intelligemment restauré, avec un réel sens
archéologique, par M^i' deCarsalade, évêquede Perpignan. L'abba-
CHRONIQUE. 289
tiale de Saint-Martin est un curieux exemple d'une église romane
à trois nefs et sans doubleaux, où les voûtes latérales sont élevées
assez haut pour soutenir le berceau central ^ M. l'abbé Font a
négligé quelque peu le côté archéologique pour s'attacher à l'his-
toire du monastère. L'auteur a dû fournir un labeur très louable
pour réunir les renseignements dont il s'est inspiré. Il eût pu
cependant en lirer meilleur profit en s'attachant à une composi-
tion plus logique (pourquoi, par exemple, cette division par
« règnes » d'abbés?), en évitant des digressions inutiles (l.es légen-
des sont intéressantes, mais tiennent beaucoup trop de place dans
le texte) et en restant toujours dans la note historique.
Nous serions heureux enfin de pouvoir énumérer, s'ils étaient
du domaine de cette Revue, des travaux scientifiques d'une très
réelle valeur et qui contribueront à donner une connaissance plus
approfondie de la partie orientale des Pyrénées, tout en corrigeant
nombre d'erreurs sur la géologie de cette région. Leur importance
n'échappera pas plus aux géographes qu'aux géologues. Ces tra-
vaux sont dus pour la plus grande partie à M. 0. Mengel, profes-
seur au Collège et directeur de l'Observatoire de Perpignan, et à
M. Ch. Depéret, doyen de la Faculté des Sciences de l'Université
de Lyon. On les trouvera dans le Bull de la Soc. de géol. de
France, 1904, 1906, 1907, dans les C. R. du serv. de la carte géol.
de France, 1905, dans le Bull, de la Soc. des Pyrénées-Orienta-
les, 1905, 1907, et dans le Bull, de la Soc. météorol. de France,
1906. - Marcel Sellier.
1. V. Notes sur l'art religieux du Roussillon, par J.-A. Brutails,
Leroux, Paris, 1895, et le Guide du Congrès de Carcassonne, déjà cité.
CORRESPONDANCE
« Bordeaux, le 11 avril 11107.
« Monsieur et honoré Collègue,
« Sous la signature L. G. Pélissier, les Annales du Midi (jan-
vier 1907, p. 133) ont publié une note qui m'est signalée de divers
côtés :
« M. Martinenche, nommé à la SorJjonne après une lutte épi-
« que et mouvementée où il n'a pas été toujours combattu à ar-
« mes courtoises, etc. »
« J'ai été le seul concurrent de M. Marlinenche. Je comprends
donc que l'on ait pu me croire visé par cette note de votre collabo
rateur.
« Or, quand M. Martinenche a été nommé maître de conféren-
ces de langue et littérature hispano-portugaises à la Sorbonne
(nomination ([ui a suivi de quelques semaines seulement la créa-
tion du poste), il y avait plus d'un an que je n'étais allé à Paris;
et je n'ai pas écrit un seul mot aux professeurs de la Sorbonne
pour les intéresser à ma candidature, que je me suis contenté de
poser par une lettre officielle adressée au doyen. Bref j'ai garde en
cette circonstance l'inertie la plus complète.
« J'es[ière que vous voudrez bien. Monsieur et honoré collègue,
reproduire ces quelques lignes dans les Annales dont vous êtes
CORRESPONDANCE. 29t
le président-directeur. Elles rectifieront des mots que j'aime mieux
croire maladroits que malintentionnés.
« Veuillez agréer l'expression de mes sentiments très distin-
gués.
a G. CiROT.
« Professeur d'Etudes hispaniques,
à l'Université de Bordeaux. »
Rien n'autorise M. Girot à se croire personnellement visé par ma
phrase. M. Martinenche a eu à lutter contre plusieurs concurrents,
parmi lesquels M. Girot n'était qu'une unité. La lutte s'est menée
entre les patrons, amis et collègues des divers candidats. Elle a
intéressé plusieurs et très différents milieux universitaires et aca-
démiques. Les échos en ont retenti jusqu'en Angleterre. On peut
donc faire allusion à certains aspects de cette lutte sans mettre en
cause l'un ou l'autre des candidats. J'espère que M. Girot,
après réflexion, voudra bien s'en rendre compte.
L. Pélissier.
VIIHS ANNONCÉS SOMMAIREMENT
Berriat-Saint-Prix (J.). Vieilles prières. Clermont-Ferrand, Dû-
ment, 1906; in-8° de 35 pages. — Très intéressante collection de
prières, de méditations et de noëls en patois et en français, avec
des remarques sur la langue et les mots vieillis. Bonne contribu-
tion au folk-lore du pays. Desdevises du Dezert.
Blazy (abbé L.). Contribution à l'histoire du pays de Faix.
r» série, Foix, Pomiès, 1903; in-S" de 106 pages ; 2» série, Foix,
Lafont de Sentenac, 1905, in 8" de 88 pages. — Sous ce titre,
l'auteur a réuni diverses études de détail dans lesquelles il publie
ou analyse avec soin des documents qui, sans être tous du même
intérêt, fournissent cependant pour la plupart d'utiles rensei-
gnements sur l'histoire économique et sociale du pays de Foix,
Dans la première série, on relève notamment le résultat de plu-
sieurs recensements ordonnés a Foix à la fin du xviiie siècle, une
note sur les corporations ouvrières de Pamiers en 1767, l'analyse
d'une enquête faite en 1674 et 1691 par ordre du roi sur l'organi-
sation des corporations de Foix, les droits seigneuriaux de la
maison des Foix-Candale au xvii« siècle d'après un registre
de notaire, le dénombrement de la ville et du consulat de
Foix en 1733. Dans la deuxième série, M. l'abbé B. emprunte
à un registre de notaire de Foix le bail des écoles de 1680 qui
donne de curieux détails sur l'organisation de l'enseignement
primaire à cette époque (gages des régents, durée des clas-
ses, etc.), les baux à ferme des boucheries qui fixaient à 7 sols le
prix de la livre de mouton et à 4 sols celui de la livre de bœuf,
les baux des fours banaux, des bancs et tables des marchands
sur la place les jours de foire, et le bail de la levée de la taille
dans un des quartiers de la ville. Quelques autres documents
provenant d'archives privées sont relatifs au marquis de Ségur.
LIVRES ANNONCÉS SOMMAIREMENT. 293
dernier gouverneur général du pays de Foix au xviii« siècle, à
l'ameublement du château de Foix en 1757, aux vieu\ monuments
et anciens châteaux du canton de Tarascon (Ariège).
Fr. G/vLABERT.
CoiFFiER (J.). L assistance publique dans la généralité de Riom
au XVIII- siècle. Clermont-Ferrand, 1906; in-H" de 286 pages. —
Bonne indication des sources. Bibliographie du sujet. Le livre
est divisé en trois parties : Une histoire générale de la misère en
Auvergne (détails sur l'état des communications, l'exagération
des impôts, l'alcoolisme, l'insuftisance des salaires). — Un tableau
des établissements charitables de la province (hôpitaux, hôpitaux
généraux, dépôts de mendicité, asiles d'orphelins et d'aliénés). —
L'assistance publique (secours à domicile, bureaux de charité,
assistance par le travail, assistance médicale). L'ouvrage de
M. C. est bien documenté et rédigé avec clarté; il constitue un®
bonne contribution à l'histoire de la province d'Auvergne au
dernier siècle de l'ancien régime. Desdevises du Dezert.
Durand (le chanoine F.). L'église Sainte-Marie ou Notre-
Dame de Niines, basilique -cathédrale [description archéologi-
que). Nimes, Debroas, 1906; in-8" de lOo pages. - Dans cette
consciencieuse et judicieuse étude, l'auteur traite successive-
ment du nom, de l'emplacement, de la façade et du clocher de
la cathédrale. Il décrit ensuite la première frise de la façade
(xiie siècle), la seconde frise (\vii« siècle) et l'intérieur du clocher,
l'intérieur de l'église et les vitraux, le chœur et la chapelle de la
Conception (aujourd'hui du Saint-Rosaire), la chapelle du Saint-
Sacrement, les chapelles de la nef, la chaire, les orgues, les clo-
ches, les sacristies. Des planches ou des phototypies ajoutent à
la valeur du texte. On y voit : la reconstitution de la cathé-
drale du xi« siècle, consacrée par Urbain 11(1096), le remplacement,
au xiie siècle, de la baie unique du milieu de la façade par trois
baies ; la surélévation du clocher au \iv« siècle, la cathédrale après
la première démolition (lo67), le fronton et la frise supérieure
(excellente phototypie), les scènes bibliques de la frise supérieure
la cathédrale en 1899. la section du clocher vu de la place, le
plan par terre du choeur avant 1831. L'auteur a déjà rendu bien
des services à l'archéologie nimoise par le goût et le soin qu'il
apporte dans ses travaux. La présente publication est un nou-
veau titre à la reconnaissance des érudits. Ed. Bondurand.
294 ANNALES DU MIDI.
OuRAND-AuziAS. L'époque de la Terreur à Roquemaure {Gard).
Paris, Plon-Nourrit, 19u6 ; in-4'^ de 124 pages. — Cette publication
est un recueil de pièces de la Révolution trouvées dans des papiers
de famille. Notons entre autres un cahier contenant les noms
des personnes arrêtées et les motifs de leur arrestation, cahier
certifié par les membres du Comité de surveillance et révolution-
naire de Roquemaure, le 5 fructidor an II. L'éditeur donne un
fac-similé des signatures. Viennent ensuite une liste des détenus
comme suspects, à Pont-sur-Rhône (Pont-Saint-Esprit), des petites
communes qui n'excèdent pas 1,200 habitants, avec la désignation
de leurs noms et prénoms, professions et domiciles, et les griefs
qui ont amené l'arrestation; une autre liste des suspects détenus
par mandat d'arrêt du Comité révolutionnaire de Roquemaure,
ou à détenir, datée du 10 germinal; des mandats d'arrêt du
comité, allant du 21 germinal an II au 16 prairial an II; des
procès-verbaux de saisies, d'inventaires, ventes, etc.; des récla-
mations et protestations diverses; un état de la consistance des
biens des détenus de Roquemaure. Je n'ai pas besoin d'insister
sur le haut intérêt de la plupart de ces textes, où frémissent des
passions que la mort exalte au lieu de les calmer.
Ed. BONDURAND.
Frayssinet (M.). Les idées politiques des Girondins (thèse). Tou
louse, imp. Vialeile et Perry, 1903 ; in-8« de 3o9 pages. — Les Q\ ■
rondins constituèrent un parti et, à ce titre, ils intéressent plus
l'histoire générale que l'histoire du Midi. Cependant, plusieurs
d'entre eux, et des plus notables, appartenant au département de
la Gironde, d'autres aux départements méridionaux, et maints
événements de leur histoire ayant eu pour théâtre le Midi, il est
bon de noter au moins un ouvrage qui s'occupe des idées de ce
parti, d'autant qu'ils ont préparé un projet de constitution de la
France qui, appliqué, aurait pu changer le cours de l'histoire de
notre pays.
C'est en partie dans ce projet de constitution que l'auteur re-
«iherche les idées maîtresses des Girondins. Il arrive d'ailleurs,
après comparaison de ce projet et de la constitution de l'an II,
votée par la Montagne, après étude des idées émises par les prin-
'îipaux Montagnards et les principaux Girondins, à adopter la
conclusion de M. Aulard : « Le groupe de la Gironde ne différa
pas de la Montagne par des principes, mais par sa conception
LIVRES ANNONCÉS SOMMAIREMENT. 295
(lu rôle que la capitale devait jouer dans la France envahie et
déchirée. » M. Décans.
Labande (L.-H.)- I" Etude historique et archéologique sur
Saint-Trophime d'Arles du /V« au XIH^ siècle. Caen, H. Deles-
ques, 1904; in-S'J de 80 pages; i planches, 4 phototypies, des-
sins dans le texte. — 2» Le Baptistère de Venasque {Vaucluse).
Paris, Irap. nat., 1905; in-S*^ de '20 pages; 4 phototypies, 1 plan.
— 30 La cathédrale de Vaison , étude historique et archéolo-
gique. Caen, H. Delesques, 1903; in-S" de 71 pages; 4 planches,
3 phototypies, dessins dans le texte. [Le n'^ • est extrait du
Bull, monumental, années 1903-4; le n" 2 du Bull, archéologique
de 1904, et le no 3 du Bull. Monumental de 1905]. — M. Labande a
entrepris un ouvrage de fond sur l'architecture romane en Pro-
yence et en Bas-Languedoc. Au fur et à mesure des progrès de
son enquête, il aime à prendre contact avec les archéologues, en
publiant des études particulières, matériaux de l'œuvre d'ensem-
ble en préparation. C'est une méthode excellente, en ce qu'elle
appelle un contrôle permanent. Quand le protagoniste est aussi
bien armé que M. L., il naît dans le public, à la vue d'une telle
énergie et d'une telle probité scientifique, un courant de sympa-
thie et de considération de nature à dissiper toutes les appréhen-
sions d'auteur, et à pousser à la synthèse personnelle. En tra-
vaillant dans une maison de verre, M. L. a conquis d'avance ses
lecteurs. Déjà les Annales du Midi ont rendu compte, par la
plume de M. Saint-Raymond (t. XV, p. 519-2ÎJ, de ses Etudes
d'histoire et d'archéologie ?'omane. Provence et Bas-Langue-
doc. — Eglises et chapelles de la région de Bagnols-sur-Cèze. Les
trois brochures que je groupe dans cette annonce sommaire ont
pour objet des monuments plus illustres. L'examen personnel et
minutieux de toutes les particularités de construction, la con-
naissance et la critique rigoureuse des textes, ont permis à
M. L. de formuler des conclusions qui rectifient bien des idées
admises et serrent de plus près la vérité. Si l'examen de la
construction peut seul révéler l'importance et la succession des
remaniements dont il reste trace, l'étude critique des textes,
inscriptions, chroniques, chartes, etc., peut amener à des dates
précises. Mais que de textes écarte une saine critique ! Combien
peu demeurent utilisables, et le plus souvent avec des précau»*
tions !
296 ANNALES DU MIDI.
Pour Saint-Trophime d'Arles, il faut signaler l'observation
capitale de la différence des matériaux entrés dans la construc-
tion de la façade ouest (petit appareil cubique, très ancien, et
moyen appareil bien taillé et jointe, plus récent). Il faut aussi
mentionner la discussion décisive, démontrant qu'il y a toujours
eu une entrée par la façade ouest (p. 69-71). La conclusion de M. L.
est que les parties les plus anciennes, en petit appareil, ont
appartenu à la basilique édifiée à la fin du viii« siècle. Deux siè-
cles après furent construits le transept, puis la travée qui le
précède. La réfection de la nef et le remplacement de la couver-
ture en charpente par des voûtes sur le vaisseau central et les
collatéraux furent achevés dans la première moitié du xii« siècle.
Alors la confession, établie après coup dans les dernières travées
de la nef et dans le transept, put recevoir, en 1152, les reliques
de Saint-Trophime. Plus tard, mais avant la fin du xii« siècle,
commencèrent les travaux du cloître, l'édification du portail et
le relèvement du sol primitif de l'église. Comme les autres égli-
ses romanes de Provence, Saint-Trophime est un composé de
pièces et de morceaux, tous d'une date différente. Cette règle des
améliorations et des juxtapositions successives, mise en lumière
par M. L., est évidemment due aux catastrophes et à la profonde
misère de la période médiévale.
En ce qui concerne la grande inscription de la travée voisine
du transept, je pense qu'on ne peut en tirer un sens raisonnable,
pas plus que de la grande inscription de la cathédrale de Vaison.
Ce sont des témoignages lamentables de la déformation d'esprit
des moines du temps, qui s'épuisaient en ces devinettes puériles
et entortillées. M. L. établit que Tinscription d'Arles est vrai-
semblablement de la fin du w siècle. Celle de Vaison remonte
seulement au xii^ Le seul mérite de ces inscriptions est leur
grand effet décoratif. M. Révoil en fut si frappé, que dans
sa belle restauration de la cathédrale de Nimes, il en fit courir
une. d'aspect analogue, autour de l'église, à la hauteur des cha-
piteaux des colonnes.
Dans le baptistère de Venasque, un petit appareil irrégulier
décèle les anciennes murailles. Les additions sont en matériaux
plus beaux et plus réguliers. Les évêques de Carpentras ont
utilisé des colonnes antiques dans les absides. M. L. fait remon-
ter l'édifice au début du vu» siècle. Il fut réparé au commence-
ment dn xiir.
LIVRES ANNONCES SOMMAIREMENT. 297
Quant à la cathédrale de Vaison, M. L. y voit l'œuvre de six
constructeurs différents. Leurs travaux subsistants peuvent se
répartir dans ces périodes successives : \° absidioles sans les
voûtes, intérieur de l'abside principale ; 2" partie du mur goutte-
reau du collatéral nord, en petit appareil régulier ; 3" voûtes dos
absidioles et leurs contreforts, base du clocher, voûte de la
grande abside, murs des bas côtés en petit appareil irrégulier
ou en blocage; 4" modifications dans les murs du chœur, voûte
de la travée; 5" travée voûtée en coupole, piliers et grandes
arcades de la nef, voûtes des bas-côtés; 6'^ voûtes et murs laté-
raux de la nef.
Seules, les absidioles et l'abside sans les voûtes, ainsi qu'une
partie du mur septentrional, sont antérieures au di'^but du
XI' siècle.
Bientôt paraîtra, dans le Bulletin archéologique, une quatrième
étude sur N.-D.-des-Doms d'Avignon. Ainsi M. L. amasse, pour
son ouvrage en préparation, des matériaux élaborés avec une
science et un amour de la vérité que ne saurait rebuter aucun
obstacle. E. Bondurand.
Leroux (A.). Le sac de la Cité de Limoges et son relèvement
(1370-1464). Limoges, Ducourtieux et Goût, 1906; in-S'^ de
84 pages. — M. L. examine, à la lumière des documents d'archives
publiés ou inédits, le récit qu'a fait Froissard du célèbre sac de
Limoges par le prince Noir, en septembre 1370. La Cité, pour
s'être mise dans l'obédience du roi de France, en violation du
traité de Brétigny, fut alors prise et pillée. On sait que la Cité
était la ville épiscopale, distincte du Château, qui formait, à
proximité, une autre ville, trois fois plus grande. Tandis que le
Château restait aux mains des Anglais, la Cité, sous l'impulsion
de l'évêque Jean de Gros, fit le 24 août 1370 sa reddition aux ducs
de Berry et de Bourbon, sans coup férir, quoi qu'ait dit Froissard.
Bertrand du Guesclin n'y vint pas, occupé qu'il était alors à
reprendre Saint-Yrieix au profit de la veuve de Charles de Blois
vicomtesse du Château. L'armée du prince de Galles, partie de
Cognac, ne fut donc pas arrêtée en route. Cependant elle n'a pu
arriver devant Limoges avant le 13 ou le 14 septembre. La Cité
ayant été prise le 19, le siège n'a pas duré trois semaines, comme
dit Froissard, à moins que l'on n'entende par siège les efforts que
firent peut-ôtre, dès la fin d'août, les Anglais du Château pour
ANNALES DU MIDI. — XIX 20
298 ANNALES DU MIDI.
bloquer les portes et priver leurs adversaires de secours. C'est
Il mine qui a permis aux assiégeants d'entrer dans la ville. S'y
engageant de bon matin, ils tuèrent tout ce qui faisait résistance
ou se trouvait devant eux : 3,000 personnes, affirme Froigsard.
Or la Cité pouvait à peine contenir un pareil nombre d'habi-
tants ou de réfugiés; le chiffre de 300, fourni par la Chronique
de Saint-Martial, est plus vraisemblable. Le pillage suivit, puis
la destruction méthodique par le pic et par le feu. Cela fait, les
Anglais regagnèrent Cognac, emmenant avec eux, outre le butin,
leurs prisonniers, dont l'évêque, afin d'en tirer rançon.
M. L., qui décrit très clairement la Cité, qui en donne une
bonne carte, indique les dommages qu'elle éprouva — ruine du
palais épiscopal, des maisons bourgeoises, des remparts; — puis
comment elle fut restaurée : il n'y fallut pas moins d'un siècle
(1371-1464). Mais il est impossible de résumer ici cette narration
précise d'un relèvement très lent et graduel, sans cesse contrarié
par les malheurs de l'époque. Encore le palais de l'évêque ne
fut-il reconstruit qu'en 4534-1537, les murailles relevées qu'en
134.3-1 552.
Voilà donc rectiflée par un érudit parfaitement informé, selon
une méthode vraiment ciitique, la légende de carnage affreux
que Froissard avait créée, qui s'était amplifiée au xvi« siècle et si
solidement établie que les historiens modernes, jusques et y
compris M. Coville', ont cru devoir l'accepter.
Paul DOGNON.
Mayéiîas (Barth.). Catalogue des manuscrits de la Bibliothèque
communale de Limoges. Nouv. suppl. Limoges, Ducourtieux, 1906;
in-8" de 49 pages. — Le catalogue de Limoges, publié aux tomes
IX et XLI du Calai, génér. des inss. des biblioth. de Frayice^ vient
de s'accroître d'une manière sensible, grâce au zèle du conserva-
teur de la bibliothèque. Au lieu des 35 numéros qu'accusait le
relevé de 1888 ou des 49 que donnait le supplément de 1903, il faut
désormais faire état de M 8 numéros. Ce chiffre relativement
élevé a été atteint par la réunion d'une foule de menus cahiers
et de pièces détachées, que l'incurie du précédent bibliothécaire
avait laissés de côté. Dans le nombre nous signalerons comme
particulièrement intéressants : une liasse de pièces diverses
1. lllsi. de Vro.nce, p. p. ^F. E. Lavisse, l. IV (l'.Kiti). p. \^Ti.
LIVRES ANNONCES SOMMAIREMENT. 290
(n» oO), dont la plus ancienne remonte à 1617; — le recueil des
sermons des deux abbés Vitrac (n»' o9 à 64), qui vivaient au
XVIII'" s. ; — les productions poétiques et scientifiques d'un certain
Bouriaud qui fut professeur au collège do St Junien (n" 7(,i à 82);
elles pourraient servir à l'histoire de la pédagogie française; —
les chansons d'Alfred Durin (n" 88) ; — les élucubrations d'un spi-
rite de Limoges, S. Baylac, mort récemment (nos 90 à 100) ; — le
premier projet d'achèvement de la cathédrale de Limoges par
l'architecte Chabrol en 184o-o1 (n" 103); — la collection des
épures, dessins, esquisses, projets, etc., du susdit Baylac, qui fut
un modeleur de talent (no 107-118); — enfin, une série de lettres
autographes, au nombre de 37, de personnages appartenant pres-
que tous au x\x« siècle.
C'est le BuU. de la Soc. arch. du Limousin (LV, p. 649-93) qui a
donné asile à ce « Nouveau supplément », en attendant qu'il
puisse trouver plac- dans les Additamenta du Catalogue que
dirige le Ministère de l'Instruction publique. A. Leroux.
Parducci (k.\. Rugello da Lucca'! Perugia, 1906; in 8° de 16 pa-
ges (Extrait de Miscellanea nuziale Ferrari-Toncolo) . — Le nom
de « Rugetto da Lucca » est prononcé pour la première fois par
Redi dans une note de son Bacco in Toxcana (1683)'. C'est à lui
oue l'ont emprunté tous les critiques postérieurs. Où lui-même
l'avait-il pris? Ce n'est pas dans un manuscrit, car il distingue
par la typographie les noms qu'il emprunte k des sources manus-
crites. C'est donc à un imprimé, lequel ne serait autre, selon
M. P., que la traduction de Nostredame par Giudici (1575). Mais
cet ouvrage, précisément, ne contient pas le nom de « Rugetto da
Lucca»; ce nom serait dû — et c'est la seconde hypothèse de
M. P., — à une erreur commise par Redi, soit dans la lecture de
sa source (erreur peu probable, puisque cette source devait être
un imprimé), soit dans le déchiffrement d'une note ma! prise :
Rugetto serait une mauvaise lecture de Rugiero et les mots da
Lucca proviendraient de la mention del Luc, qui fut le nom d'un
« Giraut » dans quelques mss- {ADIK). Mais Giraut est bien loin
de Rogier. Ce sont donc là des suppositions sans grand fonde-
ment. Elles sont de plus exposées ici d'une façon bien diffuse et
1. C'e.sL ce cia'avait iléjà noté ?\L Gli;ib;ineau (Revue des l(i7igues rom.,
XXIII, 17).
300 annai.es du midi.
désordonnée; l'auteur de ce petit mémoire eût certainement
réussi, en se donnant un peu plus de peine, à en épargner beau-
coup à ses lecteurs. A. Jeanroy
Pi'ocès-verbaux des Comités d'agriciiUure et de commerce de la
Constituante, de la Législative et de la Convention, "^whWè^ et anno-
tés par F. Gerbâux et Ch. Schmidt. T. I". Assemblée consti-
tuante (l"'^ partie). Paris, Impr. nationale, 190(5; 1 vol. in-4" de
xxiv-773 pages. — Ce volume est l'un des premiers parus de la
Collection des Documents inédits sur l'histoire économique de la
Révolution française puitliés par le Ministère de l'Instruction
publique sur la proposition que fit, en 1904, M. Jaurès. Cette col-
lection, encore peu nombreuse, comprendra des recueils de docu-
ments d'un intérêt local, comme le relevé des ventes de biens
nationaux dans le département du Rhône qu'a déjà publié
M. Charléty, et d'autres d'une portée plus générale, comme le
volume de MM. Gfrbaux et Schmidt annoncé ici. Il paraîtrait
même, d'après ce que nous avons entendu dire, que les publica-
tions du second genre, puisées aux sources abondantes des Archi-
ves nationales et spécialement des Archives parlementaires des
diverses Assemblées, absorberaient la presque totalité des cré-
dits assez peu élevés que la Chambre a affectés à cette collection.
Les Procès-verbaiix des Comités d' Agriculture et de Commerce
sont offerts au public sous le haut patronage de M. Aulard, pro-
fesseur à l'Université de Paris, vice-président de la Commission
centrale, qui en a suivi l'impression en qualité de commissaire
responsable. C'est dire qu'ils sont livrés dans les meilleures con-
ditions d'exactitude et de scrupule pour leur reproduction, de
précision et de sûreté pour les annotations qui les accompa-
gnent. — Il est difficile de se prononcer dès aujourd'hui sur l'im-
portance d'une publication qui n'embrasse même pas l'ensemble
des travaux du Comité d'agriculture de la Constituante, puisque
le tome 1" s'arrête au 21 janvier 1791, huit mois avant laclôiure
de cette Assemblée. Il manque à ce volume la table analytique
des matières et l'index alphabétique des noms que les auteurs
nous annoncent dès à présent et qui seront le complément néces-
saire de leur œuvre lon^^ue et difficile. Toutefois, leurs intentions
et les ri'sultats principaux de leur travail sont annoncés dans
une brève et substantielle introduction qui pourra guider les tra-
vailleurs dans leurs recherches. 1511e nous apprend que le Comité
LIVRES ANNONCÉS SOMMAIREMENT. 301
d'agriculture et de commerce, institué à la suite de diverses
propositions et délibérations de l'Assemblée, fut élu le 3 septem-
bre 1789 et comprit 33 membres pour les généralités et provinces,
plus deux pour la Corse et Saint Domingue, auxquels on en ad-
joignit plus tard deux autrespour la Guadeloupe et la Martinique.
La composition de ce Comité ne fut pas sensiblement modifiée
jusqu'à la fin de la Constituante. Il présenta la même stabilité
dans son bureau qui, présidé d'abord par le marquis de Bonnay,
réélut ensuite constamment à la présidence un député du Bas-
Languedoc, dont la famille est encore fort connue à Niraes, Mey-
nierde Salinelles, et pour principal secrétaire, après la retraite
du fameux Dupont de Nemours, un économiste assez notoire,
Herwyn. En ce qui concerne notre région, on peut citer, à côté
du président Meynier, Augier de Limoges, Gaschet Delisle, de
Bordeaux, Pons de Soulages, de Montauban, Tixedor, de Perpi-
gnan, Pemartin, de Pau et Bayonne, et Roussillou, négociant de.
Toulouse, qui, avec la majoritédes commerçants français d'alors,
combattit le fameux traité de commerce conclu en 1786 avec
l'Angleterre, première tentative dans la voie du libre-échange, et
contribua à ramener la France au protectionnisme par le traité
de 1791. Comme la plupart des membres de l'admirable Consti-
tuante, ceux du Comité d'agriculture prirent fort à cœur leur
tâche pourtant très complexe, puisqu'ils héritaient d'une bonne
moitié des attributions naguère dévolues au contrôleur général
des finances, et qu'ils ajoutèrent aux fatigues des longues
séances, presque journalières, de l'Assemblée nationale, 258 réu-
nions particulières, en vingt-huit mois, de leur Comité. Ils ne
reçurent pas moins, jusqu'à la date où les éditeurs ont poussé
leur publication, de 2,143 mémoires dont ils retinrent et étudiè-
rent 1,507 environ, sur lesquels MM. Gerbaux et Schmidt en ont
retrouvé et dépouillé 539. Pemartin en présenta lui-même deux
sur le commerce de la boucherie, le Toulousain Roussillou huit
sur le commerce en général et sur le commerce colonial. (Nous
signalons en passant aux érudits locaux l'activité si remarquable
et si digne d'être étudiée de près de leur compatriote.) Roussillou
fit également un rapport sui- les encouragements à donner à
l'agriculture, un autre sur les denrées coloniales; Meynier rap-
porta sur le régime du port de Marseille. On saisit, par ces quel-
ques exemples, tout l'intérêt qu'une telle publication peut offrir,
même pour les chercheurs de nos provinces. Dans un cercle plus
302 ANNALES DU MIDI.
étendu, la collection de ces Proc-'s-Verbaux, consciencieusement
annotée, sera désormais indispensable à tous ceux qui voudront
écrire l'histoire économique de la France pendant la Révolution.
Albert Meyniér.
Roux (Df E.). Documents et notes pour se?'vir à l'histoire de la
ville de Riom Epidémies, famines et Conseils de santé. Riom,
Jouvet, 1906; in-8" de 132 pages. — Après un chapitre d'introduc-
tion sur le traitement de la peste au xvi*' siècle, M. R. étudie les
épidémies riomoises antérieures à 1631, et plus spécialement
celles de 1585 et 1606 et la peste de 1631. Le xvii^ siècle eut une
grande famine en 16o'2-o3. Celle de 1709-10 coûta la vie à près
de 300 personnes. En 1720, un Conseil de santé fut organisé à
Riom à l'occasion de la peste qui avait éclaté à Marseille. La
ville resta, pour ainsi dire, en état de siège jusqu'au mois d'août
1722. M. R. donne en appendice l'analyse sommaire du registre
des résolutions du Conseil de santé de l'année 1631. Ce travail,
où le sujet est parfois un peu oublié, emprunte un grand intérêt
à la qualité de l'auteur qui peut parler des épidémies riomoises
avec une compétence toute spéciale. Desdevises du Dezert.
Saint-Quirin. Les verriers du Languedoc. 1290-1790. Mont-
pellier, imp. Delord-Bœhm et Martial, 1904; in-8» de 361 pages
avec carte et planches. — L'ouvrage a déjà paru dans le Bull, de
la Soc. languedocienne de géographie, années 1901 h 1906; il a
été analysé partiellement dans nos dépouillements de cette revue.
On en a déjà loué l'intérêt historique, le sérieux et l'érudition.
Nous avons ici l'avantage de pouvoir juger l'ouvrage d'ensemtile.
Commençant par la géographie des verreries, non seulement en
Languedoc, mais du Rhône à l'Océan, il se continue par une
étude sur l'industrie du verre et ses conditions, les traditions-
mœurs et coutumes des verriers, leurs règlements, leur organi-
sation et leurs assemblées. Ensuite vient l'histoire de cette in-
dustrie, celle des tracasseries dirigées au xvii« siècle contre les
verriers qui avaient embrassé la Réforme en trop grand nom-
bre au gré du gouvei-nement royal. Au xviiir siècle, on les ac-
cuse, en outre, de dévaster les forêts. L'hostilité du pouvoir,
l'établissement de verreries à la houille, la nécessité croissante,
pour les entreprises industrielles, de gros capitaux ont amené
leur ruine et leur disparition. L'ouvrage se termine par l'his-
LIVRES ANNONCES SOMMAIREMENT. 3(J3
toire des divers départements verriers : Moussans , Haute-
Guyenne. Grézigne, Bas-Languedoc, Méjannez, et des familles
de verriers. Il est enrichi de nombreuses notes, d'une carte, d'un
index onomastique et géographique. C'est une monographie pré-
cieuse de l'art du verre dans le Sud et le Sud-Ouest de la France
jusqu'à la Révolution. M. Décans.
Valla (l'abbé L.). Aramon, temps anciens, administralion,
temps modernes, seconde édition, augmentée d'un chapitre et
ornée de trente photogravures. Montpellier, imprimerie de la
Manufacture de la Charité, 1905; in-S^ de 623 pages. — Ce livre
est plein de vie et d'ardeur. L'auteur a traité à fond, d'après les
sources (archives communales et départementales), l'histoire de
cette jolie ville, reposant au bord du Rhône, avec sa parure de
délicieux hôtels de la Renaissance, et au milieu d'un paysage
splendide. Il a multiplié les vues artistiques de ce pays où l'on
voudrait vivre. Il conduit le lecteur, avec beaucoup d'entrain,
depuis les origines romaines jusqu'à l'inauguration du pont sur
le Rhône, en 1900. Sa personnalité circule partout, avec des anti-
pathies vigoureuses qui tiennent l'attention en éveil. Ce combatif
a déserté les lempla serena où le lecteur risque de s'endormir.
Le livre est d'inspiration catholico-démocratique. Ce mélange ne
déplaît pas aux riverains du Rhône. Dans cet abatage en règle
de la maison seigneuriale, encore représentée, et dont l'action
envahissante fut néfaste, l'intérêt se maintient jusqu'au bout.
Aussi le livre est-il très lu. Je ne voudrais pas le quitter sans
quelque critique utile pour les éditions ultérieures. Dans l'ins-
cription no 2. p. 31, la ligne 2 doit se lire : Lucii Cornelii Supers-
tilis; la ligne 3 : et Pompeiae Fuscae ; la ligne o : Lucius Cornélius
Romanio; la ligne 6 : et Lucius Cornélius Ja7iuaris. Les affranchis
Lucius Cornélius Romanio et Lucius Cornélius Januaris élèvent
le tombeau à leur patron Lucius Cornélius Superstes et à sa
fem.me Pompéia Fusca. 7^owia??/o est un nominatif. Il fait au datif :
Romanioni (Cf. C. I. L.. t. XII, 873 et 2,809).
Ed. BONDURAND.
PUBLICATIONS NOUVELLES
Archives municipales de Bayonne. Délibérations du Corps de
ville. Registres français. T. II (1.80-1600). Bayonne. imp. Lamai-
gnère, 1906; in-4" de vn-608 p.
Blanc (J.i. Les martyrs d'Aubenas. Le Père Jacques Salés et
le Frère Guillaunfie Saultemouche. les deux premiers martyrs de
la Compagnie de Jésus en France (7 février 1593 . Valence, imp.
valentinoise, 1906; in-S» de xiii-388 p. avec grav. et portr.
Bovier-Lapierre (C). De l'influence du milieu physique sur le
développement économique, d'après ce que nous constatons dans
le département de l'Isère (thèse). Pans. Larose, 1906; in-8" de
iv-231 p.
Brun-Durand. Le président Charles Ducros et la société pro-
testante en Dauphiné au commencement du xvîifi siècle. Va-
lence, imp Céas et fils, i:)06; in-i>o de 162 p.
Chavagnac (X. de) et de Grollier. Histoire des manufactures
françaises de porcelaine. Paris, Picard, 1906; in-8o de xxviu-
9()7 p. avec ^^rav., flg., plans et planches.
Chevalier (clianoine J.). Mémoires pour servir à l'histoire des
comtes de Valentinois et de Diois. T. II. Paris, Picard. 1906;
in-8' de 688 p.
Chevalier (U ). Répertoire des sources historiques du moyen
âge. Nouvelle édit.. !>' fasc. Paris. Picard, 1906 ; gr. in-S" à 2 col.,
col. 3289 a 3816.
Darley (D.-E.). Fragments d'anciennes chroniques d'Aqui-
taine, d'après des manuscrits du xiii« siècle. Bordeaux, Féret,
1906; in-8» de 79 p.
Dauzat (A.). Géographie phonétique d'une région de la Basse-
Auvergne. Paris, Champion, 1906; in-8" de 98 p. et 8 cartes
Douais (Me^- L'Inquisition. Ses origines, sa procédure. Paris,
Plon-Nourrit. 1906; in-8'' de xi-371 p.
Durandard d'Aurelle (H.). Généalogie de la famille d'Au-
relle en Auvergne, Rouergue, Velay. Gévaudan. Vannes, imp.
Lafolye frères, 1906; in-8° de 72 p. avec armoiries.
l.e Gérauly
V -r,i) PlUVAT.
Umldiise. Iiiip. Doui.adouke-PRIVat, rue Si Uoiiic. 39. — 5140
LA RÉFORME DU CAPITOULAT TOULOUSAI\=
AU XVIIl^ SIECLE
Depuis longtemps l'adrainistratioa de Toulouse avait sou-
levé des critiques. Les Etats de Languedoc, l'intendant, le
Parlement avaient plusieurs fois attaqué, dans des vues diffé-
rentes, cette organisation particulière dont ils heurtaient
souvent les privilèges. Mais les plaintes s'avivent et se mul-
tiplient tout d'un coup, à la fin du règne de Louis XV. C'est
une véritable campagne réformiste qui commence vers 1765 et
qui ne finira qu'après avoir atteint ou cru atteindre son but.
Pourquoi se produit-elle à ce moment? Les abus étaient-ils
devenus plus visibles? ou y avait-il des yeux plus perçants
pour les voir ? 11 faut sans doute rattacher ce mouvement local
au mouvement général de critique et de réforme, qui, sous
l'impulsion de principes divers, s'attaque vers celte époque à
toutes les institutions établies et prépare ainsi par un long
ébranlement la catastrophe qui devait emporter d'un seul
coup l'ancien régime tout entier. C'est, d'ailleurs, le gouver-
nement lui-même qui porte l'attention sur les réformes muni-
cipales. En août 1764 paraît un édit réglementant l'adminis-
tration des villes de plus de quatre mille cinq cents habitants.
En mai 1765, un autre édit étend les dispositions du précé-
dent à toutes les villes et bourgs '. Enfin, en mai 1766 paraît à
son tour un édit intéressant spécialement les villes de Langue
1. Cf. Isambert, Anciennes lois françaises, XXII. n"' 877 et 895.
ANNALES DU MIDI. — XIX ^1
A
306 L. DUTIL.
doc. L'article 34 et dernier exemptait Toulouse de son appli-
cation, « attendu qu'elle a des privilèges et usages particuliers
qu'il peut être utile de conserver et sur lesquels nous n'avons
point encore reçu dos éclaircissements suffisants pour nous
décider'. » C'était ouvrir le champ aux critiques. Nous verrons
qu'elles ne manquèrent point.
Il convient d'abord de montrer sommairement ce qu'était
l'administration toulousaine au milieu duxvm» siècle. Elle se
composait de deux Conseils d'importance inégale et de huit
capitoub. Le Conseil général était presque réduit à un rôle
purement décoratif : il ne se réunissait que trois fois par an,
pour élire des auditeurs des comptes, pour choisir deux dépu-
tés aux Etats, et pour entendre la lecture du discours pro-
noncé parle chef du consistoire à la fin de chaque année. Le
Conseil de bourgeoisie avait un rôle plus actif : il se compo-
sait de certains oiflciers de justice et des anciens capitouls.
Convoqué par les capitouls lorsqu'ils le jugeaient nécessaire,
il donnait son avis sur les points qui lui étaient soumis; il
ordonnait les travaux et devait autoriser les dépenses supé-
rieures à 100 livres. Il était surtout le gardien des privilèges
de la cité. Ces anciens capitouls étaient, suivant l'expression
de l'un d'eux, « des répertoires vivants des titres de la ville »
et ils apportaient dans toutes les affaires un esprit d'indépen-
dance et de conservation bien connu des intendants.
Les huit capitouls avaient été dès le principe les représen-
tants des divers quartiers et ils l'étaient restés. Mais ils s'occu-
paient en commun des affaires générales de la ville sous la
direction de l'un d'eu.x appelé chef du consistoire, qui était
toujours un avocat, ancien capitoul-. La désignation des capi-
touls avait toujours été une grosse affaire. « L'élection des
papes n'a pas plus de cérémonies », disait à ce propos l'inlen -
dant de Bâville. En théorie, après une « semonce » solennelle
1. Recueil des fidits... concernait le Languedoc, t. XVI.
2. lin son absence, le plus ancien avocat, dit second de justice, avait
sou dévolu, et à défaut des deux, leur rôle passait aux auti-es capitouls
par ordre des capitoulats, la Daurade on premier lieu. (Lettre du sub-
délégué, 17 janv. ITOl. — Arch. de la II. -(i., C -atl.)
LA REFORME DU CAl'ltOUt,AT TOULOUSAIN AU XVIU'" .SIECLE. 30?
du viguier ', chacun des capilouls dé.signait six persoaaes de
son capitoulat. Celte liste était ensuite réduite à vingt-quatre
noms par une assemblée composée de vlix-huit notables et de
douze officiers royaux. Et le roi choisissait en dernier lieu-.
En fait, le roi n'était point lié par ces présentations. De plus,
le règlement fut souvent modifié, par suite de la création des
différents offices de maire ou de capitouls perpétuels nés des
besoins du trésor royal. Ce serait, d'ailleurs, s'abuser que de
trop attacher d'importance aux variaiions des formes électo-
rales. Les archives de l'intendance montrent quel rôle y
jouaient la recommandation et même la corruption : c'était la
« norme » de la cour, soigneusement préparée chaque année,
qui indiquait d'avance aux électeurs le choix à faire; et le
ministre s'appliquait d'ordinaire à suivre en ces matières les
avis de l'intendant.
Si tant d'intrigues se nouaient autour de ces élections, si
tant de gens briguaient les charges capitulaires, ce n'était
point sans doute seulement pour l'honneur de revêtir le man-
teau comtal et le chaperon rouge et noir; ce n'était point
non plus pour le seul plaisir d'offrir aux anciens capi-
touls un banquet coûteux et un présent de 45 livres appelé
franc salé ; c'est que le capitoulat donnait à la fois de grandes
satisfactions d'amour-propre et des avantages fort précieux.
Sans parler de l'appareil qui les accompagnait à toutes leurs
sorties, les capitouls se prévalaient du titre de gouverneurs de
la ville, mais surtout ils étaient juges es causes civiles et crimi-
nelles. Ils n'exerçaient point seulement, eu effet, la police,
pour laquelle ils commandaient à une compagnie du guet, mais
ils avaient aussi une justice sommaire, équivalant au total
à notre justice de paix; ils avaient la justice civile, par con-
cours avec les officiers du pré.sidial, et la justice criminelle,
par concours avec le sénéchal ; ils ressortissaient directement
au Parlement. Le syndic de la ville jouait le rôle de ministère
1. Après la suppression du viguier en 174^, son rule fut attribué au
sénéchal (Arcb. de la H.-G., G 261).
2. C'est l'arrêt du lU novembre 1687 qui avait établi le règlement en
cette naatière (Cl. Arch. de la H.-C, C "^60).
308 L. DUTIL.
public et, pour les aider dans leur charge, il y avait auprès des
capitouls quatre assesseurs qui instruisaient les procédures et
les rapportaient'. Les capitouls tenaient à tous leurs droits,
mais ils veillaient de préférence sur leur justice; c'est à rem-
plir cette partie de leur charge qu'ils apportaient le plus d'ar-
deur, et assurément, pour le marchand dans sa boutique aussi
bien que pour l'avocat dans son étude, ce rôle judiciaire, qui
pouvait leur donner un moment l'illusion de se croire des ma-
gistrats ro3'aux, était un des principaux attraits du capitoulat.
Il y en avait un autre plus puissant encore, c'était l'anoblis-
sement. Dans une société où la noblesse s'accompagnait le pri-
vilèges sans nombre, comment n'aurait-ce pas été là un droit
précieux? La ville était prête à tous les sacrifices pour le con-
server. Les rois, dans leurs continuels besoins d'argent,
savaient tirer parti de cet orgueil ; ils menaçaient la noblesse
capitulaire; aussitôt la ville protestait et... payait 2. Elle
n'était point seule à en apprécier les avantages. Beaucoup
d'étrangers à la ville, grands propriétaires de biens dans les
pays où la taille était personnelle, trouvaient ce moyen fort
commode pour se débarrasser de l'impôt et ils n'hésitaient
point à tenter quelques démarches et à dépenser quelques
louis. C'est ainsi que Toulouse posséda plusieurs fois dans le
courant du siècle des magistrats qui se contentaient, pour tout
office, de porter au loin le titre de capitoul.
Auprès des capitouls annuels, le syndic de la ville qui était
nommé à vie, qui suivait toutes les affaires de leur origine à
leur fin, était la véritable cheville ouvrière de Tadministra-
tion, et comme il avait été lui-même capitoul, il jouissait de la
plus grande autorité dans le corps de ville. C'était aussi d'ordi-
naire un ancien capitoul qui exerçait la charge de trésorier
de la ville ; il recevait à la fois les revenus de la ville et le
montant des impositions, et il efièctuait les payements sur les
mandements des capitouls. Nous avons déjà vu quel était le
rôle des quatre assesseurs. Il y avait, en outre, a l'hôtel de
1. Tabloiui di' rudiniiiistralioii acLuellc, 1776 (Arch. de la IL-G., 0 285).
•1. Cf. au.\. Ai-cli. de Toulouse le recueil « Noblesse capitulaire » AA.
m et les registres AA. 27. n"' lU'J et 107 ; AA. 29, n° (Ji.
LA RÉFORME DU CAPITOULAT TOULOUSAIN AU XVIIie SIECLE. 309
ville plus de quarante charges subalterues dont les capitouls
disposaient à leur gré, sauf celle du premier greffier, qui était
héréditaire : il s'occupait des affaires de police; sur les cinq
autres, quatre travaillaient uniquement aux procédures crimi-
nelles'. Enumérons simplement les officiers du guet, le capi-
taine au fait de la santé, les sept commis préposés à la police,
le directeur des travaux publics, le bedeau, les crieurs jurés,
les sergents, les greffiers des portes, sans compter un grand
nombre de suppôts.
On entendait à Toulouse par « administration économique »
tout ce qui concernait l'entretien de la ville, la voirie, les
bâtiments, les approvisionnements. Les capitouls ne pouvaient
presque rien par eux seuls ; les règlements leur défendaient de
disposer d'une somme supérieure à 100 livres sans y être auto-
risés par le Conseil de bourgeoisie. C'était donc celui-ci qui
administrait véritablement la cité ; le président nommait
d'ordinaire une commission spéciale pour chaque question :
les capitouls n'étaient en somme que des agents d'exécution.
Le Conseil de bourgeoisie n'avait pas lui-même toute liberté :
une ordonnance de 1741 ~ avait fixé les dépenses ordinaires de
la ville à 80,500 livres. Vers 1770 elles atteignaient environ
100,000 livres'. Un fonds de 20,000 livres était réservé pour
les dépenses imprévues. En outre, les délibérations du Conseil
de bourgeoisie en ces matières devaient être autorisées par
l'intendant.
Pour les affaires qui touchaient au droit, ou prêtaient à
contestation, on consultait le conseil de robe longue, com-
posé de six « fameux avocats », anciens capitouls. qui prê-
taient le secours de leurs lumières aux administrateurs de la
cité. Comme les autres villes, Toulouse ne pouvait engager de
procès sans y être autorisée par l'intendant. Il semble cepen-
dant que ce règlement ait été souvent oublié*.
1. Arch. de Toulouse, Registre AA. 31, n» 92.
2. Arch. de Toulouse, Registre AA. 80, n» 5.
3. Réponses du sieur Carrère (Arch. de la H. -G., G 284).
4. Cela ressort d'uue correspondance échangée entre le subdélégué et
l'intendant en 1786 (Arch. de la H. -G., G 265).
310 I,. DUTIL.
Les capUoiils étaient chargés à Toulouse de la répartition et
de la levée des impôts. Ils procédaient à la répartition, assistés
de huit commissaires, anciens capitouls. nommés par le Con-
seil de bourgeoisie. Quant à la levée, ils en chargeaient
d'abord des commis auxquels ils abandonnaient leur droit de
levure, c'est-à-dire le sol pour livre qui leur revenait sur le
montant des impositions de leur quartier^ Mais il y avait de
tels retards dans la reddition des comptes que l'on créa en
1746 un receveur des impositi()ns-. Au lieu de compter direc-
tement avec le trésorier de la province, il versait le montant
(les impositions dans la caisse du trésorier de la ville, qui
devait paj'er à son tour, aux époques fixées, le tré-;orier de
la Bourse. Il arrivait souvent que l'on prenait de la caisse
des patrimoniaux pour payer la province, et il s'ensuivait une
confusion de caisses, à laquelle on ne porta remède qu'en
17833. L'administration des autres ressources de la ville,
revenus des patrimoniaux et octrois divers, reposait tout
entière sur le trésorier. Les capitouls n'avaient aucun manie-
ment de deniers.
Le trésorier rendait ses comptes annuellement devant un
Bureau des comptes composé de deux conseillers de
grand'chambre, dont le plus ancien présidait, du procureur
général, d'un avocat général par tour, du sénéchal, du juge
mage, du chef du consistoire, de huit anciens capitouls et du
syndic. Les mandements des capitouls devaient y être exami-
nés et la caisse du trésorier vérifiée. Depuis 1763, le trésorier
était d'ailleurs tenu, i)ar un arrêt du Conseil, d'adres, "•, cha-
que année à l'intendant une copie détaillée du corapl', 'ïndu
de sa gestion^.
Telle était dans son ensemble l'administration municipale
vers la lin du règne de Louis XV. Quelques traits essentiels
sont à retenir. C'est d'abord la grande place que tiennent
L Arcli. de Toulouse, Registre des copies A A. 28, n" 284.
2. Arrêt du 25 mars 1746 (Aroh. de la H. -CI., C 297).
3. Lettre du 3 mai 1783 (Arcli. de Toulouse, Lettres missives, BB. 1
4. Mémoire du sieur Carrère, 1706 ( Arch. de la H. -G., C 284) — Registre
des copies AA. 30, u"' 8, 12, 102 (Arch. de Toulouse).
LA REFORME DU CAPITOULAT TOULOUSAIN AU XYIH» .SIÈCLE. 311
dans celle adminislralion les olliciers de juslice. Qu'il s'agisse
du Conseil général, du Conseil de bourgeoisie, ou du bureau
des comples, ils sont là en nombre imposanl, el ce sont tou-
jours des parlementaires qui président. En toute occasion, par
un cérémonial étroit, à la conservation duquel il veillait
jalousement, le Parlement se plaisait à rappeler aux capilouls
sa supériorité, et en loutes circonstances aussi, il s'appliquait
à augmenter le r(Me déjà bien grand qu'il avait à l'hôtel de
ville. A côté des officiers de juslice, on retrouve toujours dans
loutes les branches de l'administration les anciens capilouls.
Ce sont eux qui dirigent, ouvertement ou non, les capilouls en
exercice; ils sont l'âme de la cité. Mais celte cité, ils la con-
fondent volontiers avec le petit monde fermé où ils vivent. Il
s'était constitué à Toulouse, comme en bien d'autres villes,
une petite société qui regardait les charges municipales
comme son bien propre, une oligarchie imbue d'idées particu-
lières et intéressées, qui se fermait de plus en plus. Oubliant
trop son origine marchande', elle n'avait plus d'yeux que
pour le Capitole, son domaine, et pour le Parlement, son idéal.
On y parlait toujours du bien de la ville, mais on y pensait
surtout à la conservation des privilèges acquis. — Enfin, il
faut remarquer aussi que derrière tous les actes de l'adminis-
tration municipale, on aperçoit toujours l'intendant. La cor-
respondance de celui-ci avec son subdélegué les montre au
courant des moindres affaires de la ville; ils en règlent tous
les détails. La ville étale des prétentions et des titres; elle a
conservé ses cérémonies, ses magistrats, leurs costumes;
mais tout cela n'est que décor et comédie. Les capilouls le
savent bien et ils obéissent, en protestant de leur dévoue-
ment.
l. Plusieurs fois dans le courant du siècle, malgré les règlements, il
ne fat point nommé de marchands au capitoulat. — Voir les plaintes du
prieur et des consuls de la Bourse en 1718 (Arch. de la H.-G., C 260),
et le témoignage de Barthès en 1743 {Heures perdues, fol. 71, — Biblioth.
munie de Toulouse).
312 L. DUTIL.
IL
Au milieu du déchaînement de mémoires et de rapports
qui se produit dès le début du mouvement réformiste, nous
pouvons reconnaître les deux groupes principaux que nous
venons d'indiquer : le groupe capitulaire, plein d'admiration
et de respect pour une organisation qu'il a reçue comme un
dépôt sacré, et plein de confiance aussi, surtout au début,
dans les privilèges de la ville; le groupe parlementaire qui,
non content des avantages assurés aux officiers de justice
dans l'organisation présente, prétendait que tout irait bien
seulement le jour où le Parlement commanderait en maître
au Capitule. Entre ces deux courants, l'opinion se partageait,
inégalement à ce qu'il semble, la majorité suivant plutôt les
parlementaires, toujours très écoutés dans la ville. A l'écart,
observant avec attention la lutte, marquant les coups, le
subdélégué, l'intendant, le petit groupe des agents officiels se
réservaient pour le résultat final. La crise fut longue : ouverte
en fait dès 1*65. elle ne parut se dénouer en 1778 que pour
donner naissance à de nouveaux combats. Retraçons d'abord
les péripéties de la première partie de la lutte.
Des lettres du sieur Carrère, ancien capitoul. délégué de la
ville à Paris, aux dates des 15 et 19 novembre 1766', nous
renseignent sur les premiers engagements. 11 raconte que
M. Lauglois, intendant des finances, lui a dit, dans les pre-
miers jours d'octobre, que la ville était arriérée et obérée...,
que Ms'' l'Archevêque de Toulouse est prévenu et même
indisposé contre le Conseil de ville, enfin que M. le prince
de Beauveau^ lui a fait lecture d'une lettre anonyme où
il y a des délations contre le corps de ville. Aussi, in-
quiet, le dévoué Carrère croit devoir composer un mémoire
L Arch. de la H.-G., C :^84
2. Commandant en chef de la province.
LA RÉFORME DU CAPITOULAT TOULOUSAIN AU XVIII« SIECLE. 313
sur l'administration de la ville, destiné à répondre d'avance
à toutes les critiques ; on peut en deviner le ton et l'esprit.
L'affaire s'apaise pendant quelques années. Ce sont les Etats
de Languedoc qui semblent l'avoir réveillée. En 1771, ils
font un projet d'administration municipale pour les villes
de la province et ils demandent au roi de l'étendre à Tou-
louse. Mais les capitouls envoient des mémoires à la cour, et
la ville obtient, par l'arrêt du 2 octobre 1772, de conserver une
administration particulière L'arrêt du 27 octobre 1774 con-
cernant le rachat des offices municipaux, confirme de nouveau
les privilèges de Toulouse. Alors le Parlement intervient en
personne ; il fait des remontrances à ce sujet, le 14 décembre.
Les Etats, encouragés, supplient de nouveau le roi de rame-
ner Toulouse au régime commun. Et les capitouls opposent
de nouveau à ces demandes un mémoire défensif (1775). Déjà,
en 1773, — symptôme significatif de l'intérêt que cette ques-
tion éveillait dans toute la région, — un prêtre vivarois, l'abbé
Charabon, avait adressé au contrôleur général un mémoii^esur
les avantages du Languedoc', où il n'avait pas manqué dépas-
ser en revue les abus de l'administration toulousaine et les
réformes qu'il jugeait nécessaires. Le mémoire fut renvoyé
par le ministre à l'intendant de Saint-Priest qui, à son sujet,
exposa, lui aussi, ce qu'il découvrait de mauvais dans l'orga-
nisation capitulaire. C'est en 1775 que la crise devient aiguë.
Alors les mémoires apparaissent de tous côtés. Parmi les
plus importants, il faut citer le Mémoire anonyme adressé à
l'intendant en mars 1775 2, qui renferme de nombreux faits
précis et présente une critique à peu près complète de
l'administration de Toulouse. En avril, le même auteur ayant
découvert de nouveaux abus, ajoute a son mémoire un com-
plément^. Un peu plus tard fut publié un autre mémoire por-
tant pour titre : Mémoire py^ouvé par les faits sur l'admi-
nistration vicieuse du corps de ville de Toulouse ^ Il était
1. Voir Hist. de Languedoc, tome XIII. p. 1226.
2. Arch. de la H. -G., G 284.
3. Idem.
4. Arch. de la H. -G., G 284, ou bien Arch. de Toulouse, BB. 204.
314 L. DUTII..
plus que vif et fit du bruit, car l'auteur y avait accumulé des
faits et surtout des noms. L'irritation fut grande dans le
monde capitulaire. Le Conseil de bourgeoisie décida de défé-
rer l'imprimé à la justice, et les capitouls obtinrent en effet
du Parlement, le 1" mars 1776, un arrêt de condamnation;
récrit fut lacéré et brvilé dans la cour du Palais par l'exécu-
teur des hautes œuvres. — Les capitouls cependant ne res-
taient point sans répondre. Le 18 janvier 1776, ils décidaient
que le mémoire fait en 1766 serait remis de nouveau sous les
yeux du Conseil du roi : ils travaillèrent aussi à le compléter,
signalant pour montrer leur bonne volonté, quelques petits
points où leur administration était perfectible. Pour répondre
au « Mémoire prouvé par les laits », on dressa un Tableau de
V administration actuelle ' ; on envoya au ministre des mémoi-
res justificatifs : on fit un autre tableau donnant « des idées
pour mettre l'administration dans le plus haut point de per-
fection dont elle était susceptible. » A côté des capitouls, leurs
amis intervenaient aussi. Citons les « Observations du S^ de
Castilhon sur les abus à reformer a Toulouse » (1776), où
l'auteur, adoptant un nouveau système de défense, montre que
s'il y a des abus, ils sont inévitables et qu'il ne dépend point
des capitouls de les réformer. Citons aussi, de février 1777,
les « Observations sur l'état, l'administration et le pouvoir
des capitouls de la ville de Toulouse et sur les projets répan-
dus d'une prétendue rf/formation générale touchant ce pou-
voir et cette administration », par le 5'" Dêaddê, avocat, exem-
pb curieux de la manie du privilège qui sévissait dans le
monde capitulaire, panégyrique absolu de l'administration de
Toulouse, qui s'appuyait sur « des auteurs respectables » tels
que Maynard et François-François ! A ce moment d'ailleurs,
les mémoires et les propositions surgissent de tous côtés, cha-
cun écrit pour signaler un abus et indiquer le remède. Les
magistrats eux-mêmes ne craignent pas de descendre dans la
mêlée, témoin la lettre écrite le 30 avril 1778 à l'intendant
par le sieur Lagane, procureur du roi de la ville et du présidial.
L .A.rch. (le la. II. -G., V. 28.7), ainsi que pour les documents suivants.
LA REFORME DU CAPITOULAT TOULOUSAIN AU XYIIlf SIECLE. 315
Tout cela ne se traduit longtemps que par des enquêtes et
des rapports. Le ministre renvoie les mémoires qu'on lui
adresse à l'intendant ; celui-ci demande des explications à son
subdéléguè, qui fait un rapport : l'intendant refait le rapport
à peu près tel quel et l'envoie au ministre; puis les choses en
restent là jusqu'à ce que l'apparition d'un nouveau mémoire
vienne remettre en branle la machine administrative. Il faut
placer cependant hors de pair l'avis de l'intendant à M. de
Boulogne du 4 septembre 1775. et le rapport du subdélégué
Raynal du 11 septembre de la même année', qui contiennent
de précieux renseignements. Il semble que Malesherbes ait
voulu sortir de ce perpétuel piétinement. 11 r'crit à l'inten-
dant, aux capitouls, provoque leurs observations, presse les
uns et les autres-. Le mémoire définitif de M. de Saint- Priest
fils fut enfin envoyé à la Cour le 5 juillet 1776. Mais Malesher-
bes avait déjà quitté le ministère. L'affaire resta en suspens
deux ans encore Enfin, après plusieurs voyages entre le
ministère et l'intendance, un arrêt parut, le 26 juin 1778. qui
prétendait régler toute la question.
Voyons quels avaient été les arguments échangés. L'attaque
avait visé à la fois les capitouls et le capitoulat: on critiquait
non seult^ment les défauts des administrateurs, mais les prin-
cipes mêmes de l'administration,
Les mémoires abondent en plaintes sur le mauvais état de
la ville. Le mémoire anonyme de mars 1775 dénonce la mal-
propreté des rues : beaucoup sont pleines d'ordures qui cor-
rompent l'air; certains points sont de vraies sentines. Le
pavé aurait besoin d'une réfection générale; les habitants qui
le refont n'observent aucun niveau. La ville est très mal
éclairée, car il n'y a pas assez de lanternes et on ne les allume
pas assez tôt. Les chemins de la banlieue sont totalement
négligés, même ceux des faubourgs. Les promenades n'ont pas
de bancs. L'esplanade n'est pas encore aplanie ; nulle trace
d'entretien. Le parapet du mur qui borde la rivière sur la
L Arch. de la H.-G.. G 284.
2. Arch. de la H.-G., C 28.5. — Se croyant près d'aboutir, il avait même,
à la fin de 1775, prorogé les pouvoirs des capitouls en fonction.
316 L. DDTIL.
promenade du cours est tombé depuis cinq ans; on a négligé
de le réparer ; les matériaux sont à l'abandon. Le chemin qui
borde le terre-plein de la promenade du Rempart est couvert
d'ordures et de mares d'eau qui exhalent dans le temps chaud
une odeur insupportable. « La base du mur qui environne le
Jardin-Royal sert de latrines aux gens du voisinage et à tous
les mendiants et vagabonds, de sorte qu'on ne peut fréquenter
cette promenade ». Les égouts sont presque tous engorgés. Il
n'y a que deux fontaines dans la ville, l'une hors les murs,
près de la porte du Château; le bassin en est engorgé par une
grande quantité de sable, et elle est presque inaccessible, telle-
ment les environs sont couverts de saletés; on n'y a fait au-
cune réparation depuis vingt ans L'autre est sur la place
Saint-Etienne; elle a coiite 50,000 livres sur lesquelles on
aurait pu eu économiser 20,000. En 1770, l'abbé Terray se
contenta de 350,000 livres au lieu de 400,000 pour l'abonne-
ment des tailles, a la condition que les 50,000 livres restantes
serviraient à la construction d'une autre fontaine; elle n'est
pas encore faite. En 1772, la province accorda à Toulouse,
à la suite de l'inondation, 6,000 livres pour réparer le Port-
Garaud, sans cesse sapé par la Garonne ; c'est un travail
absolument nécessaire; il n'est pas encore fait. Le mur qui
protégeait l'île de Tounis et que l'inondation avait détruit n'est
pas rebâti, etc., etc.
La plus grande part de responsabilité doit retomber, d'après
l'auteur du mémoire, sur le sieur Hardy, directeurdes travaux
publics, qui est, dit-il, à la fois infidèle et prévaricateur. Mais
les capitouls sont coupables aussi, parce qu'ils ne veulent pas
ouvrir les yeux, malgré le cri de toute la ville. D'ailleurs, ils
dédaignent trop le détail de l'administration; ils ne veulent
presque jamais juger les procès-verbaux dressés par le capi-
taine de la santé et les commis de police. Dans le complément
à son mémoire, l'auteur énumère de nouvelles preuves de
l'impéritie des capitouls. Le sieur Campmas, ancien peintre
de la ville, ayant fait un plan de la façade de l'hôlel de ville
qui fut approuvé et exécuté, on délibérade lui donner 1, 000 li-
vres par an pendant la durée de l'ouvrage; aussi l'a-t-il fait
LA RÉFORME DU CAPITOULAT TOULOUSAIN AU XVIII® SIECLE. 317
durer dix ans. Le même a touché pendant vingt ans 700 livres
par an pour entretenir la salle de spectacles alors qu'il n'y
faisait pas 30 livres de réparations, quand il en faisait. Les
abus de voirie, les abus dans les travaux sont sans nombre,
parce que, pour les capitouls, la vérification des travaux n'est
qu'un prétexte à parties de plaisir avec voitures et dinersaux
frais de la ville.
L'auteur du mémoire n'a pas manqué de reprocher aussi
aux capitouls le nombre dos mendiants et des vagabonds
errants dans la ville. C'est un reproche souvent répété ailleurs;
ils ne s'occupent pas de la police, qui est cependant une de
leurs principales attributions. L'abbé Chambon dit qu'ils n'y
tiennent pas la main. Les notes remises au prince de Beau-
veau, commandant en chef de la province, parlent aussi de
« la fréquence des assassinats et des désordres ». Le guet est
très mal composé. En aoiît 1766, les prisonniers ont forcé
trois fois les prisons, et comme il pleuvait, le guet, averti à
temps, a répondu qu'il ne voulait pas se mouiller, ni se faire
tuer. La police des filles de joie est plus que mauvaise, et le
« Mémoire prouvé par les fails » insiste et précise sur ce point.
L'intendant lui-même enfin, dans sa lettre à M. de Boulogne
du 4 septembre 1775, reconnaît que, « pour la police, elle a
certainement besoin d'être faite a Toulouse, où il n'y en a
d'aucune espèce ».
Les critiques ne ménagent pas davantage l'administration
financière. La ville doit toujours beaucoup au trésorier de la
Bourse, et les règlements ne sont pas exécutés. La répartition
des impôts est aussi mauvaise ; on ne la fait plus en assemblée,
comme jadis, mais en particulier, à la hâte et par l'intermé-
diaire de commis, d'où de nombreuses erreurs. Les dépenses
ordinaires de la ville pourraient être diminuées de 12 à 15,000
livres, surtout dans les constructions et réparations; on fait
des adjudications douteuses; on dresse des devis louches. « Il
est reconnu que la ville est si mal servie dans les ouvrages
qu'elle fait faire, qu'il est comme passé en proverbe d'appeler
ouvrage de ville un ouvrage mal fait et payé plus cher que
318 L. DDTIL.
lesautres^ ». Ce chapitre fournit d'.ibnndantes l'essources aux
déprédations. On a vu des capitouls faire signer au sieur
Hardy des mandements que le lrêso:ier pa\ait comme desti-
nés à quelque réparaliou et que les capitouls employaient
ensuite à leur guise. Les ujandements ne portent pas toujours
nettement indiqué l'emploi des fonds. C'est vainement qu'il a
été défendu aux capitouls de faire des dépenses dépassant
100 livres sans autorisation; ils tournent la loi en multipliant
les petits articles. De plus, ils signent souvent sans examen
les mandements qu'on leur apporte. Le fonds des dépenses
imprévues, qui est de 20,U00 livres, est gaspillé chaque année
en pi'étendues réparations et en gratidcalions imméritées.
Le subdélégué signale surtout les dépenses des procès, enga-
gés d'ailleurs sans autorisation, et les honoraires des avocats
payés avec prodigalité. Les amendes de police, autrefois con-
sacrées à des dépenses utiles, sont maintenant employées par
les capitouls au gré de leurs désirs. «Ils se contentent de
mettre sur l'état « pour bonne œuvre », de sorte que cet état
est proprement une chanson- ». De plus, ces amendes sont
perçues par le premier commis du greffe, le sieur S..., qui a
une réputation fort suspecte Enfin, la vérification des comptes
n'est pas sérieuse. Elle se fait en aoîit ou en septembre, pour
l'année qui a fini au ler janvier précédent, de sorte que les
capitouls en charge ne connaissent le véritable état de la
ville qu'au moment de terminer leur exercice. En outre, c'est
une vaine cérémonie; les membres du bureau des comptes,
qui reçoivent chacun trois louis d'or pour honoraires, met-
taient autrefois quinze jours pour faire cette revision. Main-
tenant une seule journée suffit : le matin pour vérifier en hâte
quelques mandements pêle-mêle, et l'après-midi pour les
signatures et le partage des jetons. Aussi la situation de la
ville est-elle chaque jour plus mauvaise. Il n'est que temps
d'arrêter le mal.
De ce triste état de cho-es, la responsabilité doit remonter
1. Rapport du siibdélégup, 11 sept. 1775.
'<:. Lettre du procureur La^j'une.
LA RÉFORME DU CAPITOULAT TOULOUSAIN AU Xyill" SIECLE. 319
aux capitouls; ignorants ou pou honnêtes, ils sont au moins
les complices d'un mal qu'ils n'empêchent pas. Mais la cause
véritable de tou?. ces abus, ce n'est point dans les personnes,
c'est dans les principes qu'il faut la chercher. Et tout d'abord
les critiques s'en prennent à la vénalité du capitoulat. Les
plus dignes sont écartés au i)rofil de ceux qui donnent le plus.
C'est dans les bureaux du ministère qu'est le siège de ce mal,
quia effacé le mal assurément moindre de ia recommandation.
Comment s'étonner de la nullité de gens dont on n'a apprécié
que les écus? De plus, que pourraient-ils apprendre de leurs
fonctions dans le court espace d'une année? Ils quittent leur
charge au moment où ils commencent à pouvoir la remplir.
Même avec la meilleure des volontés, ils ne pourraient faire
œuvre bonne; que doivent donc faire des gens sans aucune
expérience et occupés surtout de leurs intérêts personnels?
Si du moins ils trouvaient dans le Conseil de bourgeoisie
un appui solide et un contrôle efficace ! Mais il est loin d'en
être ainsi. D'abord, ce sont les capitouls qui choisissent seuls
les points à délibérer, et ils négligent souvent les questions les
plus essentielles. De plus, composé surtout d'anciens capitouls,
le Conseil de bourgeoisie ne présente pas plus de garanties
que ces magistrats eux-mêmes; même vice d'origine, même
absence d'intérêt. Privilégiés, ils ne supportent aucune charge;
que leur importe donc la bonne marche des affaires? Le plus
souvent, ils ne sont pas en nombre, huit ou dix à la fin des
séances. Quant aux commissions, elles sont mal nommées et
mal tenues. Le Conseil de bourgeoisie est dominé par un inté-
rêt de caste et par un certain esprit d'opposition.
Enfin, il y a encore deux abus fondamentaux qu'il faut faire
disparaître au plus vite : ce sont le droit de justice des capi-
touls et le privilège de l'anoblissement.
Sur le premier point, presque tous les critiques sont d'ac-
cord. Les capitouls s'occupent trop de la justice, pour laquelle
ils ne sont pas qualifiés, au détriment de la police qui devrait
les intéresser davantage et surtout de l'administration. D'après
le mémoire anonyme de mars 1775, si la ville est sale, si l'on
néglige les affaires les plus urgentes, c'est que les capitouls
320 L. DCTIL.
ne pensent qu'à leur justice. Ils ne vont à l'hôtel de ville
qu'à six heures du soir, et c'est pour trancher quelque affaire
criminelle ou juger sommairement quelque délit. Leur ardeur
à exercer la justice ne les empêche pas de la mal exercer. La
plupart ne sont pas lettrés, et ils n'entendent rien aux pro-
cédures. Ils ont bien des assesseurs pour les éclairer; mais
ceux-ci le plus souvent ne sont aussi que des ignorants nom-
més là par les faveurs et les protections. Le résultat du privi-
lège judiciaire des capitouls, c'est que Toulouse a à la fois
une mauvaise administration et une mauvaise justice.
Il est peu de mémoires qui n'aient soulevé aussi la question
de l'anoblissement. La critique était ancienne, et dès le temps
de Bâville, il était admis que cet anoblissement était une des
causes de la faiblesse du commerce toulousain '. On retrouve
cette idée dans le mémoire de l'abbé Chambon : « Les habi-
tants, infatués de cette noblesse, ne s'adonuent au commerce
que pour se procurer un bien suffisant pour être capitoul;...
dès qu'un négociant a été capitoul, il regarde le commerce
comme une chose qui est beaucoup au-dessous de lui. » Les
adversaires des capitouls n'ont eu garde de négliger nu pareil
argument. Les négociants n'attendent pas d'avoir une fortune
suffisante pour briguer celte magistrature; ils y sacrifient une
grande partie de leurs biens et « l'on ne voit que trop souvent
leurs enfants traîner avec leur noblesse récente une vie oisive
et indigente, accompagnée quelquefois d'opprobre et d'igno-
minie. » Ce privilège, qui n'a pas d'origines sérieuses, dit l'au-
teur du « Mémoire prouvé par les faits », n'a que des consé-
quences funestes. Il contribue à ruiner les négociants du pays;
il attire aussi les étrangers, qui veulent être capitouls pour
échapper à la taille dans leur pays, nuisant ainsi à leurs
concitoyens qu'ils surchargent de leur part d'impôts et àTou-
louse qu'il administrent mal. Enfin, dit le même auteur, ce
L « Le Parlement et les privilèges du capitoulat qui anoblit éloignent
plus que tout le reste l'agrandissoinent et les progrès du commerce
Tous les enfants des gros marchands aiment mieux s'anoblir et entrer
en charge que de continuer et soutenir le commerce de leurs pères. »
(Mémoire de 1698.)
LA REFORME DU CAPITOULAT TOULOUSAIN AU XVJI1« SIECLE. 321
privilège est « la véritable et funeste source de cet orgueil
républicain héréditaire inhérent dans le corps de ville et qui
en rend les membres si indisciplinables ».
Dans celte âpre critique de l'anoblissement des capitouls,
il y avait sans doute un brin de jalousie de la part du parle-
mentaire discret qui tenait la plume. On remarquera aussi
que, parmi toutes ces critiques, nul n'avait voulu voir la place
pourtant grande que ces messieurs du Parlement tenaient
à l'hôtel de ville. Par contre, le Parlement ne s'oubliait plus
dans les projets de réformation.
Ces différents projets portent, en effet, dans quelques dé-
tails comme la marque de leurs auteurs. Ici, c'est le rôle du
Parlement et des officiers de justice que l'on désire voir aug-
menter; là, les mesures proposées aboutissent à l'établissement
du contrôle complet des agents royaux. Partout, on demande
la suppression du Conseil de bourgeoisie. Pour le remplacer,
l'auteur du Mémoire anonyme et celui du « Mémoire prouvé
par les faits » réclament la formation d'un conseil où les con-
seillers au Parlement, au sénéchal, les procureurs, les avocats,
les notaires dominent de leur nombre imposant les quelques
représentants du clergé et le petit nombre des négociants
qu'on y supporte. Bien entendu, la présidence appartiendra à
un parlementaire, et le « Mémoire prouvé par les faits» pro-
pose même d'attribuer officiellement au Parlement l'inspec-
tion générale de toute l'administration. Quant au subdélégué,
il propose un conseil politique ordinaire, à l'exemple des au-
tres villes du Languedoc, où figureront, à côté des personnes
qui ont droit d'y assister par leur place, quarante-huit con-
seillers, dont vingt-quatre nobles et vingt-quatre notables.
Ainsi, dit-il, toutes les classes de citoyens intéressés à la chose
publique participeraient à l'administration des fonds.
Le capitoulat lui-même n'était pas moins menacé, sinon
dans son existence, du moins dans ce qui en faisait le prix,
dans ses privilèges. On est généralement d'accord pour de-
mander la suppression de la justice des capitouls. Le mémoire
de mars 1775 propose que trois capitouls soient désignés cha-
que année pour juger les affaires sommaires et que l'on défende
ANNALES DU MIDI. — XIX "^2
822 I,. DùTiL
aux autres de s'ea occuper; le séûéchal suffira pour les affai-
res criminelles qu'il jugera avec plus de compétence. Les au-
tres mémoires émettent à peu près la même opinion. Il est à
noter que le subdélégué ne parle pas de ce point, non plus que
de la question de l'anoblissement. Et cependant celle-ci est
également agitée partout ailleurs. Personne n'ose proposer la
suppression complète de ce privilège, « à cause de sou ancien-
neté». Mais il faut le restreindre le plus possible. L'inten-
dant propose pour cela de nommer surtout d'anciens capitouls;
d'autres veulent que l'on prolonge la durée de l'exercice. Cette
prolongation est, d'ailleurs, demandée aussi pour elle-même. Les
Etats de Languedoc l'avaient désirée pour que l'administration
fiit à la fois « plus éclairée et plus suivie », Le Mémoire de
mars 1775 voudrait qu'on prolongeât trois capitouls des plus
éclairés pendant trois ans. Le « Mémoire prouvé par les faits»
demande six capitouls. dont deux nobles, nommés par le gou-
verneur de la province pour trois ou quatre ans, et quatre
autres nommés par le corps de ville, qui exerceraient leur
charge pendant deux ans. Le subdélégué n'est point de cet
avis, car on ne peut exiger de personne le sacrifice entier de
ses affaires pendant un long temps, et. de plus, c'est gêner
d'avance le choix du roi.
Il est curieux de remarquer que de plusieurs côtés on de-
mande l'introduction des nobles dans le capitoulat et dans
l'administration. C'était une idée que l'archevêque Loménie
de Brienne avait à cœur et que son prédécesseur approuvait
aussi ^ L'abbé Chainbon, dans son mémoire, proposait comme
solution à la question de l'anoblissement, de n'admettre que
des nobles aux charges municipales. Nous avons vu que le
« Mémoire prouvé par les faits » voudrait deux capitouls no-
bles. Le subdélégué place vingt quatre nobles parmi les qua-
rante-huit conseillers politiques dont, à son avis, on doit tirer
les capitouls. Le mémoire de mars 1775, qui propose lui aussi
d'admettre les gentilshommes au capitoulat, eu donne pour
raison qu'ils « apporteraient dans l'administration des vues
l. LoUre du sieur Currùio, liGli (Arcli. du la IL-G., C '2ii4.).
La reforme du CAPITOULAT toulousain au XVIlie SIÈCLE. 323
plus étendues et plus justes que celles qu'y apportent tous les
jours ces petits bourgeois et ces marchands détailleurs qui
n'assimilent que trop l'administration publique à leur petit
ménage et n'ont pour la plupart que des vues courtes et
rétrécies ».
Pour réformer les abus de l'administration, le subdélégué
demande qu'on revise les dettes et les dépenses, qu'on exige
l'application des règlements, qu'on oblige le trésorier à rendre
ses comptes dans le premier mois de l'exercice des capitouls.
Il connaît le moyen de rendre sérieuse cette reddition de
comptes, c'est d'y admettre le subdélégué lui-même avec un
petit traitement pour ce surcroît de travail ! Le Mémoire ano-
nyme de 1775 voudrait naturellement voir à la même place le
procureur du roi! — De plusieurs côtés, on demande la revi-
sion des officiers et suppôts de l'hôlel de ville, dont beaucoup
sont suspects ; il faudrait élever leurs émoluments ; « on évite-
rait par là une foule de friponneries qui sont nécessaires à ces
agents pour vivre ». Enfin, pour assurer réellement l'ordre et
la sûreté dans la ville, on voudrait l'installation d'un lieute-
nant général de police permanent. D'après le «Mémoire prouvé
par les faits », ce magistrat serait le représentant du pouvoir
royal auprès de l'administration locale; il recevrait les ordres
de la cour et serait chargé de les faire exécuter.
Une lettre de Malesherbes à l'intendant, du 12 novembre
1775. nous indique les idées personnelles du ministre sur le
sujet. Il croit, lui aussi, qu'il faut supprimer toutes recom-
mandations et prolonger la durée des fonctions capitulaires.
Il propose de fixer cette durée à quatre ans en nommant deux
capitouls par an. Sur les deux, un sera noble et l'autre pourra
ne pas l'être. La noblesse^ne sera acquise que par les quatre
ans révolus d'exercice. Le roi se réservera la nomination du
chef de consistoire qui serait un neuvième capitoul. Enfin, il
faut attribuer les airaire>: criminelles au sénéchal et les affaires
de commerce aux consuls comme dans les autres villes.
Ainsi, dès ce moment, les idées maîtresses de la réforme
étaient fixées; on allait réduire le capitoulat, lui enlever ses
attributions extraordinaires, vestiges du passé, et l'enfermer
324 L. DUTH..
dans les bornes exactes d'aue administration municipale.
Contre ces vives attaques, comment les capitouls avaient-ils
défendu les privilèges qui leur étaient si chers?
Ils n'étaient certes point restés inactifs. Autant que possible,
ils avaient opposé mémoire a mémoire, notes a observations.
Mais quelle que soit la forme de leur défense, elle présente
presque toujours les caractères d'un panégyrique absolu. C'est
à peine s'ils répondent aux questions précises portées par
leurs adversaires. Le plus souvent, ils se bornent à un éloge
général de l'administration établie : elle est bonne, puisqu'elle
est ancienne, et elle est inattaquable, puisqu'elle est fondée
sur des privilèges sacrés; telle est la base de leur argumenta-
tion. Ce n'est qu'à la fin de la lutte que l'on voit cette belle
intransigeance s'affaisser un peu; devant l'imminence du dan-
ger, le parti capitulaire apercevait tout d'un coup la possibilité
de quelques améliorations.
C'est ainsi; qu'à en croire le mémoire de l'ancien capitoul
Carrère, de 17G6, tout est parfait dans les différentes parties
de l'administration, et le même optimisme se retrouve dans
les réponses du même Carrère aux notes reçues par le prince
de Beauveau. On dit que l'habitant est foulé sans oser se plain-
dre et voudrait un magistrat de police qui fût résident à vie;
il répond que personne ne se plaint et que le vœu commun est
que la police reste entre les mains des capitouls, parce qu'à
eux huit, ils la font mieux qu'un seul magistrat ne pourrait
faire... On dit que les prisonniers ont forcé trois fois la prison
en 176G et que le guet, averti, n'a pas voulu se mouiller : il
répond victorieusement que le fait n'est arrivé que deux fois
et que le guet a toujours fait son devoir... On reproche aux
capitouls de ne pas avoir fait de fontaines : ils voulaient en
faire; c'est l'hydraulicien qui leur a manqué!... On dit qu'il y
a du tumulte dans les délibérations : il n'y en a jamais; d'ail-
leurs, les gens du roi et les commissaires du Parlement y as-
sistent, et le nombre des « vocaux » dépasse rarement trente-
cinq... On crie bien haut que les dettes de la ville augmentent :
c'est le contraire; de 1741 à 17G6, on a diminué les intérêts de
7,944 livres. Et Carrère rappelle de plus dans son mémoire,
LA REFORME DU CAPITOULAT TOULOUSAIN AU XVIII'' SIÈCLE. 325
non sans à-propos, que la plus grosse part de ces dettes, c'est
pour le roi qu'elles ont été contractées, pour les rachats d'offi-
ces toujours renouvelés, pour des emprunts peu ou point dé-
guisés. Malgré ses charges, l'excellente situation de la ville
est une preuve des mérites de son administration.
Vers 1774 et 1775, les mémoires des capitouls continuent
d'insister sur les multiples garanties qu'ofFreût les institutions
existantes, sur le nombre des capitouls gradués, sur le contrôle
du Conseil de bourgeoisie, sur le Conseil de robe longue, sur le
rôle du chef du consistoire, à la fois, disent-ils, «l'instructeur
et le directeur de ses collègues », sur la présence permanente
du syndic et des assesseurs. L'administration est donc bien,
comme le désirent les Etats, « éclairée et suivie ». Ce[)endant,
pour la rendre plus solide encore, le Conseil de ville a décidé,
le 1 1 mars 1775, que Sa Majesté serait suppliée de vouloir bien
nommer chaque année, comme l'on faisait autrefois, quatre
anciens capitouls, deux de robe longue et deux de robe courte.
De plus, à la suite d'un voyage de M. de Saint- Priest à Tou-
louse et sur sa proposition, on a délibéré de ne plus nommer de
commissions particulières pour chaque affaire, mais d'établir
à l'avenir deux commissions permanentes, l'une pour les
affaires litigieuses et l'autre pour les ouvrages publics. Ainsi
les capitouls ont trouvé quelque chose à améliorer; mais
maintenant tout est vraiment parfait, il n'y a plus rien à
innover.
Parmi ces mémoires défensifs, les observations du sieur de
Castilhon, présentées en 1776, méritent qu'on leur fasse une
place à part. Au milieu des arguments ordinaires, il en est quel-
ques-uns d'intéressants. L'auteur, reprenant le grand reproche
traditionnel adressé au capitoulat d'être cause de la langueur
du commerce à Toulouse, déclare que ce n'est là qu'un pré-
jugé. C'est la situation de Toulouse qui la réduit à un com-
merce borné... Les matières premières sont rares et inférieures
dans les environs. Toulouse est obligée de se borner à un
commerce d'entrepôt et de commission de grains de la Gasco-
gne et du Languedoc. Une autre cause de cette infériorité du
commerce toulousain, c'est le goîit naturel des jeunes gens
326 I.. DUTIL.
pour les lettres, les sciences et les arts. Une autre encore,
c'est l'attrait exercé parles fonctions judiciaires. Enfin, une
cause essentielle, c'est la trop grande quantité des maisons
religieuses des deux sexes; elles absorbent plus d'un tiers du
sol de la ville et au moins un quinzième de ses habitants, et
non seulement ces maisons vivent pour la plupart aux dépens
des revenus du travail et de l'industrie des citoyens, mais en-
core, en attirant à elles les jeunes gens de la plus belle espé-
rance, elles portent un coup funeste à la population. Il n'y
aurait donc rien à gagner, poursuit-il, à exclure les commer-
çants du capitoulat. A propos de la justice, on cite, dit-il, pour
l'enlever aux capitouls, quelques faits particuliers, sans preu-
ves, arrivés pendant la magistrature de capitouls étrangers et
sur un espace de temps considérable, et il dénonce les efforts
longtemps inutiles du sénéchal pour se faire attribuer ce
droit. Enfin, touchant à la question de la mendicité, il dé-
clare que son développement extraordinaire n'est pas impu-
table aux capitouls. La première cause est dans le défaut de
revenus assez considérables pour occuper continuellement les
pauvres à des travaux. Mais le sieur deCastilbon, qui n'aimait
décidément pas le clergé régulier, ajoute qu'il existe une autre
cause plus fâcheuse, c'est que plus de quarante maisons reli-
gieuses alimentent chaque jour la fainéantise et la mendicité.
« Ainsi, non seulement ces religieux vivent aux dépens des
citoyens, mais ils engraissent d'un pain qui n'est pas le leur
une foule parasite qui n'a aucun droit aux secours de la so-
ciété. » Malheureusement, cet exemple est suivi et le peuple
défend les vagabonds et les mendiants que la police veut arrê-
ter. C'est cette protection absurde qui attire à Toulouse les
mendiants des campagnes et des villes voisines, et qui provo-
que à la mendicité les pauvres de la ville alors qu'ils pour-
raient vivre de leur travail.
Tout le monde cependant, au camp capitulaire, n'avait pas
la belle confiance du sieur de Castilhon. On discutait ferme
dans les commissions permanentes qui venaient d'être établies.
La majorité soutenait qu'il n'y avait rien à changer. Mais,
après plusieurs séances, les parti.sans des concessions obtinrent
LA REFORME DU CAPITOULAT TOULOUSAIN AU XVIIie SIECLE. 327
du Conseil de bourgeoisie que l'oa adoptât une partie de leurs
avis^ C'était un privilège de la ville de changer annuellement
ses huit capitouls, mais l'administration serait peut-être plus
« suivie » si l'on nommait régulièrement quatre anciens capi-
touls. Il serait mieux aussi que le roi rendît à la ville la nomi-
nation de ses magistrats, en se réservant seulement la confir-
mation des choix faits par le Conseil général. Les commis-
sions permanentes continueraient d'avoir lieu et de plus on
pourrait élire comme commissaires les membres du Conseil
absents le jour de l'élection ; elles seraient renouvelables par
moitié tous les deux ans. On voit que les concessions n'étaient
pas grandes : si les capitouls admettaient quelques change-
ments, ils voulaient les foire tourner au profit de leur indé-
pendance et de leur pouvoir.
Le ministre, près de prendre une décision définitive, inter-
dit en 1776 toute élection nouvelle'^. Cependant, le 25 avril, le
Conseil de bourgeoisie, décidant que cet ordre ne s'étendait
point aux commissions, procéda à leur changement sur
l'heure, sans prévenir les absents. Dans les choix qui furent
faits, on observa que les partisans du statu quo seuls furent
renommés. C'était donc le groupe des irréductibles qui venait
de reprendre l'autorité. Ils luttaient désespérément, allant
jusqu'à refuser à l'intendant les registres et documents dont
celui-ci demandait communication. Il fallut une lettre du
ministre pour les obliger à céder^. D'autant plus ardents à
défendre leurs privilèges qu'ils les sentaient plus menacés, ils
croyaient pouvoir s'accrocher au passé et se débattaient
encore au milieu du courant qui déjà les emportait.
1. Délibération du 18 janvier 1776 (Arch. de la H. -G., G 285).
'^. « Ceci, qui est inouï et sans exemple, a donné bien de la matière
pour raisonner à tous nos spéculatifs.... » (Barthès, Heures perdues,
fol. 605).
3. Lettre de l'intendant au ministre du 26 nov. 1775 (Arch. de la H. -G.,
G 285), et lettre de Malesherbes du 3 décembre 1775 (Arch. de Toulouse,
Registre des copies, AA. 31, n" 170).
328 L. DUTIL.
III.
L'arrêt du 26 juin 1778, loin de mettre un terme a cette
agitation, ouvre une période nouvelle d'orages et de luttes qui
devait se prolonger plus de six années. Il ne s'agissait de rien
moins que d'une réorganisation totale de l'administration
toulousaine. Les auteurs de l'arrêt devaient vite s'apercevoir
que cela n'allait pas sans difficultés.
En premier lieu, l'arrêt fixait la composition de l'adminis-
tration municipale'. Elle devait comprendre un corps muni-
cipal, un conseil politique ordinaire, un conseil général et
quatre commissions ou bureaux, chargés respectivement des
affaires contentieuses, des affaires économiques, de l'assiette
des impositions et de l'audition des comptes du trésorier.
Les membres du corps municipal étaient un chef du consis-
toire et huit capitonls, assistés d'un syndic, un trésorier, un
receveur des impositions et un greffier : ceux-ci, sans voix
délibérative, ne venaient aux assemblées que lorsqu'ils y
étaient appelés. Le chef du consistoire devait être toujours un
ancien capitoul choisi parmi les avocats. Les capitouls devaient
être pris dans les trois classes des habitants de Toulouse,
savoir : deux dans celle des gentilshommes ou nobles, deux
parmi les anciens capitouls et quatre parmi les autres notables
citoyens. L'article 4 de l'arrêt spécifiait que les capitouls delà
première classe ne seraient tenus de se trouver qu'aux assem-
blées qui se tiendraient dans le Capitole et aux cérémonies
publiques ordonnées par S. M. — Gentilshommes et anciens
capitouls ne pouvaient être élus que si, dans les huit années
précédant l'élection, ils avaient été membres du Conseil poli-
tique ordinaire pendant deux ans; pour les autres, la durée
exigée était de quatre ans. Le roi se réservait pour toujours
3. Voir le texte do l'arrêt dans Arch. de la Ï\.-G., 0 285, ou Arch. de
Toulouse, AA. 29, n» lOG.
LA RÉFORME DU CAPITOULAT TOULOUSAIN AU XYIIie SIECLE. 329
la nomination du chef du consistoire. Quant aux capitouls, ils
seraient élus par le Conseil général, sur les propositions faites
de la manière suivante : quatre gentilshommes ou nobles pro-
posés par les capitouls de la !■■« classe, quatre anciens capi-
touls et huit notables proposés par le corps entier des capi-
touls, y compris le chef du consistoire. Pour cette année,
S. M. « voulant prévenir les difficultés » avait jugé à propos
de nommer elle-même les huit capitouls. — Venait ensuite le
règlement des rang et séance. Les deux capitouls de la pre-
mière classe seraient à la tête, ayant le chef du consistoire
entre eux; le?, deux capitouls de la deuxième classe auraient
le deuxième rang, le plus ancien à droite; les quatre autres
capitouls formeraient le troisième et le quatrième rang, sui-
vant leur âge pour la première fois et dans la suite d'après leur
ancienneté dans le capitoulat. — La durée de l'exercice était
fixée à deux ans; mais chaque année la moitié de chaque classe
devait être renouvelée. L'entrée en charge restait fixée au
l»' janvier. — Des mesures transitoires étaient prises pour les
premières années. — La déi)utation aux Etats devait toujours
être remplie par un capitoul de la deuxième classe et un de la
troisième dans la deuxième année d'exercice L'article 15 sup-,
primait le festin des nouveaux capitouls et le franc salé. L'ar-
ticle 16 confirmait le privilège d'anoblissement.
Le Conseil politique ordinaire devait comprendre le pre-
mier président et deux conseillers du Parlement, le procureur
général et un avocat général, le juge mage, le chef du consis-
toire et les huit capitouls en place, enfin, trente deux conseil-
lers électifs, savoir : huit gentilshommes ou nobles, huit
anciens capitouls et seize citoyens notables pris parmi les
avocats ou gradués en droit ou en médecine, procureurs,
notaires, chirurgiens, négociants immatriculés à la Bourse et
bourgeois. Le syndic devait aussi y assister, mais sans voix
délibérative. Les conseillers électifs devaient rester en charge
deux ans; chaque année, on devait renouveler la moitié de
chaque classe. L'élection était faite par le Conseil général,
classe par classe, sur la présentation des capitouls qui devaient
proposer deux candidats par place. — Le Conseil politique
330 L. DUTIL.
s'assemblerait toutes les fois que le corps inuuicipal l'aurait
jugé nécessaire. Il y serait délibéré dans la forme usitée pour
la province sur toutes les affaires relatives à l'administration
municipale; il ne pourrait y être pris de délibération qu'il
n'y eût au moins vingt-quatre présents.
Le Conseil général comprendrait d'abord tous les membres
du Conseil ordinaire, plus deux autres officiers du Parlement,
le lieutenant criminel de la sénéchaussée, le recteur de l'Uni-
versité, le vicaire général de l'archevêque, celui du chapitre
de Saint- Sernin, un chanoine député du chapitre de Saint-
Etienne, un autre député de celui de Saint-Sernin et, enfin,
seize députés électifs dont quatre de la première classe, quatre
de la deuxième et huit de la troisième. Ces députés, en charge
pour deux ans et renouvelables par moitié tous les ans,
devaient être nommes classe par classe par le Conseil général
sur les propositions faites par les capitouls à raison de trois
noms par place. — Le Conseil général devait s'assembler pour
l'audition des comptes du trésorier, pour entendre à la fin de
chaque année le compte rendu du chef du consistoire dont le
discours continuerait d'être inscrit dans les Annales de la
ville, et pour les diverses nominations dont il était chargé.
L'arrêt réglait ensuite la composition des commissions. La
commission des affaires contentleuses et celle des affaires éco-
nomiques comprenaient chacune le chef du consistoire, quatre
capitouls et huit membres électifs du Conseil politique. Elles
ne pouvaient prendre de délibération que s'il y avait au moins
cinq présents, et elles étaient chargées de préparer les affaires
qui devaient être portées au Conseil. La commission de l'as-
siette des impositions* se composait du chef du consistoire,
de huit capitouls, do huit membres électifs du Conseil ordi-
naire (deux de la première classe, deux de la deuxième et
quatre de la troisième); ils étaient assistés du syndic et du
receveur des impositions, sans voix délibérative; il fallait au
moins neuf présents. Enfin, les membres de la commission
1. Cette commission, qui n'existait pas dans le projet primitif, avait
été créée sur la demande de l'intendant dans son rapport du 81 mai 1/(8
(Arcli. de la II. -G., G 285).
LA REFORME DU CAPITOULAT TOULOUSAIN AU XVIIIP SIÈCLE. 331
pour l'audition des comptes du trésorier étaient : deux conseil-
lers de grand'chambre du Parlement, le procureur général et
un avocat général, le sénéchal, le juge mage, le chef du consis-
toire, le syndic sans voix delibéralive, et huit membres
choisis : deux dans la première classe, deux dans la deuxième
et quatre dans la troisième. — Les membres électifs de ces
quatre commissions étaient élus par le Conseil général, sur la
présentation du corps municipal, à raison de. trois sujets par
place; ils devaient, suivant le principe adopté, rester en
charge deux ans et étaient renouvelables par moitié.
Le syndic, le trésorier, le receveur des impositions, le
greffier seraient nommés par le Conseil général, sur la présen-
tation de trois sujets par place faite par le corps municipal.
Les titulaires actuels de ces charges et celui des greffiers qui
serait choisi continueraient d'en remplir les fonctions. Le tré-
sorier serait tenu de rendre chaque année ses comptes dans
les trois premiers mois après l'installation des capitouls.
L'arrêt prenait enfin diverses mesures administratives. Il
réduisait la somme fixée pour les dépenses imprévues à douze
mille livres. Toutes les dépenses dépassant cent livres seraient
délibérées par le Conseil ordinaire sur un rapport fait par la
commission des affaires économiques, et cette délibération
devait être ensuite autorisée par l'intendant. Quant aux
dépenses n'excédant pas cent livres, elles devaient aussi être
examinées par la commission, mais en cas d'urgence, il était
permis aux capitouls d'en délibérer, sauf rapport ultérieur en
Conseil. — Le roi chargeait spécialement le chef du consistoire
du détail de la police et se réservait de lui attribuer pour cela
un traitement pécuniaire convenable. Le roi se réservait
aussi de régler plus tard, sur les rapports qui lui seraient faits,
le nombre et les fonctions des suppôts de l'hôtel de ville.
Telle était la teneur de cet arrêt tant attendu. Comment
répondait-il aux espérances et aux craintes qu'il avait
suscitées? On peut remarquer tout d'abord à sa lecture qu'il
conservait beaucoup de l'ancienne administration, tout en y
apportant cependant des changements notables. En premier
lieu, il supprimait un usage fort ancien qui avait perdu depuis
332 L. DUTIL.
longtemps toute signification, mais qui n'en demeurait pas
moins respecté, à savoir la représentation de la ville par
quartiers. Les antiques « partidas » du moyen âge, devenues
les capitoulats modernes, qui avaient chacune , depuis si
longtemps, leur magistrat et leur délégation particulière dans
les Conseils, disparaissent et se fondent dans l'unité définitive
de la cité. Mais en même temps qu'il enlevait aux Toulousains
ce souvenir de leur passé, l'arrêt restaurait, en partie du
moins, ce même passé en rendant à la ville l'élection de ses
magistrats C'est encore une autre restauration que la rentrée
des nobles au capitoulat. L'aristocratie, qui jadis n'avait pas
dédaigné de revêtir la robe consulaire, s'était écartée depuis
longtemps de la vie municipale. L'arrêt du Conseil la rappelait
à ses devoirs. Allait-elle apporter au capitoulat une nouvelle
force en même temps qu'un nouvel éclat? Celait alors l'espoir
de tous. Enfin, l'arrêt présentait une nouveauté véritable : c'est
l'introduction à Toulouse du système des classes, des caté-
gories de citoyens, établi déjà dans d'autres villes du Midi, et
que redit de 1765 avait essayé de généraliser. Ce partage des
membres des Conseils entre les diverses classes ou corpo-
rations n'était encore qu'ébauché dans l'arrêt; mais le prin-
cipe était établi et la logique et les circonstances allaient
pousser à son développement.
C'est sur ces caractères nouveaux ou encore sur certains
points particuliers, comme la création d'une nouvelle charge
municipale, le prolongement de la durée de l'exercice, la sup-
pression de la vénalité, la confirmation de l'anoblissement,
que devaient discuter dès ce moment les politiques de Tou-
louse. Mais on ne prévoyait point encore les graves consé-
quences du changement et l'attention fut d'abord occupée par
de multiples difficultés de détail.
M. de Saint-Priest arriva à Toulouse le 17 juillet 1778,
muni des pleins pouvoirs du roi pour l'installation de la nou-
velle administration. Le 21, il se rendit à l'hôtel de ville, où
il notifia aux capitouis la nomination de leurs successeurs.
Ceux-ci avaient été désignés par une ordonnance royale,
d'après des listes soigneusement préparées par le sub-
LA RÉFORME DU CAPITOULAT TOULOUSAIN AU XVJII« SIECLE. 333
délégué'. M. de Brassalières, chef du consistoire, était main-
tenu dans ses fonctions.
Le 22 juillet, à onze heures du matin, ils allèrent prêter ser-
ment entre les mains du sénéchal. « Ils sortirent tous de
l'hôtel de ville, en pompe, comme à l'ordinaire, excepté la
mousquetade qui fut supprimée, les vieux revêtus des robes
comtales, leur chaperon sur l'épaule, les nouveaux ayant
aussi le leur en noir. Ils marchèrent droit au sénéchal, en
deux files, un vieux et un nouveau. Le serment fut prêté...
Ils s'en retournèrent à l'hôtel de ville... où étant arrivés, les
vieux se démirent des marques de leurs charges qui furent
transmises à leurs successeurs, au vu et aux acclamations d'un
peuple infini accouru pour jouir d'un spectacle d'autant plus
nouveau qu'on n'avait jamais vu de nomination en pareil temps
et qu'on se promet une gestion plus heureuse et plus satisfai-
sante pour la ville, eu égard à la noblesse et au désintéresse-'
ment particulier de ceux qui entrent eu charge... ^ »
La joie que signale Barthès ne devait pas rester longtemps
sans nuage. Bientôt, en effet, s'élèvent des protestations con-
tre redit. Ce sont d'abord des questions de préséance. Dès la
prestation du serment et dans le premier Conseil de ville, un
conflit surgit entre le chef du consistoire et les capitouls de la
première classe : ceux-ci réclament le premier rang comme
gentilshommes; celui-là y prétend comme président. L'affaire
partage toute la ville et les nobles se montrent très animés ;
ils proclament bien haut leur supériorité naturelle. Les
mémoires et les lettres au ministre se succèdent. Enfin, celui-ci
tranche en partie la question dans sa lettre du 15 août 1778^.
« Dans toutes les séances, le chef du consistoire, qui ne peut
être regardé que comme premier de justice, ne siège qu'après
les capitouls de la première classe ; mais il doit recueillir les
1. Arch. de la H.-(j., G 29U. — Les huit capitouls étaient M. de Bélesta
et M. de Gavaret, comme capitouls de la 1" classe, M. Gouazé, professeur
eu droit, et M. Joulia, négociant, comme capitouls de la 2= classe, euiin
MM. Ginesty, Sennovert, Mouré , tous trois avocats, et M. Sahuqué.
négociant, comme capitouls de la 3'.
2. Barthès, Heures perdues, fol. HHi (Bibl. mun. de Toulouse).
'à. Arch. de Toulouse, Eegistre des copies, AA. 32, n" 1.
334: h. DUTiL.
voix et prononcer le résultat. » Cette décision modéra l'ardeur
de la querelle, mais ne la fit point disparaître.
La place de chef du consistoire souleva d'autres discus-
sions. Les capitouls lui contestaient ses fonctions'. 11 n'est
pas capitoul, disaient-ils, puisque la ville n'en compte que huit :
11 n'a donc pas le droit d'en porter les insignes. Il ne saurait
non plus exercer la police et la justice qui sont le propre des
capitouls. Enfin, il est une cause d'embarras et de conflits
dans les marches et cérémonies. Ces difficultés tenaient d'ail-
leurs beaucoup à la personne même du sieur de Brassalières.
Peu aimé de ses collègues, il eut à subir de leur part plu-
sieurs affronts. C'est ainsi que les capitouls s'étaient empressés
de s'emparer des robes et des manteaux consulaires afin qu'il
n'en pût avoir. On envoyait sans cesse des mémoires contre
lui.
D'autres questions aussi étaient agitées. Quel était désor-
mais le rôle du sénéchal ? Devait- il faire la semonce et à quelle
date? Devait-il assister aux Conseils ou non? Les officiers du
parquet réclamaient eux aussi le droit d'entrer aux assem-
blées. Les apothicaires se plaignaient d'avoir été omis dans la
liste des corps qui devaient fournir les notables. L'article 23
de l'arrêt plaçait parmi les membres du Conseil général un
vicaire général du chapitre de Saint-Sernin qui n'existait pas,
au détriment du vicaire général de l'abbé, qui, existant,
réclamait son droit. Le fils du syndic Dupuy protestait contre
l'article 34 qui lui ôtait la survivance de la charge de son
père. Enfin, le Parlement demandait des lettres patentes pour
faire enregistrer l'édit ; il prétendait, en effet, quel'édit portait
création d'office (le chef du consistoire étant un neuvième
magistrat) et qu'il y avait par suite lieu de l'enregistrer.
Tout cela faisait l'objet de démarches et de pourparlers. Le
subdelégué, appelé à donner son avis, s'en acquitta dans une
lettre du 25 septembre 1778^. Il s'y excuse d'avoir « adopté à
l'égard de la place du chef du consistoire le parti qu'Alexan-
1. Letln-s du subdélégut' (Arcli. de la IL-G., C. 284.) — Mémoires des
capitouls et lettres ;iu ministre (C 286).
2. Arch. de la H. -G., C 286.
LA RÉFORME DU CAPITOULAT TOULOUSAIN AU XYlll" SIECLE. 385
dre prit à l'égard du nœud gordien. » Il proposait, en effet, de
la supprimer. L'intendant fil un mémoire à M. Amelot sur les
questions pendantes, qu'il envoya le 17 décembre 1778, en
proposant lui aussi la suppression du chef du consistoire.
Dans le courant de l'année 1779, une nouvelle question se
joignit aux précédentes, celle des assesseurs : il fut question
de les réduire à trois pour augmenter leurs appointements'.
Le résultat de toutes ces discussions fut l'arrêt du 8 jan-
vier 1780 destiné à modifier et à compléter le pi-emier^,
La place de chef du consistoire était supprimée : le pre-
mier capitoul de la deuxième classe serait toujours le [)remier
de justice et Sa Majesté s'en réservait la nomination. La
durée de ces fonctions serait de deux ans; elles pourraient
être prolongées par le roi, mais pour deux ans seulement. Il
était attribué, à titre d'indemnité, au sieur de Brassalières
une pension de 4,000 livres payable sur les revenus de la
ville et réversible par moitié sur sa femme. — Il était sti-
pulé ensuite que les capitouls de la troisième classe qui
décéderaient pendant leur charge auraient acquis la noblesse
et la transmettraient à leurs descendants. Tous les avocats
généraux du Parlement, et non un seul, devaient assister au
Conseil politique et au Conseil général. Le sénéchal ferait
aussi partie de ces Conseils; il tiendrait la séance ordinaire
de la semonce à la date accoutumée, le 26 décembre. Satis-
faction était également donnée aux apothicaires, au vicaire
général de l'abbé de Saint-Sernin. Il était spécifié aussi que
les années de service au Conseil politique exigées des aspi-
rants au capitoulat pouvaient avoir été accomplies en n'im-
porte quel temps et non dans les huit années précédant immé-
diatement l'élection. Venaient ensuite les questions de rang
et de préséance. En cas d'absence d'un des capitouls de la
première classe, le premier de justice le remplacerait à côté
de celui qui serait présent; le premier de la troisième classe
marcherait par suite à côté du second de la deuxième, et les
L Arch. do la H.-G., C 296.
2. Arch. de la H.-G., G 286, ou Arch. de Toulouse, AA. 29, u" 110.
336 L. DUTIL.
trois autres sur la même ligne. Dans la première classe, le
plus ancien en réception aurait la préséance ; dans la
deuxième, elle appartiendrait toujours au premier de justice
et, dans la troisième, les deux plus anciens en réception précé-
deraient les deux autres; si parmi ces capitouls de la troi-
sième classe élus en même temps il y avait un gradué, il
aurait la préséance sur l'autre, et s'ils étaient gradués tous
les deux, elle appartiendrait au plus ancien en grade. — En
cas d'absence d'un ou de plusieurs capitouls, ils pourraient
être remplacés dans les commissions par ceux qui seraient
présents. Ces commissions, toujours présidées par un capi-
toul, ne pourraient s'occuper que des objets qui leur
auraient été renvoyés par le Conseil politique ou par les capi-
touls en cas d'urgence. Leurs délibérations ne pourraient être
exécutées qu'après avoir été autorisées par le Conseil. Enfin, le
nombre des assesseurs devrait être réduit à trois, à la pre-
mière vacance.
Cet arrêt n'était donc qu'une série de réponses aux diver-
ses questions posées depuis l'arrêt primitif. Mais les vieilles
querelles se prolongèrent et de nouvelles difficultés vinrent
encore les compliquer.
Ce fut d'abord la manière dont était réglée la question du
chef du consistoire qui souleva rémotion. La pension accor-
dée au sieur de Brassalières fut vivement attaquée et le Con-
seil politique décida d'adresser au roi une requête pour la
suppression de cette pension, comme disproportionnée aux
services rendus par ce personnage et à cause de l'état des fi nan-
ces de la ville ^ Puis, la pension aj^ant été maintenue, on
s'avisa de retenir au sieur de Brassalières, là-dessus, la somme
de 600 livres qui lui avait été payée en 1779 pour sa livrée
consulaire ; de plus, on prétendit ne devoir lui payer ladite
pension qu'à la fin de chaque année. Il se plaignit; l'inten-
dant dut intervenir pour lui faire obtenir satisfaction.
L'arrêt enregistré à l'hôtel de ville, en présence de M. de
Saint-Priest fils, on avait procédé aux élections, et M. Gouazé.
1 Arcli. de la Il.-G., G ;;!'J1.
LA RÉFORME DU CAPITOULAT TOULOUSAIN AU XVIIie SIÈCLE. 337
professeur en droit, avait été nommé le 5 mars 1780 pretnier
de justice ^ Mais les querelles de préséance n'avaient point
été supprimées par la suppression du chef du consistoire ; elles
reparurent, entre les capitouls de la première classe et le pre-
mier de justice, plus vives que jamais. Il y eut d'abord des
contestations entre eux touchant le droit d'aller recevoir le
Parlement et à propos des séances du Conseil politique-. Ce
fut le premier de justice qui dut céder, et depuis ce moment
il ne parut plus aux Conseils. Les gentilhommes ne cessaient
de se réclamer de leur qualité ; ils se considéraient comme
fort au-dessus de leurs collègues. L'intendant_ signalait leur
attitude au ministre dans sa lettre du 31 octobre 1781 ' : « Il est
contre les règles et l'usage que les premiers membres d'un
hôtel de ville s'isolent ainsi de leurs collègues. J'ai eu diffé-
rentes occasions de remarquer cette aff'ectation et M. de Péri-
gord* s'en était aussi aperçu... » Les capitouls de la première
classe prétendaient, en effet, avoir un rang à part. « En nous
plaçant à la tête du corps municipal, disent-ils dans un
mémoire au ministre ^ l'objet du nouveau règlement a sans
doute été de relever le capitoulat rabaissé par l'introduction
de toutes sortes de gens... » Et bientôt, pour mieux marquer
la distance qui les séparait des autres capitouls, ils signèrent :
capitoul gentilhomme. « Il en résulte pour les autres capi-
touls un témoignage toujours renaissant d'infériorité et de
mépris », écrivait M. Gary à l'intendant. — Le premier de
justice, qui avait abandonné les Conseils, présidait encore aux
commissions et aux jugements. Le temps vint où les capitouls
gentilshommes lui contestèrent ce droit. « A la dernière com-
mission, je présidais comme de coutume, écrit M. Gary à
l'intendant dans la lettre citée plus haut, M. le marquis de
Grammont me tira à part après un certain temps pour me
dire que le premier de justice ne devait pas présider en pré-
1. Arch. de Toulouse, Registre des copies, AA. 29, n" 111.
2. Lettre de M. Gary à l'intendant, janv. 1783 (Arcli. de la H. -G., G 291).
3. Arcli. de la H.-G., C 28G.
4. Commandant en clief de la province.
5. Arcli. de la H.-G., C 286.
ANNALES DU MIDI. — XIX 23
S38 L. DUTIL.
seace des capitouls gentilshommes... Rien ne put l'ébranler.
Il ajouta que si je voulais présider, les capitouls gentilshom-
mes s'abstiendraient des commissions. Je dis alors : C'est à
moi de m'abstenir... C'est sa classe, me dil-il, qui lui a fait
faire cette observation. »
La division allait ainsi tous les jours augmentant à l'hôtel
de ville. Aussi la place de premier dejustice, qui était parti-
culièrement délicate, était-elle peu enviée. M. Gouazé, nommé
le 5 mars 1780, et en querelle avec sa Faculté au sujet des
cours qu'il ne pouvait faire, demandait instamment dès la fin
de l'année d'être relevé de ses fonctions'. En décembre, on
nomma à sa place M. Gary; mais celui-ci, peu satisfait de
cette distinction, se mit à envoyer mémoire sur mémoire à
l'intendant et au ministre pour se faire dispenser de ces fonc-
tions, sous prétexte de maladie. M. Gouazé protestait de son
côté contre ces retards. Dans sa lettre du 12 février 1781- il
écrit à l'intendant : « Tout cela n'aboutit qu'à me faire rester
encore malgré moi dans une place que je suis fondé à détester
plus que jamais... Il ne m'est plus possible de vivre aujour-
d'hui dans l'hôtel de ville où l'esprit de parti et les prétentions
ont jeté la plus grande division... » M. Gary ne se détermina
à prêter serment qu'à la fin d'avril 1781 et par l'autorité du
ministre. Le subdélégué écrivait à ce sujet ^ : « Je prévois
qu'il sera bien difficile à l'avenir de trouver dans l'ordre des
avocats un sujet de bonne volonté pour remplir cette place.
On s'obstine à la regarder comme dégradée parce qu'on lui a
enlevé le premier rang... J'ai beau représenter qu'on est dans
l'erreur parce qu'enfin l'ancien chef du consistoire n'a jamais
présidé que les nouveaux nobles et qu'il les préside encore en
marchant après MM. les gentilshommes... Peut-être cette
maladie a t-elle beaucoup contribué à différer le serment du
nouveau premier dejustice. » Celui-ci, comme son prédéces-
seur, vit chaque jour ses droits mis en question. L'Académie
des Jeux Floraux ne reconnaissant plus dans le premier de
1. Arch. de Toulouse, Registre îles coi)ies, AA. 'M, u" ILS.
:». Arcli. de la IL-U., C 290.
:j. Arcli. do la U.-G., C'2'Jl.
La reforme du CAPITOULAT TOULOUSAIN AU XVIII® SIECLE. 339
justice le premier capitoul. lui ôta la place d'acailémicien-aé
pour la conférer au premier capitoul gentilhomme. M. Gary
ne cessa de se plaindre. « Il ne reste plus rien à faire pour le
premier de justice, écrit-il à l'intendant ; il n'est plus qu'une
cinquième roue au carrosse ^ » Il demandait constamment
d'être relevé de sa charge. On finit par lui donner un congé,
mais il dut garder son titre. Encore en 1786, le baron de
Breteuil, alors ministre, écrivait qu'il refuserait la démis-
sion du sieur Gary-. Cela venait de la difficulté de lui trouver
un successeur.
Il fut plus facile de résoudre une autre difficulté soulevée par
l'application de l'arrêt de juin 1778. Le Conseil politique fit
remarquer, dans sa délibération du 18 mars 1780, qu'en raison
de la durée des services au Conseil politique exigés des can-
didats au capitoulat — cette durée était de quatre ans pour les
capitouls de la troisième'classe et de deux pour les autres, —
leséleclions seraient fortgênees en 1782 etimposdbles en 1783,
faute de candidats en règle avec l'arrêt. Et l'on demandait à
cette occasion la réduction de ce temps de service^. L'inten-
dant constata, en effet, que les mesures transitoires indiquées
par l'arrêt ne suffisaient pas, et que, malgré une erreur d'une
année, la difficulté soulevée était réelle. Mais il se pronon-
çait en même temps contre le principe d'une réduction défini-
tive du temps de service exigé et il demandait qu'il ne fîit
accordé qu'une dérogation limitée*. C'est ce qui fut fait par
l'arrêt du 2 février 1781 qui suspendit l'exécution de l'arti-
cle 6 de l'arrêt de juin 1778jusqu'en 1790 et ordonna que jus-
que là il ne fût exigé que deux années de service^
Il y a lieu de mentionner encore certaines affaires, soule-
vées par les officiers de la sénéchaussée, qui montrent com-
bien était vivace dans tous les esprits l'idée de privilège. Dans
1. Lettre du 11 janvier 1783, déjà citée.
2. Arch. de la H. -G., C 291. — Il ne fut remialacé que le 11 mai 1787
par le sieur de Sennovert (Arch. de Toulouse, AA. 38, n° 27j.
3. Lettre de M. Gouazé à l'intendant (Arch. de la H. -G., C 291).
i. Lettre du 16 janvier 1781 (Arch. de la H -G., C 281).
5. Arch. de Toulouse, Registre des copies, AA. 29, n" 117.
340 L. DUTII,.
un mémoire au ministre de mai 1781 S ils se plaignent qu'aux
dernières élections faites dans les Conseils on ait paru affecter
de les éloigner de ces places. Une enquête fut faite et il en
résulta que leur plainte était mal fondée, attendu qu'ils
n'avaient pas plus de droits que les autres; mais c'est là pré-
cisément ce qu'ils contestaient au fond, en souvenir du rôle
qu'ils avaient si longtemps joué dans l'élection des capitouls.
Toutes ces affaires qui attiraient l'attention sur l'adminis-
tration municipale, furent vite éclipsées par les contesta-
tions qui s'élevèrent entre les capitouls et le Parlement. Une
querelle grave se préparait depuis quelque temps; elle ffnit
par éclater.
Ce ne furent d'abord qu'escarmouches. On sait que le Par-
lement exigeait de l'administration municipale des marques
de respect exagérées. Jusqu'alors, le corps capitulaire, com-
posé de marchands ou de gens de robe, s'était soumis. Mais
la création des capitouls